Bonjour à toutes et à tous,
Merci à AdalynHazel pour le suivi et à Cassye pour son commentaire. Merci également aux lecteurs anonymes.
Sachez qu'au moment où je vous partage ce chapitre, je rédige les dernières lignes de l'épilogue. Ca y est, nous y sommes, cette histoire peut être officiellement considérée comme étant terminée. Je trouve ça joli symboliquement parlant de vous publier le début de l'acte 3 au moment où je termine de le rédiger.
Réponse aux reviews :
Cassye : Je pense tenter la relecture, puis l'impression, oui ! Le site que j'ai trouvé (CoolLibri) fonctionne selon la taille de fichier et pas le nombre de pages, peut-être donc que cela dépend des agences ? Dans le pire des cas - comme le bébé fait plus de 800 pages - j'envisage aussi de le découper en deux tomes et de faire une seconde couverture pour faciliter l'impression. J'attends d'avoir tout relu et mis en page pour déterminer ça. J'ai vraiment hâte d'avoir ton avis sur cet acte 3, je crois que c'est là que j'ai tenté le plus de choses. D'ailleurs, pour toi qui apprécie Revan, tu devrais être servie avec ce début de chapitre ! Et maintenant que nos personnages se sont montrés plus honnête vis-à-vis de leurs sentiments, les petits bouts de tendresse vont être un peu plus réguliers...
Acte 3, nous voilà !
Chapitre 33 :
Avant la tempête
Nymuë observait la ville endormie, s'étendant en bas de la colline. Après des semaines de voyages sur des territoires plus ou moins hostiles, la cité lui paraissait presque irréelle. Elle avait eu la même impression, quinze ans plus tôt, lorsque Revan lui avait fait passer les portes du Dracosire pour la toute première fois. Plus habituée aux bourgades qu'aux métropoles, Baldur's Gate lui avait paru être en mouvement constant. Partout, des gens et des étals, chacun se bousculant, s'interpellant à grands renforts de rires et de cris. Là, des nobles accompagnés de leur suite et gardes du corps ; ici, une patrouille de Poings Enflammés en train de résoudre un litige. Plus loin encore, un enfant clamant à qui voulait l'entendre les dernières nouvelles de la gazette, tandis qu'un prêtre annonçait aux passants leur damnation prochaine. Tellement de bruits, de couleurs, d'odeurs ! Cela lui avait donné le tournis. Sa main avait serré celle de Revan alors qu'il la guidait à travers les rues. De temps à autre, il lui avait nommé un lieu ou une enseigne, s'assurant à chaque fois qu'elle retienne les informations distribuées. Il n'était pas un homme aimant se répéter.
N'ayant jamais connu autre chose que le cirque, Nymuë s'était demandé ce qu'allait être sa vie, désormais. Devait-elle se produire dans des tavernes ou un théâtre ? L'idée lui donnait le vertige. Des images de foules en colère et de poignards ensanglantés se bousculaient derrière ses paupières. Elle avait eu peur de sortir de sa chambre, au départ, persuadée qu'elle était de se faire attaquer au premier tournant. C'était Revan qui, une fois encore, était venu la sortir de sa cachette avec son amabilité coutumière :
"Mésange, Neuf-Doigts me dit qu'en ramenant une gamine en plus de l'argent dû par la Seri, j'ai fait le plus mauvais investissement de ma vie. Y avait pas grand-chose dans le coffre de l'autre mégère, et soi-disant que les adolescents taciturnes ça coûte cher à entretenir.
- Je ne suis pas une adolescente, avait rétorqué Nymuë. J'ai plus de cent ans.
- Et ton espèce vit quoi, sept siècles ? Huit ? Me prends pas de haut parce que je suis humain. En quarante balais sur cette terre, je parie que j'ai plus d'expérience du monde que ta petite personne.
- Qu'est-ce qu'on attend de moi, exactement ?
- Nous autres de la Guilde, on apprécie plutôt bien l'argent. Surtout s'il tombe dans nos poches. Alors pourquoi n'utiliserais-tu pas ce que tu as appris, pour attirer les foules ? Ce serait un deal simple comme bonjour. Tu joues : je vole.
- Non, avait-elle froidement décliné. Hors de question d'être exploitée à nouveau. Et je refuse de toucher un instrument.
- Dommage que je me sois embêté à trimballer ça, alors."
Il lui avait tendu un paquet soigneusement emballé : son violon, qu'elle pensait avoir laissé dans la roulotte de La Belle Etoile… Accompagné d'autre chose. Le petit sachet de velours contenant les cendres d'Elyon était là, lui aussi. L'elfe noire s'était contentée de secouer la tête, la gorge serrée. Elle aurait presque juré voir une lueur de tristesse dans le regard de Revan, tandis qu'il posait ses affaires sur une petite commode :
"L'instrument chante la douleur, gamine, mais il n'en est pas l'origine.
- Putain de poète." avait-elle grogné.
Le rire du roublard avait été semblable à un aboiement :
"Ah ! Ça c'est bien vrai, mésange. Mais du coup, si tu ne joues pas de la musique, tu vas devoir gagner ton pain autrement. Et je te préviens, je n'ai pas de patience avec les boulets. Suis-moi donc."
Petit à petit, il lui avait enseigné les us et coutumes de la cité. Nymuë avait rapidement réalisé que Baldur's Gate disposait de plusieurs visages. Il y avait la ville-haute, bien entendu, regroupant les bourgeois et les seigneurs bien nés, ceux-là mêmes siégeant au Conseil des patriars. La ville-basse, repère des indigents, des tavernes plus ou moins respectables, des orphelins et des échoppes aux articles variés. C'étaient là que la plupart des marchandises transitaient, du fait de la proximité avec le Chionthar et le Port Gris. Plus en-dessous encore, se dissimulait le second Baldur's Gate. La cité des égouts, celle du marché noir, de la contrebande, du vol à l'étalage et de l'ascension politique. Bourgeois, paysans, religieux, soldats : chaque représentant d'en haut trouvait son équivalent, d'une façon ou d'une autre, dans sa jumelle d'en bas. Toutes les fortunes ne s'acquéraient pas de manière honnête ; toutes les institutions avaient des squelettes dans le placard. Mais il y avait aussi celles et ceux cherchant à nourrir leurs enfants, à envoyer leurs économies à leur proche malade, ou à augmenter le nombre de lits que pouvait accueillir leur paroisse. La survie était souvent une question de profit, à Baldur's Gate, et c'était là une leçon que la Guilde maîtrisait sur le bout des doigts.
Nymuë n'avait pas la naïveté de croire que toutes les combines dans lesquelles trempaient Revan étaient légales, mais au moins lui épargnait-il les emplois les plus lugubres. Bien souvent, elle l'assistait lors de la réception de marchandises, ou de quelques cambriolages chez des concurrents. Trafiquer un livre de comptes, causer une inondation dans un entrepôt… Tout ça, c'était devenu la routine. Au point que Nymuë avait commencé à réclamer plus.
"Non, mésange, avait protesté Revan. T'es pas prête à rencontrer Neuf-Doigts.
- Pourquoi pas ? s'était-elle exclamée. Ça va faire trois ans que je te suis partout, Revan. Même toi tu serais fatigué de ta propre personne au bout de tout ce temps.
- Garde donc tes traits d'esprit pour ceux que ça intéresse, et écoute-moi : la Guilde, c'est pas des enfants de chœur. Enquiquiner deux-trois corporations trop timides pour riposter, c'est pas suffisant pour ce que Neuf-Doigts attendra de toi.
- Dit plutôt que tu n'es pas dans ses petits papiers, et que tu as peur que je te fasse honte. Est-ce parce que je suis une drow ?
- Tu sais mésange, parfois je me dis que celle ayant le plus de problème avec les elfes noirs, c'est toi."
La jeune femme lui avait jeté un regard mauvais, sans en démordre :
"Si tu m'amenais à des missions plus dangereuses, tu verrais que j'ai ce qu'il faut pour être un vrai membre de la Guilde.
- Oh, vraiment Nymuë ? s'était-il énervé. Tu penses que tu es prête pour le quotidien de mercenaire ? Mentir aux honnêtes gens, ruiner des vies, condamner certains à l'exil, anéantir des années d'efforts, intimider des pères de famille, exploiter des orphelins affamés, payer une pute dans un bordel pour qu'elle drogue son client… C'est ce que tu veux, tout ça ?"
La jeune femme s'était contentée de taper du pied, furieuse. Elle ignorait pourquoi Revan perdait son temps avec elle, mais cette demi-vie ne pouvait lui suffire. Le suivre comme son ombre, dépendre de ses moindres faits et gestes… ce n'était pas possible. Et s'il lui arrivait quelque chose, du jour au lendemain ? Devait-elle accepter de tout miser sur son protecteur ? Il était temps que Nymuë se trouve une vie à elle, et être acceptée au sein de la Guilde était un premier pas.
Il avait cédé, en fin de compte. Un soir, le roublard lui avait ordonné de l'accompagner à un de ses rendez-vous. Alors qu'ils approchaient d'une alcôve déserte, il avait dégainé son poignard, qu'il lui avait tendu par le manche.
"Comme lors de notre première rencontre, mésange. Tu choisis."
Nymuë avait saisi l'arme, pesant doucement son poids. Jusqu'alors, elle n'avait jamais eu à se battre. Revan l'avait entraînée d'abord à mains nues, puis avec ses chaînes. Elles n'étaient pas équipées de lames, à l'époque ; l'objectif était simplement de repousser ses adversaires afin de s'enfuir. Prendre la vie d'un homme, c'était quelque chose de bien différent.
"Le type que je dois rencontrer ce soir est un confrère de la Guilde. Un haut-gradé, proche de Neuf-Doigts… Si proche, qu'il a fini par se dire qu'il pouvait tout aussi bien la remplacer. La patronne l'a appris et, comme tu t'en doutes, a peu apprécié cette délicate intention. Quel sort penses-tu que la Guilde réserve aux traîtres, Nymuë ?
- La mort ?" avait-elle suggéré.
Aujourd'hui encore, le rire de Revan lui paraissait étrangement faux :
"Pour des subalternes peut-être. Mais pas pour un second. Comment délivrer un message à tes ennemis, autrement ? Non, Diaban survivra à cette nuit, s'il n'est pas assez stupide pour m'attaquer. Il est connu pour ses talents de négociateur, et est passé maître dans l'art de charmer ses victimes. Neuf-Doigts veut sa langue, afin de rappeler à chacun que même le plus rusé des renards n'est que le dernier des parasites s'il se mutine contre la meute.
- Quel est mon rôle ? avait demandé Nymuë.
- Officiellement, je viens rejoindre Diaban dans sa lutte pour prendre la tête de la Guilde. Officieusement, je lui ferai passer le message de Neuf-Doigts au moment des négociations. Nous sommes censés nous rencontrer seul à seul, et je ne pense pas qu'il manquera à son engagement. Moi, en revanche… je t'ai, toi, pour protéger mes arrières.
- Tu veux que je l'attaque ? s'était-elle exclamée, abasourdie.
- Uniquement s'il porte la main sur moi. Loupe pas ton coup, mésange : je détesterais revenir d'entre les morts pour te donner la raclée de ta vie."
Avec une attitude faussement désinvolte, Revan était parti à la rencontre du haut-membre de la guilde. Diaban était un elfe aux cheveux sombres, dont le bas du visage était partiellement recouvert d'un masque noir. Certains racontaient que c'était pour dissimuler d'anciennes cicatrices ; Revan, lui, disait qu'il essayait simplement de se donner un style.
Les discussions avaient paisiblement commencé. De sa cachette, Nymuë n'entendait pas leurs paroles, mais le parjure paraissait surexcité. Finalement, il avait hoché la tête avant de frapper le mur à un rythme précis. Une entrée secrète s'était ouverte, l'englobant lui et son mentor. La jeune femme avait attendu dix minutes. Puis vingt. Au bout de trente, l'inquiétude avait commencé à la gagner. Elle s'était approchée du mur de pierre, afin de faire glisser ses doigts sur sa surface rugueuse :
"Ostende Mihi.", avait-elle chuchoté.
Quatre roches avaient émis une lumière dorée, clignotant à un rythme régulier. Une serrure arcanique, avait compris Nymuë, un piège simple, mais efficace pour dissuader tout intru de mettre son nez là où il n'était guère désiré. Seule la bonne combinaison dégageait le passage ; une mauvaise, en revanche, était plus susceptible de libérer une mer de flammes. Nymuë avait examiné les pierres lumineuses, se rappelant le tempo utilisé par Diaban. Elle n'était peut-être pas un membre officiel de la Guilde, mais elle avait été musicienne. Elle opposait son oreille à l'expertise des voleurs sans hésitation. D'un geste net et concis, elle avait reproduit la cadence dévoilant l'entrée.
L'intérieur était d'un noir d'encre, et sans ses yeux d'elfes, la jeune femme aurait lamentablement manqué les marches d'escaliers sous ses pieds. Elle s'était enfoncée dans les profondeurs le plus silencieusement possible, jusqu'à entendre des échos de voix. L'une d'elle, en particulier, était reconnaissable entre toutes. Revan était en train de crier.
L'elfe noire s'était précipitée en direction du bruit, le cœur battant et le souffle court. Les hurlements de son mentor étaient interrompus par une série de gargouillements ponctuels, comme le son de bulles éclatant à la surface de l'eau. L'air se faisait plus frais au fur et à mesure qu'elle se rapprochait. Le sol sous ses pieds était humide : la cachette ne devait pas se trouver trop éloignée du Port-Gris. Au détour d'un couloir, Nymuë avait enfin aperçu Revan. Il était agenouillé devant les flots gris du Chionthar, et peinait à reprendre sa respiration. Ses mains étaient liées, ses dagues avaient été jetées hors de sa portée. Diaban le tenait par la nuque, toute amicalité désormais effacée :
"Tu vaux mieux que ça, Revan, avait-il soupiré. Qui m'a vendu à Neuf-Doigts ?
- Aucune idée. La patronne me donne un job : je le fais. J'ai pas demandé le détail.
- C'est bien dommage. Mais peut-être qu'une nouvelle baignade te rafraîchira la mémoire ?"
Serrant sa nuque, Diaban avait plongé la tête du voleur dans le fleuve. Son poids, sur le dos de sa victime, rendait impossible toute retraite.
"Tu sais, j'ai toujours pensé que tu étais un des éléments les plus inutiles de cette Guilde. Après ce qui est arrivé à ta femme et ta fille… tu étais un véritable déchet. À peine plus qu'un animal. Mais Neuf-Doigts a vu quelque chose d'autre en toi. Quelque chose l'incitant à nourrir, loger et former la pauvre créature que tu étais. Et regarde où cela nous a conduit ! Sous mon règne, les misérables ne seront pas admis."
Le haut-elfe s'était approché de son prisonnier, prit de tressautements violents :
"Cela implique la vermine drow que tu nous as ramené…
- Viens donc me le dire en face.", avait rugi Nymuë.
Des chaînes avaient balafré la joue du parjure qui, sous le choc, en avait lâché Revan.
"Que penses-tu faire, gamine ? avait sifflé Diaban. Comptes-tu danser pour moi ?"
Sans répondre, Nymuë avait lancé ses liens vers son adversaire, le faisant reculer de quelques pas. Ses doigts malhabiles tremblaient.
"Revan ! s'était-elle époumonée. Debout !"
Un bref grognement avait fait écho à sa demande. Dégoulinant d'eau sale, le roublard s'était relevé en titubant. Diaban tirait Nymuë à lui, sur le point de déséquilibrer la musicienne :
"Tu n'aurais pas dû mêler ta gosse à cette histoire, Revan. Je me serai contenté de la foutre hors de ma ville, tu sais."
Des crépitements avaient parcouru ses avant-bras, et un sabre bleuté s'était matérialisé dans sa main. La lame, composée de filaments de la Trame, était plus tranchante que l'acier. Les dagues de Revan s'étaient brisées à son contact, aussi sûrement que si elles avaient été faites de verre.
"Tu vois, c'est ça qui t'as toujours manqué, Revan, avait jubilé le haut-elfe. La jugeote. Tu sais obéir, mais que les dieux te viennent en aide, tu n'as jamais su réfléchir. Et maintenant…"
Un grognement sourd s'était échappé de ses lèvres. De sous sa manche, Nymuë avait attrapé le poignard confié par son mentor… et l'avait planté dans la poitrine du parjure. Le regard de l'homme, aujourd'hui encore, était une énigme. Elle n'y avait lu nulle colère, ou douleur : seulement de l'ébahissement pure. Avec un sentiment d'irréalité, elle avait vu ce criminel, ce malfaiteur, tomber en arrière. Le bras tenant le poignard lui paraissait fait de plomb. Son cerveau également. Elle avait contemplé le cadavre sans un mot.
"Je t'avais dit que Neuf-Doigts le voulait vivant, avait sifflé Revan.
- Sauf s'il portait la main sur toi. De rien.
- Je le faisais parler. J'avais la situation sous contrôle !
- Le Chionthar te monte à la tête."
Le roublard l'avait dévisagée, toujours trempé. Il était furieux, la musicienne le voyait. Pourtant, la perte de Diaban ne semblait pas être le véritable objet de sa colère :
"Et maintenant, tu as tué un homme. Bon sang de bonsoir, Nymuë, voilà pourquoi je ne voulais pas t'impliquer en premier lieu. Écoute mésange, je sais que c'était difficile mais…
- C'est terrifiant à quel point ça a été facile.", avait-elle rectifié.
Elle s'était tournée vers son mentor. Son mécontentement avait laissé place à une expression plus pensive, presque… fatiguée. Lassée.
"Ouais, avait-il reprit. Ouais, en effet."
Ils avaient quitté la planque de Diaban, vide de tout document intéressant. Neuf-Doigts serait mécontente, mais le haut-elfe en avait assez dit pour l'inculper.
"Je prendrai la responsabilité de sa mort, avait déclaré Revan. Toi, tu n'as rien à voir avec ça. Tu es venue m'aider alors qu'il m'attaquait, et j'ai porté le coup final. Si la patronne doit punir quelqu'un, ce sera pour ma pomme.
- Tu n'as pas à me couvrir. Je ne suis pas une enfant."
Le voleur avait longuement soupiré :
"Non, mésange. Tu n'en es pas une. Quand je ferai mon rapport à Neuf-Doigts… J'interviendrai en ta faveur. A partir de demain, tu pourras faire partie de la Guilde.
- Non."
Revan s'était arrêté, stupéfait. Ne l'avait-elle pas enquiquiné plus que de raison à ce sujet, il y avait quelques heures à peine ? Le regard de Nymuë était absent. La leçon que son mentor avait tenté de lui enseigner, plus tôt, venait d'être comprise.
"Tu avais raison." avait-elle conclu.
"Perdue dans vos pensées, darling ?"
Nymuë se retourna. Assaillie par ses souvenirs, elle n'avait pas vu le temps passer. Cela faisait plusieurs heures qu'elle était perchée au sommet du moulin. Baldur's Gate continuait de scintiller doucement ; la Lune était haute dans le ciel.
"Je repensais à mes premiers mois ici, répondit-elle en souriant. Les choses ont pas mal changé depuis lors."
Astarion s'assit à ses côtés. Ombrecoeur et Lae'zel avaient réquisitionné la grange afin d'établir un abri pour la nuit ; le feu de leur campement déposait sur les murs une lueur chaleureuse. Seul le regard du vampire venait rompre le tableau, terni par l'amertume :
"Si les circonstances avaient été différentes, je serais en train de chasser, à l'heure qu'il est. Une nuit d'été, sans nuages… les rues de la ville-basse doivent être pleines à craquer. Remplies d'idiots prêts à suivre le premier beau-parleur venu."
Ses lèvres s'étirèrent en un rictus :
"Cela paraît incroyable de se dire que plus je me rapproche de Cazador, plus ma liberté est à portée de main…"
Nymuë l'observa. Le roublard paraissait plus détendu que jamais, malgré la menace que représentait son ancien maître. Depuis la visite de Raphaël, il se comportait étrangement…
- Vous parlez du rituel." comprit-elle.
Voyant qu'il ne la détrompait pas, elle se jeta à l'eau :
"Quelles sont vos intentions, exactement ?
- Oh, rien de précis, déclara-t-il. Nous pourrions l'arrêter, bien sûr ou… non ?"
Il leva les mains :
"Nous devons envisager toutes les possibilités, s'écria-t-il. Si je terminais moi-même ce rituel, j'obtiendrais un pouvoir immense. Je pourrais affronter la lumière du jour sans craindre de me transformer en flagelleur mental !
- Et les âmes sacrifiées ? rétorqua-t-elle.
- Ah. Et bien, l'idée ne me plaît pas beaucoup, mais soyons honnêtes : Baldur's Gate ne pleurera pas mes frères et sœurs. Ils ont fait des milliers de victimes au fil des ans.
- Par obligation. Tout comme vous.
- Ça n'a rien à voir ! Ils sont condamnés. La seule question est de savoir si leur existence sera sacrifiée pour un monstre comme Cazador, ou dans un but bien plus noble. Sept symboles, sur autant de rejetons… Nous serions fous de ne pas nous emparer de ce pouvoir !"
La jeune femme le contempla, sans un mot. Une part d'elle-même n'avait plus trouvé la paix après avoir entendu parler du Rite de l'Ascension. Ce soir-là, elle avait vu une lueur s'allumer dans le regard de son compagnon. Une lueur qui lui avait parfois ôté le sommeil…
L'un comme l'autre avait soigneusement évité le sujet, se concentrant sur les menaces imminentes. Maintenant, elle savait pourquoi : ils avaient fui cette discussion, trop conscients de la discorde qu'elle pouvait provoquer. Leur affection mutuelle était encore récente, un ciel bleu sans nuages. Peut-être avaient-ils voulu en profiter avant l'arrivée des intempéries.
"Vous entendez-vous parler ? murmura-t-elle.
- Oh, vous n'allez tout de même pas verser dans le sentimentalisme, si ? Je croyais que vous étiez avec moi sur ce coup. Ne souhaitez-vous pas mon bonheur ?"
La musicienne grinça des dents. Ce ton suave, cet accent séducteur… Astarion la pensait-il aveugle, pour balayer ses craintes d'un simple numéro de charme ?
"Je pensais que toute cette histoire vous avait fait prendre conscience que vous étiez meilleur que Cazador, répliqua-t-elle durement. N'avez-vous donc aucune compassion pour vos compagnons d'infortune ?
- Personne n'a jamais pris soin de moi ! s'emporta le vampire. Personne ne m'a jamais adressé la moindre parole bienveillante !"
Son souffle se stabilisa légèrement :
"Vous êtes la seule. Les autres ne sont pas comme vous. Vous êtes… et bien… vous.
- Bien d'autres seraient prêts à faire de même, Astarion, tempéra-t-elle. Si vous leur donnez une chance.
- Combien l'ont-ils fait, pour vous ?"
La jeune femme ne répondit pas, ce qu'il prit comme un assentiment :
"Combien furent ceux vous méprisant, vous chassant, vous humiliant sous prétexte que vous étiez ce que vous êtes ? Si à l'époque, on vous avait confié le pouvoir absolu… ne l'auriez-vous pas pris ?"
Nymuë se plongea en elle-même. L'aurait-elle fait ? A la suite d'un énième avilissement. Face à la foule en colère les ayant attaquées, Elyon et elle. Aurait-elle vendu son âme, et celle de milliers d'autres, afin de se sortir de ce malheur ?
Oui. Elle le sentait, au fond de ses tripes. Sans la moindre hésitation, elle se serait offerte. Peut-être était-elle hypocrite en exprimant ses doutes à Astarion. Ils n'avaient aucune garantie que le rituel puisse être exécuté par une autre main que Cazador, après tout. Mais elle ne pouvait empêcher son mauvais pressentiment de croître. Elyon, la troupe… Si elle avait été séduite par un pouvoir similaire à celui du Rite de l'Ascension, tout ce à quoi sa petite fée avait cru aurait été détruit pour toujours. La jeune femme avait perdu, beaucoup, et souffert peut-être même davantage. Mais n'avait-elle pas aussi gagné ce qu'elle obtenait aujourd'hui ? N'avait-elle pas le droit d'être fière de ce qui l'entourait ?
"Le désespoir n'est pas bon guide, Astarion : il nous fait ignorer les détails marqués en bas du contrat.
- Je ne suis pas stupide, siffla-t-il. Je fais ça pour vous aussi, vous savez. Pour veiller à ce que nous puissions vivre en sécurité jusqu'à la fin de nos jours. Pour éviter à nouveau ceci."
Ses mains froides effleurèrent la peau tendre de son ventre, pas entièrement cicatrisée. Il avait fallu le travail conjugué d'Ombrecoeur et d'Isobel pour la guérir aussi vite, après la victoire de Hautelune. Malgré tout, ses blessures demeuraient fraîches, et les stigmates bien visibles.
"Est-ce là ce qui vous inquiète ? s'enquit la jeune femme. Que je manque de mourir, une seconde fois ?
- L'immortalité empêcherait ça. Réfléchissez, Nymuë : si je devenais le premier vampire Ascendant, ma force se transmettrait à quiconque je transformerais. Plus besoin de larves pour remettre à leur place les individus tels que Nere. Nous ne craindrions pas le passage du temps ; nous n'aurions plus à fuir. Le palais de Cazador serait notre foyer. Vous vous rendez compte ? Plus de souffrances, plus de honte : nous serions invulnérables.
- Comme l'était Ketheric, répliqua-t-elle. Rappelez-vous où cela l'a mené.
- Vous faites des raccourcis, là où je vous demande de voir les choses en grand ! Pensez-y, au moins, Nymuë. Il serait ridicule de passer à côté d'une telle opportunité. C'est là notre chance de devenir l'égal des dieux !"
Il lui embrassa le front avec douceur, sans que la jeune femme ne réagisse. Ces dernières paroles l'avaient changée en statue de glace. Astarion avait-il seulement la moindre idée de ce que les divins avaient prévu à leur intention ? Elle, en revanche, connaissait que trop bien la réponse… car dans son esprit, une voix sans âge se rappelait à son bon souvenir :
"Ne fais pas l'erreur de me tourner le dos, mon enfant. Songe à ce qui est arrivé à ta famille. Refuse, et mes fidèles te traqueront, en Outreterre comme au-delà."
Les murmures devinrent poignards, tandis que Nymuë posait une main tremblante sur sa blessure :
"Sache que tu ne pourras jamais te cacher. Je saurai toujours où te trouver."
Aigreterre était presque méconnaissable. Situé au Sud de Baldur's Gate, ce petit hameau était le premier quartier que traversait tout voyageur souhaitant atteindre la cité. Rassemblant à l'origine des pêcheurs et des meuniers, la petite bourgade semblait s'être soudainement transformée en véritable campement militaire. Partout, des groupes se rassemblaient, certains quittant la ville, d'autres la rejoignant. Tieffelins, halfelins, nains, humains… les réfugiés étaient légion. Ils avaient voyagé de loin, dans l'espoir d'une protection face à l'armée de l'Absolue. Natifs et nouveaux-venus se côtoyaient dans une ambiance pesante, presque… à fleur de peau.
"C'est ça, Baldur's Gate ? siffla Lae'zel. Je m'étais attendue à quelque chose de plus spectaculaire. Cet endroit ressemble à un champ trop petit pour son troupeau.
- Ville du progrès et de la tolérance, murmura Nymuë. Si Balduran vivait encore, il serait triste de voir l'état de sa cité..."
Des soldats du Poing Enflammés patrouillaient à chaque coin de rue. Leur présence avait tout d'abord mis les aventuriers mal à l'aise, mais la milice se contentait principalement de maintenir un statuquo délicat. "S'ils surveillent les hameaux, qui protège l'intérieur des murs ?" se demanda Nymuë. Du coin de l'œil, elle aperçut une famille de tieffelins mendiant de la nourriture. Un prêtre, plus loin, refusait l'asile à un autre groupe, prétextant que leur temple avait à peine de quoi subvenir à ses propres besoins. Un homme et une femme empilaient des sacs de toiles sur une charrette, une petite fille à l'avant :
"Mieux vaut partir tant qu'il est encore temps, grognait le père.
- Lilly dit que l'Absolue a une véritable armée sous son commandement, chuchotait son épouse. Que ceux ayant attaqué les abords de la cité n'étaient qu'un avant-goût de ce qui allait arriver. Nous ne devrions pas voyager.
- Quoi, tu préfères attendre que ces monstres viennent nous chercher ? Si Baldur's Gate s'apprête à être attaquée, alors on s'en va. C'est aussi simple que ça."
Sur la droite des compagnons, d'autres fugitifs suppliaient une escouade de Poings Enflammés :
"Tout ce qu'on veut, c'est entrer en ville. Vous n'avez pas le droit de nous laisser pourrir ici ! On a à peine de quoi manger, pas un toit au-dessus de la tête…
- Navré madame, mais les ordres du Seigneur Gortash sont clairs. Faites confiance aux patriars pour ramener l'ordre au sein de la cité. En attendant, personne n'entre ni ne sort.
- Encore moins les voleurs, cracha un citoyen à proximité.
- Comment osez-vous ? s'exclama la réfugiée.
- Vous prenez nos ressources, abusez de nos terres et de nos gens, et vous vous attendez à être accueillis à bras ouverts ? Cette ville est la nôtre ! Ma famille et moi sommes nés ici, avons grandi ici, et n'avons pas le droit de nous mettre à l'abri à l'intérieur de nos propres logis. Tout ça à cause de vous ! Si les exilés ne nous envahissaient pas, les gens qui le méritent seraient parfaitement à l'abri !
- Vous êtes le problème ! rugit un autre. Si on continue à héberger chacun des vôtres, plus personne ne saura se défendre face à l'Absolue !
- Mais nous n'avons nulle part où aller ! hurla la femme. Et l'armée…"
Les protestations se transformèrent en hurlements, bientôt rejoints de toutes part par d'autres citoyens. Nymuë et ses camarades échangèrent un regard lugubre : l'œuvre de l'Absolue était déjà en marche. Sans le duc Gardecorbeau, l'unité de Baldur's Gate volait en éclat. Les Élus des trois dieux morts maniaient la peur avec la même adresse qu'un soldat, son épée. Quand viendrait l'heure de prendre la cité, les habitants seraient trop occupés à s'entre-déchirer pour opposer une quelconque résistance.
La musicienne frissonna en notant les œillades suspicieuses jetées dans leur direction. Leur petite troupe attirait l'attention. Les aventuriers n'étaient plus les bienvenus, en ces heures sombres… "Il va être plus compliqué que prévu d'atteindre la ville", songea-t-elle. Par les bas-fonds, peut-être ? Elle savait que la Guilde disposait de moyens contournés pour circuler au sein de la cité, mais n'en connaissait malheureusement pas l'entrée.
Alors que les compagnons se frayaient - tant bien que mal - un passage en direction du bourg, Nymuë se figea. Les cris des réfugiés avaient été remplacés par une exclamation enthousiaste… portée par une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.
"Oyé oyé, approchez ! Venez voir le Cirque des Derniers Jours, les plus grands numéros extraplanaires de l'univers connu et inconnu ! Des djinns tempétueux aux bonnets rouges belliqueux, vivez l'extraordinaire !"
Un kobold coiffé d'un chapeau s'époumonait au cœur de la foule, interpellant les curieux. Derrière lui, des roulottes colorées et des tentes s'entassaient sur une parcelle de terrain. La clameur de la créature se transforma en couinement, quand il aperçut à son tour l'elfe noire.
Ce fut comme si son cœur s'arrêtait de battre. Elle ignora les imprécations de Lae'zel, alors que la guerrière heurtait subitement son épaule. Sa seule pensée logique concernait le saltimbanque devant elle, vestige d'un passé qu'elle avait pensé ne jamais revoir :
"Brindille ?" murmura-t-elle.
Notes de fin :
Et oui, nous terminons avec un petit cliffhanger pour cette semaine ! Je ne pense pas surprendre grand-monde toutefois, le Cirque des Derniers Jours était l'occasion parfaite de remettre le couvert avec le passif de Nymuë. Vous risquez d'être surpris cependant de la direction choisie.
Un petit flash-back avec Revan, les débuts de Nymuë dans "l'underworld" de Baldur's Gate. J'ai beaucoup aimé rédiger cette partie ! Et nos personnages commencent à parler du Rite de l'Ascension...
Je retourne à ma rédaction, j'ai le mot "FIN" à ajouter ! Merci pour votre lecture, et à la semaine prochaine.
