Mes petits chats,
Ce soir, je vous propose une nouvelle partie de "L'homme de la plage".
Puisque nous entrons pleinement dans le dernier grand chapitre de cette histoire, le type de publication va légèrement changer. Bucky et Steve/Chris sont séparés et habitent respectivement à Manila et San Francisco aussi le séquençage de l'histoire suivra cette distinction. Un peu de la même manière que les jours s'écoulent, que chacun vit de micro-événements de son côté, je publierai par alternance les journées de leur point de vue respectif. Il s'agira de tranches de vie, parfois importantes et d'autres fois un peu plus futiles ; comme la vie. Les chapitres seront donc de taille inégale mais cela me semble plus cohérent.
Comme d'habitude pour les curieux, quelques notes explicatives ci-dessous si vous le souhaitez.
A tous, je vous souhaite une bonne lecture et vous dit à bientôt.
Bien à vous,
ChatonLakmé
La catharsis est un concept philosophique de la Grèce antique que l'on peut traduire par «purification». Il désigne donc le rapport de chacun à l'égard des passions humaines, qu'elles soient positives ou négatives. Dans le domaine théâtral, la catharsis a été théorisée au XVIIe siècle. Elle désigne le fait pour un spectateur d'être purifié de ses propres passions en les voyant représenter devant lui sur scène, notamment les plus puissantes d'entre elles telles que la terreur ou la pitié.
Harlequin est une collection très célèbre de l'éditeur américain HarperCollins, entièrement dédiée au roman sentimental. Cette collection est devenue une référence pour le grand public au point de devenir un nom à part entière: le roman Harlequin. Le terme est également utilisé par ses détracteurs pour désigner de manière péjorative des livres au style et au scénario un peu fade et stéréotypé (les romans de la collection Harlequin ne prétendent toutefois pas être de la grande littérature…). HarperCollections détient grâce à sa collection 70% du marché mondial du livre sentimental.
Le Muni Metro (pour Metropolitan Railway) désigne le réseau de métro léger qui desserre le nord de la péninsule de San Francisco, actif depuis 1980. Il compte 33 stations dont neuf souterraines réparties sur sept lignes différentes. Compte tenu de mes expériences parisiennes, je me suis dit que Steve pouvait effectivement ne pas avoir de réseau sous terre.
L'homme de la plage
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Vingt-neuvième partie
Début avril
Bucky se réveille un peu groggy, la bouche pâteuse et le corps lent.
Il roule lentement sur le lit et enfouie son visage dans l'oreiller de Chris. Il inspire profondément. Seulement huit nuits hors de la maison et le parfum de son compagnon commence à s'estomper. Il ne peut rien y faire, Chris est parti à San Francisco avec son after-shave et merde, ce serait foutrement sentimental.
Le brun frotte doucement sa joue contre la taie, ses doigts errent dans les draps comme pour toucher un corps invisible.
Il ouvre les yeux et esquisse un sourire amer. Il est déjà atrocement sentimental.
Bucky tâtonne sur le matelas pour retrouver son portable et déverrouille l'écran.
Sa conversation avec Chris a été coupée après plus de trois heures, probablement par son compagnon car il ne se souvient pas de l'avoir fait. Le brun a dû s'endormir avant lui, bercé par ses commentaires devant un autre épisode de Hell's Kitchen qu'il a fini par abandonner pour aller se coucher. Les exclamations et les vociférations de Chris étaient suffisantes pour comprendre l'essentiel de l'action et vraiment, il déteste Gorgon Ramsay. En laissant l'appareil sur l'oreiller voisin du sien, c'est un peu comme s'ils étaient ensemble.
Il sourit. Son compagnon lui a envoyé un message pour lui souhaiter une bonne journée; comme il le fait chaque matin depuis huit jours. Cela lui fait du bien et l'empêcher de penser un peu trop au fait que Chris est à plus de quatre cents kilomètres d'Eureka.
Il préfère se dire que le blond était en déplacement professionnel prolongé; juste un déplacement, avec une date de début et une date de fin.
Sur le calendrier fixé au frigo, les jours passés ont été surlignés d'un coup de marqueur. Bien, jour suivant. Le samedi de la semaine – après-demain donc – est entouré au feutre rouge.
Cette date aurait dû être celle du retour de Chris à la maison, le brun sait déjà qu'il ne sera pas chez eux.
Chris Doe s'efface – non, il se mêle plutôt à Steve Rogers pour ne former qu'un; une autre personne que Bucky entend et apprend à connaître à chaque fois qu'ils se parlent au téléphone. Chris – dont la voix a eu un trémolo quand il lui a avoué douter de son voyage à San Francisco – n'a plus la moindre hésitation à présent. Trois soirs de suite, le couple n'a pas dîné ensemble devant un stupide programme culinaire parce que Chris – non, Steve – était avec sa mère ou ses amis. Le brun fait preuve d'une belle abnégation – non, ce n'est rien, il comprend – et se plonge dans le travail car il est en retard dans sa traduction.
Bucky se redresse contre ses oreillers et jette un regard à Manila Beach par la baie vitrée.
Le soleil est éclatant, le ciel incroyablement bleu et limpide.
La journée va être belle et c'est un peu agaçant.
Il repousse les couvertures et balance ses jambes hors du lit. Couchée dans son panier dans un rayon de soleil, Sandy redresse la tête et le rejoint en couinant doucement, quémandant quelques caresses matinales.
—«Bonjour Sand'», dit-il en l'embrassant sur le front.
Tandis qu'il prend une douche rapide, il laisse la chienne se rouler dans les draps défaits. Pas important.
Bucky se prépare un café et le boit sur la terrasse, face à l'océan tandis que Sandy trottine déjà sur le sable tiède de Manila Beach. Il s'accoude à la rambarde pour la surveiller.
Dans son dos, le chroniqueur infos de KMUD égrène les dernières nouvelles du comté d'Humboldt depuis le poste de radio du salon. Connor Barnet Jr. ne parle pas du départ de Chris – non, Steve! – ce serait ridicule.
Le brun passe une main dans ses cheveux.
L'océan a été agité la nuit dernière et des morceaux de bois flottés se sont échoués la plage. Certains ont des formes baroques – Chris trouverait une jolie manière de les arranger – non Steve, oh et puis merde! – mais l'un d'entre eux décrit un bel arc de cercle. Il formerait une arche parfaite pour le mariage de Sam et Maria. Ou pour couronner leur tête de lit.
La truffe et la queue en l'air, Sandy s'approche des vagues, l'air de rien. Bucky ricane et la siffle pour la faire rentrer dans le salon.
Le brun récupère un paquet de biscuits dans la cuisine et va s'installer dans son bureau. Il laisse la porte entrouverte dans son dos, il a besoin d'entendre les petits bruits que fait la chienne dans la maison. Ça étouffe le silence et le fait qu'ils ne sont plus que deux.
Bucky rouvre son fichier Word et ses dictionnaires avant de reprendre sa lecture attentive de son chapitre en cours.
Sur l'écran, le curseur clignote doucement sur la page informatique. Le pointeur de sa souri a la forme d'une petite main avec l'index dressé, le brun a trouvé cela amusant même s'il distingue un peu moins bien l'endroit où il clique. Pas important non plus.
Concentré, il remplit le document a une allure régulière, laisse dans la marge des marques-pages avec des notes complémentaires pour le Pr. Chemay de l'université d'Arizona.
Bucky fait les choses bien même s'il déteste autant la jeune femme.
Le brun relit son travail de la matinée avec attention, reprend un passage un peu déplaisant puis s'étire longuement. Son dos craque, il fait rouler ses épaules avec attention et étire sa nuque avec précaution.
L'horloge numérique de son ordinateur indique treize heures quarante et il hausse un sourcil. Le temps est passé vite; ça c'est important.
Bucky regagne la cuisine pour se préparer un en-cas, Sandy sur les talons.
Alors qu'il tartine un morceau de pain de beurre de cacahuète, son portable sonne. C'est Sam et l'écran lui indique deux appels manqués de son ami. Mince. Le brun pose le couteau en équilibre sur le pot et décroche.
—«Sam? Excuse-moi de t'avoir manqué, je –»
—«Je t'attends Buck'.»
—«… Pourquoi? À quel sujet?»
Il reprend le couteau et tente de poursuivre sa tartine, le portable coincé contre son oreille. Sam l'attend pour quoi faire au juste?
—«Pourquoi quoi? Pourquoi je t'attends depuis plus d'une demi-heure à la terrasse de Marley's Seafood? Maria et moi sommes rentrés de la Forêt nationale Six Rivers hier, nous avions prévu de déjeuner ensemble ce midi. Toi et moi.»
Bucky repose lentement le couteau – il a du beurre de cacahuète sur les doigts – et jette un regard au calendrier du frigo. C'est vrai. Il n'a pas fait attention, il a oublié que ses amis avaient pris une semaine de congés et étaient partis à Hoopa au nord du comté, sans réseau téléphonique excepté pour les urgences. Le brun a oublié. Depuis huit jours, il ne regarde que les jours de la semaine qu'il biffe de cet orange fluorescent indiquant que Chris n'est pas à la maison. Merde.
—«J'étais un peu en retard, je ne me suis pas inquiété mais quand j'ai vu que tu n'arrivais pas et que tu ne répondais pas à mes appels, j'ai légèrement commencé à paniquer. Bon sang, j'étais sur le point de débarquer chez vous en urgence alors que j'ai réservé une place chez Marley's et tu sais combien c'est difficile. Je peux comprendre que Chris et toi soyez toujours en lune de miel quand vous êtes ensemble mais sérieusement, essayez un peu de vous intéresser au monde autour de vous, les gars!»
—«Je –»
—« Pas d'excuse mon pote, j'étais vraiment inquiet!»
—«J'en suis sûr et je suis désolé de t'avoir fait faux bond mais –»
—«Chris aussi ne répond pas! La prochaine fois que l'on se voit, je veux absolument que tu me donnes son numéro professionnel. Je veux avoir un autre moyen de le contacter quand il ne répond pas sur son portable personnel!»
Ah ah ah, c'est amusant.
Bucky courbe l'échine et laisse passer la tempête. Il pianote sur le plan de travail, étalant un peu plus le beurre de cacahuète sur ses doigts. Chris ne répond pas parce qu'il garde son portable personnel soigneusement rangé loin de ses doigts pendant la journée. Il lui a avoué s'être fait sermonné par John Castelain fils – tout bienveillant soit-il compte-tenu de sa situation – sur sa distraction à son bureau. Les deux hommes ne s'appartiennent qu'en dehors des horaires de travail de Chris, le brun trouve ça ridicule.
—«Il est presque quatorze heures, est-ce que tu sais pourquoi son portable est éteint? Est-ce qu'il est en rendez-vous extérieur? Tu pourras lui dire que c'est assez imprudent, comment est-ce que nous sommes censés le prévenir de quoi que ce soit s'il garde son téléphone éteint?»
Le brun laisse Sam passer sa frustration et son inquiétude sur lui. Il sait qu'il a fait une erreur mais entendre son ami continuer à parler de Chris – qui serait en rendez-vous en dehors d'Eureka, qu'est-ce qu'on s'amuse – lui fait grincer douloureusement les dents. Sam reprend sa respiration, il tente sa chance. Il faut qu'ils parlent d'autre chose, vite.
—«Est-ce que votre lodge à Hoopa était bien?», essaye-t-il.
—«Ah non Buck', n'essaye pas de changer de sujet!»
—«Tu te comportes comme si tu étais mon père», marmotte le brun.
—«Laisse-moi terminer alors! Je te promets que si tu manques aussi notre rendez-vous chez le tailleur pour l'essayage de mon costume, je ne te parle plus pendant un mois. Tu m'as promis que tu serais là. Tu sais que j'ai besoin de toi, je n'arriverai jamais à me décider seul et ma tension artérielle bondit à vingt-six quand j'y pense!»
—«Je ne suis pas médecin mais je suis presque sûr que c'est impossible…»
—«Fait quand même ce qu'il faut pour que cela n'arrive jamais ou je risque très littéralement d'exploser.»
—«Bordel Sam, je serai là même si je sais que tu es incapable de mettre tes menaces à exécution. Tu m'avais menacé de la même chose en deuxième année de collège quand je m'étais retrouvé dans une autre équipe de basket que la tienne pour le tournoi inter-lycées. Pour l'amour de dieu, tu es un homme de trente-six ans, trouve autre chose pour menacer notre amitié!», s'agace le brun d'un ton particulièrement sec.
Un silence confus et un peu interdit lui répond dans le combiné.
Bucky a les poings serrés – du beurre de cacahuète sous les ongles et dans la paume – et sa respiration est un peu hachée.
Chris est silencieux? Merci, il ne le sait que trop bien. Que son compagnon doive garder son portable loin de lui pendant la journée est une chose; qu'il n'ait pas répondu à l'adorable photo de Sandy enroulé dans son jersey de sport qu'il a envoyé hier en est une autre.
Portable éteint et pas de réponse quand Sam l'appelle?
Bucky ne sait même pas où se trouve son compagnon, ni ce qu'il est en train de faire, ni en compagnie de qui. Il ne sait pas.
—«… Tu ne me parles jamais comme ça Buck'. Qu'est-ce qu'il se passe?»
Le brun garde un silence buté, c'est son tour de manifester sa colère.
Dans le combiné, il entend Sam rire doucement, l'air un peu gêné.
—«… Ce n'est pas si grave dans le fond, nous avons tous déjà manqué un rendez-vous par inadvertance. Chris a fait la même chose avec Miss Patty une fois, tu te souviens? Elle avait menacé de le raser s'il manquait à nouveau à sa parole mais ce n'est pas grand-chose, même rasé ce mec serait toujours un canon de beauté. … Je me suis juste inquiété, tu comprends?»
—«… Je comprends.»
—«Bien. Donc tu me certifies que tu vas bien et que tu m'invites à déjeuner la prochaine fois? Nous pourrions essayer ce nouveau restaurant italien sur H Street et Chris nous accompagnerait. Il a dit qu'il voulait découvrir leur nouvelle carte.»
Bucky déglutit douloureusement.
Oui, son compagnon le lui a dit; le prospectus annonçant la réouverture du restaurant après travaux est toujours accroché au frigo. Il parlait déjà avec une adorable gourmandise de la carte des desserts. Le goût de Chris pour le sucré est un fait établi, la seule inconnue à présent est la date à laquelle ils pourront faire cette sortie ensemble.
Le brun passe une main dans ses cheveux puis crispe ses doigts sur sa nuque. Il tire sur une longue mèche, un geste répétitif un peu rassurant alors que sa gorge se serre encore.
Ce n'est pas comme s'il pouvait réellement continuer à vivre ainsi isolé chez lui; à faire comme si l'absence de Chris n'était qu'une désagréable parenthèse. Ce n'est pas grand-chose, il n'aurait même pas besoin d'en parler autour de lui parce qu'à peine le temps d'ouvrir la bouche, elle se serait déjà refermée et tout serait comme avant.
… Il ne peut pas.
Bucky inspire, prêt à se lancer. Sam rit à son oreille.
—«Tu ne dis rien parce qu'on avait prévu de déjeuner juste toi et moi? Oh Buck', tu es tellement romantique. Je me suis dit que cela ne te dérangerait pas et je dois aussi parler du mariage avec Chris.»
—«Chris est parti.»
Un silence lui répond avant que son ami ne ricane légèrement.
—«Oui, il est parti maintenant mais il rentrera ce soir chez vous et tu l'accueilleras d'un baiser pour lui souhaiter bon retour . Il a un chantier à l'extérieur d'Eureka, c'est ça? C'est déjà arrivé Bucky et tu as toujours survécu. Chris va revenir.»
Le brun secoue la tête tandis qu'il tire plus fort sur ses cheveux. Son cuir chevelu picote désagréablement mais il continue. Il enroule son index dans une mèche et tire, tire, tire…
—«Non Sam, il est parti», répète-t-il.
Sam ne comprend-il pas à l'intonation de sa voix? Bucky pense que c'est suffisant pour qu'il n'ait pas à en dire beaucoup plus… n'est-ce pas? Son ami soupire, le brun a l'impression de le voir rouler des yeux.
—«Ce n'est pas parce que tu dis la même chose plus lentement que je vais comprendre autre chose que ce que je sais déjà. Et en quoi le fait qu'il soit parti travailler t'empêche de me donner son numéro de portable professionnel d'ailleurs? Je pense que c'est vraiment plus prudent d'avoir les deux Buck', on ne sait jamais ce qu'il peut se passer.»
Ah oui, on ne sait jamais de quoi est fait demain. Ni l'événement tout à fait inattendu qui peut vous tomber dessus sans crier gare. Le brun ricane d'un ton particulièrement grinçant tandis qu'il enfonce son visage dans sa paume. Bon sang, Sam va vraiment l'obliger à lui faire dire ça.
—«Ce n'est pas –»
—«Maintenant que je sais que tu n'es pas à l'article de la mort, est-ce que tu veux bien essayer de me rejoindre chez Marley's? Tu es mon meilleur ami alors je suis prêt à t'attendre. (…) Presse-toi tout de même un peu, je commence vraiment à avoir faim et le service se termine bientôt.»
La boule grossit dans sa gorge. Énorme. Monstrueuse. Étouffante.
Le brun jette un regard au calendrier surligné d'orange criard. Retour prévu après-demain. Chris ne l'a pas encore appelé de la journée mais il sait déjà ce qu'il va lui dire.
Bucky enfonce sa tête entre ses épaules. Peut-être a-t-il plus besoin d'une épaule sur laquelle s'appuyer qu'il ne le pensait. David a accueilli la nouvelle du départ de son maître d'œuvre avec compréhension mauis les deux hommes ne se sont pas réellement étendus sur sa raison exacte. Tout était tellement en bordel dans leur vie depuis quinze jours.
—« Bucky? Tu es toujours avec moi? La faim te distrait peut-être?»
Son ami rit joyeusement mais le brun esquisse seulement un sourire très tordu et très laid dans la solitude de sa maison. C'est juste trop gros dans sa poitrine, ça coince dans sa cage thoracique et il a besoin de respirer normalement. Sam ne sera pas compréhensif – il a toujours été un peu grandiloquent et dramatique – mais c'est exactement ce dont il a besoin. Ça s'appelle la catharsis et c'est censé le faire aller mieux.
—«Chris est à San Francisco.»
—«Qu'est-ce que ton copain fait à San Francisco? David a des prétentions immobilières là-bas?»
—«Il n'y est pas pour le travail.»
—«Il est parti en vacances sans toi? Comment est-ce possible?»
Sam glousse et Bucky serre les poings. Il se lèche les lèvres, elles sont sèches.
—«La ferme Sam. Il est là-bas parce qu'il commence à se souvenir.»
Voilà.
La Nouvelle.
Paf. Bruit d'explosion. Vision d'un champignon nucléaire comme dans une de ses séries animées que Sam et lui aimaient regarder quand ils étaient gamins. C'est bruyant et ça emporte tout sur son passage, les arbres se couchent comme des brindilles à cause du souffle radioactif et souvent, le personnage principal en perd ses habits jusqu'à son caleçon. Ah ah, c'est si drôle.
Le brun se frotte durement le visage.
Le silence dans le combiné est soudain assourdissant.
Bucky sent Sandy contre lui, elle pousse doucement son museau contre sa cuisse et il la gratte gentiment entre les deux oreilles. Elle gémit imperceptiblement, une petite complainte douce et triste. Il doit vraiment sentir le chagrin si Sandy quitte son panier en plein soleil pour venir le réconforter.
—«… Est-ce que tu es chez toi Buck'? J'arrive dans quinze minutes, je… (Son ami inspire brusquement.) Quinze minutes mon pote, d'accord?»
—«… Si tu veux», répond mollement le brun.
—«Un peu que je veux. Et je t'interdis de t'enfuir.»
Bucky hausse les épaules. Ses doigts se perdent sur le poitrail de Sandy tandis que la chienne se frotte encore contre sa cuisse.
Il raccroche lentement, pose son portable sur l'îlot central de la cuisine. Il termine ses sandwiches au beurre de cacahuète puis va s'installer sur la terrasse.
Assis sur la première marche de l'escalier, Sandy affalée contre lui, le brun mâche distraitement.
La chienne a la tête posée entre ses pattes, les yeux à demi-fermés et elle regarde Manila Beach. Elle frémit à peine quand le moteur de la Chrysler de Sam résonne devant la maison. Elle ne tourne pas la tête quand le jeune homme entre dans le salon sans sonner ni frapper, en familier.
—«Buck'?»
—«Je suis sur la terrasse Sam.»
Le brun termine son premier sandwich et suce son pouce couvert de beurre de cacahuète. C'est bon mais la garniture coule toujours un peu sur les côtés et il s'en met sur les mains.
Bucky salue son ami d'un signe de la tête quand il apparaît soudain derrière lui.
—«Il y a du café si tu veux», indique Bucky en levant son mug entre eux.
Sam ne répond pas, il se laisse simplement tomber sur un fauteuil voisin. Le brun hausse les épaules. Comme il veut, ces grains du Venezuela sont bons pourtant. Chris les a achetés au dernier marché local d'Eureka il y a presque une semaine, il ne les a même pas goûté. Foutue vie.
—«Tu peux aussi te faire un sandwich au beurre de cacahuète si tu préfères, je n'ai pas rangé le pot.»
—«Je te remercie mais je me fous de prendre un café ou de manger un sandwich en ce moment. Qu'est-ce que c'est que cette histoire?!», souffle Sam en s'affalant contre le dossier.
Bucky esquisse un sourire triste et baisse les yeux sur ses genoux. Il passe son pouce sur le rebord de sa tasse, ignorant Sandy qui lèche paresseusement le beurre de cacahuète sur les doigts de son autre main.
—«C'est ce que je t'ai dit. Chris commence à retrouver ses souvenirs, il est à San Francisco depuis mardi dernier.»
—«Depuis – Merde. Comment –»
—«Il s'appelle Steve Rogers au fait.»
—«C'est mieux que John mais moins bien que Chris», renifle légèrement Sam.
Bucky acquiesce lentement. Il n'y avait aucun prénom meilleur que Chris, c'était le sien.
Son ami se redresse, se penche en avant et appuie les coudes sur ses cuisses, les mains nouées entre elles.
—«Explique-moi exactement ce qu'il s'est passé Buck'.»
—«Il s'est souvenu et –»
—«Non mec, regarde-moi et raconte-moi exactement toute l'histoire. Comment est-ce que les choses ont pu évoluer de la sorte en à peine quelques jours? Maria et moi n'avons été absent qu'une semaine. Chris se portait très bien, ses migraines étaient moins fréquentes.»
—«Il s'est refait une entorse aux doigts de la main droite», dit doucement Bucky.
—«Ne te fous pas de moi. Si ça a le moindre rapport avec la fin de son amnésie, je te promets que je mange mon diplôme», grogne Sam.
Le brun esquisse un sourire, petit, très petit.
—«Un homme amnésique ne retrouve pas soudainement ses souvenirs en se réveillant le matin devant son café. Ce genre de chose n'arrive que dans les films et encore, pas dans les meilleurs. Qu'est-ce qu'il s'est passé nom de Dieu?!», poursuit son ami avec agitation avant de tourner la tête vers le salon. «… Merde, il n'y a vraiment plus sa veste dans l'entrée.»
—«Chris l'a prise avec lui à San Francisco. C'est amusant parce qu'il semble que Steve Rogers n'aime pas porter de cuir…»
Sam fronce les sourcils, dessinant une ligne dure et réprobatrice sur son front.
Bucky enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Bien sûr, il n'est pas drôle. Il doit même avoir l'air particulièrement misérable parce que son ami n'ajoute rien. À la place, il passe une main dans ses cheveux courts et se frictionne fort le crâne.
—«Explique-moi.»
—«… Chris a aussi pris ses affaires de toilettes et quelques vêtements. Il n'est juste… plus à Manila, seulement pour quelques jours.» Bucky gratte la toile de son jean d'un ongle, la gorge serrée. «… Chris doit rentrer après-demain mais quand il m'appellera ce soir, je sais déjà qu'il va me dire qu'il prolonge son séjour à San Francisco.»
—«Je te parlais pas de sa valise ou de – Bordel Bucky, je m'en contrefous! Et Chris est à San Francisco mais il t'appelle?»
—«Tu lui as affirmé les yeux dans les yeux qu'il n'oublierait pas les mois passés à Eureka s'il retrouvait ses souvenirs», lui rappelle-t-il du tac-au-tac.
—«Tu – Ah merde, Bucky! Tu fais semblant de ne pas comprendre et –»
Sam se crispe, lève les mains au ciel en un geste d'humeur exaspéré. Le brun se contente de le regarder. Il a un peu froid et le beurre de cacahuète lui semble trop gras et lourd dans son estomac.
Après un court silence, son ami soupire lourdement, plusieurs fois. Il se redresse, fait rouler ses épaules sous sa veste.
—«Recommençons depuis le début, veux-tu? Depuis quand Chris est-il parti?»
Le brun se mordille les joues. Il sait que son ami ne va pas apprécier sa réponse.
Sam lui a dit que Maria et lui n'étaient pas joignable pendant leurs vacances à Hoopa mais c'était pour être tranquilles, même si la couverture réseau était effectivement un peu bancale. Bien entendu, Bucky aurait pu l'appeler en cas d'urgence; par exemple pour leur raconter la fin de l'amnésie de Chris et son départ à San Francisco, sans lui.
Son ami le dévisage et le brun sait qu'il ne doit surtout pas tenter de faire un pas de côté. Ce n'est pas le moment de mettre Sam tellement en colère qu'il pourrait s'en aller en claquant la porte. Ce n'est presque jamais arrivé – et son ami est toujours revenu rapidement – mais Bucky n'a pas envie de jouer sa chance. Il n'en a aucune depuis quinze jours.
—«… Mardi. Il est parti tôt dans la matinée.»
—«Et tu n'as pas jugé bon de nous prévenir de tout ce bordel?! Maria et moi n'étions qu'à cent kilomètres d'Eureka, pas à l'autre bout du monde», grince Sam avant de cligner des yeux. «Attends une seconde… Tu l'as laissé partir seul à San Francisco? Comment as-tu pu faire ça?! Même si Chris a retrouvé une partie de ses souvenirs, cela ne signifie pas qu'il n'est pas désorienté. Vous n'êtes pas dans un putain de film Bucky!»
—«Pour l'amour du Ciel, cesse de me crier dessus!», s'exaspère à son tour le brun et il pose si fort sa tasse sur la terrasse que la porcelaine tinte dangereusement. «Chris n'est pas parti seul, il est avec des gens qui le connaissent. Ils connaissent Steve Rogers.»
—«Des –? Bucky…»
Le brun secoue la tête, l'air sombre. Il ne veut pas regarder Sam, voir son expression parfaitement éberluée alors il choisit de se cacher derrière sa tasse. Le café a refroidi, il est un peu amer; Bucky croit voir une fissure sur la porcelaine. Il boit quand même une gorgée pour se donner contenance.
Derrière lui, Sam ne dit rien. Il se lève lentement, quitte le fauteuil pour venir s'asseoir à ses côtés sur la marche. Le brun sent sa chaleur de son corps contre le sien, il a l'impression d'entendre les pensées qui tourbillonnent dans son esprit.
Après un long silence uniquement troublé par les soupirs de Sandy, son ami lui jette un regard en coin.
—«… Comment vas-tu?», demande-t-il doucement.
—«Tu ne m'interroges pas plus à propos de Chris?»
—«J'apprendrai ce que j'ai besoin de savoir plus tard, quand tu seras prêt à le faire sans avoir l'air de vouloir me jeter ta tasse au visage. Ce qui m'intéresse pour le moment, c'est de savoir comment va mon meilleur ami.»
Sam le bouscule d'un léger coup de coude et Bucky esquisse un sourire fatigué. Il déglutit lentement. Difficilement. Douloureusement. Le brun crispe ses doigts sur sa tasse avant de la poser derrière lui. Il n'en boira plus de toute manière, le café froid est infect.
—«… Ça va», souffle-t-il et il entend combien ça doit sonner faux. «Les derniers jours ont été un peu compliqués mais je suppose que c'est une bonne chose. Chris a toujours dit qu'il ne se souciait pas de savoir ce qu'il avait perdu mais ses amis se sont inquiétés pour lui, ils l'ont cherché. … Sa mère vit aussi à San Francisco.»
—«Merde, Buck'…»
Le jeune homme s'appuie à deux mains contre la terrasse et observe Manila Beach.
Le soleil est haut dans le ciel, les températures radoucissent maintenant que le printemps a débuté. La lumière change et il commence à monter du sable tiède ces odeurs familières de chaleur et d'herbes que Bucky connaît si bien.
Dans quelques semaines, cela fera un an qu'il a fait la rencontre de Chris Doe. De Steve Rogers.
Il soupire doucement.
—«Est-ce que tu veux voir à quoi ressemble son appartement? Chris habite à Tenderloin, c'est un joli quartier à côté de son travail. Tu sais qu'il travaillait pour une grosse société d'investissements immobiliers? David lui a plus ou moins donné le même emploi, c'est amusant non? Chris m'a envoyé des photos de son appartement, je vais te montrer.»
Bucky esquisse un geste pour se lever mais Sam enroule doucement ses doigts autour de son poignet. Il le tire gentiment vers le bas et sourit, un peu tristement.
—«Nous avons le temps pour ça. Reste là Buck'», dit-il doucement.
—«N'exagère pas, je ne vais pas si loin. Mon portable est dans la cuisine, je vais juste le chercher et je reviens. Je suis persuadé que tu vas beaucoup aimé la vue que Chris a sur son balcon, il voit la baie de San Francisco. Il m'a aussi promis une photo prise sur le Golden Gate avec sa veste en cuir sur les épaules mais je suppose qu'il n'a pas encore eu le temps de s'y rendre. Il est très occupé depuis son retour.»
Bucky babille; il sait qu'il babille et bien entendu, il essaye de fuir un peu. Tout à coup, la chaleur et le corps de Sam contre le sien sont trop. Il était bien dans sa solitude, juste avec Sandy.
Son ami fronce les sourcils et le tire un peu plus fort vers lui.
—«Bucky, stop. Arrête ça tout de suite.»
Malgré l'ordre impérieux, sa voix est douce; presque un peu précautionneuse comme lorsque Winnifred Barnes le grondait sans vouloir lui faire trop de peine. Paradoxe parental.
Bucky déteste ça.
Il déteste aussi que Sam soit son meilleur ami et qu'il sache si bien lire en lui.
Il sait.
Il sait qu'un « Ça va» veut dire exactement le contraire. Qu'une logorrhée verbale signifie « Je ne veux pas en parler». Que des considérations un peu futiles disent « J'essaye de m'étourdir pour ne pas avoir à trop penser.»
Sam le connaît parce qu'il fait un peu pareil et que le brun sait aussi lire entre les lignes. C'est un super-pouvoir qui fonctionne dans les deux sens.
Guidé par Sam, Bucky se rassoit mais il garde l'air buté de celui que l'on ennuie. Il se protège comme il peut du raz-de-marée qu'il sent gronder en lui.
—«Regarde-moi.»
Le brun roule des yeux. Il se dégage d'un léger geste du poignet mais Sam presse plus fort et caresse sa peau de son pouce. Discret mais réconfortant. Il déglutit.
—«C'est… C'est une bonne chose», répète-t-il et il hait ce croassement douloureux qui passe ses lèvres. «Chris est un homme merveilleux, je suis content qu'il ait l'opportunité de renouer avec celui qu'il est. Il était fébrile, il avait beaucoup d'appréhensions en quittant Eureka mais maintenant, j'entends dans sa voix qu'il va mieux. … C'est tout ce qui m'importe.»
—«Et qu'est-ce que tu en penses vraiment?», demande doucement Sam.
Ah. Vraiment? Bucky esquisse un sourire triste et tire machinalement sur sa manche. Vraiment…
—«… Chris est parti.»
Son aveu est un souffle à peine audible, un constat pragmatique autant qu'un cri silencieux.
C'est la raison pour laquelle il ne lutte pas vraiment quand Sam enroule un bras autour de ses épaules et l'attire à lui. Solide, chaud, réconfortant, plus seul. Son ami pose gentiment une main dans ses mèches brunes. Il n'a jamais fait ça avec lui et cela fait sentir plus douloureusement encore combien le moment est inédit et difficile. Bucky sourit. Sam n'est pas très bon pour ça, il sent que ses doigts font des nœuds dans ses cheveux longs.
—«… Chris est parti mais il va revenir.»
—«Il faut l'appeler Steve maintenant. Il faudrait le faire mais je n'y arrive pas…», le corrige sans envie le brun.
—«Peu importe son foutu prénom, il va revenir. Ton homme va revenir chez vous», répète Sam d'un ton un peu buté.
—«Tu es un peu grandiloquent…»
—«Je suis certain que Chris adorerait que je l'appelle comme ça. Vous êtes deux foutus personnages de roman tous les deux, votre histoire ressemble à un roman Harlequin.»
Bucky rit et hoche la tête.
—«… Je sais qu'il va rentrer, il me l'a promis.»
—«Tu as l'air d'en douter un peu.»
—«Chris dit qu'il m'aime mais nous ne sommes plus seuls maintenant. Il a une mère, Sam. Elle habite dans le quartier voisin du sien et il va manger chez elle tous les jeudi et les dimanches midi. Il le faisait avant… tout ça.»
—«Ça lui ressemble beaucoup.»
Son ami pouffe et gratte son crâne, le massant légèrement du bout des doigts. Il s'en sort mieux, il y a moins de nœuds mais Bucky ne parvient pas à se détendre.
—«Chris a repris son travail chez Castelain Investment Development et il sort avec ses amis… Cela fait beaucoup de raison de rester encore à San Francisco.»
—«Étaient-ce les mêmes raisons que celles pour lesquelles il est parti? Bordel…», grogne Sam alors que Bucky acquiesce.
—«Oui c'est ça. Bordel…»
La main de son ami glisse sur sa nuque et le brun s'abandonne, un tout petit peu.
Le regard perdu sur l'océan, les deux hommes restent silencieux. Bucky caresse distraitement Sandy qui a rampé vers lui pour poser sa tête sur sa cuisse. Elle bave un peu sur son jean. Bof, tant pis.
—«Fichue mauvaise tête… Pourquoi est-ce que tu ne m'as appelé?», grommelle Sam en tirant sur une mèche brune.
—«Tes instructions étaient très claires. «Maria et moi partons à Hoopa pour une semaine de vacances. Merci de ne pas nous déranger sauf en cas de catastrophes majeures telles qu'un effondrement de la production d'Oreos ou la fin de la carrière de Robert de Niro.» Tu en as presque fait ton nouveau message d'accueil sur ton répondeur.»
—«Enfoiré», grogne le jeune homme en tirant un peu plus fort.
Bucky pince son flanc du bout des doigts. Sam s'éloigne de lui et ils chahutent un peu.
—«Tu sais très bien que c'était une métaphore. Je n'arrive pas à croire que tu sois resté à ruminer seul dans ton coin pendant huit longs et interminables jours», soupire Sam.
—«Je n'y ai pas pensé non plus et tout est arrivé tellement vite. Nous étions au marché de Old Town, on s'apprêtait à acheter des biscuits à cette fille qui tient une entreprise artisanale dans le comté de Trinity et puis il y a eu ce mec et cette autre fille… Ils ont interpellé Chris, ils lui ont parlé encore et encore et Chris a réagi. Il a eu une migraine de tous les diables – on a dû se réfugier sur le parking de Los Bagels – mais il les a reconnus.»
—«Cela a suffi pour lui faire accepter de les suivre à San Francisco?», demande Sam d'un ton dubitatif.
—«Je pense que Chris les aurait suivis dans tous les cas mais que cela aurait été plus tard, quand il aurait mis les choses en ordre à Eureka. Son ami – Clint – a appelé sa mère avant de lui passer le combiné et j'ai su qu'il ne resterait pas plus longtemps… Il était sur le point de pleurer Sam, je ne pouvais pas lui dire de prendre encore le temps de réfléchir.»
Son ami acquiesce lentement. Le brun se lèche les lèvres. Elles sont toujours aussi sèches et le café froid laisse un mauvais goût sur sa langue.
—«… Ses amis le cherchaient depuis des mois. Ils ont déclaré sa disparition et le dossier n'a pas matché avec celui de la police d'Eureka à cause d'une erreur technique. C'était juste ça, une foutue erreur technique et humain», maugrée-t-il.
—«Je pense que votre rencontre n'a rien d'une erreur.»
—«Tu deviens sentimental…»
Sam lui pince durement le genou et le brun s'allonge finalement en arrière sur la terrasse, les mains sur son ventre. Son ami fait la même chose, grogne que le teck est trop dur et qu'il a mal au dos. Bucky le fait taire d'un coup de genou.
—«Je voulais dire que votre rencontre est due au hasard – sans le moindre doute – mais elle n'a rien d'une erreur», répète-t-il.
Ouais, le hasard. Le même que celui qui fait parfois se rencontrer des gens d'une manière tout à fait hasardeuse, par exemple dans un petit marché de producteurs locaux, une fin de semaine.
Le brun pince les lèvres.
—«… Il y a une femme à San Francisco, elle s'appelle Sharon et elle est avocate en droit du travail. Son ami Clint n'a pas arrêté de répéter combien elle avait remué ciel et terre pour tenter de le retrouver et à quel point ils étaient proches…»
—«Ce mec a l'air d'un con.»
—«Il l'est», acquiesce le brun.
Cette vérité laisse pourtant un goût de cendre dans sa bouche parce qu'il y a Sharon.
Sam gigote sur la terrasse, soupire d'agacement puis se redresse. À demi tourné vers lui, appuyé sur un coude, il lui donne un léger coup de poing dans l'épaule. Bucky le repousse d'un geste agacé.
—«Ne fais pas comme si je te dérangeais alors que tu as de toute évidence besoin d'entendre ce que je vais te dire», grommelle-t-il en tenant une nouvelle fois de s'installer plus confortablement. «Un homme hétérosexuel ne se réveille pas après un traumatisme crânien pour changer subitement d'orientation sexuelle. Chris est réellement amoureux de toi Buck' alors ne te rends pas plus malade que tu n'es en imaginant Dieu sait quoi.»
—«Je n'imagine rien du tout», proteste-t-il mollement.
Odieux mensonge.
Bien entendu qu'il y a pensé – il y pense encore parce que Chris a dit son prénom à elle une ou deux fois depuis son départ d'Eureka. Le brun sait qu'ils ne se sont pas vus mais cela ne l'empêche pas de se rendre – effectivement – un peu malade. Il ne sait rien de cette Sharon mais il l'image belle – non, très belle – et confiante, avec un travail important et un joli sourire. Un superbe couple qui se présente ensemble aux réceptions un peu guindées du cabinet qui l'emploie et lors desquelles Chris porterait un costume et elle une robe de cocktail.
Clint est un connard.
Sam lui donne une pichenette sur le front.
—«Tu es un horrible menteur. Tu m'as dit qu'il t'appelait et qu'il t'envoyait des messages. Est-ce qu'il a arrêté de le faire ces derniers jours?»
Chris n'a pas répondu à son dernier message mais son portable personnel est p ersona non grata sur son lieu de travail. Bucky secoue la tête, il préfère éluder les dîners manqués parce que le blond sortait avec ses amis.
—«Il le fait plusieurs fois par jour. … Il m'envoie des photos de ce qu'il voit ou de ce qu'il découvre. Chris m'a dit que les levers de soleil sur San Francisco sont beaucoup moins beaux que ceux qu'il voit depuis notre chambre.»
—«Même à quatre cents kilomètres d'ici ce type est désespérant. Tout est mieux dans votre nid d'amour, pas vrai?», ricane Sam d'un ton moqueur.
Le brun aimerait le croire en tout cas.
Bucky se mord douloureusement les joues tandis qu'il observe le ciel parfaitement bleu à peine moucheté de quelques nuages blancs.
Il songe qu'il n'est pas encore descendu sur le sable pour aller ramasser les morceaux de bois flotté. Il a soudain l'envie dévorante d'abandonner Sam pour s'en occuper maintenant, enfermant le bois dans l'annexe sous la maison comme si cela pouvait faire rentrer Chris un peu plus vite.
Le brun passe une main fatiguée sur son visage. Si seulement.
—«Il me manque… Et j'ai un peu… peur pour la suite», avoue-t-il du bout des lèvres.
Ça y est, c'est dit; et avec une étonnante lucidité compte-tenu du fait que Bucky tente de ne surtout pas y penser. Il ne veut pas s'attarder sur le lit à moitié vide et sentir l'oreiller voisin du sien dont le parfum est en train de s'estomper. Ni regarder trop longtemps le verre avec une seule brosse à dent, le plan de travail avec un seul rasoir et le porte-serviettes avec le linge d'une seule personne dans la salle de bain. Encore moins prêter la moindre attention au silence de la maison qui l'accueille quand il rentre d'une course en centre-ville. Chris lui manque. Bucky a les yeux rivés sur le calendrier chaque matin quand il boit son premier café de la journée. Il compte les jours qui s'écoulent et les raye comme un condamné sentant arriver sa délivrance. Plus que quatre, plus que trois, plus que deux. En théorie. Et cette inconnue le terrifie.
Le brun déglutit désagréablement.
À côté de lui, Sam se rassoit finalement sur la première marche, massant son dos d'une main.
—«N'importe qui serait terrifié dans une telle situation et c'est exactement la raison pour laquelle il faut être entouré. Tu vas venir t'installer quelques jours à la maison», dit-il en s'étirant, les bras au-dessus de la tête.
Bucky cligne les yeux de surprise. Il se redresse et s'appuie à son tour sur ses coudes. Sam est en train de pétrir avec application les muscles de ses trapèzes, sans un regard pour lui. Il ne dit rien, son ami lui jette un regard par-dessus son épaule; un de ces regards qui n'admet aucune contestation.
—«Vous n'allez pas m'héberger pour me réconforter, ça va aller Sam. Chris m'a envoyé ce matin une photo de la plante qui est posée sur son bureau pour me montrer qu'elle avait fait une nouvelle feuille et il va m'appeler ce soir. Tout se passera bien», proteste-t-il doucement.
—«Tout ne va pas bien si Chris parvient à garder une plante en vie», rétorque son ami avec taquinerie. «Tu as besoin d'être réconforté et tu vas venir chez nous. Maria et moi travaillons toute la journée à Providence, tu seras tranquille pour avancer sur ta traduction.»
—«J'ai besoin de tous mes dictionnaires. Il y a aussi les affaires de Sandy, son panier et ses jouets.»
La chienne entend son nom et jappe vers eux avec intérêt. Elle passe par-dessus Bucky, lui écrase sur l'entrejambe au passage avant de se jeter contre Sam pour demander des caresses. Le brun étouffe un juron bien senti tandis que son ami éclate de rire.
—«Ta chienne est plus conciliante que toi», s'esclaffe-t-il. «On vous préparera la chambre d'ami et on la transformera en bureau le temps de ton séjour. Nous avons entreposé du petit mobilier que nous n'utilisons plus dans le garage, je suis sûr qu'il y aura moyen de te trouver une bibliothèque et une véritable table de travail. Le plus difficile pour toi sera sans doute de devoir partager ta chambre avec Sandy. C'était la sienne quand tu nous l'as laissé pendant le passage de Mandy en novembre dernier et je pense qu'elle s'y plaisait assez.»
—«Je savais qu'elle avait dormi sur un lit chez vous. Quand nous l'avons récupéré avec Chris, elle voulu se coucher sur le nôtre a tout pris. Elle sait pourtant que c'est interdit à la maison», maugrée le brun en se massant l'entrejambe.
Son ami jette un regard entendu à sa main, aux mouvements de ses doigts sur sa braguette. Bucky le repousse fort en rougissant un peu de gêne.
—«Tu ne seras même pas obligé de venir manger avec nous ou de participer aux activités de la maison si tu n'en as envie. Je veux juste que tu aies bien conscience qu'il y a des gens qui t'aiment et qui sont là pour toi», reprend Sam.
—«Nous pourrions faire la même chose si je restais à Manila. Je te promets de garder mon portable avec moi et de répondre à chacun de tes appels», maugrée un peu le brun.
Son ami claque sa langue contre son palais d'impatience.
—«Je suis le médecin, je sais quel est le meilleur traitement à donner et je t'assure que c'est exactement ce dont tu as besoin. Tu ne le sais juste pas encore», répond-il du tac-au-tac.
Bucky lui jette un lourd regard et Sam lui pince le genou avant de le frotter affectueusement.
—«Cesse de t'obstiner, cela ne te rend absolument pas séduisant. Maria et moi t'aimons et nous voulons juste être avec toi. C'est toi qui as dit que tu avais peur, je ne peux pas te laisser seul maintenant.»
—«Je trouve très gênant l'idée de venir me réfugier chez vous comme un enfant qui irait dans la chambre de ses parents après un cauchemar…», marmotte le brun en grattant son jean.
—«Oh le grand garçon.» Sam ricane et lui ébouriffe les cheveux. «Si l'idée de quitter ta maison te déplaît tant, je peux aussi venir m'installer chez toi. Cela ne me déplairait pas de prendre mon café chaque matin devant l'océan.»
Chez lui? Sam prendrait possession de l'ancienne chambre de Chris au rez-de-chaussée (il ne peut décemment pas lui demander d'occuper le canapé du salon)? Bucky pince les lèvres et secoue la tête. Non, merci bien. Il veut que la chambre reste bien propre, soigneusement rangé et les draps du lit bien tirés, il ne veut pas qu'une autre personne y dorme. S'il parvient à rester à Manila, c'est pour se morfondre en paix. Sam ne le lui permettra jamais.
—«Maria ne te laisserait pas découcher pendant plusieurs jours. Vous êtes en train de préparer votre mariage, tu ne peux pas quitter la maison Sam», tente-t-il maladroitement.
—«Maria sera la première à me pousser hors de chez nous quand elle apprendra que tu n'es pas au meilleur de ta forme. Je peux même t'assurer qu'elle refusera que je rentre tant qu'elle ne se sera pas assurée que tu vas mieux.»
Son ami lui jette un regard en coin avant de rire malicieusement. C'est aussi un peu moqueur et le brun fronce les sourcils, un peu vexé. Merci, il n'est pas un enfant que l'on a besoin de cajoler.
Bucky lève légèrement la tête et ferme les yeux pour savourer le soleil sur son visage. Les rayons sont chauds, c'est réellement le printemps.
—«Maria aussi est médecin et nous sommes fiancés. Elle a deux fois plus de raison d'être d'accord avec moi concernant à la fois le diagnostic et le remède», sourit Sam.
—«Sa spécialité est la pédiatrie comme la tienne est la médecine des urgences. Tu n'y connais rien en psychologie, tu m'as même dit que c'était une des matières que tu appréciais le moins à l'université.»
—«J'ai toujours pensé que tenter de comprendre l'esprit humain était plus effrayant que fascinant. J'ai vraiment rencontré de sales types pendant mes études, je n'avais aucune envie d'en apprendre plus à leur sujet», lui répond Sam en frissonnant exagérément. «La seule exception que je veux bien admettre concerne Chris. Quand il venait à Providence, j'aimais bien l'observer pendant que nous parlions. J'essayais de deviner le moment où il comprendrait qu'il était amoureux de toi et s'il serait assez courageux pour tenter sa chance.»
—«Chris est un homme très courageux.»
—«Bien entendu mais c'était tout de même assez distrayant à regarder. Mon moment préféré reste celui où il m'a demandé qu'elle était la nature exacte de notre relation. Il était tellement nerveux…», s'esclaffe Sam.
Bucky sourit. Il aurait bien aimé être là aussi, caché quelque part dans le bureau pour assister à cet entretien maladroit et gênant. Le soulagement de son compagnon en apprenant qu'il était célibataire avait dû être touchant – et un peu flatteur pour lui.
Son ami le bouscule amicalement d'un léger coup de coude.
—«Laisse-nous te choyer pendant quelques jours Buck'. Nous cuisinerons tous tes plats préférés et j'achèterais des tartes chez Cherry Blossom Bakery chaque soir quand je rentrerai de Providence. Pour une fois, laisse-nous prendre soin de toi. Ça ne fait pas de toi quelqu'un de moins fiable ni de moins solide.»
—«… C'est déjà ce que tu fais. Tu étais à mes côtés quand ma mère est décédée. Tu es resté chez moi pendant presque quinze jours et tu dormais même avec moi dans la chambre du bas. Tu m'as aidé à faire le tri dans ses affaires et à changer la décoration d'une partie de la maison pour que je me sente plus chez moi», sourit doucement le brun.
—«J'étais aussi présent quand tu as rompu avec Camden.»
—«Tu étais même un peu trop joyeux ce jour-là…», rit Bucky.
—«Ce type était un crétin, j'étais heureux que tu t'en rendes enfin compte. On a acheté une énorme brioche aux pépites de chocolat ce jour-là.»
—«C'était ridicule…»
—«C'était délicieux.»
Sam fait danser ses sourcils de manière amusante et le brun s'esclaffe. C'est vrai qu'il avait pu partir Camden sans vraiment de regret, juste un petit pincement au cœur et dans le creux du ventre parce qu'ils avaient quand même marché ensemble sur le même chemin pendant un bon moment. Ça comptait, même si à la fin Camden était devenue un imbécile caractériel et égoïste.
Bucky jette un coup d'œil à Sam. Celui-ci lui sourit et le brun cède, tout simplement. Il rend les armes. C'est sans doute préférable de ne plus avoir ce foutu calendrier sous les yeux pendant quelques jours et Chris peut le joindre partout avec son portable. C'est juste qu'il ne le fait pas…
—«… Je viens seulement quelques jours.»
—«Tu viens le temps dont tu auras besoin. Je suis content que tu acceptes, je commençais à manquer d'arguments pour te convaincre», le corrige son ami en lui donnant une claque vigoureuse dans le dos. «Tu veux bien m'inviter à déjeuner chez toi maintenant? Je meurs de faim et j'ai envie de sandwiches au beurre de cacahuète.»
—«Tu peux te servir, je t'ai dit que le pot était dans la cuisine», grommelle Bucky en se levant.
—« Tu es en retard à notre déjeuner, tu me sers chez toi», lui rétorque Sam du tac-au-tac en lui emboîtant le pas.
—«Je peux donc mettre ce que je veux dans tes sandwiches?»
—«Mets tout ce que tu trouves dans ton frigo, j'ai atrocement faim. Et ajoute du ketchup, beaucoup de ketchup.»
Bucky lève les yeux au plafond tandis qu'il commence à préparer leur collation dans la cuisine. Puisque Sam est là – et pas parce que son ami le lui a demandé – il garnit leurs sandwiches de crudité et de poulet. Alors qu'il s'apprête à les assaisonner avec de la moutarde, Sam claque sa langue contre son palais va prendre le ketchup dans le frigo.
—«Tu as des goûts d'enfant. Un adulte ferait de véritables clubs sandwiches avec de la moutarde ou de la mayonnaise», grommelle le brun en s'exécutant.
—«Je me demande si tu dis la même chose à Chris. Le ketchup est pour lui, non? Tu le grondes aussi en lui disant qu'il est un mauvais garçon?»
—«… Je me contente de lui faire des yeux noirs quand je le vois en mettre dans à peu près toute sa nourriture. Quand il en ajoute une fois que j'ai le dos tourné, je fais juste semblant de ne pas le remarquer. … Tu sais, c'est le sens du sacrifice dans un couple et tout ça…»
Bucky tourne lentement ton couteau devant lui, l'air de rien et son ami éclate de rire.
Après quelques minutes, il pose verre et assiette devant Sam et s'installe avec lui autour de l'îlot central. Un dernier passage dans le frigo et le brun pousse vers son ami une cannette de soda trop sucrée avant d'ouvrir un paquet de chips.
Sam entame son déjeuner comme un affamé. Il jette de petits regards en coin au portable de Bucky à côté d'eux, du ketchup à la commissure des lèvres.
—«Qu'est-ce que Chris te raconte d'autres? Les levers et les couchers de soleil à San Francisco, c'est bien, mais j'espère que vous parlez d'autres choses.»
—«On parle de choses qui ne te regardent pas», répond Bucky en mordant à pleines dents dans son sandwich.
Oui, poulet et moutarde; un grand et délicieux classique. Sam lui jette un regard entendu et sourit d'un air un peu lascif. Le brun hausse les épaules. Il est devenu trop vieux pour rougir aux sous-entendus sexuels de son ami d'autant que ce n'est pas du tout le genre de Chris de lui envoyer des messages brûlants et des photos cochonnes. … Ça ne lui déplairait pas forcément.
—«Dis-moi, j'ai besoin d'être rassuré», insiste Sam.
—«Il m'écrit juste qu'il m'aime et que je lui manque. Parfois il met des émoticônes en forme de cœur à la fin de ses messages», élude-t-il.
—«Qu'est-ce que tu lui réponds?»
—«D'après toi?», siffle Bucky en lui jetant un regard noir.
Son ami s'esclaffe joyeusement et reprend son déjeuner avec appétit. Ils chahutent encore un peu, Sandy ramasse consciencieusement toutes les miettes qui tombent sur le parquet et tourne autour d'eux, guettant un morceau un peu plus gros avec intérêt. Le brun leur sert finalement deux tasses de café et sort du placard la boîte à biscuits. Sam plonge presque la main plongée à l'intérieur.
—«J'ai un rendez-vous en ville en début d'après-midi et je dois passer déposer des affaires pour Maria à Providence. Cela te laisse le temps de préparer tes affaires et celles de Sand', je viendrais vous chercher vers dix-huit heures», dit-il en se léchant les doigts.
—«Je peux me rendre seul chez toi, tu n'as pas besoin de me chaperonner», se vexe un peu le brun.
—«Je sais mais si je suis devant ta porte, tu ne pourras plus tenter de t'esquiver. Tu vas probablement changer d'avis en mon absence, tu vas m'appeler et essayer de me persuader que vraiment, tu peux rester seul à Manila. Je nous évite juste à tous les deux une nouvelle discussion un peu pénible.»
… C'est possible. Et c'est parce que c'est une probabilité que le brun jette un regard noir à Sam. Son ami se contente de lui adresser un sourire charmant et d'engloutir un nouveau cookie, ouvrant très grand la bouche d'une manière un peu dégoûtante.
—«Je te connais, tu sais que je te connais, nous savons tous les deux que je te connais. Fais-nous juste confiance comme tu as fait confiance en Chris et comme lui-même t'a fait confiance en acceptant de venir habiter avec toi alors qu'il te connaissait à peine. Tu as besoin de prendre du temps pour toi et pour cesser de douter. Ça n'arrivera jamais si tu restes ici», poursuit-il.
—«Je ne doute pas…»
—«Non, tu as raison. Tu doutes énormément et tu es malheureux comme une pierre. C'est un peu douloureux à voir tu sais», grimace Sam.
Bucky tire brusquement la boîte à biscuits à lui. Il mange deux cookies coup sur coup et quand le goût du chocolat explose soudain sur sa langue, il ne peut s'empêcher de sourire un peu tristement. Trois chocolats, les préférés de Chris.
Sam presse gentiment son épaule, chasse sa main pour prendre un dernier gâteau et va poser sa tasse sale dans l'évier.
—«Je ne veux déranger personne», marmotte le brun en lui tendant la boîte à ranger.
—«Ce ne sera jamais le cas Buck'. Nous sommes les meilleurs amis pour la vie, tu te souviens?»
Le brun louche sur les cookies que Sam est en train de recommencer à avaler à grande vitesse, la boîte ouverte dans ses bras. Ouais. Ce sont les mots de leur serment d'amitié, noué un soir entre eux alors qu'ils se cachaient sous les gradins du stade du lycée pour découvrir ensemble le goût de leur première bière. Ils avaient seize ans, ils avaient été terriblement malades et ils avaient dû mentir respectivement aux parents de l'autre pour tenter d'apaiser la punition qui les menaçait. « Non ce n'est pas de sa faute, il l'a juste fait parce que je lui ai demandé.» «Il a bu moins que moi pour ne pas me mettre en danger.» Des mensonges éhontés qui n'avaient convaincu personne – les deux garçons tenaient à peine debout – mais ça avait été leur promesse, gravée en lettres d'or sur le fronton de leur temple à l'Amitié. Être ensemble et se soutenir dans les épreuves, dans toutes les épreuves.
Bucky sourit.
Il a été si stupide de tout garder pour lui et de ruminer sa tristesse et ses inquiétudes, de faire comme si de rien n'était et que Chris s'était simplement absenté – un peu plus longtemps – pour le travail.
—«Je suis désolé de ne t'avoir rien dit», avoue-t-il sur le pas de la porte.
—«Je sais, je comprends que tu aies eu besoin de temps pour digérer cette histoire de fou.» Sam le serre fort dans ses bras. «… Je te conseille toutefois de commencer à réfléchir dès maintenant à ce que tu vas dire à Maria parce qu'elle va vouloir tout savoir et qu'elle va bien plus t'en vouloir que moi.»
Les deux hommes échangent un sourire amusé. Bucky opine, il a l'après-midi pour se préparer.
Sam descend le perron et monte dans sa Subaru, le brun le salue de la main tandis qu'il s'éloigne sur le chemin en sable vers New Navy Base Road. Bucky rentre dans la maison. Sandy continue à lécher le parquet sous leurs tabourets avec attention, le brun lui retire in extremis une énorme pépite de chocolat de la gueule alors qu'elle s'apprête à l'avaler.
Il jette un œil à son portable, toujours silencieux. Silencieux jusqu'à ce que l'écran ne s'allume et qu'il ne tinte doucement. Bucky ouvre rapidement sa messagerie.
De Chris. Reçu à 14h48.
Salut Bucky. J'ai seulement une seconde pour te dire que j'ai vraiment hâte de dîner avec toi. Tu choisis le programme télé. Je t'aime, à ce soir.
Le brun sourit. Le portable sonne une nouvelle fois.
De Chris. Reçu à 14h48.
J'ai bien reçu ta photo de Sandy roulée dans mon jersey de sport. Je suis désolé, j'étais dans le Muni Metro et je viens de me rendre compte que ma réponse n'est pas partie. C'était adorable, merci mais tu peux le nettoyer s'il te plaît? Ses poils grattent dans les vêtements, il y en avait dans mon sac de voyage. Je t'aime toujours, à ce soir.
Bucky rit doucement. Il y a un smiley qui fait un clin d'œil et une émoticône en forme de cœur à la fin du message de son compagnon. Lui aussi, immensément.
Le brun jette un regard à l'horloge de la cuisine. Il a encore un peu de temps pour travailler avant de faire sa valise. Il emporte la boîte à cookies avec lui avant de s'installer à son bureau, derrière son ordinateur. Confiance, il doit avec confiance et penser aux émoticônes que Chris ajoute dans ses messages. Au cœur, surtout au cœur.
