Être un dieu – même un dieu seulement à moitié fini, c'était avoir une présence, une physicalité drue dans le monde. Ce qui était logique : les dieux étaient la concentration de la magie du monde, ce qui rendait leur essence plus dense, pourrait-on dire.

À cet instant, Dionysos se sentait tout sauf existant. Il était… pas évaporé, mais ça y ressemblait furieusement. Insoutenablement léger dans son être. Un fétu de paille dans la brise, désespérément fragile.

Désespérément vulnérable face à l'Archange Déchu, et il voulait s'enfuir le plus loin possible, mettre une dimension de distance entre l'abomination et lui, mais il ne pouvait pas, n'est-ce pas ? Car le monstre avait pris…

Il avait pris…

Ariane…

Ses yeux s'ouvrirent comme on sursaute en se réveillant d'un cauchemar.

« Didi ?! C'est toi ? »

Hel était penchée sur lui, arborant une expression des plus curieuses : en partie anxieuse, oui, mais il y avait une dose de culpabilité non négligeable. Pour quelle raison ?

« Je… pense » croassa-t-il.

Mais non, ça n'allait pas. Il se sentait toujours trop creux, toujours trop léger, trop aérien et flottant. S'il essayait de se lever, allait-il s'envoler au plafond ? Le vertige l'envahissait.

« Hela ? Je crois que j'ai un problème. »

Cette fois, la grimace de la déesse Norroise était nettement honteuse.


« … Alors, je suis redevenu cent pour cent humain ? »

C'était… une perspective pour le moins saisissante. Surtout parce que ce n'était pas supposé être possible – l'apothéose nécessitait de diluer l'âme humaine afin d'en faire le pouvoir divin de la nouvelle déité, et c'était un peu irréversible comme procédure.

D'accord, Dionysos n'avait jamais franchi ce dernier pas, parfaitement content de vivre en simple demi-dieu, mais le poids de son sang Olympien avait été constant dans ses veines, dans sa moelle osseuse, un fait de tous les jours.

Et maintenant, Hel venait de lui annoncer qu'elle lui avait récuré les artères au point qu'il ne lui restait plus que des globules rouges mortels. Avouez que ça donnait le tournis.

Ladite déesse blonde refusait de le regarder en face.

« Est-ce que tu m'en veux ? » demanda-t-elle d'une très petite voix.

L'impulsion immédiate de Dionysos fut de répondre par la négation, bien sûr que non. Mais ce n'était pas si simple, n'est-ce pas ?

Dionysos avait vécu plus d'un millénaire avec sa divinité partielle, et désormais il en était privé. Obligé de réapprendre à vivre en humain, alors qu'il avait oublié depuis belle lurette comment faire. Exister en creux là où il avait été consistant auparavant.

Elle lui avait fait ça.

Il poussa un long soupir et se massa vigoureusement les tempes.

« On en reparlera plus tard, veux-tu ? Quand j'aurais moins envie de vomir. »

Il faisait de son mieux pour l'ignorer, mais la nausée grondait au fond de son estomac, menaçant de remonter le long de sa gorge. Et pour couronner le tout, une pression de plus en plus insistante sous son crâne lui donnait l'impression que son cerveau allait imploser.

Par pitié, que ça passe.