Chapitre 39 - De parchemin à parchemin
Assise, les bras posés sur le bureau dans la chambre du Square Grimmaurd où Sirius les avait accueillis pour les vacances, les Weasley et elle, Hermione regardait le ciel par la petite fenêtre. Un soleil nimbait de lumière la soirée d'août, ses derniers rayons tombant sur le morceau de parchemin entre ses mains. Celui que Draco lui avait donné. Cela faisait un peu plus d'une semaine qu'ils avaient quitté Poudlard.
Au début, son absence la suivait dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses pensées.
Elle écarta le morceau de parchemin et tira une pelote de laine à elle. Sa technique de tricot manquait encore d'efficacité, mais elle comptait bien constituer un joli stock de bonnets. Avec ça, les elfes pourraient peut-être suivre l'exemple de Dobby. Elle enfila une maille en songeant que le calme n'était pas si mal non plus.
Sa maille se défit. Une tache d'encre venait d'apparaître sur le parchemin. La main invisible continua de tracer des lettres jusqu'à former le message : « Ils vont lancer des Détraqueurs après Potter. »
Hermione recula, entrainant la pelote de laine qui tomba en défaisant son ouvrage.
— Quoi ?
Elle attrapa le papier et sa plume. Le message s'était déjà effacé. Elle se tourna vers le lit de Ginny puis se rappela qu'elle était descendue jouer aux échecs avec Ron.
« Quoi ? » écrivit-elle.
« Des Détraqueurs. Potter. »
Elle tenta de réarranger les mots à la recherche d'un sens qui devait lui échapper. Des Détraqueurs ? Contre Harry ? Lancés ? Mais lancés par qui ?
« Granger ? C'est légèrement urgent. Pas que le sort du balafré m'intéresse. »
Sa chaise racla le sol et elle resta debout devant son bureau. Des Détraqueurs attaquaient Harry ? Que faire ? Quoi faire ? Est-ce qu'il se moquait d'elle ? Ça semblait tellement irréel. D'une main tremblante, elle écrivit :
« Quand ? »
« Je ne sais pas, peut-être maintenant. »
« Je ne comprends pas comment c'est possible, les Détraqueurs sont employés par le ministère, pourquoi est-ce qu'ils… »
Un « CRAC » dans son dos la fit sursauter et sa plume ratura le parchemin. Elle se redressa lentement. Il n'avait quand même pas osé… ?
— Salut, Granger.
Hermione fit volte-face. Draco Malfoy se trouvait au milieu de la chambre, la main sur la tête de Dobby. Sa chemise blanche légère contrastait sur son pantalon noir dans un rappel de leur tenue d'uniforme. Le Vivet fila droit sur lui en piaillant.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ?
— Je cherchais une excuse pour te voir et je me suis dit que Potter qui se fait aspirer son âme était l'occasion parfaite, fit Draco en ouvrant sa main pour que le Vivet s'y pose.
— Que…
— Ne sois pas ridicule. Dobby, où habite Potty ?
Hermione écarta Dobby en urgence avec l'impression de s'être pris un mur de pleine face.
— Tu veux y aller ? Tu veux prendre le risque qu'on te reconnaisse ?
— Que des moldus et des Détraqueurs me reconnaissent ? Tu crois que mon père s'amuse à les inviter dîner ?
— Attends, attends s'il te plaît, j'ai besoin d'une seconde.
Draco leva les mains. Le cœur battant, Hermione se détourna, abasourdie. Des Détraqueurs ? Et Draco venait de transplaner chez elle avec Dobby pour l'aider ? Pour aider Harry ?
— Prends tout ton temps, répondit gracieusement Draco, qu'est-ce qu'une âme après tout ? Potter n'en a pas besoin.
Hermione se tordit les mains une demi-seconde encore avant de rendre les armes. Dobby transplana avec eux dans un recoin isolé entre un mur et une haie. L'allée étroite donnait sur une rue aux maisons identiques, sous un ciel sans étoiles. Ici, l'air avait une froideur étrange pour un soir d'été. Hermione frissonna lorsqu'ils s'engagèrent sur la route sombre à la suite de Dobby. Au tournant, un passage obscur courant sous un pont se dessina dans l'obscurité. Deux silhouettes encapuchonnées y glissaient. Hermione sentit son cœur heurter sa poitrine, comme pour lutter contre le froid qui ne cessait de s'intensifier.
Le désespoir la prit à la gorge quand un des Détraqueurs se pencha sur une silhouette gisant au sol. Ce n'était pas Harry, c'était son cousin qu'elle avait aperçu quelquefois à la gare de King's Cross : Dudley. Au loin, la voix de Harry lança :
— Expecto Pa…
— Ferme-là Potter, s'exclama Draco. Dobby !
Plusieurs « CRAC » résonnèrent dans le silence alors que Dobby ramenait successivement Harry puis son cousin à côté d'eux. Hermione se jeta au cou d'Harry et sentit Draco saisir son bras. La seconde suivante, Dobby les déposait tous dans la lumière d'un salon. La propreté immaculée de la pièce contrastait avec le tunnel grisâtre. Une porte s'ouvrit et un cri aigu les accueillit. Avant qu'Hermione ait pu dire quoi que ce soit, la tante de Harry se colla au mur, les yeux écarquillés.
Toujours au sol, sa poitrine se soulevant à toute vitesse, Harry passa d'Hermione à Draco puis à Dobby et revint à elle.
— Quoi… ? murmura-t-il.
Dudley se pencha et vomit.
— Duddy ! hurla la tante.
Le nez plissé de dégoût, Draco tira Hermione loin de la flaque nauséabonde, l'obligeant à se relever. Avec lenteur, Harry les imita, et sa tante fondit sur son fils alors que l'oncle surgissait à son tour de la cuisine avec le visage d'un bœuf énervé. La vue des deux inconnus et de leur petite créature aux longues oreilles l'arrêta net.
— Qu'est-ce que… ? rugit-il.
— Remets-toi, moldu, dit Draco d'un ton pincé. Dépêchez-vous de me remercier qu'on en finisse.
— Te remercier ?
— Il faut vraiment tout t'expliquer ? Me remercier d'avoir sauvé le balafré et votre gros fils plein de vomi des Détraqueurs.
— Des détrousseurs ?
— Merlin, lâcha Draco, excédé. Bon, Potter débrouille-toi avec eux et rejoins-nous après. Ta chambre est par où ? Oh, oublie. Ta maison est minuscule, je trouverai sans problème.
Il remarqua le couloir qui donnait sur un petit escalier, mais l'oncle se dressa aussitôt sur son chemin, le visage cramoisi.
— Tu as quelque chose à me dire, moldu ?
Draco récupéra sa baguette, qu'il fit nonchalamment tourner entre ses doigts et l'oncle perdit quelques couleurs. Ce qui empira quand Draco lui tapota le bras avec pour le faire s'écarter. Il monta à l'étage sans que les Dursley n'aient rien pu faire.
— Quoi… ? répéta Harry.
Hermione secoua la tête.
— Je n'en ai pas la moindre idée.
— Suis Malfoy s'il te plaît, décida-t-il soudain dans un murmure. Je n'ai pas envie qu'il se balade dans ma chambre. Je m'occupe des Dursley.
Elle acquiesça et invita Dobby à la suivre. Avant de monter l'escalier, elle remarqua que toute la fureur de l'oncle se dirigeait à présent vers Harry. Partagée, elle croisa son regard qui l'intimait de monter. Harry savait mieux qu'elle comment les gérer. Opposés à la magie ou pas, une fois qu'il leur aurait expliqué de quoi ils avaient sauvé leur fils, ils seraient forcément reconnaissants. À l'étage, elle croisa plusieurs portes ouvertes et franchit celle qui donnait sur une chambre où trônait la cage d'Hedwige. Draco se tenait au milieu avec un rictus mi-moqueur mi-dégoûté.
— C'est encore plus petit que la tienne, commenta-t-il. Comment on peut vivre dans un bazar pareil ? Tiens Dobby, si tu cherchais quelque chose à faire.
— Ne l'écoute pas, Dobby, dit-elle alors qu'il s'apprêtait à remettre la chambre en ordre. Tu es vraiment un idiot, Malfoy.
Il y eut un silence pendant lequel Draco poursuivit son inspection de la pièce. Du bout de la chaussure, il souleva un t-shirt roulé en boule par terre.
— Ce n'est pas exactement l'idée que je me faisais de la famille de Potter, dit-il enfin.
En bas, l'oncle venait de hausser la voix.
— Quelque chose cloche, dit Hermione, inquiète. Pourquoi est-ce qu'il crie encore si Harry leur a tout expliqué ?
— Dobby est déjà venu ici, il a trois ans, dit soudain l'elfe. La famille de Harry Potter était déjà comme ça, Miss. Ils le gardaient enfermé dans sa chambre pendant qu'ils dînaient.
Draco fronça les sourcils.
— Ils n'aiment pas les sorciers, expliqua Hermione en se penchant vers le couloir.
Avant qu'elle n'ait pu le retenir, Draco était passé devant elle et redescendait.
— Attends… ! chuchota-t-elle. Où tu vas ?
Elle se mordit la lèvre, puis descendit les marches après lui. La voix de l'oncle de Harry la frappa.
— … M'AS TRÈS BIEN ENTENDU. TU VAS PRENDRE TES AFFAIRES ET T'EN ALLER. TU VAS T'EN ALLER AVEC TOUS LES FOUS DE TON ESPÈCE.
Hermione descendit les dernières marches vers le salon et découvrit Harry qui encaissait les hurlements, pâle. Son regard accrocha le sien et son expression changea.
— Tu sais quoi ? Très bien, s'exclama Harry avec colère. Je n'ai jamais demandé à rester ici de toute façon.
Il contourna son oncle vers elle et Draco.
— « Les fous de ton espèce », répéta Draco à Harry, incrédule. C'est des sorciers qu'il parle, le gros moldu ?
Harry s'arrêta net devant lui.
— Toi je ne comprends toujours pas ce que tu fais ici.
— Je te sauve la vie. De rien. Personne n'a de manières sous ce toit.
La silhouette menaçante de l'oncle les chargea, empoignant Harry par le col de son t-shirt.
— J'AI DIT DEHORS !
Harry s'accrocha vivement au bord du tissu qui l'étranglait et Hermione retint aussitôt Dobby pour l'empêcher d'intervenir. Ils ne pouvaient pas faire de magie, encore moins se faire repérer. La trace avait déjà causé des ennuis à Harry à cause d'un sort de l'elfe, durant les vacances de sa deuxième année, et si les Détraqueurs provenaient d'Azkaban alors… à quel point le ministère était-il impliqué dans cette attaque ? Mais Harry se débattait sans parvenir à se libérer.
— Draco !
— Oui, oui, maugréa-t-il en pointant sa baguette, pas sur l'oncle, mais sur Dudley, ce qui provoqua un nouveau cri de la tante.
— Tu vas prendre ta petite famille moldue et tu vas retourner dans ta cuisine, dit-il d'un ton trainant. Évidemment vous allez y rester tant qu'on ne sera pas repartis. Enfin, vous n'êtes pas obligés, évidemment. Vous pouvez toujours essayer d'en sortir pour voir ce qui se passera.
Le poing de l'oncle se resserra sur le col et Harry cessa complètement de respirer.
— Vernon… dit sa femme d'une voix faible, presque inaudible.
Il relâcha sa prise, laissant une marque violacée sur le cou de Harry.
— Vous n'avez pas intérêt à toucher à quoi que ce soit, menaça-t-il, son regard fixé sur la baguette de Draco, avant d'aider sa femme à soulever son fils jusqu'à la cuisine.
La porte claqua derrière eux et Hermione se précipita vers Harry qui massait son cou.
— Ils sont toujours aussi horribles avec toi ?
— Oublie ça, dit-il d'un ton enroué. Ça fait des jours que j'essaie de vous contacter, toi et Ron. Vous me répondez à peine et là tu débarques avec Malfoy ? Et qu'est-ce que tu crois que tu fais, Malfoy ?
Le concerné venait de s'installer dans un des fauteuils.
— Toujours pas de remerciement donc… Si tu veux parler, on ne va pas faire ça dans ta chambre minuscule.
Harry se tourna vers Hermione.
— Qu'est-ce que vous faisiez ici, ensemble ?
Elle bafouilla un début de réponse dans lequel Draco dut relever le mot « Sirius » car il lança : « Sirius ? Comme dans Sirius Black ? » au moment où Harry s'exclamait :
— Tu étais chez Sirius ?
Draco haussa un sourcil.
— Je me disais bien que la décoration faisait très Sang-Pur. J'imagine que si tu y étais, la belette doit y passer ses vacances aussi. Franchement, je ne comprends pas. Tu n'es pas censé être le chouchou de Dumbledore, Potter ? Qu'est-ce que tu as bien pu faire pour qu'il te laisse moisir chez des moldus pareil ?
— Draco ! s'exclama Hermione.
Harry les dévisagea, un instant livide, puis son visage rougit et il se tourna vers Hermione qui se ratatina.
— Qu'est-ce qu'il raconte ?
— Ce n'est pas ce qu'on voulait. Dumbledore a insisté pour qu'on garde le secret. Ron et moi on est…
— Oh, il a insisté ? Donc même MALFOY peut savoir, MAIS ME LAISSER POURRIR ICI SANS NOUVELLES, ÇA NE POSE AUCUN PROBLÈME.
Hermione recula d'un pas, choquée. Maintenant que sa colère avait éclaté, les mots jaillissaient sans s'arrêter. La culpabilité chaque fois que l'ordre de Dumbledore l'avait obligée d'ignorer ses lettres la prit à la gorge et elle mit toute son énergie pour refouler les larmes qui lui piquaient les yeux.
— EST-CE QUE TU AS LA MOINDRE IDÉE DE CE QUE ÇA FAIT D'ÊTRE COINCÉ ICI, À SCRUTER LES JOURNAUX MOLDUS À LA RECHERCHE D'UNE MIETTE D'INFORMATION ? C'EST MOI QUI L'AI VU REVENIR ! MOI QUI L'AI…
— Potter ! s'exclama Draco. Au lieu de nous casser les oreilles, tu ne veux pas plutôt aller hurler sur les vrais responsables ?
Cela coupa Harry dans son élan.
— Tu sais quoi ? C'est une très bonne idée, répondit Harry d'un ton furieux. Dobby ?
— Dobby serait ravi de vous y conduire, Harry Potter, monsieur.
Harry acquiesça et disparut à l'étage. Il redescendit quelques minutes après, sa lourde valise cognant dans les marches après lui. Hermione s'empressa de monter récupérer la cage d'Hedwige et son éclair de feu. Dobby leur tendit les mains. Elle jeta un coup d'œil vers la cuisine, se demandant s'ils devaient les prévenir de leur départ, et Draco fit « non » de la tête avec un sourire en coin. Le salon lumineux et propre s'effaça pour le couloir sombre à l'odeur humide du 12, square Grimmaurd. Le lourd rideau qui cachait le portrait de la mère de Sirius frémit et Hermione posa un doigt sur ses lèvres à l'intention des garçons. Suivant son exemple, ils remontèrent le couloir jusqu'à un escalier de pierre qui descendait à la cuisine.
De nombreuses voix montaient jusqu'à eux. Elle s'arrêta. Comment expliquer à l'Ordre que Harry se trouvait soudain au manoir, en dépit de toutes les instructions de Dumbledore, et que celui qui l'y avait amené était Draco Malfoy ?
Review guest
Elana, merci à toi !
