Mes petits chats,

Aujourd'hui, la suite de "L'homme de la plage". Un petit peu de nostalgie, beaucoup d'amour comme à chaque fois et une introduction à une prochaine partie qui met un peu de… piment :)

Il est très tard (ou très tôt) alors je ne vais pas m'éterniser car la fatigue me guette. Je vous laisse donc avec eux dans la maison de Manila.

Pour les plus pressés, bonne lecture et pour les curieux, voici quelques notes explicatives.

Bien à vous,

ChatonLakmé


Le scrapbooking est un loisir créatif qui consiste à mettre en valeur les photos dans un album, souvent à l'aide de collages et d'objets rapportés.

Les Pringles (créées en 1967)sont de fameux biscuits apéritifs en forme de tuile, conditionnées dans un tube en carton.

Lost(en français, Lost : Les Disparus) est une série télé fameuse des années 2000, diffusée à partir de 2004 à 2010. En six saisons, elle raconte le quotidien des survivants d'un crash aérien sur une île mystérieuse dans l'océan Pacifique. En raison de son tournage à Hawaï et de sa distribution considérable, elle est une des séries les plus chères de l'histoire de la télévision.

L'homme de la plage

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Seizième partie


Début novembre


Bucky était heureux lors de cette soirée, vraiment heureux.

C'est la raison pour laquelle il a tenté de se convaincre que ça passerait. Que ce sentiment un peu flou, cette sensation un peu poisseuse ne durerait pas et qu'il serait à nouveau heureux pour toujours, comme les derniers mots d'un conte pour enfants.

Dans tout ce bonheur, il a bien senti ce léger pincement au cœur, ce serrement dans sa poitrine mais l'émotion donne aussi ce genre de perception. Et puis il y a l'alcool qu'il a bu à l'anniversaire de Sam et toutes ces choses gênantes qui ont suivi.

Ça s'explique, logiquement.

Une fois sobre et en train de regarder Chris faire un semblant de scrapbooking dans leur nouvel album photo, il a tenté de se convaincre.

Il a eu tort.

La sensation s'est juste nichée en lui, dans son ventre, dans sa poitrine. À chaque respiration, c'est comme si sa cage thoracique devenait trop étroite pour l'accueillir et il déglutit encore et encore au point d'en avoir la gorge sèche.

Ça tourne dans son esprit et ça agite son cœur. Il fait des rêves qui lui laissent un ressenti étrange au matin, flou comme du brouillard mais tiède comme le pâle soleil de janvier. C'est étrange. Bucky ébouriffe ses cheveux d'une main, le corps encore groggy de sommeil et se demande ce qu'il se passe en lui.

Ce n'est pas désagréable ni douloureux. Juste un peu triste, juste un peu mélancolique.

Assis devant lui sur le tapis du salon, accoudé à la table basse, Chris colle avec une grande application une autre photo dans leur album. Bucky l'a acheté à grand prix à la papeterie dans Old Town. Sam a parfois raison.

Son compagnon lisse les coins pour les faire bien adhérer à la page, écrit des notes de sa plus belle écriture. Des noms, des lieux, des dates, parfois un court commentaire de quelques mots. Le brun sourit doucement. Il se penche légèrement et pose une main sur sa nuque pour la caresser du bout des doigts.

Chris se redresse et lui jette un regard par-dessus son épaule.

— « Tu es sûr que tu ne veux pas le faire ? Ton écriture est plus belle que la mienne. »

— « Tu fais ça très bien et j'apporte une contribution indéniable au projet en te donnant les photos. »

— « Celles que j'ai trié avant », le taquine le blond avant de froncer les sourcils. « Ce serait quand même bien d'avoir ton avis. Je ne vais pas commenter ma propre tenue d'hôpital, ce serait très narcissique. »

Chris lui tend la photo en question, Bucky laisse ses doigts s'égarer un peu longuement sur les siens. Toucher son compagnon est toujours agréable et rassurant. Plus encore depuis quelques jours.

Le brun se mord les joues. Chris avait l'air vraiment charmant avec ses cheveux plus courts et ses joues glabres. La tenue bleue de Providence est toujours informe sur son corps mais on devine sans peine ses épaules larges et son torse musclé sous le tissu fin.

Le brun se demande distraitement s'il n'est pas tombé amoureux de lui ce jour-là finalement, à leur première rencontre. Même si revoir sa tempe rasée lui fait un drôle d'effet.

Il jette un dernier regard aux infirmières souriantes qui encadrent le jeune homme avant de hausser les épaules.

— « Nous ne sommes pas obligés de la mettre », botte-t-il un peu en touche. « Même si je pourrais dire que cet affreux vêtement te faisait de très jolies jambes. »

Bucky louche d'un air comique sur la peau nue de son compagnon et Chris lui donne un coup d'épaule dans le genou en riant. Le brun pourrait raconter bien plus de choses sur cette photo en couleurs et écrire des pages sur le sourire un peu timide et doux du blond mais ce n'est pas le cliché le plus réussi que Sam a apporté il y a deux jours.

— « La couleur met aussi en valeur celle de tes yeux », roucoule-t-il avec malice.

Chris roule des yeux et récupère la photo pour la mettre sur une page de l'album. Il griffonne quelques mots en dessous avant de passer au cliché suivant. Bucky l'observe toujours, ses doigts se perdant distraitement dans les fins cheveux qui effleurent sa nuque. Le blond apprécie la caresse mais il lui jette un regard en coin.

— « Tu es un peu étrange ces derniers temps », dit-il doucement.

— « Pourquoi ? Tu trouves que je te caresse comme Sandy ? »

À son nom, la chienne rouvre paresseusement les paupières. Elle dort comme une bienheureuse sur la méridienne du canapé, allongée de tout son long sur le flanc gauche.

Chris rit et secoue la tête. Il se concentre à nouveau sur leur album photo mais Bucky se mord les joues. La sensation grossit un peu en lui, bien nichée entre son estomac et sa poitrine. À moins qu'elle ne soit partout en même temps. Mélancolie.

Il retire lentement sa main de la peau chaude de son compagnon et se recroqueville un peu sur le canapé.

Sam va se marier. Il va fonder une famille car Bucky n'imagine pas la maison de son meilleur ami sans des cris et des galopades d'enfant. Maria travaille dans le service pédiatrique, elle adore les petits et Sam est extatique chaque fois qu'il voit ses petits-cousins dont le plus jeune n'a qu'un an et demi. Ils déménageront dans une maison plus grande, avec un vrai jardin. Il y aura des naissances puis des fêtes d'anniversaire, des Noëls avec beaucoup de cadeaux, des rentrées des classes. Et le brun fera partie de tout ça, avec Chris. Il sera de tous ces nouveaux projets de vie tout en ayant la sienne avec son compagnon. Ça le fait se sentir un peu petit. Un peu en deuil aussi.

Bucky se redresse légèrement dans le canapé.

Oui, c'est ça. Ce sentiment. Cette langueur. C'est la réalisation de la fin de quelque chose dans sa vie et le début d'une autre.

Le brun passe une main fébrile dans ses cheveux, un sourire aux lèvres. Ça lui donne envie de rire et de pleurer un peu en même temps. Il fixe la nuque de Chris, toujours penché sur leur album. Leur nouvelle vie à eux aussi.

Le jeune homme glisse lentement au bord du canapé puis jusqu'au tapis. Il s'assoit contre son compagnon, pose sa tête sur son épaule. Le blond embrasse maladroitement sa tempe, le cou un peu tordu et Bucky rit.

— « Je ne veux pas insister mais tu es vraiment étrange depuis l'anniversaire de Sam », répète-t-il en frottant son nez dans ses cheveux.

— « J'ai encore des difficultés avec le Pr Chemay », élude-t-il.

— « … Je pense qu'il y a autre chose. »

La voix de Chris n'est pas accusatrice, juste douce et un peu inquiète. Il frotte sa joue sur son épaule, observe les photos encore éparses sur la table basse. Son compagnon termine de coller un cliché avant de s'appuyer contre le canapé, l'entraînant doucement avec lui.

— « … Il s'est passé beaucoup de choses. … J'ai découvert que je savais danser . »

Chris pouffe tandis qu'il enroule un bras autour de sa taille. Sandy rampe un peu sur le canapé pour se rapprocher d'eux.

— « Essaye encore, tu as d'autres choses à me dire. J'ai presque l'impression de t'entendre réfléchir depuis qu'on est rentré », l'encourage-t-il.

Bucky hausse légèrement les épaules. C'est un peu difficile de mettre des mots sur tout ça. … Avouer qu'il a un peu peur est paralysant. Chris presse gentiment sa hanche.

— « Je peux comprendre qu'être le témoin de Sam soit un peu intimidant mais tu seras parfait. Tu sauras dire ce qu'il faut pendant ton discours et tu seras tellement beau en costume. »

— « Je devrais dire un discours ? », demande le brun en sortant la tête de son giron.

— « C'est ce que Daniela Thompson a écrit dans son article sur la manière d'être le témoin parfait dans Bridal Guide Magazine. »

Le brun grommelle un peu entre ses dents. Il est encore bien trop tôt pour commencer à stresser à cause de ça.

— « Ce n'est pas vraiment ça. Ou plutôt, c'est ça… et tout le reste », souffle-t-il d'un air un peu vague.

Chris caresse gentiment sa hanche de son pouce, son visage tout contre le sien. Bucky soupire et enfonce son visage dans son épaule.

— « Tu veux parler du fait que ce qui s'annonce va aussi changer des choses dans ta vie ? Dans ton avenir ? »

— « Comment est-ce que tu sais ça ? », marmotte le brun dans le tissu de son polo.

Son compagnon hausse légèrement les épaules.

— « Le mariage de Sam n'est pas une surprise mais ce n'est pas pour autant que ce n'est pas un moment intimidant, y compris pour toi. » Le brun cligne des yeux. « Je sens que ça te travaille parce que tu es différent quand tu m'embrasses ou que tu es avec moi. C'est comme si tu cherchais quelques chose pour te rassurer et je ne sais pas si je peux faire ça… »

— « Tu sais parfaitement faire ça », maugrée Bucky en levant les yeux sur lui. « J'ai juste fait une plaisanterie sur ma capacité à danser et tu as déjà tout compris. Tu es vraiment bon pour comprendre ce que je ne dis surtout pas. »

Chris sourit contre lui. Le brun soupire une nouvelle fois, il gratte distraitement le tissu de son jean sur sa cuisse.

— « J'ai la trouille », avoue-t-il après un silence. « Sam en parle comme si tout était normal mais je ne vois que l'adolescent avec lequel je me faisais renvoyer du cours de littérature parce qu'on ricanait trop fort au fond de la salle. Ça paraît tellement… adulte de sa part et j'ai un peu de mal à faire face. Je n'arrête pas de repenser à ce qu'on a vécu ensemble et c'est difficile d'envisager que c'est une page qui se tourne. » Il ricane sans joie. « C'est foutrement égoïste, non ? »

Bucky a un peu honte. Et il se sent un peu ridicule.

Chris embrasse sa tempe, son front, fait courir ses lèvres sur son visage jusqu'à sa bouche. C'est si doux, si tendre que ça ne fait qu'enfler sa mélancolie dans le creux de son ventre. Ou sa poitrine. Ou les deux, il ne sait plus très bien. C'est là, diffus mais gros, vraiment gros.

— « Mélancolique, hein ? », sourit gentiment le blond. « C'est normal que tu te poses des questions, ça ne veut pas dire que tu ne te réjouis pas pour lui. »

— « Bien sûr que non, je suis très heureux mais jusqu'à présent, c'était un peu nous contre le reste du monde. Parler de mariage conduit à parler d'enfant, de nouvelle maison et de tout un tas d'autres choses que je n'imagine même pas. Et en même temps, tu es arrivé à Eureka et on est ensemble… » Bucky se mord les joues. « J'ai l'impression d'être un enfant. »

— « … Je ne vais pas te demander en mariage tout de suite tu sais », se moque gentiment Chris.

Le brun sait qu'il le taquine mais il ne retient que le fait que son compagnon l'envisage quand même, d'une certaine manière. Dire « pas tout de suite », ce n'est pas « pas du tout » ou « jamais ». Seigneur… Ça ne l'aide pas.

Le blond lui sourit d'un air un peu timide et ça rend sa gorge sèche. Bucky inspire profondément dans son cou et frotte son nez contre la peau chaude. Chris resserre son bras autour de sa taille.

— « De quoi aurais-tu besoin pour être un peu plus serein ? », lui demande-t-il après un silence. « Malgré ce que tu as dis, j'ai l'impression que je ne t'aide pas beaucoup. »

Le brun se mord les joues. Il sait ce qui lui ferait du bien, en plus de sentir Chris si chaud et rassurant contre lui. Ce n'est juste pas possible et Bucky vit depuis plus de dix ans comme ça. Il sent le regard de son compagnon peser sur son visage, attentif et si avide de bien faire. Il peut bien continuer à avouer encore un peu. Tout est tellement en bordel dans sa tête de toute manière.

— « … Tu dis presque les choses comme ma mère aurait pu le faire. J'aurais juste aimé qu'elle soit là pour me dire aussi que c'est normal de grandir », sourit-il tristement.

Parce que Bucky pense aussi à elle bien entendu. Il sait qu'elle aurait adoré assister au mariage de Sam, elle se serait comportée comme une mère pour lui même si celle de son meilleur ami habite à Sacramento, à moins de cinq cents kilomètres d'Eureka. Elle aurait été belle dans sa robe rose pastel et son foulard vert et blanc. Elle aurait embrassé Maria avec la même émotion qu'elle l'aurait fait avec Sam. Elle aurait dansé toute la nuit et jusqu'au matin sur ses petits talons carrés. Elle aurait été fière de le voir officier comme témoin et d'être accompagné par Chris.

Bucky passe une main lasse dans sa nuque. Oui, il pense beaucoup à elle. Son père n'aurait pas été présent, le brun n'a presque plus de contact avec lui depuis qu'il a vingt ans. Non pas qu'il l'ait rejeté, leurs liens se sont justes distendus avec les années. Aux dernières nouvelles, il habiterait toujours du côté de Kansas City avec sa famille recomposée.

Sa famille à lui, c'était Winnifred Barnes. Et elle n'est plus là.

— «Maman t'aurait adoré », souffle-t-il.

Il change de sujet mais Bucky avait besoin de le dire. Il se niche un peu plus contre son compagnon dont les doigts caressent ses reins. La mélancolie encore.

— « Si elle te manque tant, tu pourrais aller la voir. Tu m'as déjà dit que tu allais souvent lui parler », reprend doucement le blond. « Tu pourrais y aller et rester un moment avec elle. Je comprends que tu veuilles lui dire certaines choses seulement à elle. »

— « Tu ne trouves pas ça ridicule ? »

— « Pourquoi je le ferai ? » Chris hausse un sourcil. « Si c'est important pour toi et que tu en as besoin, je ne vais pas te dire que c'est étrange et que tu devrais t'abstenir. Tu fais ce que tu as envie et comme tu en as envie Bucky. … Tu ne dis rien quand je marmonne entre mes dents et pourtant, je sais que ça t'agace. »

Le brun rit joyeusement. Il se redresse légèrement, se glisse à genoux et prend son visage en coupe avant de l'embrasser profondément. Camden n'a jamais compris ça. Jonah non plus avant lui et l'idée de la mort le mettait tellement mal à l'aise qu'il avait rompu avec lui quand l'état de santé de Winnifred avait commencé à se dégrader de jour en jour.

« Tu comprends, c'est… perturbant Bucky. En plus, elle ne veut pas me voir, je sais qu'elle ne m'apprécie pas alors… »

Oui, alors, comme s'il s'agissait de la meilleure justification possible. Il avait tenté de revenir après les funérailles, un air de circonstance peint sur son visage et ses doigts fouillant déjà sa peau sous l'ourlet de son polo. Connard. Bucky l'avait fichu dehors sans un regard. Chris n'aurait jamais fait une chose pareille.

— « Je t'aime vraiment tu sais », souffle-t-il contre ses lèvres. « Tu viendrais avec moi au cimetière ? »

Chris hoche lentement la tête tandis qu'il brosse leur bouche l'une contre l'autre.

— « Uniquement si tu le veux vraiment. Je te l'ai dit, je comprendrai que tu aies besoin d'un moment pour toi avec elle. »

— « Je le veux », répète Bucky avec assurance.

Son compagnon se contente de hocher doucement la tête, un sourire tendre aux lèvres. Dire que Camden refusait même d'entrer à Ocean View Cemetery quand il allait déposer des fleurs sur sa tombe. Il l'attendait dans un café du centre-ville et les deux hommes n'échangeaient pas un mot pendant un long moment quand ils se retrouvaient. Sa mère aurait appelé ça une (profonde) incompatibilité de caractère. Bucky sourit.

Quand Chris lui demande à l'oreille s'il pourrait aussi amener quelque chose pour elle – question de respect – le brun l'embrasse plus fort encore. Il se retient de ne pas enjamber ses cuisses pour s'installer plus confortablement contre lui et se presser contre son torse, leurs bassins écrasés. Bon sang, il en a vraiment envie.


Les jours suivants sont maussades et Sandy ne cesse de gémir plaintivement devant la baie vitrée, taraudée par l'envie de passer tout son temps dehors. Malgré les regards tendres et invitants de Chris, Bucky tient bon. C'est non. Le sable mouillé est un enfer à retirer de ses poils et l'odeur de sa fourrure est au moins aussi détestable. Le brun s'inquiète de savoir son compagnon en train de conduire la Mercedes sous la pluie et l'accueille toujours plus chaleureusement à chacun de ses retours.

Enfin, juste avant le week-end, le ciel s'éclaircit à nouveau. De longs rubans de nuages blancs s'accrochent dans le bleu et Sandy a retrouvé avec délectation ses longues siestes dans les rayons de soleil qui entrent dans la maison. Bucky a convenu avec Chris qu'ils iraient à Ocean View Cemetery samedi en début de matinée. Il attend son retour du WinCo Foods, déjà habillé et coiffé. Il s'est occupé l'esprit en faisant le ménage dans la maison. Deux fois.

Enfin, le jeune homme entend le ronronnement familier de la Mercedes et Sandy jappe de contentement en se précipitant vers la porte. Chris a les bras chargés de paquets. Un dernier aller-retour, et un baiser de retour plus tard, il rapporte la fin de leurs courses. Et un grand bouquet de camélias dans sa main droite. Oh. Bucky reconnaît le logo, la belle boutique haut de gamme sur Redwood Hayway. C'est un joli bouquet rose poudré, délicat et distingué.

— « La fleuriste n'avait plus d'anémones, elle a composé ce bouquet en me disant que ce serait approprié », dit Chris en guettant son approbation.

— « C'est parfait. » Le jeune homme jette un coup d'œil à l'horloge du four. « Tu rentres tôt, on avait dit qu'on allait au cimetière à onze heures. »

— « Je sais mais quand j'étais en train d'attendre aux caisses du WinCo, je me suis demandé si je ne devais pas me changer pour t'accompagner. »

Bucky observe son compagnon, son jean, ses chaussures en cuir et son polo sous sa veste en cuir. Le linge est propre, il sent bon et Chris est parfait. Le blond gigote un peu sous son regard et il sourit doucement.

— « Je pensais mettre une chemise »,précise-t-il doucement.

Ah, une chemise. Chris est terriblement beau quand il porte une chemise.

Bucky hausse légèrement les épaules, un peu indécis.

— « Tu fais comme tu veux mais je te trouve très bien comme ça », botte-t-il un peu en touche.

Son compagnon jette un regard à son reflet dans la vitre du four, hésite avant de claquer sa langue contre son palais.

— « Je vais me changer, je veux faire bonne impression », conclue-t-il.

Chris lui vole un baiser avant de s'éclipser dans sa chambre.

Bucky leur prépare un café avant de se mettre en route pour le cimetière. Il a chaud et il a envie de suivre le blond pour le déshabiller lui-même et le couvrir de baisers. Pourquoi Chris et lui ne sont-ils pas rencontrés avant ? Il aurait été heureux depuis bien plus longtemps et il aurait pu tout affronter en souffrant moins. Dans son deuil, Bucky a été entouré par Sam et Maria, par quelques amis mais quand il rentrait le soir, la maison était atrocement vide et le parfum de Winnifred était partout. Les choses auraient été plus douces s'il avait eu un compagnon à ses côtés et Chris, gentil et fidèle, ne l'aurait pas laissé dans sa détresse parce que ça le mettait mal à l'aise.

Il sursaute légèrement quand il sent une main se poser sur ses reins puis sur sa hanche, un souffle chaud contre son visage.

— « Bucky ? »

Le brun cligne des yeux. Son compagnon est revenu et dans cette chemise bleu clair, il est plus que parfait. Il s'est aussi discrètement parfumé et Bucky louche malgré lui sur la peau nue découverte par la chemise aux deux premiers boutons défaits. Chris l'embrasse gentiment et prend leurs tasses brûlantes pour les amener dans le salon. En observant ses fesses, le brun se demande s'il n'a pas aussi changé de jean.

Il se pose encore la question quand le jeune homme marche devant lui sur le parking vers l'entrée de Ocean View Cemetery.

Bucky lui indique d'un signe de main la direction avant de le guider dans les larges allées, bien entretenues et ponctuées de quelques pins. L'odeur des camélias en bouquet est un peu capiteuse mais elle ne le gêne pas. Ils marchent l'un contre l'autre dans un silence un peu recueilli, saluent les rares visiteurs d'un signe de tête poli. Bucky bifurque sur l'allée F et fait encore quelques pas. Elle est là, allée F, emplacement 46.

Quand il voit la pierre tombale de Winnifred, il sent son cœur se pincer un peu avant d'être envahi par un profond apaisement. Chris a raison, il aurait dû venir depuis bien plus longtemps pour lui parler.

Le brun nettoie le marbre d'un revers de main, les pluies passées ont fait tomber des feuilles dessus. Il regarde autour de lui avant de sourire légèrement. Le ciel clair et dégagé permet de voir jusqu'à la mer depuis cette partie un peu plus élevée du cimetière. En été, on peut apercevoir jusqu'aux côtes de Fairheaven et même si la maison familiale est située un peu plus au nord, Bucky songe parfois qu'elle veille quand même sur lui.

Il sourit encore, il se sent bien.

— « Bonjour maman », dit-il doucement en s'accroupissant devant la stèle. « Il a fait un temps atroce ces derniers jours mais le cimetière est toujours aussi bien tenu. La fontaine à l'entrée a été nettoyée, quelqu'un a retiré la mousse et elle est plus belle maintenant. Tu es bien ici, je suis content pour toi. »

Il passe une main dans sa nuque et jette un regard à Chris par-dessus son épaule. Son compagnon se tient à quelques pas derrière lui, respectueux et pudique. Il tient le bouquet de camélias d'une main et les fleurs mettent une étonnante note de couleur et de gaîté dans Ocean View Cimetery. Chris est beau dans sa chemise bleue, le soleil jouant dans ses cheveux blonds.

Bucky sourit.

— « Tu peux venir s'il te plaît ? »

Il rit doucement en voyant son compagnon opiner d'un air d'enfant sage. Il s'accroupit à côté de lui, hésite un instant avant de retirer le bouquet fané dans le vase pour le remplacer par le sien.

— « Il n'y a plus d'eau, je vais aller en chercher au bout de l'allée. »

— « On fera ça plus tard, Chris. Reste avec moi pour le moment », répond Bucky en enroulant ses doigts autour de son poignet.

Son compagnon obéit docilement et quand Bucky s'assoit dans l'herbe encore un peu humide, il fait de même sans protester. Tant pis pour son jean. Le brun fait ça depuis qu'il visite Ocean View, peu importe les regards parfois réprobateurs des visiteurs ou du gardien. Cette fois, ils sont deux. Cela va faire jaser mais c'est le cadet de ses soucis. Bucky et sa mère étaient très proches, se tenir raide et un peu emprunté devant sa tombe le met mal à l'aise. Ils n'étaient pas comme ça quand ils étaient ensemble.

Il remonte ses genoux et appuie ses avant-bras dessus.

— « Il y a eu quelques changements par ici, je ne suis pas venu te voir depuis longtemps », reprend-il en retirant une feuille morte égarée sur le socle. « … Sam et Maria vont se marier. Ils se sont fiancés et ils prévoient leur cérémonie au printemps prochain. »

Bucky ferme les yeux quand la brise légèrement salée vient caresser doucement son visage.

Vraiment mon chéri ? Le même Sam qui mangeait des Pringles devant Lost dans notre canapé ?

Il sourit et hoche la tête.

— « Oui, Sam va se marier et il m'a demandé d'être son témoin. … Pour cette raison et d'autres, j'ai un peu paniqué ces derniers temps mais quelqu'un m'a rassuré et m'a suggéré de venir te voir pour discuter avec toi. Je lui ai demandé de m'accompagner. »

Il tourne la tête vers Chris. Son compagnon s'est assis en tailleur, les mains nouées entre ses cuisses. Il lui sourit doucement, confiant et aimant. Comme Sam a pu le faire quand il en avait besoin mais jamais comme Camden ou Jonah qui en étaient incapables. Trop égocentriques peut-être. À moins qu'il ne s'agisse depuis le début de cette histoire de rides sur le visage, de vieillesse et de mort. Qui sait. Bucky s'en fout maintenant, ça n'a plus d'importance.

— « J'ai rencontré quelqu'un maman », reprend-il doucement. « Il s'appelle Chris et il habite avec moi, dans la maison de Manila. On s'est rencontré il y a quatre mois dans des circonstances un peu… inhabituelles et tu trouves peut-être que c'est un peu rapide pour se mettre en ménage mais je l'aime vraiment. Je suis vraiment amoureux de lui et tu sais que ce n'est pas vraiment mon genre de m'emballer dans ces cas-là. Chris est un homme… vraiment extraordinaire. Il a insisté pour mettre une chemise puisqu'on venait te voir. »

Le brun rit doucement, il sent le regard de son compagnon sur son visage et ses doigts lui pincer doucement la taille en marmonnant quelque chose à propos du fait d'être présentable. Il rit plus fort et si un visiteur passait à cet instant non loin d'eux, peut-être en serait-il un peu choqué. Bucky s'en moque vraiment.

Il se penche vers lui et l'embrasse avant de se réinstaller confortablement devant la tombe.

Les mains croisées devant lui, un sourire aux lèvres, il continue à parler.

Il raconte ce qu'il vit avec Chris et à quel point il est heureux. Il détaille le mariage à venir de Sam et Maria mais ne s'attarde pas sur ses désagréments professionnels avec le Pr Chemay. Il parle d'Eureka, de leurs amis. Bucky se détend lentement, le nœud dans sa poitrine se desserre. Il se sent plus apaisé. Un observateur extérieur pourrait croire qu'il est un peu illuminé parce que parfois il rit encore, qu'il a des mimiques identiques à celles qu'il aurait s'il discutait avec une vraie personne. Bucky connaît suffisamment sa mère pour savoir les réponses qu'elle lui ferait. C'est un échange, pas un monologue.

Sam et Maria doivent se marier sur la plage. Cette idée de domaine viticole est ridicule, ça ne leur correspond pas du tout.

Susan devrait vraiment se ménager et prendre soin d'elle. Elle n'a plus vingt ans même si elle pense le contraire. Nous l'aimons, nous ne voulons pas qu'il lui arrive quelque chose.

Tu es un horrible bricoleur James, c'est une bonne chose que tu ne te sois pas mêlé de cette histoire de dégât des eaux dans la buanderie.

Tu as l'air très heureux mon chéri. J'aurais aimé rencontrer Chris, je l'aime déjà.

Ton petit-ami est très beau dans cette chemise.

Chris se penche légèrement vers lui, l'embrasse en disant qu'il va s'occuper de mettre les fleurs dans l'eau car elles commencent à faire grise mine.

Le brun acquiesce doucement, un sourire dolent aux lèvres alors que les doigts du jeune homme caresse sa nuque tandis qu'il se lève. Il le voit prendre le vase et s'éloigne dans l'allée vers la fontaine à l'entrée du cimetière. Bucky sourit.

- « Je l'aime tellement maman, si tu savais… »

Je sais James.

o0O0o

Quand le portable professionnel de Chris sonne sur la table basse du salon, Bucky jette un regard à l'horloge numérique du four avant de hausser un sourcil. Vingt-et-une heures trente. Bien trop tard pour qu'il s'agisse d'une demande anecdotique. C'est important.

Il se redresse dans le canapé, un peu inquiet et tend son portable à son compagnon qui le rejoint depuis la cuisine. Chris a roulé ses manches sur ses avant-bras pour ne pas se tacher. Il prépare un plat dont l'odeur donne l'eau à la bouche de Bucky. Cet appel de mauvaise augure lui fait froncer les sourcils.

— « Excuse-moi. Tu peux surveiller la cuisson de la viande s'il te plaît ? Ça pourrait brûler », lui demande-t-il gentiment.

Le brun est déjà debout, il se contente de hocher lentement la tête d'un air un peu renfrogné. Chris ricane et lève les yeux au plafond.

— « Je fais vite, tu auras à peine eu le temps de plonger la cuillère dedans pour goûter la saucer », le taquine-t-il.

— « Ce n'est pas ça qui me chagrine… »

Son compagnon lui sourit d'un air d'excuse avant de se pencher pour embrasser sa nuque quand il passe devant lui.

Bucky marche jusqu'au piano de cuisson et prend la cuillère en bois pour touiller le mélange sans envie. Il n'aime pas cet appel tardif. Il l'aime encore moins quand il voit le blond revenir sur ses pas pour récupérer son ordinateur portable et l'ouvrir sur ses genoux sur le canapé. C'est vraiment mauvais.

Le brun se renfrogne un peu. Ils sont vendredi soir et Bucky attend ce week-end en amoureux depuis une semaine, il n'a pas envie de voir ses projets de farniente et de chauds baisers bouleversés, même par des amis chers. Sam lui a proposé une sortie dans la réserve Headwaters Forest hier, il n'a pas insisté quand Bucky lui a jeté un regard mauvais.

C'est son plan. Chris et lui ne sont disponibles pour personne pendant les deux jours à venir. C'était le plan.

Il mélange plus fort avant de se calmer quand une énorme éclaboussure salit l'inox des plaques de cuisson. Mince, le métal est tellement chaud que la sauce commence déjà à attacher en de joyeuses petites bulles qui crépitent. Il s'empresse de prendre l'éponge pour nettoyer et se brûle maladroitement sur le rebord trop chaud de la casserole.

Bucky siffle entre ses dents serrées. Il sent que ce n'est que le début de la fin de son grand plan du parfait week-end en amoureux.

Dans son dos, il entend Chris qui tape rapidement sur le clavier de son ordinateur, son portable coincé à son oreille. Il ne sait pas quel est le sujet de la conversation mais son compagnon ne semble pas plus ravi que lui. Le brun préfère s'occuper les mains et l'esprit en commençant à mettre la table. Bruyamment.

Chris hausse un sourcil surpris et le jeune homme lui répond d'un sourire un peu tordu. Celui de son compagnon est si doux, si désolé, que Bucky a soudain envie de manger le ragoût de bœuf aux épices directement dans la casserole. Tout va foutre le camp de toute manière.

Il l'attendait vraiment ce week-end après la folle semaine de travail de Chris, son propre rendez-vous téléphonique avec Tony, un problème d'infiltration dans la toiture de la maison. Une mauvaise semaine presque sans fin dont il a décidé de conjurer le mauvais sort en traînant avec Chris dans le canapé, en cuisinant des choses délicieuses sorties du livre de recettes de Winnifred Barnes, en s'embrassant à perdre haleine et peut-être un peu plus.

Il se mord les joues. Ouais, peut-être un tout petit peu plus, avec des doigts qui s'égarent et un peu de bassin qui ondule et de –

— « Oui Susan, j'ai bien tout noté. Je vais rédiger le mail maintenant et l'envoyer à Ahmed, ça ne peut pas attendre », dit Chris derrière lui. « Est-ce que je peux vous rappeler dans la soirée s'il me répond rapidement ? Et je dois en parler à Bucky aussi. (…) D'accord. Bonne soirée à vous et à plus tard. »

Son compagnon raccroche. Bucky songe qu'il n'a même pas pensé à goûter la sauce du boeuf, il n'a fait que l'essuyer sur l'inox des feux de cuisson. Foutue soirée.

Chris reste sur le canapé, son ordinateur sur les genoux tandis qu'il tape frénétiquement sur le clavier. Après une minute, il se pose et se lève pour le rejoindre. Le brun jette un regard mauvais à l'appareil sur la table basse, laissé le capot ouvert et l'écran allumé.

— « Est-ce que tu dînes avec moi au moins ? », lui demande-t-il avec une pointe de dépit.

Chris sourit et vient l'enlacer gentiment, son menton sur son épaule et ses mains sur son ventre.

— « Je cuisine ce truc depuis plus d'une heure, je suis désolé mais je ne peux pas te laisser le plat pour toi seul », le taquine-t-il.

Bucky roule des yeux et lui pince le dos de la main. Il jette un regard à son compagnon par-dessus son épaule. Chris sourit mais ses traits sont un peu froissés par la contrariété et il a l'air… vraiment fatigué. Le brun se mord les joues et caresse doucement son avant-bras nu contre son ventre.

— « … C'est mauvais à quel point ? »

— « Je t'assure que ça l'est moins que tu ne le penses », répond doucement Chris en l'embrassant. « C'est juste… imprévu et je n'aime pas ce qui est imprévu quand j'ai des projets avec toi. »

— « Est-ce que David et Susan vont bien ? Tu ne parles jamais d'affaires avec elle d'habitude. »

Les traits de son compagnon se fripent un peu plus et Bucky déglutit. Il se retourne complètement dans ses bras, l'inquiétude lui tordant le ventre.

— « Chris ? Est-ce qu'ils vont bien ? », répète-t-il dans un croassement.

— « … David a eu un léger malaise chez eux ce soir, Susan m'appelait depuis Providence. Il va bien. Il a juste eu une baisse de tension et il est tombé dans leur salon. Les chantiers lui causent beaucoup de soucis en ce moment. » », s'empresse d'ajouter le blond parce que Bucky sent qu'il pâlit un peu. « Susan m'a dit qu'il demande déjà à sortir de l'hôpital alors que son médecin veut le garder pour la nuit par précaution. »

Le brun soupire de soulagement. D'accord, ça va. Si David est têtu et un peu ronchon, c'est que tout va bien. Ou pas trop mal. Chris masse gentiment sa nuque du bout des doigts pour le détendre et Bucky le remercie d'un sourire.

— « … C'est gentil à Susan de t'avoir prévenu », souffle-t-il.

Les doigts de son compagnon ont un léger raté sur sa peau. Bucky relève les yeux et croise le regard de Chris. Il fronce les sourcils. Le brun n'aime pas ce que ce regard sous-entend.

— « … Elle m'a appelé pour me demander de le remplacer demain. David a une réunion importante avec un architecte venu spécialement de San Francisco. » Le blond se mord les joues. « Il est arrivé aujourd'hui et il a fait plus de quatre heures de route pour ça. »

Bucky s'éloigne légèrement de lui, un peu sombre et crispé.

— « Tu as aussi été très sollicité dernièrement, tu n'étais jamais là les soirs pour le dîner », lui rétorque-t-il.

— « Je t'ai dit que j'étais désolé Bucky. »

— « Ce n'est pas un reproche, juste une manière de te rappeler que tu as aussi le droit à un peu de repos », insiste le brun en le regardant. « Tu es dévoué à ton travail et je trouve ça très séduisant mais tu as le droit d'avoir un vrai week-end. Tu en as besoin. »

— « … Ce n'est qu'un entretien d'une heure, tout au plus », proteste légèrement Chris.

— « Je te connais, tu vas y penser tout le reste de la journée alors que tu es censé te reposer. C'est exactement la raison pour laquelle tu dors mal ces derniers jours. C'est toi qui m'as dit que tu allais éteindre ton réveil et dormir probablement jusqu'à dix heures demain matin. Tu es fatigué, Chris », insiste Bucky.

Son compagnon lève un instant les yeux au ciel mais ils savent tous les deux qu'il a raison. Bucky l'a trouvé une nuit assis dans le salon à travailler sur son ordinateur portable, les yeux un peu brillants à cause du manque de sommeil et pieds nus dans son pyjama. Chris avait violemment sursauté quand le brun l'avait appelé doucement. Ça aurait été amusant, comme s'il était surpris en train de faire quelque chose de très tendancieux, s'il n'avait eu l'air si soucieux. Le brun n'y connaît pas grand-chose en enduit, en charpente, en pose de carrelage et en plomberie mais il sait quand Chris a besoin de faire une pause. Et c'est le cas depuis des jours.

Il caresse sa joue du bout des doigts avant d'enrouler ses doigts autour de sa nuque. Chris ferme les yeux. Bucky a envie de lui tirer les oreilles et de le gronder en lui répétant qu'il a vraiment besoin de repos.

— « … Susan est très gênée de me demander ce service tu sais. »

— « J'en suis persuadé », lui répond Bucky du tac-au-tac.

Chris rit et tourne légèrement la tête pour embrasser sa paume.

— « Tu ne me laisses par finir. Elle a aussi conscience que j'ai besoin de me reposer mais David ne peut pas conduire jusqu'au comté de Trinity et – »

— « Le comté de – ? Chris, c'est à près de deux heures de voiture d'Eureka », proteste vigoureusement Bucky.

— « … Je sais. » Le blond soupire doucement. « Même si David sort demain de l'hôpital, il ne peut pas conduire, ce ne serait pas prudent. Susan ne le fera pas non plus, elle n'aime pas ça donc cela voudrait dire que je l'accompagne et ça ne change pas grand-chose. »

Le brun marmonne entre ses dents serrées. C'était leur week-end bon sang.

— « L'architecte peut peut-être attendre lundi. La saison est encore belle, il aurait largement de quoi s'occuper pendant le week-end », dit-il avec espoir.

Chris rit joliment et embrasse son cou.

— « Bien essayé mais je ne pense pas que ce soit le genre de personne à apprécier les balades dans les bois et le golf. David l'a contacté parce qu'il aime son style, il a déjà travaillé avec lui mais je ne suis même pas certain qu'il l'a déjà invité à déjeuner pour le remercier. »

Gros point noir. David est un homme d'une franchise parfois presque brutale, il ne sait pas dissimuler son inimité envers une personne. Il est parfaitement cordial mais ne pas inviter une de ses relations d'affaire au restaurant en dit beaucoup sur ce qu'il pense de l'homme derrière l'architecte. Chris resserre ses bras autour de lui et l'attire dans une étreinte chaude et douce. Bucky se laisse aller contre lui, toujours un peu ronchon.

— « Il peut revenir une autre fois… », s'obstine-t-il.

— « Il tient une grande agence à San Francisco, David et lui ont déjà eu du mal à convenir d'un rendez-vous qui leur convienne à tous les deux. »

— « Tu as réponse à tout », ricane le brun.

Bucky proteste, vitupère un peu parce que cela lui évite de penser à David et à sa lointaine hospitalisation pour son AVC. Comme un charme, le bruit de sa propre voix éloigne le souvenir de l'angoisse terrible de ce jour-là, de l'odeur de désinfectant dans les couloirs de Providence, des larmes de Susan dans son cou tandis qu'ils attendaient à l'accueil. Moment horrible.

Il déglutit légèrement et frotte son visage contre le polo de Chris. Bucky avait perdu sa mère et il faisait encore son deuil. L'idée de voir partir David l'avait aussi fait pleurer d'appréhension dans la salle d'attente de l'hôpital tandis qu'il serrait sa vieille amie contre lui.

— « … Tu vas y aller ? »

— « Je crains de ne pas avoir le choix Bucky », souffle son compagnon en embrassant son cou. « Le rendez-vous est à onze heures, je viens d'envoyer un mail à l'architecte pour lui expliquer et lui demander de l'avancer. Je devrais être rentré dans l'après-midi. »

— « Ce voyage te fait presque manquer une journée de repos dont tu as besoin. »

— « Je suis vraiment désolé Bucky. »

— « Je le suis pour toi… » Il sort sa tête de son giron. « Si on mangeait maintenant ? »

Chris lui pince les côtes en ricanant.

En voyant son compagnon garder un œil sur son ordinateur et son portable, Bucky le remplace derrière les fourneaux. Il a à peine le temps de lui dire de terminer cette histoire pour qu'ils puissent profiter de leur soirée que la notification de messagerie des deux appareils tintent en même temps. Chris consulte rapidement ses mails et, un air vraiment navré au visage, colle son portable à son oreille.

— « … Je ne t'attends pas pour commencer si ça s'éternise », bougonne le brun.

Le jeune homme rit chaudement avant de saluer Susan quand celle-ci décroche à l'autre bout du fil. Bucky achève de mettre la table, l'oreille tendue en espérant entendre que l'architecte a finalement attrapé une terrible gastro et qu'il ne pourra pas non plus être au rendez-vous demain. Ou tout autre contretemps acceptable qui ne mettrait pas sa vie en danger.

Chris passe longuement une main sur son visage et il soupire. Bucky sait qu'il a perdu. Merde.

— « On fait comme ça Susan. Je serais à Ruth demain et je vous ferai un compte-rendu lundi. » Le blond cherche son regard de l'autre côté du salon. « Dites à David de se ménager un peu et… merci. »

Bucky hausse un sourcil.

Merci pour quoi ? Pour qui ? Chris est trop poli parfois.

Son compagnon raccroche, ferme le capot de l'ordinateur et c'est une très maigre consolation. Pas de long week-end en amoureux ni même de – Le brun soupire. Il espérait que Chris et lui fassent un pas dans leur histoire. Il prévoyait de rendre leur séparation du soir si difficile que cette fois, son compagnon l'aurait suivi dans sa chambre. Juste pour dormir. Il en a assez d'être seul la nuit. Il veut voir Chris dans son lit. Il en a besoin. … Et de voir ses affaires commencent à s'éparpiller dans la pièce aussi.

Bucky éteint les plaques de cuisson et pose la casserole sur le plan de travail.

— « Tu vas à Ruth Lake ? David veut faire des travaux sur la maison au bord du lac ? », demande-t-il en commençant à servir son compagnon.

— « Tu la connais ? »

— « Susan et David nous y invitaient souvent maman et moi, on y passait le week-end tous ensemble quand ils conduisaient un peu plus. … C'était de chouettes moments. »

Le brun remplit à son tour son assiette, un sourire nostalgique aux lèvres. Il adore la maison de campagne de ses amis. Chris pianote du bout des doigts devant lui.

— « … Tu n'y es pas retourné depuis longtemps ? »

— « Depuis une éternité », rit le brun. « Susan me dit souvent qu'elle serait heureuse de me laisser les clés pour un week-end mais j'oublie un peu ou ce n'est jamais le bon moment. »

— « Est-ce que ça te manque ? Tu habites au bord de la mer… », le taquine son compagnon.

Buck s'assoit à côté de lui et roule des yeux.

— « C'est un très bel endroit et la maison est magnifique. Nous échangerons nos impressions quand tu seras rentré. »

Chris sourit doucement tandis qu'il prend sa fourchette pour commencer à manger. Le brun entame aussi son plat avec appétit. Il a faim et il est frustré. Ou le contraire. Plus vraisemblablement.

— « David va faire des travaux ? », répète-t-il avec une pointe de curiosité,

— « Il souhaiterait faire construire une extension pour y installer un sauna et un jacuzzi. C'est une demande de ses petits-enfants. »

— « … Mince, ce serait génial », souffle le brun avec envie. « Je suis surpris que David ait accepté, la maison a été construite dans les années 1940 par un architecte connu. C'est ce qu'il m'a toujours dit. »

— « C'est la raison pour laquelle il fait appel à un autre architecte pour construire l'extension plutôt que de confier le chantier à un entrepreneur du coin. David a beaucoup d'exigences, le cahier des charges qu'il m'a montré quand on en a parlé ensemble la semaine dernière fait plus de trente pages. »

Bucky rit doucement. Chris mange à son tour avec plaisir avant de boire une gorgée d'eau.

— « Je suis content que ce projet t'enthousiasme. »

— « Ça ne rend pas le fait que tu travailles demain plus acceptable », lui répond le brun du tac-au-tac.

— « Je sais et Susan pense la même chose. C'est la raison pour laquelle elle nous suggère de rester à Ruth Lake pour le week-end et de rentrer dans la semaine. David accepte que je récupère lundi et mardi pour m'avoir sollicité un samedi », annonce nonchalamment Chris. « … Qu'est-ce que tu en penses ? »

— « C'est une… suggestion ? »

— « Plutôt une très vive incitation qui n'admet pas de refus », sourit le blond. « Elle nous dit de prendre Sandy avec nous alors c'est plutôt sérieux. »

Bucky repose lentement sa fourchette. Il se sent ridicule d'avoir été boudeur et agacé par ce contretemps dans leur week-end. Comment a-t-il pu douter de la délicatesse de sa chère amie concernant le fait de déranger leur maître d'œuvre pendant un de ses jours de repos ? Un séjour à Ruth Lake ? Mince, ça s'annonce encore mieux que tout ce qu'il avait pu imaginer.

— « Elle insiste pour qu'on parte avec la Mercedes pour que le carburant soit à leur charge et elle va demander à la gardienne de remplir le frigo pour nous », ajoute Chris en haussant un sourcil. « … Il y a vraiment quelqu'un à demeure là-bas ? »

— « Nadia habite de l'autre côté du lac, elle tient la maison propre et elle surveille son état depuis que Susan et David y vont un peu moins. Une maison qui n'est pas habitée se dégrade vite », explique le brun en souriant largement.

Mince, un week-end au lac ? C'est exactement ce dont ils ont besoin !

— « J'ai dit à Susan que j'allais t'en parler avant. »

— « Bien sûr qu'on accepte, Chris ! », s'exclame Bucky en levant les yeux au plafond. « Tu dois conduire jusqu'à Ruth Lake alors autant optimiser ton déplacement. Cela n'aurait aucun sens que tu fasses l'aller-retour dans la journée quand Susan nous ordonne de rester là-bas pour prendre du bon temps ! »

Son enthousiasme est bruyant et communicatif. Sandy jappe joyeusement derrière eux depuis son panier posé à côté de la baie vitrée.

— « Je lui réponds que nous acceptons alors ? », le taquine Chris.

Bucky lui pince le genou entre deux doigts, le regard orageux.

— « Tu réponds à Susan que nous sommes enchantés de sa proposition. Je serai ravi d'un petit week-end à Ruth Lake avec toi. Je vais prévenir Tony que je serai en congé en début de semaine », ricane-t-il. « Nous irons rendre visite à David à Providence demain et nous en profiterons pour récupérer les clés de la maison. »

Son compagnon accepte et s'empresse de récupérer son portable pour écrire un rapide message à leur amie. Susan est très heureuse de les voir le lendemain, Bucky se dit qu'ils s'arrêteront d'abord chez ce bon pâtissier en centre-ville pour apporter sa fameuse tarte aux fruits au couple. Il sait que derrière ses sourires et sa joie se cache encore l'angoisse du séjour à l'hôpital de son mari.

Le brun fronce les sourcils. Il se promet que si l'état de santé de David est plus inquiétant que prévu, ils annuleront leur voyage. Chris découvrira la maison de Ruth Lake seul tandis que lui restera avec Susan. La dernière fois a été trop éprouvante pour laisser sa vieille amie dans son désarroi.

Son compagnon repose son portable et recommence à manger avec enthousiasme.

— « Ce projet d'extension est très stimulant mais j'avoue que je ne comprends pas très bien pourquoi il faudrait installer un espace bien-être dans une maison de pêche. »

— « La maison de Ruth Lake n'est pas exactement une maison de pêcheurs tu sais », sourit Bucky avec malice.

— « Le fait qu'elle ait été construite par un architecte de renom n'en fait pas automatiquement une villa de plaisance si elle est de petite taille avec peu d'équipements. Ce n'est pas péjoratif », répond Chris.

Le brun pense brièvement à la maison dans son écrin de verdure, son immense terrasse en teck donnant sur les rives de Ruth Lake, l'immense salon aux murs lambrissés et son confort assez luxueux. Il esquisse un sourire en coin et son compagnon éloigne lentement sa fourchette de sa bouche.

— « Bucky ? C'est une maison au bord d'un lac, s'il te plaît, dis-moi qu'elle est en bois. Elle doit être en bois », s'exclame le blond d'un air incrédule.

— « Je ne te savais pas amateur de vie sauvage », s'esclaffe-t-il.

— « C'est une question de cohérence. Une maison sur les berges d'un lac doit être en bois avec des articles de pêche au-dessus de la cheminée. Une cheminée en pierre. »

Cette fois, Bucky éclate de rire. Il donne de petites boulettes de mie de pain à Sandy qui, intéressée par leur dîner, s'est rapproché avec gourmandise.

— « Bucky ? »

— « Qui sait… Tu veux encore du ragoût ? », lui répond le brun d'un ton malicieux.