Pour une femme qui venait de risquer sa propre fille sur un champ de bataille, qui venait de perdre celui qu'elle n'avait jamais autant aimé et estimé qu'il le méritait à un Commandant de Milice Céleste guère connu pour se montrer indulgent envers ses prisonniers et cadets récalcitrants, Gabriel faisait preuve d'une sérénité pour le moins incongrue.
Probablement car elle avait attentivement écouté les fréquences surnaturelles présentes à Detroit, histoire de garder un œil vigilant sur la petite troupe chargée de récupérer la bambine dérobée par le Diable – elle n'avait pas été seule à le faire, plusieurs de ses subordonnés tout neufs s'étaient réunis autour de son véhicule afin de profiter de son accès supérieur à la bande passante du monde.
Ça avait causé une belle clameur quand Hel avait enfin déployé ses ailes pleinement et accédé à la dignité de Porte-Flambeau – un tintamarre confus et chaotique, faible écho de la pure panique en train de se déchaîner dans les Sept Cieux, et Gabriel ne parvenait pas à reprocher leur attitude à ses jeunes frères et sœurs.
Elle-même ne savait pas quoi trop penser de ce dernier déroulement. Quand on voyait ce que le précédent Porte-Flambeau était devenu, en dépit d'être l'Ange le plus parfait jamais conçu par Dieu… D'un autre côté, si Hel était déjà scandaleuse par vertu d'être une Néphilim contaminée par la nécromancie et vénérée en tant que déesse païenne, elle ne pouvait que s'améliorer, n'est-ce pas ?
Gabriel voulait être fière de sa fille pour son ascension et pour être la digne progéniture d'un Embrouilleur amateur de chaos. Elle voulait aussi la saisir par ses plumes à peine poussées et la secouer à la manière d'une pinata qui laisserait tomber des bonbons à force de vibrations insistantes. C'était compliqué, d'être un parent, on ne savait jamais ce que les gamins inventeraient et donc sur quel pied il fallait se préparer à danser.
« Gabriel ? Que doit-on faire pour Cassiel ? »
La voix nerveuse de Rachel interrompit les affres de sa réflexion, et la Porte-Parole cligna les yeux de son enveloppe corporelle.
« Très franchement ? Rien. »
Un murmure incrédule se répandit telle une onde de ricochet parmi son entourage, et l'Archange féminin s'autorisa un soupir.
« Cassiel est en parfaite position pour expliquer nos objectifs à Michel. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, le Commandant de la Milice est dans une situation délicate avec Raphaël en position fermement neutre, Lucifer libre de poursuivre ses ravages sur Terre, et nous-même qui ne cessons de gagner en force. S'il est intelligent, il demandera des pourparlers une fois qu'il aura terminé l'interrogatoire – et Cassiel n'est pas si faible qu'il se laisserait démolir par un vulgaire interrogatoire, y compris un mené par les meilleurs éléments dont disposent les Neuf Chœurs. »
Les ailes se décrispèrent et les visages se détendirent autour d'elle, à l'exception notable de Rachel dont la grâce continuait de tinter avec méfiance.
« Et si Michel ne renvoie pas Cassiel ? » demanda-t-elle de sa voix la plus basse.
« Nous nous préparerons à un assaut sur deux fronts, et j'aurais perdu mon bien-aimé » reconnut Gabriel. « Crois-tu sincèrement que cette perspective me fait envie ? »
En guise de réponse, Rachel envoya un doux carillon s'envelopper autour de l'essence de son Archange attitré, une couverture arachnéenne aux fils étincelants et neigeux.
Gabriel accepta le réconfort. Elle en avait un peu besoin, là.
