C'est assez incroyable, à chaque fois qu'elle aperçoit la véritable forme de Lucifer, Gabriel pense qu'elle ne sera pas choquée la prochaine fois, et pourtant.

Pourtant sa laideur ne perd rien de son poids, de sa vulgarité, de son horreur. Soyons juste, c'est impressionnant, même si on aurait préféré vivre et mourir dans son petit coin sans avoir pris conscience de ce fait spécifique.

Et quand Lucifer sourit, c'est encore pire.

Gabriel ne peut pas avoir mal au ventre, Archange qu'elle est, surtout quand elle déborde de son véhicule, est aux trois quarts immatérielle mais pas entièrement déployée – son vrai visage a l'ampleur de Saturne au strict minimum, elle carboniserait irrémédiablement les alentours et tous les gens qui s'y trouvent. Pour les démons, ce ne serait pas une grande perte, mais accidentellement changer ses alliés en côtelette oubliée sur le barbecue, ça la fait nettement moins.

La Porte-parole ne peut pas avoir mal au ventre. Mais quand elle pose son regard sur l'expression de l'Astre dévoyé, elle pense que c'est encore la meilleure façon de décrire son état actuel.

Mais elle ne recule pas. Elle a interdiction de reculer. Il faut que ça finisse pour de bon, et tant pis si ça ne lui plaît pas mais elle est sur les lieux et elle a les moyens, alors pourquoi pas ? Qui s'en soucie, si un frémissement ondule à la surface de sa grâce ?

Elle a déjà précipité le monstre dans les tréfonds de l'Enfer, et elle était tellement plus jeune que maintenant. Elle ne dispose d'aucune excuse, en vérité.

« Alors, te revoilà » commente le Serpent, et de ses mots dégouline un miel vénéneux qui promet l'extase alors qu'il est très visiblement toxique.

Elle ne répond pas. Elle n'a rien à lui dire. Elle dégaine sa lame à la place, et se met en garde, avec la fluidité et la grâce d'une danseuse au ballet parisien.

La danse qu'elle s'apprête à mener n'aura rien de délicat, rien d'émouvant. C'est une danse de mort, et c'est une dont elle connaît intimement chaque pas.