Mes petits chats,
Je suis de retour pour mieux vous servir !
Je suis navrée de ces trois semaines de silence, j'étais en vacances et malgré le planning de travail que je m'étais fixée, je n'ai pas réussi à m'y tenir. Trop de distractions, trop besoin de faire une coupure et de mettre mon cerveau en pause, un ordinateur trop différent du mien pour être à l'aise… Bref, un coupure totale pendant trois semaines qui m'a fait du bien. Elle m'a aussi permise de retrouver avec un réel plaisir Bucky et Steve/Chris à Manila alors que je commençais à fatiguer un peu de la relecture de leurs aventures. La dernière publication m'a obligé à d'importants remaniements pour garder la cohérence de mon histoire, je dois avouer que j'en avais assez.
Je vous demande donc un peu d'indulgence et vous propose ce soir la suite de "L'homme de la plage". J'espère que vous la trouverez à votre goût et ne pas vous décevoir après cette longue attente.
Je tiens à préciser que même si cette histoire reste de la fiction et ne prétend pas à une stricte réalité, j'ai fais de nombreuses recherches concernant l'amnésie (de son origine médicale ou psychosomatique aux mécanismes susceptibles de provoquer sa fin). La perte de mémoire de Steve/Chris puis le retour de ses souvenirs suite à un choc restent donc plausibles, malgré leur caractère peut-être un peu romanesque. Comme je l'ai écris, cela reste une fiction et surtout, une histoire d'amour entre deux beaux hommes :)
Je vous laisse les retrouver avec - j'espère - le même plaisir que moi. Bonne lecture à tous et à toutes,
Bien à vous,
ChatonLakmé
Green Day est un groupe américain de punk-rock originaire de Berkeley en Californie, en activité depuis 1987.
Le Warfield (surnom du Warfield Theater) est une salle de concert de 2300 places située dans le centre-ville de San Francisco, construit en 192 comme théâtre de vaudeville. Il porte le nom de l'entreprise Loews Warfield (devenue depuis Loews Cineplex Entertainment), une chaîne américaine de cinéma.
Le Golden Gate Park est un jardin public de 412 hectares situé à l'ouest de San Francisco. Construit dans les années 1870, il est plus grand que le Central Park de New York.
Alerte à Malibu (Baywatch en version originale) est un série télévisée américaine de 243 épisodes diffusée entre 1989 et 2001 aux États-Unis. Elle raconte le quotidien d'une brigade de sauveteurs du comté de Los Angeles, menée par le lieutenant Mitch Buchannon (inoubliable David Hasselhoff).
Dom Juan est une comédie écrite par le dramaturge français Molière entre 1664 et 1665, montrée pour la première fois à Paris en 1682 par la troupe de Monsieur, frère du roi Louis XIV. Il s'agit d'une des pièces de théâtre les plus célèbres de l'auteur qui a popularisé le personnage de dom Juan, entré dans le langage courant pour désigner un séducteur. Dans la pièce, le personnage éponyme, marié et blasphémateur, connaît plusieurs aventures amoureuses avec des femmes et se montre très critique envers la religion catholique. Son père tente de le ramener dans le droit chemin et dom Juan fait mine d'accepter par subterfuge. Lors d'un dîner, le Commandeur – un personnage que dom Juan a tué en duel et représenté par la statue ornant son tombeau – prend acte de son refus de son repentir. Le Commandeur l'entraîne alors dans les entrailles de la terre en guise de pénitence.
L'homme de la plage
o0O0o o0O0o
Vingt-sixième partie
Fin mars
Une fois encore, la nuit est pleine de cauchemars et ressemble à un film d'horreur.
À côté de lui, Chris s'agite dans les draps, les paupières agitées d'un tressaillement. Il marmonne dans son oreiller, s'apaise d'une caresse sur le haut de son dos ou d'un baiser sur l'épaule avant de recommencer. Bucky ne comprend pas ce qu'il dit – ce ne sont que des paroles décousues et inarticulées – mais l'esprit de son compagnon est particulièrement troublé. Tout entier tourné vers le passé. Son passé.
Si Chris trouve un peu de repos, le brun lui est incapable de fermer l'œil. Il n'y arrive pas ou mal depuis deux jours.
Après être rentré du marché de Old Town, Natasha l'a appelé avec la régularité d'une horloge suisse à 17h46, Bucky a entendu son portable sonner. La nuit commençait à peine à tomber sur Manila, c'était le début de la soirée. Le brun a laissé la sonnerie retentir le plus longtemps possible avant de décrocher, tâtonnant derrière lui sur sa table de chevet parce qu'il refusait de quitter Chris des yeux. Son compagnon dormait sur leur lit après avoir pris un puissant antalgique. Son corps s'enfonçait doucement dans le matelas, sa peau était moins blême et ses yeux moins cernés. Il était serein même si son sommeil était médicamenteux c'est la raison pour laquelle Bucky a refusé de s'éloigner ne serait-ce qu'une seconde. Couché sur le flanc, le brun a posé une main sur son torse pour sentir sa respiration lente et tranquille. Il était si concentré qu'il a failli manquer l'appel de la jeune femme. Peut-être le voulait-il. Ils ont seulement échangé quelques mots car Bucky a aussi refusé de se lever et de s'éloigner de son compagnon. Il a à peine écouté Natasha, a acquiescé distraitement à ce qu'elle disait.
Quand il a trouvé la rousse sur le pas de sa porte, accompagné d'un Clint aussi ombrageux que les tempêtes tropicales d'automne, il a vraiment eu envie de refermer brusquement devant eux. Bucky ne voulait pas les faire entrer dans leur maison. Trop dangereux.
Leur seconde rencontre a été incroyablement gênante, ponctuée de longs silences et d'explications embrouillées.
Chris a raconté les débuts de sa vie à Manila, Bucky a complété les blancs. Il a lu sur le visage de Clint que ce dernier n'en a pas cru un traître mot, l'air profondément buté, tandis que Natasha les écoutait attentivement. Ils ont douté, longtemps, puis ont fini par accepter devant l'évidence. Bucky ne peut pas leur en vouloir, c'est vrai que ça ressemble à un épisode des Feux de l'Amour.
Malgré les preuves attestant l'identité de Steve Roger, le brun a quand même espéré aussi – un tout petit peu au fond de son cœur – que les deux amis aient pu faire une erreur Clint parlait d'un homme si différent de Chris qu'il y a cru avec la ferveur des désespérés.
C'était avant que son compagnon ne rit avec le blond tandis que ce dernier lui montrait quelque chose sur son smartphone. Son espoir s'est effondré. Le brun a trouvé la manière dont Clint listait sur ses doigts les détails physiques de son compagnon un peu indécente, et sa joie quand Chris opinait doucement – presque un peu timidement – franchement obscène. Bucky a plus d'une fois voulu le mettre dehors quand Clint plongeait son regard bleu dans le sien avec un air insupportable de vainqueur.
Foutu menteur, c'est Steve et on va te l'enlever.
Il ne l'a pas dit – peut-être n'a-t-il pas osé parce que Chris caressait distraitement sa cuisse, assis à côté de lui sur le canapé – mais le brun l'a lu dans ses yeux.
Bucky en a même oublié de leur proposer un café ou un verre de thé glacé. Acte manqué. Les deux amis sont partis pour mieux revenir le lendemain.
Chris dort et marmonne encore à ses côtés. Il se retourne dans les draps, soupire profondément contre son épaule avant de passer un bras sur son torse et le tirer à lui. C'est lourd, chaud et familier. Le brun caresse doucement son avant-bras du bout des doigts et contemple son visage en silence. Ses paupières sont lourdes, ses yeux picotent de sommeil pourtant il n'arrive pas à dormir.
Son compagnon fronce adorablement le nez, il étouffe ses chuchotements décousus dans son épaule et brosse sa peau de ses lèvres.
Bucky déglutit légèrement et s'oblige à fermer les yeux.
C'est comme d'habitude – comme avant – excepté que tout est différent. Il appréhende le moment où le blond le regardera dans les yeux pour lui raconter un véritable souvenir c'est le cauchemar qui hante ses rêves quand il parvient à s'assoupir un peu.
Pour le moment, Chris semble aussi troublé que lui, un peu hébété par cette vie oubliée qui vient se mêler à la sienne. C'est discret mais c'est bien là, dans leur vie à eux, leur vie à deux. Sandy a cessé d'aboyer sur Clint, elle tolère les caresses de Natasha et les regarde avec ce qui ressemble de plus en plus à de la curiosité.
Bucky penche légèrement la tête, se tord le cou pour frotter son nez contre la tempe de Chris. Ce dernier exhale un soupir chaud contre sa peau et il frissonne légèrement.
Le brun se retourne prudemment dans son étreinte pour lui faire face.
C'est Chris. Son ami, son compagnon et l'homme qu'il aime. Son beau visage, la cicatrice blanche et nacrée sur sa tempe, sa barbe sexy et ses larges épaules musclées.
Bucky se colle contre lui, le cœur gros. C'est lui et ça ne changera pas, peu importe ce que Clint prend plaisir à lui raconter, les yeux dans les yeux avec un sourire un peu suffisant.
Seulement Chris.
o0O0o
C'est Chris.
C'est toujours Chris.
Assis dans le canapé du salon, Bucky ne cesse de se répéter ces mots comme un mantra face à Clint et Natasha.
Il sait qu'il a triste mine, que ses yeux sont cernés et sa peau un peu crayeuse, que ses cheveux sont attachés d'une manière négligée sur sa nuque même si Chris trouve ça très sexy. Clint a haussé un sourcil un peu narquois tandis que son amie lui serrait doucement la main. Elle a amené une tarte à la crème de chez Cherry Blossom Bakery comme une offrande de paix c'est la préférée de Chris et Bucky a pourtant envie de jeter l'emballage à la poubelle.
Le brun jette un regard en coin à son compagnon. Celui-ci est en train d'achever sa troisième part avec une gourmandise qui fait malgré tout plaisir à voir. Bucky lui donnera volontiers la sienne plus tard, il n'a pas très faim. Pas quand Clint parle d'une soirée passée dans un restaurant grec sur Jackson Street lors duquel Steve avait mangé les yeux de son poisson parce que le serveur lui avait affirmé que c'était la meilleure partie. Oh, la grimace de Chris à ses mots le dégoût le plus profond parce qu'il se souvient et qu'il comprend ce que raconte le blond.
— « Ce serveur était un menteur. C'était humide et la texture… une horreur. Plus jamais je ne referai ça », réplique le jeune homme en fronçant le nez.
Son compagnon le regarde pour partager ce fragment de sa mémoire avec lui et Bucky esquisse un sourire un peu forcé. Il ne peut guère faire plus, c'est un cauchemar qui devient lentement réalité. Chris fronce légèrement les sourcils.
— « … Le serveur portait une boucle d'oreilles en forme de croix, n'est-ce pas ? »
Natasha hoche lentement la tête alors que le blond exulte.
— « Oui, et un horrible tatouage calligraphié sur l'avant-bras. Il y avait – »
— « Une faute d'orthographe », le coupe doucement Chris en grattant sa barbe.
Le cri de joie de Clint pourrait être ridicule si Bucky s'y intéressait vraiment. Il se contente de pincer les lèvres et de baisser les yeux sur Sandy. La chienne est allongée à côté de lui sur le canapé, sa tête posée sur son genou gauche. C'est un soutien appréciable quand il a l'impression que tout s'effrite lentement autour de lui.
Le brun pensait être mal à l'aise ?
Voir se réveiller lentement Steve Rogers sous ses yeux est juste terrifiant.
Les souvenirs sont futiles et souvent, son compagnon hésite. Il cherche ses mots et des bribes dans sa mémoire, les sourcils froncés. Il y a quelques échecs, des fragments de vie que lui racontent Clint et que le blond s'excuse d'avoir oublié d'un sourire désolé. Le jeune homme ne se démonte pas et s'empresse de changer de récit pour tenter de nouer à nouveau les fils de leurs vies.
Encore des erreurs mais Bucky voit avec angoisse s'esquisser lentement les contours encore floues de la vie de Steve Rogers devant lui.
Cela ne fait que trois jours que le couple les a interpellés si bruyamment au marché de Old Town.
Bucky passe une main dans sa nuque.
Des rires résonnent dans le salon, la journée va être longue. Celui de Clint paraît un peu trop haut et forcé, Natasha esquisse un sourire simplement affectueux. Chris s'esclaffe aussi c'est chaleureux comme d'habitude et c'est douloureux à entendre parce qu'ils sont censés être encore des inconnus les uns pour les autres.
Bucky participe mollement à la conversation. Il n'est allé qu'une ou deux fois à San Francisco et il n'en garde pas un souvenir impérissable. Il y avait trop de monde, les rues étaient trop bruyantes et la circulation trop dense mais il y avait mangé de très bonnes ailes de poulet épicées dans un boui-boui du quartier de Japan Town.
Le brun opine sans envie quand Clint parle d'un concert exceptionnel de Green Day au Warfield auquel ils ont tous assisté. Bucky visualise la façade blanche et sculptée de la salle de spectacle, il peut vaguement comprendre son enthousiasme pour les équipements et l'acoustique grandiose.
Le jeune homme esquisse un sourire crispé quand Natasha renchérit sur une longue promenade faite dans les allées du Golden Gate Park. Bucky n'y avait jamais mis les pieds mais il avait regardé un très beau livre de photographies dans une librairie artiste et branchée dans Mission District, le quartier branché et bohème de San Francisco. Il avait admiré les effets de lumière à travers les branches des arbustes taillés du jardin japonais ou la silhouette délicate de la grande serre victorienne.
Il pourrait aussi en parler – ou en tout cas faire semblant – si on le sollicitait d'une quelconque manière. Il n'existe pas vraiment dans sa propre maison même si la rousse fait des efforts démesurés pour l'associer à leurs conversations. Elle finit par l'oublier sans s'en apercevoir, toute à son bonheur retrouvé et le brun ne peut pas lui en vouloir.
Bucky parvient à tenir le fil de la discussion et le regard tendre dont le couve Chris, son sourire ravi, lui permet de jouer un peu mieux son rôle devant Clint et Natasha. Il ferait tout pour lui.
Le brun doit aussi dire des choses particulièrement intéressantes et pertinentes car parfois, il entend Natasha rire et l'étincelle dans les yeux bleus de son compagnon devient incandescente tandis qu'il vient chercher sa main pour enlacer leurs doigts. Bucky se sent alors un peu moins mauvais comédien.
Le regard que Clint pose sur eux est peu amène mais le brun ne cille pas, il plonge ses yeux dans les siens d'un air de défi. C'est ridicule – un peu puéril aussi – mais il a l'impression d'essuyer suffisamment de petites vexations dans sa propre maison pour s'autoriser à être borné et frondeur. Chaque rire outré du jeune homme est une gifle sur ses deux joues, un poison qui susurre à son oreille qu'il n'est rien pour Steve parce qu'il ne le connaît pas.
Chris caresse sa main de son pouce et Bucky emmêle plus fort leurs doigts avant de les poser sur la cuisse de son compagnon. Il savoure l'éclat un peu fauve qui passe brièvement dans les prunelles de Clint. Il connaît peut-être Steve Rogers mais lui vit et est aimé de Chris Doe. Un partout, la balle au centre.
Natasha lui propose silencieusement un morceau de tarte mais le brun refuse d'un petit signe de la tête. Il n'a toujours pas faim. La jeune femme redonne une part à Chris qui pousse son assiette dans sa direction avec gourmandise. Il a avalé le morceau de Bucky avec la même délectation que les trois précédents. La rousse s'apprête à le resservir généreusement, il demande juste un petit morceau. Le brun ricane. Son compagnon lui donne un coup de coude dans les côtes et soudain, c'est comme s'ils étaient à nouveau seuls chez eux. Ils chahutent un peu sur le canapé et Sandy couine doucement de joie redressée sur l'assise pour participer au jeu. La chienne s'excite un peu trop alors le brun se lève pour aller lui ouvrir la baie vitrée sur la terrasse. Bucky la regarde tirer de sous la banquette en osier du salon de jardin un épais morceau de corde. Elle caracole joyeusement avec, ses oreilles tressautant adorablement sur sa jolie tête.
— « … Tu veux la faire sortir sans nous ? », demande Chris avec une pointe d'inquiétude.
— « Fais un peu confiance à ta fille. Tu es le mieux placé pour savoir qu'elle ne descendra pas sur la plage toute seule, c'est toi qui le lui as appris. »
Le brun lève les yeux au ciel et croise les bras sur son torse, appuyé d'une épaule contre le mur pour surveiller la chienne. Natasha rit doucement et Bucky se crispe sans le vouloir. Il n'y a pas de menace dans son rire – seulement un sincère amusement – mais c'est déjà de trop dans ce moment partagé juste avec Chris. Ne peut-elle pas lui laisser un bref instant à savourer uniquement avec son compagnon ? Comme s'ils étaient seuls dans leur salon ? Le jeune homme se rembrunit un peu. Il roule des yeux quand Chris fait mine de se lever pour apercevoir Sandy.
— « Elle est là, en train de se rouler entre la table basse et la banquette. Sand' est parfaitement en sécurité », dit-il en pointant la chienne du doigt.
Son compagnon acquiesce lentement.
Bucky jette un dernier regard à Sandy et retourne s'asseoir. Il laisse sa main traîner gentiment sur sa cuisse et se penche pour l'embrasser du bout des lèvres. Clint renifle bruyamment, se racle exagérément la gorge. Le brun se crispe mais le bras lourd et chaud que passe immédiatement Chris sur ses épaules pour l'attirer à lui l'envahit de chaleur. Bon sang, oui.
Penchée en arrière sur son fauteuil, Natasha observe Sandy.
— « Elle est mignonne », dit-elle doucement. « Et cette vue… Je n'avais pas réalisé que la maison avait vraiment les pieds dans l'eau quand nous sommes venus hier. C'est vraiment très beau. »
— « Les levers et les couchers de soleil sont magnifiques. On se réveille souvent avec lui le matin, il y a une grande baie vitrée dans notre chambre qui s'ouvre sur l'océan », renchérit Chris avec entrain.
— « Ça a l'air agréable. »
La jeune femme sourit poliment mais Clint s'assombrit. Il garde les yeux rivés sur le bras de Chris et ses doigts qu'il devine en train de caresser sa nuque, de jouer distraitement avec ses mèches sombres.
— « Tu as raison, Natasha… Les tempêtes d'automne et l'air toujours humide et chargé de sel, ça ressemble vraiment à un enchantement au quotidien », grogne-t-il en fronçant les sourcils.
— « Tu es le premier à vouloir aller passer les week-ends à Ocean Beach pour patauger dans l'eau », répond son amie du tac-au-tac.
Le jeune homme se renfrogne tandis que Natasha hausse un sourcil satisfait. Elle lèche distraitement son doigt couvert de crème à la vanille.
— « Tu as toujours ton short de bain… rouge ? Celui qui ressemble à ceux des sauveteurs dans Alerte à Malibu ? », demande Chris après une courte hésitation.
Clint rougit légèrement et Bucky ricane, vraiment. Il penche inconsciemment la tête en avant, les doigts de son compagnon se faufilent sous le col de son polo.
— « Alerte à Malibu est franchement ringard », dit-il d'un ton moqueur.
— « C'est un chef-d'œuvre incompris ! », rétorque vivement le blond.
C'est la première fois que les deux hommes se parlent réellement, sans se considérer en chien de faïence. La perspective de cette hache de guerre enterrée déplaît à Clint qui s'empresse de regarder ailleurs de l'ignorer à nouveau. Bucky pince les lèvres. Connard. Natasha donne un coup de coude à son ami mais Clint l'ignore il semble absorbé par la contemplation de la photo accrochée au mur au-dessus de Chris et Bucky, une vue en noir et blanc de Manila Beach.
La rousse lève les yeux au plafond et mange en silence sa part de gâteau. Bucky la voit observer discrètement autour d'elle avec curiosité, notamment les cadres photos nichés dans la bibliothèque autour de la télé. Elle plisse un instant les yeux pour contempler avec attention un cliché du couple, pris par Susan dans la galerie de sa maison. C'est une vue volée, un instant de complicité partagée entre les deux hommes, Sandy assise devant eux et la tête sur leurs genoux emmêlés. Chris porte son blouson en cuir, Bucky rit en se penchant vers lui. Il adore cette photo autant qu'il déteste l'insistance de la jeune femme à la regarder.
— « … La maison est très jolie. Vous y habitez depuis longtemps ? », reprend-elle après un silence.
— « Presque depuis toujours », répond Bucky d'un air un peu raide.
— « La décoration est très sympa aussi, bien plus que celle de notre hôtel. Le Eureka Inn n'avait plus de chambre, Clint et moi nous sommes rabattus sur un établissement à l'ouest de la Route 101. »
— « Il y a un poisson chantant accroché en face de mon lit », ajoute le blond.
Le brun grimace légèrement, il ne doit pas s'agir de la meilleure adresse d'Eureka. Il pianote distraitement des doigts sur la cuisse de Chris.
— « C'est ma mère qui a décoré la maison quand nous nous sommes installés ici. Elle a un peu changé ces derniers temps… »
Le brun coule un regard en coin vers son compagnon et celui-ci rit d'un air un peu gêné. Il hoche la tête, effleure distraitement le coussin le plus proche. Chris aime les coussins, Bucky a réussi à lui faire admettre qu'ils n'avaient pas besoin d'une dizaine d'oreillers décoratifs contre la tête de leur lit. Ils sont juste descendus dans le salon et quand ils s'y donnent du plaisir, ils les sèment sur le canapé comme des coquillages sur la plage. Le blond lui a chuchoté qu'un jour, il lui fera l'amour comme ça, allongé sur le parquet. Bucky a joui très fort dans son poing.
— « Steve n'y connaît rien en décoration, nous l'avons aidé à aménager son appartement à Tenderloin. Il voulait mettre en vis-à-vis dans la même pièce un papier peint à motifs verts et de la peinture violette… », marmonne Clint entre ses dents.
— « Je n'aurais jamais fait ça, c'est de très mauvais goût », proteste le blond.
Bucky sourit en coin et passe une main dans sa nuque.
— « C'est exactement ce que tu aurais fait. Tu as acheté un jouet à Sandy au WinCo qui était rouge et violet, tu as trouvé que c'était la plus belle combinaison de couleurs possible… Sand' n'a jamais joué avec, probablement parce qu'elle le trouve vraiment laid », lui rappelle-t-il.
Le blond lui pince malicieusement les côtes et il glousse un peu.
— « Tu as mis du temps à savoir accorder les couleurs de tes cravates et de tes chemises », ajoute affectueusement Natasha. « J'ai acheté les premières avec toi quand tu as commencé à travailler. Le service de sécurité de Castelain Investment Development ne t'aurait jamais laissé entrer dans le bâtiment avec ce que tu avais prévu de porter pour ton premier jour. »
Chris sourit d'un air un peu gêné. Il se souvient une nouvelle fois et Bucky serre douloureusement les dents. La pièce du puzzle qui vient de s'emboîter dans sa mémoire est réellement énorme. Castelain Investment Development est un très grand promoteur immobilier de San Francisco. Steve Rogers y est entré il y a huit ans, il assurait le suivi de plusieurs chantiers de constructions et de rénovations d'immeubles d'habitation sur le front de mer et alentours. Clint s'empresse de leur montrer la page web dédiée aux collaborateurs de l'entreprise, la photo de Steve Rogers y figure toujours. Un jeune homme aux cheveux dorés, à la mâchoire glabre habillé d'un costume sombre l'inconnu que le brun a trouvé dans les rochers d'Humboldt Beach il y a neuf mois. Chris est familier du monde du BTP parce que c'était son métier. Avant.
— « Je ne porte pas de costume ici. Il y en aura bien un pour le mariage de Sam et Maria mais ce sera le seul. »
Bucky sent le regard du blond sur lui mais il ne réagit pas. Eureka est devenu ici, un simple adverbe. Ici parce qu'il y a un là-bas, un autre endroit qui fait sens pour lui.
En face de lui, il voit le visage de Clint se froisser légèrement. Le blond aurait pourtant toutes les raisons du monde d'exulter, il vient de remporter une partie mémorable en terminant d'anéantir très soigneusement les espoirs de Bucky.
— « Ce sont des amis à toi ? », demande-t-il du bout des lèvres avant de s'assombrir. « Ouais, bien sûr que tu as des amis ici. Des amis qui vont se marier et qui t'invitent. … Putain. »
— « Sam est le meilleur ami de Bucky, il m'a plutôt adopté », le corrige Chris.
— « Bien entendu. »
Clint lui jette un regard noir et le brun est envahi par l'exaspération. Quoi ? Savoir que Chris est en train de se souvenir qu'il est Steve n'est pas suffisant ? Faut-il encore qu'il soit jaloux de ses amitiés qui étaient les siennes avant de devenir les leurs ? C'est foutrement ridicule.
— « Ils vont se marier à Manila Beach cet été et je vais faire une arche en bois flotté pour la cérémonie. J'ai récupéré plusieurs morceaux sur la plage, ils sont entreposés dans la réserve sous la maison. Je vais aussi faire une tête de lit pour notre chambre, Bucky me l'a demandé », poursuit Chris, inconscient de son trouble
— « Ouais, bien sûr… Tu as mis deux jours pour monter une table de chevet en kit mais tu vas construire des… trucs. En bois… », ricane Clint d'un ton vaguement incrédule.
— « Je sais que je vais y arriver. Je ne suis pas mauvais avec des outils sinon David n'aurait pas fait de moi son contremaître sur ses chantiers. Je sais de quoi je parle. »
— « Bien sûr Steve… »
Bucky crispe inconsciemment les doigts sur son jean. Vraiment, il ne s'habitue pas à entendre ce prénom.
Chris, lui, ne réagit pas. Il ne réagit plus. Encore hier, il avait des difficultés à l'apprivoiser et semblait un peu mal à l'aise quand Clint s'adressait à lui comme si rien n'avait changé entre eux. Son compagnon a cessé de douter depuis.
Le brun jette un regard à l'affichage digital du four.
L'autre vie de Chris est entré dans leur maison depuis plus de soixante-douze heures à présent, il a l'impression qu'il ne s'y fera jamais.
Il frotte ses paumes moites sur ses cuisses et regarde la porte d'entrée d'un air vaguement désespéré. Il veut qu'ils s'en aillent. Maintenant. Ils ont été courtois, ils ont partagé une délicieuse tarte à la crème en échangeant des souvenirs, ça suffit pour aujourd'hui. Bucky étouffe.
Le jeune homme soupire doucement quand son compagnon vient masser sa nuque du bout des doigts. Il incline imperceptiblement la tête pour laisser plus de place à la caresse, chaude et familière. Il s'autorise même à fermer les yeux, décidant qu'il a été suffisamment poli pour la journée.
Le brun entend distraitement des froissements d'étoffes autour de lui, le tintement des assiettes posées sur la table basse, le raclement des pieds des fauteuils sur le parquet. Clint et Natasha s'en vont enfin. Quand il voit la jeune femme rassembler la vaisselle, il s'empresse de la lui retirer des mains. Inutile de l'aider, ça la ralentirait elle sera dehors plus vite comme ça. La rousse plonge son regard dans le sien et n'insiste pas. Elle a compris. Clint attire Chris dans une vigoureuse accolade et lui tape exagérément fort le dos.
— « À demain, mon pote ! », s'exclame-t-il avec enthousiasme.
Le blond lui rend son étreinte avec un peu de maladresse c'est une maigre consolation de voir que Chris est plus à l'aise en enlaçant Sam que son meilleur ami de San Francisco. Clint ne semble pas le remarquer, un sourire ravi illumine son visage quand il le lâche enfin et lui fait face, les mains posées – agrippées, dirait Bucky – à ses épaules.
— « On peut être là dès neuf heures demain avec Natasha. Il va falloir parler de la suite Steve. »
— « … C'est-à-dire ? »
Chris passe une main dans ses cheveux et le blond grimace.
— « Pour commencer, il faut que tu te rases et que tu ailles chez le coiffeur », grogne-t-il en tirant sur une longue mèche tombée sur son front. « Ensuite, nous devons prévenir la police d'Eureka que tu peux être retiré du fichier des personnes disparues. Et enfin, tu vas rentrer avec nous à San Francisco. »
Bucky s'est plus ou moins enfui dans la cuisine quand il a entendu Clint évoquer la suite – non, La Suite – il s'active exagérément devant l'évier avec la vaisselle sale. Le meilleur ami de Steve Rogers est réellement sans pitié.
— « Je ne vais pas me raser ni me couper les cheveux, Bucky me trouve très beau comme ça », proteste Chris.
Son compagnon cherche son regard, un sourire tendre aux lèvres. Le brun acquiesce d'un air un peu tordu. Mince réconfort que de savoir que Chris veut toujours lui plaire. Steve Rogers est un parfait inconnu pour lui.
Natasha ajuste sa veste sur ses épaules et pousse lentement Clint devant elle en direction de la porte.
— « Est-ce que je peux vous appeler demain pour convenir d'une autre visite ? », lui demande-t-elle poliment. « Il y a plusieurs sujets auxquels nous devons réfléchir ensemble. »
— « C'est tout vu Natasha. Nous n'allons pas pouvoir rester ici pendant encore une semaine, nous n'étions que de passage à Arcata et le cabinet nous attend », proteste Clint.
— « Nous en parlerons ensemble », répète la jeune femme.
Son ami grommelle entre ses dents et se dégage d'un coup d'épaules. Il enfile rapidement sa veste, relève le col avec crânerie et quitte la maison sans un mot. Natasha prend poliment congé mais leurs voix résonnent brièvement sur le perron tandis qu'ils regagnent leur voiture. Bucky les entend, il s'est plus ou moins précipité pour fermer très soigneusement derrière eux et les enfermer à double-tour dans la maison.
— « Bordel Natasha, tu compliques tout. Ce qui va se passer maintenant ne regarde pas ce mec. »
— « La ferme Clint. Ils sortent ensemble et ils habitent ensemble, ça les concerne tous les deux. Ramène-nous dans le centre-ville, j'ai besoin d'un verre. »
Derrière lui, Chris tourne la clé dans la serrure comme il le fait depuis qu'il considère la maison de Bucky comme la sienne. Le brun se mord les joues. Réflexe prudent de citadin Clint s'est bruyamment esclaffé quand il l'a vu faire la première fois avant de dire de – décidément – Steve était toujours Steve, il fait la même chose dans son appartement à Tenderloin. Un duplex situé au quatrième étage d'un bâtiment de style industriel avec une vue agréable sur Financial District. Bucky a pensé qu'il n'y voyait pas d'aussi beau lever et coucher de soleil que ceux depuis leur chambre.
Le brun range le reste de tarte dans le frigo et commence à faire la vaisselle avec des gestes nerveux. Son compagnon passe derrière lui, prend une éponge pour nettoyer la table basse. Bucky l'entend essuyer, arranger les coussins du canapé et replacer – comme avant – les deux fauteuils dans lesquels Natasha et Clint se sont assis. Le blond se glisse à nouveau dans son dos, il repose l'éponge sur le petit égouttoir avant d'enrouler ses bras autour de sa taille. Chris le tire doucement en arrière et croise ses mains sur son ventre. Bucky s'appuie lourdement contre lui, ses mains couvertes de mousse dans l'évier. Voilà, comme ça, juste tous les deux. Avec Sandy qui aboie joyeusement dans ses jeux sur la terrasse. Comme avant.
— « Est-ce que ça va ? »
— « C'est plutôt à moi de te demander ça », répond le brun dans un rictus.
Il frissonne légèrement quand Chris frotte délicatement son nez dans son cou. Un silence s'installe dans la cuisine, pas désagréable mais un peu épais. Son compagnon continue à caresser sa peau avant d'y déposer un baiser.
— « … Je me sens tellement perdu. Je n'arrête pas de faire des rêves depuis trois jours », avoue Chris après un silence.
— « Tu rêves beaucoup. Tu as parlé cette nuit dans ton sommeil. »
— « Vraiment ? Je suis désolé de t'avoir dérangé. »
Son compagnon sort sa tête de son giron, le brun l'apaise d'une caresse mouillée sur son avant-bras.
— « Tu ne m'as pas réveillé, je n'ai pas beaucoup dormi », admet-il lentement.
— « … Je suis désolé », répète Chris.
Il dénoue lentement l'étreinte de ses bras. Bucky tente de le retenir mais son compagnon persiste. Il se glisse devant lui, l'oblige à lui faire face. Le brun déglutit. Il pose lentement son front contre son torse, ses mains mouillées un peu ridiculement levées pour ne pas le tacher il a encore des restes poisseux de crème au bout des doigts. Chris cajole tendrement ses hanches, juste à la lisière de son polo et de la couture de son jean.
— « … Je pense que ce ne sont pas que des rêves Bucky, ce sont plutôt des bribes de souvenirs. Tout ce que Clint raconte depuis hier, ça fait écho en moi… », souffle-t-il contre lui.
Le brun pince les lèvres. Merci bien, il a compris ça tout seul. Il a compris mais la voix de Chris est un peu chancelante, un peu incertaine. Il ne peut pas s'en empêcher, il s'engouffre dans la brèche.
— « … Est-ce que ça ne pourrait pas être… tu sais, des souvenirs induis ? Il te raconte une vie qui est très différente de la tienne et il est très assuré dans ses propres », tente-t-il un peu maladroitement.
Chris fronce légèrement les sourcils et Bucky se recroqueville un peu sur lui-même. Il a soudain une conscience particulièrement aiguë de sa cruauté et ça le rend un peu malade. Son compagnon est perdu mais il sait de quoi il parle, il n'est pas influençable pas plus qu'il n'a pu devenir gay en tombant amoureux de Bucky qui l'a trouvé – sauvé – sur cette plage.
Le brun noue ses mains sur les reins de Chris, emmêle ses doigts mouillés à son polo. Tant pis pour les taches. Il le sent respirer profondément contre lui, son torse se levant et s'abaissant lentement.
— « … C'est une vie très différente mais c'est la mienne, je sais que c'est la mienne. Je portais tous les jours un costume, j'habitais à Tenderloin et j'allais parfois à Ocean Beach les week-ends. »
— « Tu répètes ce que Clint a dit », proteste un peu égoïstement Bucky.
— « J'ai rêvé d'autres choses aussi. Il y avait des gens dont j'étais proche et des immeubles de luxe que je visitais avec un casque de chantier sur la tête des immeubles bien plus luxueux que ceux que possèdent David… »
Bucky déglutit difficilement et secoue la tête.
— « Tu t'appelles Chris », s'obstine-t-il d'une voix douloureuse.
— « Mais ils ont cherché Steve Rogers pendant des mois et ils ont pleuré quand ils m'ont retrouvé. »
Le brun s'assombrit. Il le sait aussi, il était là quand Natasha a essuyé ses joues en silence sur le minuscule parking derrière Los Bagels.
Bucky desserre l'étreinte de ses doigts crispés et passe une main dans ses cheveux. Chris tente de le retenir – c'est un retournement de situation presque amusant – mais il s'esquisse et marche jusqu'à la baie vitrée. Le brun l'ouvre, siffle Sandy qui s'empresse d'accourir vers lui, son jouet dans la gueule. Il tire mollement dessus par jeu.
— « Bucky… »
— « Je vais la promener un peu. Je reviens… »
Le beau visage de Chris se froisse tandis qu'il enfile la paire de baskets un peu élimée qu'il utilise pour marcher dans le sable. Son regard lui brûle la nuque et le dos.
Alors que Bucky est sur la première marche de l'escalier, son compagnon le rejoint en quelques grandes enjambées. Le brun lui jette un regard par-dessus son épaule. Chris enroule une main sur sa nuque. Il l'embrasse chaudement, profondément quelque chose de dévorant qui ressemble à une supplique et à un « Reviens vite ». Bucky lui rend son baiser avec chaleur – et probablement un peu de désespoir aussi – avant de caresser gentiment sa mâchoire. Le blond la serre fort de son autre main et embrasse sa paume. Son ventre se tord.
— « Je reviens, Chris », répète-t-il.
— « Prends ton portable avec toi s'il te plaît. Juste au cas où », souffle le blond contre sa peau.
Bucky s'exécute avant de descendre sur la plage, précédé par Sandy.
Chris le suit longtemps du regard depuis la terrasse.
Il est toujours assis dans le canapé en rotin quand il rentre une heure plus tard. Sandy en a assez, elle traîne la patte d'un air de martyr et gémit doucement possible que le brun ait été un partenaire de jeu particulièrement distrait pendant leur sortie.
Bucky la flatte gentiment derrière les oreilles, la chienne l'interprète comme une autorisation et elle bondit dans le salon. Il ne lui a pas essuyé les pattes, elle met du sable partout mais il s'en moque un peu. Chris lui adresse un sourire un peu timide et fragile, le brun récupère le plaid posé sur le canapé et vient les enrouler dedans. Son compagnon le tire immédiatement à lui et l'embrasse.
— « Tu as les lèvres froides. Tu n'es pas rentré ? », sourit affectueusement Bucky en les brossant doucement des siennes.
— « Je t'attendais. »
Le brun se redresse contre lui, prend son visage en coupe et lui donne un baiser profond et langoureux. Leurs langues se mêlent, leurs respirations se confondent et une douce chaleur vient remplacer le froid dans le creux de leur ventre et leur poitrine. Chris s'agrippe à lui, les doigts enroulés autour de ses coudes.
— « Je m'appelle Chris », dit doucement le blond à son oreille.
— « Tu n'es pas obligé de – »
- « Je m'appelle Chris, Bucky. Je suis ton Chris, je ne me sens pas du tout Steve. », répète le jeune homme en plongeant son regard dans le sien.
C'est un peu décousu mais le brun comprend. Il esquisse un sourire et caresse affectueusement ses pommettes.
— « … Je trouve que tu pourrais avoir la tête d'un Steve », le taquine-t-il gentiment.
— « Tout est mieux que John, c'est ça ? »
— « John est définitivement exclu. »
Bucky rit doucement, joyeusement.
Son compagnon le renverse sur la banquette et l'embrasse, son corps brûlant et lourd contre le sien.
Le brun sourit. Il est son Chris. Il peut vivre avec ce qui commence de plus en plus à ressembler à un mensonge en tout cas jusqu'à demain.
o0O0o
Natasha a dit qu'ils devaient parler tous ensemble de… La Suite.
Bucky a trouvé ça raisonnable et assez délicat de sa part de l'associer à La Suite, donc.
Clint a un avis assez opposé, le brun s'en doutait.
Les réactions du jeune homme sont un peu imprévisibles et le seul fait d'entendre son prénom associé à un verbe – tel que « Clint a » – suffit à tordre légèrement son ventre d'appréhension. Clint a fait quoi ? Bucky se prépare mentalement à à peu près tout – surtout au pire tel que « Clint a posé des questions à votre sujet en ville, ne lui en veuillez pas » – mais il parvient quand même à être surpris par le blond. Natasha lui apprend le lendemain que, dans la matinée, son ami a profité du fait qu'ils se promenaient dans Old Town pour se rendre au commissariat de la police d'Eureka sur 6th Street.
Bucky encaisse relativement bien un peu moins quand elle lui annonce que Clint a prévenu les autorités de l'issue positive de la disparition de Steve Rogers. En réalité, il a plutôt vociféré et a manqué de taper du poing sur le comptoir d'accueil pour accuser l'ensemble de l'équipe d'incompétence. Steve Rogers habite à moins de cinq heures d'Eureka, dans le comté voisin de San Francisco, dans le même État alors pourquoi personne n'a été capable de le retrouver ?
Peut-être que Bucky aurait aimé être présent pour voir l'officier Ruiz se décomposer devant de telles accusation. Elle a vraiment été désagréable les premiers mois de son installation à Eureka et il y a sans conteste des zones d'ombre dans cette affaire Clint a soulevé un point intéressant. Le brun se serait aussi contenté d'assister à l'arrestation du jeune homme pour outrage à agent. Peut-être.
— « C'est une foutue erreur de transcription dans ton nom ! Et ta photo a été enregistrée sur la fiche d'une autre personne disparue ! Personne n'aurait pu faire de recoupement avec ton dossier ! Personne ! », éructe le blond dans le salon.
Un officier du Central Police Station de San Francisco l'a appelé deux heures après leur arrivée à Manila. L'officier Paul Janiceck a ensuite contacté son homologue pour comprendre. La réponse est bête et triste à pleurer. Une erreur, le fruit d'un hasard malheureux. Au moins autant que la visite de Natasha et Clint à Eureka, venus donner une conférence sur le droit de la propriété intellectuelle aux étudiants de CSPU d'Arcata avant de flâner un instant au marché local. Bucky les a maladroitement invités à rester dîner, un peu absent et le cœur gros. Il doit son bonheur de neuf mois à une erreur informatique et humaine. Il ne sait pas s'il doit chérir ce heureux hasard ou crier de rage et de frustration.
— « Nous aurions pu attendre des résultats pendant des années Steve ! Et plus encore depuis que tu as complètement changé de tête. Bordel, tu ne nous facilites vraiment pas la tâche ! », poursuit Clint.
Le brun fronce les sourcils. Leur invité vient de désigner son compagnon d'un grand geste agacé et franchement réprobateur. En face d'eux, Natasha est en train de terminer son assiette avec application. C'est Chris qui a cuisiné, Bucky est au moins heureux que la rousse semble vraiment apprécier son plat.
— « Comment veux-tu que la police te reconnaisse sur la photo que nous lui avons donnée ?! C'est la dernière que nous avons prise avant ta… avant que tu ne partes », se corrige le blond avec pudeur. « Tu portes ton costume gris parce que tu avais rendez-vous avec ton directeur l'après-midi et tu es rasé de près. Juste… l'exact opposé… »
— « … On avait déjeuné ensemble dans ce restaurant japonais à côté de votre cabinet, n'est-ce pas ? », demande doucement Chris.
— « Oui ! C'était pendant ce foutu déjeuner, on avait demandé à la serveuse de prendre une photo souvenir. Je ne sais même plus pourquoi. »
— « … C'était parce que nous étions tous habillés en gris par pur hasard et que tu avais trouvé ça hilarant », répond machinalement Natasha.
— « Ah oui ! »
Clint s'esclaffe et achève son assiette sans réellement prêter attention à ce qu'il est en train de manger. Bucky fronce les sourcils. L'ingrat, Chris a cuisiné pour eux.
Le brun débarrasse puis sert le dessert avec raideur. Son compagnon l'aide mais il ne cesse de discuter avec leurs invités, la tête tournée vers eux pour les apercevoir depuis la cuisine.
Bucky pince les lèvres.
Chris l'a tenu étroitement serré contre lui la nuit passée, silencieux et plongé dans ses pensées. Il caressait distraitement son ventre sous son tee-shirt, le visage niché dans son cou. Bucky aussi était pensif, il effleurait du bout des doigts son avant-bras, presque douloureusement conscient de la tempête qui soufflait dans le crâne du blond. Trop de rêves, trop de souvenirs trop de choses à dire, à penser, à comprendre. L'homme avec lequel il vit, l'homme qui l'embrasse et lui sourit est toujours Chris mais Bucky commence à discerner de mieux en mieux Steve Rogers. C'est moins l'esquisse du début d'un minuscule petit quelque chose il est juste là, avec eux. Clint exprime toujours aussi bruyamment sa joie.
Bucky a l'impression que son monde devient un peu plus sombre, il repousse son assiette à moitié-entamé sans appétit.
Clint s'appuie lourdement contre le dossier de sa chaise puis croise les mains croisées sur son ventre. Il irradie de tant de contentement satisfait que le brun est certain qu'il ne pourra plus manger de poulet mariné aux épices cajun avant des semaines. Ça aurait juste un goût de cendre dans sa bouche.
— « Tu devrais porter plainte pour ce qu'il t'est arrivé », reprend le blond en observant Chris.
— « Personne ne sait exactement ce qu'il m'est arrivé et la police n'a pas de suspect », répond-il doucement.
— « Parlons-en de la police d'Eureka ! » Clint claque sa langue contre son palais. « Je te suggérais de porter plainte contre elle et la police de San Francisco. Elles ont fait preuve d'une négligence tout à fait coupable dans ton affaire. »
Il reste des pommes de terre et de la viande mais plus personne n'a vraiment faim. Leur vue écœure Bucky, il se lève pour ramener les plats en cuisiner. Chris lui emboîte le pas, rassemblant les assiettes et les couverts à dessert.
— « Je n'ai pas très envie d'y penser », avoue-t-il en haussant les épaules.
— « Tu pourrais demander de l'aide à Sharon, elle est avocate », s'obstine Clint.
Sharon pourrait un prénom comme un autre mais la lueur dans les yeux bleus du jeune homme déplaît immédiatement à Bucky. Clint ignore le vigoureux coup de coude et le regard noir de Natasha, il se contente d'éloigner légèrement sa chaise pour se mettre à distance de ses gestes d'humeur.
— « Sharon pourrait t'aider et elle te ferait sans doute gagner des millions de dollars à titre compensatoire cette fille est un requin quand elle plaide au tribunal. … Elle était morte d'inquiétude à ton sujet. Elle a demandé après toi chaque semaine et elle nous a aidé dès qu'elle le pouvait. »
Clint jette un regard éloquent à Chris. Bucky est absurdement rassuré que son compagnon soit en train de tourner le dos au blond et qu'il ne puisse pas croiser ce regard.
Chris pose la vaisselle dans l'évier, les couverts tintent presque joyeusement sur la porcelaine.
— « … Sharon est spécialisée en droit de… Je ne me souviens plus qu'elle est sa spécialité mais je suis certain que cela n'a rien à voir avec ce type d'affaire. »
— « Elle traînerait en justice toute la police de San Francisco et le directeur en personne pour tes beaux yeux. Vous êtes très proches. »
Clint rit d'un air complice, son regard allant de Natasha à Chris comme pour demander à son amie de le soutenir dans son obscène hilarité. Bucky n'a pas besoin d'entendre Clint le dire, son plan cruel pourrait s'appeler « Évincer le mec inconnu qui garde notre ami sous sa coupe depuis des mois ».
La jeune femme fusille son ami du regard.
Chris fait couler l'eau chaude pour rincer les assiettes, les yeux baissés sur ses mains légèrement savonneuses. Le produit vaisselle parfumé à l'hibiscus est préférable pour retirer les traces de graisse Bucky a ri quand ils l'ont acheté au WinCo en disant que c'était un arôme ridicule pour un produit ménager.
— « Sharon et moi, nous nous parlons peu. Nous ne sommes pas de grands amis… »
— « Vous vous fréquentez un peu et vous n'êtes rien d'autre parce qu'elle attend que tu fasses quelque chose. »
Oh. Ah. Bucky a la nausée.
Chris attrape l'éponge, lave consciencieusement les assiettes. Le brun aimerait pouvoir lire dans son esprit, attraper toutes ses pensées, voir tous ses souvenirs d'Elle pour les chasser. Une Sharon, c'est un prénom tellement banal en plus. Lui porte le nom d'un écrivain célèbre, il est distingué avec une touche un peu britannique.
Son compagnon lui tend une assiette à essuyer, un sourire tendre aux lèvres. Bucky s'y accroche comme un désespéré.
— « Vous vous êtes rencontrés parce qu'on vous a présenté et c'était il y a quatre ans. C'est long, Steve ! », renchérit Clint en se penchant pour l'apercevoir depuis la terrasse par la baie vitrée.
Soudain, il grogne de douleur. Bucky jette un regard par-dessus son épaule Natasha semble avoir encore fait quelque chose de physiquement très douloureux à son ami.
— « Merde ! Natasha ! », proteste-t-il.
— « Tu m'obliges à faire ça, Clint. Bon sang, tu es vraiment infect quand tu t'y mets. C'est… Tout est très compliqué, pourquoi essayes-tu de rendre les choses encore pires ? », siffle-t-elle à voix basse.
Bucky a une bonne vue et une bonne ouïe alors il tend l'oreille. Oui tiens, parlons-en aussi parce que ça l'intéresse. Le blond se frotte le flanc et jette un regard noir vers son amie.
— « Je le fais parce que tout doit rentrer dans le bon ordre et que ça (Clint désigne la cuisine et le salon Bucky pense que c'est un euphémisme pour parler de lui) ce n'est pas le bon ordre des choses ! Sharon est – »
— « Oh arrête avec elle. C'était ton idée de les faire se rencontrer et après quatre ans, ça n'a toujours rien donné. Tu ne penses pas que Steve n'est vraiment pas intéressé ? », répond la rousse en roulant des yeux.
— « S'il ne l'est pas, ce n'est pas parce qu'il préfère les mecs ! Bordel, Natasha ! » Clint se redresse et regarde Chris. « Sharon a éclaté en sanglots quand je l'ai appelé pour lui dire que nous t'avions retrouvé. Elle attend ton retour depuis des jours et j'ai eu le plus grand mal à la convaincre de ne pas faire la route jusqu'à Eureka pour nous rejoindre. … Elle aurait peut-être dû être avec nous finalement, ça t'aurait sans doute aidé… »
— « Oh, Clint… », souffle Natasha avec une pointe de douleur.
Elle se lève, commencer à rassembler leurs verres et d'autres menues choses posées sur la table de la terrasse. Bucky n'essuie que très distraitement les assiettes que lui tend Chris – il est même surpris de n'en avoir fait tombé aucune – il garde les yeux rivés sur le couple, le cœur au bord des lèvres.
Clint est un homme franc et sa franchise est bruyante.
Le blond l'attrape par le poignet pour retenir la jeune femme.
— « C'est toi qui compliques tout, Natasha. Nous sommes en train de dîner ici comme si nous étions seulement de passage chez des amis et que nous passions un chouette moment. Ce n'est pas le bon ordre des choses. Nous devrions déjà être en route pour San Francisco avec Steve pour le ramener chez lui. Tout est simple, Steve se souvient ! Pas vrai Steve, tu te souviens ?! »
Chris donne la dernière assiette à essuyer à Bucky. Il essore soigneusement l'éponge, utilise la seconde pour nettoyer le pourtour de l'évier. Le blond repose le tout dans le petit pot égouttoir puis attrape un coin du torchon de Bucky pour essuyer ses mains. Il lui sourit encore, le brun répond aussi tendrement que possible même si les épines plantées dans son ventre sont probablement en train de provoquer une septicémie. Comment expliquer sinon l'atroce douleur qu'il ressent à cet instant ?
— « Je n'ai pas tant de souvenirs que cela, je progresse encore lentement », répond-il lentement.
— « Mais tu retrouves des souvenirs ! », insiste Clint.
— « … Je pense que je ne suis pas encore prêt, j'ai besoin de plus de temps. … J'habite à Eureka, c'est devenu ma maison depuis les neuf derniers mois. Tu ne peux pas me demander de tout abandonner d'un coup pour repartir avec vous. »
Bucky a conscience que son soupir de soulagement est horriblement bruyant. Peut-être moins qu'il ne l'imagine en réalité soyons sérieux aucun soupir ne pourrait raisonnablement soulever la toiture d'une maison comme les vents d'une tempête de force douze – la pire de toute
Clint se lève et suit Natasha dans le salon. Il pose la vaisselle brusquement sur l'îlot central.
— « Être dans un environnement familier, avec des gens qui te connaissent et qui t'aiment t'aideront à retrouver tes souvenirs. Je me suis beaucoup documenté à ce sujet sur le net depuis qu'on t'a retrouvé, je peux te montrer mes notes si tu veux », reprend-il.
— « Ce ne sera pas nécessaire, Clint, il faut laisser le temps au temps. Je suis… heureux de ce qui m'arrive mais il n'y a rien de presser. »
— « Tu dois rentrer à San Francisco avec nous, Steve. »
Il tend les verres et la pelle à tarte à Chris qui reprend la vaisselle, les mains dans l'eau chaude et savonneuse à l'hibiscus. À la façon dont le blond plisse les yeux, Bucky songe que cette vue doit être inaccoutumée pour lui il a envie de lui crier que lui aussi connaît Chris et qu'il l'aime.
— « Steve, ne fais pas comme si tu ne m'entendais pas. Tu as toujours été un homme pragmatique et raisonnable, tu sais que c'est la bonne chose à faire », répète Clint.
Le brun lui jette un regard noir.
Veut-il lui donner un texte à lire aussi, avec les répliques adéquates pour que cette comédie s'achève dans le sens qu'il désire ? Une pièce de théâtre qui se terminerait avec de grandes claques dans le dos, des rires et des sourires, des paroles amusées disant : « Tu vois, c'était la chose à faire » ?
Clint est oppressant, stressant, désagréablement insistant.
Sa manière d'infantiliser Chris et ses réponses sont insupportables pour Bucky. Une personne qui tiendrait vraiment à lui ne tenterait pas de l'influencer comme il le fait et respecterait sa décision. N'est-ce pas ce que le brun s'impose en souffrant en silence ? Il aurait bien des raisons de protester, de rouspéter et de vouloir enfermer Chris chez eux, dans leur maison en oubliant le reste du monde. Pourtant il ne dit rien. Il est un soutien silencieux et compréhensif – du moins, il l'espère – parce qu'il aime Chris et qu'il n'est pas un homme égoïste.
Les deux hommes échangent un regard alors que le blond lui tend un verre propre à essuyer. Une fine ride creuse son front entre ses sourcils inquiétude, appréhension, incertitude, gêne aussi. Bucky lève une main et la lisse doucement de son pouce, un sourire tendre aux lèvres, et Chris rit légèrement parce que son doigt est mouillé. Clint renifle bruyamment non loin d'eux.
Le couple se regarde encore, partageant une discussion silencieuse. Bucky a la gorge un peu serrée de toute manière. Que pourrait-il dire en se montrant toujours empathique, compréhensif et surtout – surtout – pas égoïste ?
Il n'a pas tort. Tu devrais l'écouter et accepter d'aller à San Francisco. C'est normal.
Clint se trompe, il attend trop de toi. Tu devrais te laisser encore du temps.
Retourner à San Francisco pourrait t'aider à guérir et je veux que tu sois heureux.
Préserve-toi, tu as encore des migraines. Il faudrait sans doute que tu voies ton neurologue pour lui demander son avis.
— « Steve ! », l'interpelle Clint avec insistance.
— « J'ai un travail, des responsabilités et les médecins qui me suivent depuis mon accident sont ici, à l'hôpital Providence Saint-Joseph. »
— « Un dossier médical, ça se transfère. Les médecins de San Francisco sont sans doute bien meilleurs que ceux que tu consultes ici », réplique le blond avec morgue.
— « Je n'en suis pas sûr, ils ne me connaissent pas. »
— « Toi non plus tu ne te connais pas, tu es devenu amnésique ! Tu ne te connais plus, tu t'es construit une foutue autre vie ici mais ce n'est pas toi, Steve ! »
Clint éclate de colère et c'est violent. Il parle avec les mains, vocifère des imprécations exaspérées. Natasha tente de le raisonner, sans succès. Elle a vu Bucky se décomposer aux mots belliqueux de son ami.
Chris s'est retourné vers eux, les reins calés contre le bord du plan de travail et il se frotte machinalement le front et la tempe droite du bout des doigts. Clint va et vient dans le salon d'un pas de tempête, toujours bruyant et insultant, affirmant des choses d'un ton si catégorique que le brun ignore comment y répondre. Sa gorge est trop serrée, il sent une sueur glacée couvrir ses épaules et couler dans son dos.
— « Steve ! », répète encore Clint en se tournant vers eux.
Le jeune homme pince les lèvres et hausse légèrement les épaules.
— « C'est compliqué, Clint… »
Exaspéré, les traits contractés – sans doute parce qu'il est bouleversé mais Bucky ne peut pas éprouver d'empathie pour lui, pas comme ça et pas maintenant – Clint se détourne brusquement. Il traverse le salon, retourne sur la terrasse pour récupérer sa veste, posée sur le dos de sa chaise. Il revient et le brun lui trouve l'air vaguement menaçant jusqu'à ce qu'il sorte son portable d'une de ses poches. Clint jette son vêtement sur le canapé avant de commencer à composer un numéro. Bucky songe distraitement qu'il est heureux que Sandy ne soit pas avec eux – il l'a soigneusement enfermé dans leur chambre avec ses jouets devant tant de tension, la chienne serait intenable et il songe encore à la manière dont elle a essayé de mordre Clint il y a trois jours. Sandy n'a pourtant jamais mordu personne tout fout le camp.
Le blond colle l'appareil à son oreille, pianote nerveusement du bout des doigts sur l'îlot central. Quand son interlocuteur décroche, le sourire de triomphe qui illumine son visage donne la nausée à Bucky. Toute l'attitude de Clint change. La ligne crispée de ses épaules s'adoucit, les traits froissés de son visage se détendent. Ça ressemble à la figure d'un vainqueur et le brun déteste ça. Il se promet que si Clint a joint cette Sharon, il lui arrachera son portable des mains et le jettera dehors. Il ne se laissera pas insulter dans sa propre maison en voyant son invité mettre son compagnon en contact avec une de ses prétendantes. Il y a des limites à ce que sa bonne composition et son amour pour Chris peuvent lui faire accepter.
Bucky inspire profondément, se répète un des innombrables mantras qu'il a fais sien ces dernières soixante-douze heures. L'amnésie ne peut pas influer sur des comportements personnels, elle ne transforme par un homme hétérosexuel en un homme attiré par les hommes. Chris n'est pas soudain devenu gay parce qu'il était en sa compagnie, ce qui existe entre eux est vrai. C'est de l'amour, pas de la reconnaissance.
— « Allô ? Mrs. Rogers ? C'est Clint, Clint Barton. »
Là, Bucky se sent pâlir il dévisage le blond d'un air parfaitement interdit. Comme ose-t-il ? Il tourne la tête vers Chris, cherche sa main pour la serrer fort dans la sienne. Le visage de son compagnon est exsangue. Il a cessé de se frotter le front, il dévisage Clint. Chris est pétrifié. Bucky parvient à effleurer ses doigts mais le blond s'éloigne de lui sans le réaliser, s'avance vers l'îlot central. Il pose les mains sur le plan de travail, serre les poings. Natasha tente de faire raccrocher son ami, Clint la repousse vivement.
— « Oui, Natasha et moi sommes toujours à Eureka. Je suis avec Steve… (…) Oui, bien sûr qu'il est prêt à vous parler. »
Chris écarquille les yeux, bouleversé.
Clint pose son portable contre son torse pour étouffer le haut-parleur. Ses yeux luisent d'une lueur de triomphe tandis que les traits de son visage semblent d'airain. Il y a longtemps – lors de sa première année de lycée croit-il se souvenir – le brun est allé au Arkley Center for the Performing Acts d'Eureka vec Winnifred Barnes pour aller voir une pièce classique. Les costumes étaient superbes mais du haut de ses quinze ans, il avait été frappé par la statue du Commandeur dans le dernier acte une statue que la mise en scène avait transformé en une monumentale et écrasante allégorie de la Justice et du Devoir. C'est faire sans doute trop d'honneur au blond mais à cet instant, Clint lui rappelle un peu cette figure. La pièce se termine mal pour Dom Juan.
— « Ta mère souhaite te parler Steve. Si tu n'es pas encore prêt à rentrer à San Francisco, alors annonce-le lui toi-même. Vas-y, elle attend juste d'entendre ta voix depuis neuf mois », dit-il d'un ton cinglant.
— « Clint, s'il te plaît… », souffle Natasha d'une voix blanche.
Clint tend son portable à Chris, le jeune homme s'en empare lentement. Il appuie l'appareil à son oreille avec précaution, comme s'il allait l'électrocuter ou le mordre comme s'il pouvait lui faire du mal.
Bucky en est persuadé, le pouvoir de nuisance de ce smartphone dernier cri est considérable.
— « … Allô ? »
C'est un souffle à peine audible, une petite voix un peu fragile et incertaine. Bucky observe son visage en silence. Ses joues exsangues s'empourprent soudains ses yeux s'embuent de larmes. Chris tâtonne machinalement autour de lui et le brun est une bonne personne alors il tire un des hauts tabourets installés autour de l'îlot central vers lui pour lui. Chris s'y laisse lourdement tomber et enfouie son visage dans sa main.
- « Maman… », chuchote-t-il.
Sa voix est lourde de sanglots. Vague incrédulité mais surtout soulagement presque palpable. Et du bonheur.
Bucky sait que son compagnon a sa réponse. C'est un oui, il va rentrer à San Francisco.
Il replie avec soin le torchon humide, le pose sur le plan de travail à côté de l'évier avant de quitter lentement la cuisine. Il reste du linge à plier et à ranger dans leur dressing, notamment le polo préféré de Chris qui le met tant en valeur, bleu et crème. Il souhaitera sans doute partir avec quand le moment sera venu.
La gorge serrée, il monte les escaliers pour gagner leur chambre. Bucky tente de se persuader qu'il s'en va par discrétion, pour laisser un peu d'intimité à son compagnon que ce n'est pas une fuite. Pourtant, quand il entend Chris rire doucement, avec tendresse, il presse le pas.
Ce rire qu'il aime tant, c'est le glas qui sonne.
o0O0o
Bucky a l'impression de passer un temps infini assis sur leur lit, les vêtements froissés épars sur ses genoux parce qu'il ne parvient pas à les plier. Sandy est vautrée à ses côtés sur le matelas même si cela lui est formellement interdit, la tête posée sur sa cuisse. Elle bave un peu sur un short propre mais il ne la repousse pas.
Qu'importe puisque tout fout le camp.
Quand Chris monte le rejoindre, il lui annonce doucement que Clint et Natasha s'en vont. Bucky refuse de descendre les saluer, son compagnon n'insiste pas. Debout devant lui, il enroule une main autour de sa nuque et l'embrasse doucement avant de s'éclipser. Sur le pas de la porte, le brun entend Clint rire – il serre probablement chaleureusement Chris dans ses bras – et partager bruyamment son contentement.
— « À demain Steve ! Tiens-toi prêt ! », crie-t-il une dernière fois.
Ça l'achève, il ne parvient même pas à se réjouir d'entendre enfin le moteur de leur Toyota de location alors que le blond et son amie quittent leur maison.
Bucky perçoit encore quelques bruits depuis le rez-de-chaussée, le blond termine probablement de ranger la cuisine et la terrasse. Silencieux, toujours assis sur leur lit et une main perdue dans la fourrure douce et chaude de Sandy, il l'attend.
Chris remonte finalement, s'assoit lentement à ses côtés.
Avec un peu d'hésitation et beaucoup de pudeur, il commence doucement à lui raconter ce qu'il a manqué. Le brun est fou amoureux de lui alors il l'encourage d'un sourire. C'est pourtant un peu nébuleux à ses oreilles et il n'en retient guère que la moitié puis que l'essentiel. Steve Rogers a une mère qui attend son retour. Pleine de délicatesse, elle a demandé à Clint de ne pas les mettre directement en contact pour ne pas le troubler mais elle a pleuré de soulagement quand ils se sont parlés. Sarah Rogers l'a appelé son tout petit et d'autres surnoms tendres. Des mots de mère. Winnifred Barnes faisait la même chose, Bucky était tour à tour son petit poisson et son écureuil.
Chris passe une main dans ses cheveux et sa nuque.
— « Je veux parler de tout ça avec toi, Bucky », souffle-t-il doucement.
— « Tu sais déjà ce que tu veux faire. … Tu vas rentrer à San Francisco », répond le brun.
— « Je vais aller à San Francisco et voir pour la suite. J'habite ici avec toi, je suis en couple avec toi », le corrige son compagnon.
— « C'est la vie de Chris Doe, celle de Steve Rogers est là-bas. » Bucky serre les doigts sur le jersey de sport posé sur ses genoux. « … Tu as ta mère. Tu ne peux pas rester à Eureka. »
Chris soupire. Il enroule un bras autour de sa taille pour l'attirer à lui, le brun s'appuie lourdement contre son torse. Son compagnon caresse sa nuque de son pouce.
— « C'est tellement le bordel… »
Bucky exhale un rire un peu étranglé et sans joie. Chris ne jure jamais.
Il hocha lentement la tête, frotte sa joue contre son épaule tout en serrant gentiment sa main dans la sienne. Le blond porte leurs doigts à ses lèvres et les embrasse fiévreusement. Bucky a envie de pleurer il n'a pas pleuré depuis l'enterrement de sa mère il y a des années.
— « C'est tellement le bordel… », répète-t-il.
Chris tourne la tête pour embrasser sa tempe, son nez effleure la peau chaude. Le brun ferme les yeux.
— « Peu importe ce que tu décides, je serais d'accord avec toi. Je fais partie de ta vie ici, pas de l'autre. Je n'aime même pas vraiment San Francisco… », reprend-il avec une malice qui sonne creux.
Son compagnon lui pince doucement le cou et Bucky gigote un peu. C'est vrai, lui non plus n'a pas vraiment envie de rire.
— « Tu es un homme obstiné. Mes souvenirs sont encore flous mais tu fais partie de ma vie, Bucky. Je suis le même homme avec juste une histoire un peu plus riche que celle des autres. Je suis amoureux de toi, je ne veux pas te tenir à l'écart. Je ne veux pas que tu le sois », grommelle Chris.
Le brun acquiesce doucement, touché par ses paroles mais sa propre décision est aussi déjà prise. Son compagnon a choisi, il ne peut pas exiger de lui qu'il reste à Eureka, l'écraser sous ses propres incertitudes et ses angoisses à l'idée de le perdre s'il s'éloigne ne serait-ce que de cent kilomètres du comté d'Humboldt.
Bucky tourne la tête, cherche ses lèvres pour l'embrasser.
Chris serre sa nuque, enfonce ses ongles dans sa chair tendre pour le garder contre lui tandis qu'il envahit méthodiquement sa bouche de sa langue. Chaud, bon, langoureux. Un peu désespéré. Ils basculent sur le matelas dans un certain désordre de membres mais ils ne se séparent pas. Sandy couine son désaccord parce que le lit tangue et qu'ils la dérangent dans son sommeil. Le couple se serre seulement plus fort. Il reste longtemps emmêlé ainsi à s'embrasser et à se réchauffer parce qu'ils ont un peu froid. Bucky en profite tout en se demandant le brun se demande vaguement si leurs étreintes auront toujours ce goût un peu amer à présent. Il a retenu que Clint et Natasha revenaient encore le lendemain pour discuter des Détails de La Suite.
Chris et lui doivent encore longuement parler mais, un peu lâchement, il essaye de repousser ce moment.
