Bonjour à toutes et à tous !
Merci à Cassye pour son commentaire, et merci aux lecteurs anonymes !
Cette semaine, j'ai officiellement terminé la rédaction de l'Acte 2 ! Il se révèle être un poil plus long que l'Acte 1 (qui fait 15 chapitres). On attaque le dernier tiers niveau écriture, et je suis vraiment impatiente ! La fin de l'Acte 2 fut assez difficile à accoucher, j'espère toutefois que vous l'apprécierez.
Réponse aux reviews :
Cassye : "Plus coincé qu'un eunuque dans un bordel", j'ai le souvenir d'avoir légèrement modifié la phrase initiale de la duergar pour l'adapter à mon humour douteux x). Merci encore et toujours pour tes encouragements, j'espère que cette rencontre Nere x Nymuë sera à la hauteur de tes attentes !
Je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 17 :
L'âme éveillée Nere
En comparaison avec le reste de l'Outreterre, les ruines de Malforge regorgeaient de lumière. Entre la lave circulant sous les plateformes métalliques et les torches allumées à chaque pilier, il était impossible pour les aventuriers de se perdre. Des duergars occupaient la majorité des lieux, donnant des ordres d'une voix rude à quelques gnomes amaigris. Lorsqu'ils les virent passer, ils leur jetèrent un regard mauvais.
"Le moins qu'on puisse dire, siffla Astarion, c'est que nous ne manquerons pas d'ennemis si les choses tournent mal.
- Je n'arrive pas à croire que de telles vermines se soient emparées de la demeure de Dame Shar, pesta Ombrecoeur. Cet endroit devait être rempli autrefois de Tribuns de la Nuit…
- Halsin et vous avez déjà mentionné ce titre, intervint Nymuë. Mais que sont les Tribuns de la Nuit, exactement ?
- L'instance à la tête de l'Église de Shar, répondit la prêtresse. C'est un des plus grands honneurs qu'un adepte ne puisse jamais atteindre ; celui auquel tous les disciples aspirent. Depuis toujours, je rêve de servir ma Dame en tant que Tribun de la Nuit, de devenir son bras armé et l'instrument de ses ténèbres éternelles. Mais "mère" ne m'a jamais autorisée à faire mes preuves."
Voyant l'air curieux de ses compagnons, la demi-elfe précisa :
"La mère supérieure de mon cloître, devrais-je dire. C'est elle qui m'a recueillie, et je lui dois tout mais… parfois, elle se révèle insondable. Elle pense que je ne suis pas prête… et j'ignore si elle le considérera un jour.
- Il vous suffit de continuer à vous battre, rétorqua Lae'zel. Les déesses ne s'arrêtent pas à des considérations aussi triviales : elles réagissent à nos actions. Vlaakith verra que je suis sa plus fidèle guerrière, non pas parce qu'un de ses conseillers m'en aura jugée digne, mais parce que mes haut-faits seront des preuves irréfutables. Il en va de même pour vous.
- Je suppose, devina Nymuë, que c'est également pour cela que votre mission est si importante à vos yeux ?
- En effet. Outre la restauration de ma mémoire, ramener cet artefact prouvera à la mère supérieure que je suis une loyale servante de ma Maîtresse, et que ma foi ne m'a jamais abandonnée lors des pires épreuves.
- Il n'est pas encore dit que cet artefact vous appartienne… grommela la guerrière gith.
- Nous avons convenu, Lae'zel, que le prisme resterait avec Ombrecoeur, rappela l'elfe noire.
- Parce qu'il nous protège de nos parasites. Cela ne veut pas dire, une fois débarrassé de cette infection, que mon peuple doit céder ce qui est sien.
- Je trouve quand même étrange, observa Astarion, que vous vous retrouviez précisément avec l'unique objet capable de nous protéger de notre… condition. Cela paraît bien commode.
- Je suis d'accord, acquiesça Nymuë. Avant de vous écharper, rappelez-vous de notre étrange visiteur nocturne. Cet "ange gardien" enfermé dans le prime a ses propres motivations. Nous saurons mieux les comprendre si nous œuvrons ensemble."
Ses compagnons hochèrent la tête, non sans un dernier regard de défi entre Lae'zel et Ombrecoeur. La musicienne soupira : si les relations entre les deux femmes s'étaient améliorées, les bases demeuraient fragiles. Le point de friction principal étant, encore et toujours, l'étrange artefact githyanki. A ce jour, ils ignoraient tout de cet objet… seule était certaine la ténacité avec laquelle leurs ennemis cherchaient à s'en emparer.
Leur pas les menèrent à un vaste espace dégagé au milieu des cascades de lave. Là, plusieurs gnomes s'affairaient à déblayer une montagne de gravats sous le fouet sans pitié des duergars.
"Plus vite ! rugit la femme à la tête du peloton. Faites chauffer de la caillasse. On va voir si ces feignasses continuent de lambiner quand on leur met le feu au cul."
Elle aperçut alors ses visiteurs :
"Dégagez ! ordonna-t-elle. J'ai pas de temps à perdre avec vous.
- Vraiment ? susurra Astarion. Quel dommage. Cela nous évitera de creuser, j'imagine.
- Je suppose que nous devrons rapporter à l'Absolue que vous avez négligé ses fidèles ?" sous-entendit Ombrecoeur.
La naine se figea, et les observa d'un air circonspect. La peur se mêlait à la méfiance dans son regard :
"D'autres âmes éveillées ? s'exclama-t-elle. Cette sale rakkah de vigile aurait pu me prévenir. Contente que vous soyez là pour prendre les choses en main. Des galeries se sont effondrées et Nere, l'un des vôtres, est coincé au milieu d'un tas de geysers empoisonnés. Si on ne le sort pas de là rapidement…
- Comment Nere s'est retrouvé là-dedans, exactement ? s'enquit Nymuë.
- Cet endroit est très ancien, répondit la duergar en haussant les épaules. Les occupants précédents ont laissé un piège ; on s'est ramassé des tonnes de métal sur la tronche quand on a commencé à creuser. Sortez Nere de là et vous aurez la bénédiction de l'Absolue, je vous le garantis."
L'elfe noire étudia soigneusement les débris de roches et de terre sur lesquels les gnomes s'échinaient. Creuser prendrait des heures, même avec quatre paires de bras supplémentaires, et le temps de Nere était compté. La magie ? Ni elle, ni Ombrecoeur ne connaissaient de sort de lévitation suffisamment puissant… Il allait falloir se montrer plus radicale. Fort heureusement, ils gardaient quelques souvenirs de la bataille du Bosquet d'Emeraude…
"Dites-leur de reculer, prévint la jeune femme. J'ai de la poudre explosive."
La sergente ne se le fit pas dire deux fois. D'un geste, elle indiqua à ses hommes de la rejoindre au fond de la pièce et les gnomes lâchèrent aussitôt leur pioche. Les mains d'Ombrecoeur se mirent à flamboyer d'un feu ardent ; lorsque Nymuë jeta le sachet de poudre au milieu des gravats, elle était prête :
"Ignis !", scanda la prêtresse.
La détonation secoua le bâtiment, forçant les aventuriers à plonger au sol pour se protéger. Des fragments de pierre volèrent en tous sens et tombèrent dans les flaques de lave adjacentes. Un projectile, toutefois, percuta un duergar trop occupé à admonester les gnomes pour se mettre à couvert. Le nain hurla, éjecté sur plusieurs mètres, avant de se taire à jamais.
Une silhouette émergea des décombres. Nere était un drow à la peau presque aussi pâle que Nymuë, signe qu'il n'avait pas toujours vécu dans les profondeurs. Ses cheveux blancs, rejetés en arrière, dégageaient un visage aux pommettes hautes et aux yeux aussi rouges que l'étaient ceux de Minthara. Il était vêtu d'une longue robe élégante, fermée par une broche représentant le symbole de l'Absolue. Bien que recouvert de suie et de poussière, le regard qu'il adressa aux soldats duergars était plein de mépris :
"Pas trop tôt."siffla-t-il.
Une gnome se faufila dans son sillage. Elle poussa un cri de joie en apercevant ses congénères et courut les rejoindre… jusqu'à ce que la main de son maître s'abatte sur elle.
"Bons à rien d'esclaves ! hurla Nere. Votre incompétence a failli causer ma perte."
Des étincelles violettes l'enveloppèrent et, comme en réponse, un mal de crâne violent saisit les aventuriers. Les yeux de l'âme éveillée n'étaient que fureur :
"Nere. N'échoue. Jamais.", rugit-il.
La gnome fut propulsée en arrière, tentant en vain de se raccrocher à quelque chose pour prémunir sa chute. Son cri de terreur fut noyé par le glougloutement de la lave en fusion. Le drow se tourna ensuite lentement en direction des nouveaux venus, faisant danser son pouvoir le long de ses doigts :
"Et maintenant, voyons un peu les élus que l'Absolue m'a envoyé…"
Il se figea, alors que son regard croisait celui de Nymuë ; ses yeux s'écarquillèrent à l'extrême. Était-il surpris de voir une de ses congénères ? se demanda la jeune femme. Pourtant, ils avaient croisé le cadavre d'un drow sur les rives de Sombrelac…
Lorsque Nere reprit la parole, l'incrédulité perçait sa voix :
"Sabrae ?"demanda-t-il.
La musicienne zieuta autour d'elle, mais personne parmi les duergars ou les gnomes ne réagit à l'appel. Ses compagnons étaient perplexes, eux-aussi. Se reconcentrant sur le chef des lieux, Nymuë le vit qui l'étudiait des pieds à la tête. Ses pupilles notaient chaque détail de ses vêtements, de sa figure, s'attardant un instant sur le violon dans son dos. Son observation lui faisait l'effet d'une lame acérée sur sa peau : elle ne savait pas pourquoi, mais il y avait de la haine dans le regard de l'âme éveillée.
"Vous faites erreur, répondit-elle doucement. Je me nomme Nymuë. Nous venons pour…
- Vous n'êtes pas Sabrae, la coupa Nere. Vous êtes sa putain de bâtarde."
Le coeur de la jeune femme rata un battement ; les bruits se transformèrent en bourdonnement indistinct à ses oreilles. Le dégoût se mêlait désormais à la colère dans l'expression de son interlocuteur.
"De quoi parlez-vous ? questionna-t-elle d'une voix blanche.
- Sabrae, que pestilence soit son nom, n'a jamais jugé digne de vous informer de votre lignage ? Curieux. Il fut un temps où elle était fière d'être une catin. Êtes-vous là pour revendiquer l'héritage Asenred, soi-disant âme éveillée ? Si c'est le cas, vous arrivez un siècle trop tard.
- Vous allez me dire tout ce que vous savez, murmura dangereusement Nymuë. Immédiatement."
Le parasite, dans un coin de sa tête, se mit à trembler. S'égosillant de joie à la saveur de sa colère, il s'ouvrit à elle. Un flot de pouvoir traversa les veines de Nymuë, visant avec hargne l'elfe lui faisant face. Si Nere fut pris par surprise, cela ne dura pas : lui-aussi disposait d'un ver illithid. Bientôt, la conscience de la jeune femme se heurta à un mur d'acier.
"Oh, vous êtes donc réellement une enfant de l'Absolue, constata-t-il. Je suppose qu'elle ne m'en voudra pas d'éliminer les fruits pourris suspendus à ses branches. Quel dommage que Sabrae ne soit pas là pour assister à votre trépas. Pour un ancien consort, il y a quelque chose de satisfaisant dans le meurtre d'une progéniture illégitime."
Nymuë entendit un mouvement dans son dos : ses compagnons s'étaient rapprochés, et les duergars avaient lentement commencé à les encercler. Seuls les gnomes étaient restés au fond de la pièce, se serrant les uns contre les autres avec des gémissements terrifiés.
"Soldats ! appela Nere. Ces âmes éveillées nous ont trahis. Leur sang versé sera la preuve de votre dévotion !"
Trois des nains chargèrent le groupe d'aventuriers, et ceux-ci dégainèrent leurs armes. Pas Nymuë ; observant placidement ses adversaires, elle leva la main :
"Hors de mon chemin. Detono !"
Un vent puissant, semblable à une vague, souleva les guerriers et les envoya dans le fleuve de lave. L'elfe noire sentit le regard surpris de ses camarades sur sa nuque ; mais seul comptait Nere qui, pour le moment, souriait :
"Voyons si vous faites preuve d'autant de férocité face à un de vos alliés. Imperium !"
Un faisceau mauve toucha Lae'zel en pleine poitrine et les yeux de la guerrière se vidèrent de toute expression. Agrippant son épée d'une main ferme, elle abaissa son bras… sur Nymuë. L'elfe noire évita l'attaque à la dernière seconde, puis roula sur le côté pour esquiver le coup suivant. Ombrecoeur et Astarion voulurent se saisir de la githyanki, mais les derniers duergars étaient maintenant sur eux. Tranquillement, Nere recula pour admirer le spectacle.
"Lae'zel, s'écria la musicienne, ça suffit maintenant ! C'est moi !"
Les traits de son acolyte demeuraient vides alors qu'elle serrait le manche de sa lame, prête à l'enfoncer dans le corps de son adversaire. Le drow était trop à l'abri pour que Nymuë puisse espérer briser sa concentration ; sa seule issue était donc… de l'atteindre via sa marionnette. Utilisant le lien de leur parasite, la jeune femme projeta son énergie dans l'esprit de Lae'zel :
"Timere", murmura-t-elle.
Les yeux de la guerrière s'agrandirent de terreur et un cri retentit du côté de Nere ; quelles que soient les images que voyaient la gith présentement, il les subissait aussi. L'âme éveillée se prit la tête à deux mains, en proie à des visions révélant ses pires tourments. Son sort de domination se dissipa aussitôt. Lorsqu'il se redressa, des spasmes agitaient ses membres ainsi que les traits de son visage :
"Hérétique, souffla-t-il, c'était ta dernière erreur…
- Tsk'va ! rugit Lae'zel. J'aurais ta tête, Nere !"
Le drow observa un instant le champ de bataille : les sentinelles duergars avaient été abattues par les flèches d'Astarion ; les quelques soldats restant se faisaient désormais assaillir par Ombrecoeur et la horde de gnomes, ayant saisit l'occasion de se venger de leurs tourmenteurs. Le camp de l'Absolue perdait son avantage.
"Puisque c'est ainsi, expectora-t-il, je m'occuperai moi-même de votre cas."
Il agita les mains et trois répliques de sa personne se matérialisèrent, plus vraies que nature. Les quatre Nere s'avancèrent vers la guerrière et la musicienne, épée au poing.
"Restez en arrière, déclara fermement Lae'zel. Je m'en charge."
La gith se précipita sur le drow qui - bien que vif - ne faisait pas le poids face à la force de ses coups. Il se concentra sur l'esquive, misant plutôt sur sa vitesse ; la première attaque de son adversaire le manqua, mais la seconde en revanche faucha une des illusions en plein ventre, la faisant disparaître. Une flèche dans l'œil droit fit éclater la seconde, et la troisième s'écroula sous les assauts mêlés d'Ombrecoeur et des gnomes. Ne restait plus qu'un seul Nere, vulnérable, levant sa lame pour pourfendre l'esclave le plus proche :
"Vous auriez dû écouter. Nere n'échoue…"
Des chaînes s'enroulèrent autour de son poignet et la caresse aiguisée d'un poignard tailla sa joue. Le désarmant d'une pression, Nymuë bondit sur lui :
"Maintenant, hurla-t-elle, dites-moi ce que vous savez. Qui est Sabrae ?"
Sans le réaliser, elle puisa une nouvelle fois dans le pouvoir de sa larve afin de se lier à celle de Nere. L'âme éveillée ricana :
"Sabrae Asenred… Un nom qui n'existe plus depuis longtemps. Si vous ignorez qui elle est, alors elle doit pourrir six pieds sous terre… Louée soit l'Absolue !"
La jeune femme accentua la pression qu'elle exerçait sur le cerveau de son congénère, le secouant abruptement :
"C'était ma mère, pas vrai ? Qui était-elle ? Pourquoi est-elle partie ? Parlez !
- Ah ! Vous avez sa hargne. Sa violence. Mais de lui… vous tenez ces abominables yeux gris. Oh, j'étais tellement heureux quand Lolth m'a autorisé à accompagner l'escouade pour les pourchasser !
- Que dites-vous ? souffla Nymuë.
- La Reine Araignée n'a pas tenu ses promesses : je n'ai pas réussi à avoir Sabrae. Mais avant de quitter Menzoberranzan, sachez que j'ai savouré le discrédit de chacun des Asenred restant."
Les doigts de la musicienne se plantèrent dans le visage de son interlocuteur. Elle entendit, faiblement, ses compagnons se rapprocher d'elle ; mais les hurlements de son parasite étaient trop forts. Le rire de Nere fut entrecoupé de quintes de toux, et du sang coula sur son menton :
"Montrez. Moi.", ordonna Nymuë.
Elle envahit sa conscience, la balayant au passage. Elle passait en revue chaque souvenir, réduisait en poussière ceux qui ne l'intéressaient pas, et s'emparait des suivants. Chaque bribe d'enfance, les succès et les échecs, les alliés comme les ennemis… elle les annihila jusqu'à tomber sur le fragment qu'elle cherchait.
Une femme, au port impérieux. C'était une elfe noire aux longs cheveux blancs soigneusement coiffés en une myriade de tresses. Sa robe sombre, sur laquelle était brodé un grand "A" entouré d'une toile d'araignée, moulait ses formes et la faisait paraître plus majestueuse encore. Elle levait fièrement le menton tandis qu'elle le dévisageait :
"On dit que tu fus autrefois un des meilleurs étudiants de Sorcere, mâle ? demanda-t-elle. Tu feras l'affaire. J'espère pour toi que tu as autant de talents dans la chambre à coucher qu'avec tes sortilèges : j'entends avoir une héritière avant même de devenir Matrone. Ne me déçois pas.
- Nere n'échoue jamais", répondit-il.
A travers les yeux du drow, Nymuë ressenti un frisson d'euphorie : "Enfin", songea-t-il. Enfin, il allait acquérir les honneurs qui lui étaient dus. En rejoignant la famille Asenred, il se mettait sous la protection de la Quatrième Maison de Menzoberranzan ; il était intouchable. Il montrerait à Sabrae qu'elle avait fait un choix judicieux en le prenant comme consort. Il massacrerait ses ennemis ; il planterait, dans son ventre, une graine qui à son tour servirait Lolth avec ferveur.
Un autre souvenir se matérialisa : la même elfe noire, enceinte, courant à toute jambe. Il la pourchassait, la haine au cœur. Ils devaient régner ensemble sur la cité. Détruire les Trois Maisons souveraines, prendre la tête de la noblesse drow et former un empire où seule Lolth les auraient dépassés dans la hiérarchie ! Mais elle l'avait humilié. Trahi, trompé avec… un serviteur !
Une roche le manqua de peu, et la lumière l'aveugla : le monde d'en haut. Avec difficulté, il vit la silhouette de Sabrae s'arrêter, et se tourner vers lui. Nymuë ouvrit la bouche : ou bien était-ce sa mère ? La femme sourit :
"Cette fois-ci, Nere, tu as échoué."
"Nymuë ? hurla-t-on à sa droite. Nymuë, stop !"
La vision disparut, comme une bulle qui éclate. La falaise où s'était tenue Sabrae fit place au paysage volcanique des ruines de Malforge, et l'elfe noire réalisa que sa joue brûlait. On l'avait giflé.
A ses pieds, le cadavre de Nere tressaillait. Du sang coulait en abondance de son nez, sa bouche et ses yeux ; l'écho de sa larve illithid s'était tu. Quant à son propre parasite, il ronronnait de plaisir, entièrement rassasié. La jeune femme sentit ses forces se tarir et tomba, amorphe, dans les bras d'Ombrecoeur. La prêtresse la regardait avec inquiétude, voire… crainte. Sa main était levée, comme si elle ignorait si elle devait la frapper à nouveau, ou non ; mais Nymuë ne quittait pas la dépouille des yeux.
Elle avait tué Nere. Non, pire : elle l'avait désintégré. Sans réfléchir, sans se contrôler… mais certainement pas sans le vouloir. Elle en ressentait un choc presque aussi puissant que l'acte en lui-même. Elle avait souhaité faire du mal au drow, avait savouré le goût du sang le long de sa langue. Aujourd'hui, pour la toute première fois, elle s'était rangée du côté de ceux qui prenaient, et non subissaient. Elle aurait dû continuer à se sentir exaltée, enivrée…
On la rattrapa alors qu'elle s'effondrait. Les bras robustes de Lae'zel la hissèrent sans effort et, par-dessus son épaule, la jeune femme croisa le regard d'Astarion. Ses yeux rubis étaient insondables, vides de toute émotion.
Un écho des siens.
La lanterne lunaire que possédait Nere se révéla inutilisable, probablement détruite lors de l'éboulement. A l'intérieur, ne subsistait que de la poussière grise légèrement scintillante… Un composé chimique, ou magique peut-être ? Rien qui ne puisse les aider dans l'immédiat pour affronter la malédiction des ombres.
"Nous n'avons pas le choix, avait décrété Lae'zel. Nous allons devoir faire sans cet atout.
- Si les cultistes sont nombreux dans la région, avait complété Ombrecoeur, nous aurons peut-être la chance de trouver une autre option en cours de route.
- Tout ça pour rien, finalement, avait sifflé Astarion.
- Je n'en suis pas si sûre…"
Les compagnons s'étaient tus, observant Nymuë qui demeurait en retrait. Perdue dans ses pensées, elle se contentait de suivre ses camarades sans émettre d'opinions. Malgré eux, les aventuriers se sentaient mal à l'aise : ils s'étaient peut-être trop habitués à ce que la musicienne fasse office de médiatrice dans leur petite équipe…
Les quelques duergars ayant survécu au combat s'étaient emparés des navires, et avaient promptement quitté Malforge après avoir appris la mort de l'âme éveillée. Pas de patron, pas de paiement après tout. Les gnomes - libres, désormais - prenaient possession des ruines et ne semblaient guère enclins à se mêler à leurs sauveurs.
Il fut décidé de prendre du repos avant de retourner à la surface ; qui sait ce qui les attendait réellement, là-haut ? Ils auraient besoin de toutes leurs forces… et de leur leader. Ombrecoeur repéra une alcôve parmi les décombres, une ancienne chambre de cérémonie, reconnut-elle.
"Ce devait être là que les Tribuns de la Nuit rendaient leurs sacrements…"
La pièce était remplie de plusieurs bancs de granit, le tout amassé devant un large autel. Placé en hauteur par rapport aux quais et aux cascades de laves, l'endroit leur assurait une intimité relative pour la nuit. Ils montèrent leur tente et allumèrent un feu, mais le moral n'était pas au beau fixe. Lorsque vînt l'heure du dîner, Nymuë resta près de sa couchette.
"Vous devriez prendre quelque chose, lui suggéra Ombrecoeur. Demain sera une dure journée.
- Pas la peine de faire grise mine, surenchérit Lae'zel. Vous avez tué un cultiste, et alors ? Ça nous fait un ennemi en moins. Je regrette que vous ayez choisi l'entremise de nos parasites plutôt que l'acier de votre lame, mais un adversaire mort est une chose qu'il faut célébrer, et non pleurer.
- Je n'ai simplement pas faim, répliqua l'elfe noire. Merci de votre sollicitude.
- Où est parti Astarion ? se demanda soudainement la prêtresse. Dites-moi qu'il n'est pas allé chasser les gnomes. Les pauvres ont eu leur lot d'horreurs pour toute une vie.
- Je l'ai vu se diriger vers l'intérieur du temple, répondit Nymuë.
- Tout seul ? rugit la guerrière. L'appât du gain causera sa perte. Il va coincer ses longs doigts manucurés dans un piège, et je vous préviens, il devra se débrouiller tout seul pour s'en sortir."
La musicienne soupira alors que la demi-elfe et la githyanki - pour une fois d'accord sur un sujet - continuaient de pester. Au bout de quelques secondes, elle se leva :
"Je vais aller le chercher, déclara-t-elle.
- Quelle bonne idée, séparons-nous, railla Ombrecoeur. Comme ça, il ne nous restera plus qu'à aller vous sauver…
- Vous n'avez rien compris, corrigea Lae'zel. Ces deux-là sont camarades d'entrecuisse. Je vous préviens, j'escompte dormir ce soir.
- Et il y a de l'écho dans ce temple, ajouta la prêtresse.
- Bien que j'apprécie votre imagination débordante, rétorqua Nymuë, mon "entrecuisse" se passe de vos remarques."
Elle abandonna les ricanements de ses compagnes pour s'enfoncer dans les galeries adjacentes. Les lieux étaient depuis longtemps abandonnés, et majoritairement saccagés. Le conflit opposant les adeptes de Shar à ceux de Séluné avait laissé ses marques ; par la suite, les cultistes s'étaient chargés de vider le lieu de ses dernières ressources. Bon nombre de chambres cachaient des ossements ou d'anciennes pièces d'armures, mais malheureusement aucun passage secret jusqu'aux Tours de Hautelune n'avait pu être repéré. Avec une certaine ironie, le destin les faisait quitter les Tréfonds Obscurs pour rejoindre une malédiction pire encore. C'était à se demander si leur quête cesserait un jour de multiplier les épreuves.
La jeune femme entendit un grognement dans une pièce avoisinante, et se dirigea vers la source du bruit. Ce qu'elle découvrit la laissa perplexe : dos à elle, les cicatrices exposées, Astarion suivait la ligne de ses stigmates du bout des doigts :
"Un trait s'achevant par un trident et un… deux… trois points ?"
Il interrompit ses efforts, pestant amèrement sur l'infructuosité de sa tentative :
"Maudit infernal ! cracha-t-il. Comment est-on censé lire un langage aussi barbare ?
- En ayant beaucoup de patience, suggéra Nymuë. Et en pratiquant de longues années d'étude."
Le roublard se retourna brusquement, manifestement courroucé d'avoir été pris sur le fait. L'elfe noire retint un sourire :
"Que faites-vous ?" gronda-t-il.
"Du tourisme, faillit-elle riposter. Les blocs de lave sont ravissants en cette saison.". Elle n'était toutefois pas dans les meilleures dispositions d'esprit pour faire du sarcasme. A la place, elle répondit :
"Ombrecoeur et Lae'zel s'inquiétaient que vous ne vous rassasiez sur les gnomes.
- Je peux tenir encore quelques jours, répliqua le vampire. Et bien que nos chères camarades soient aimables, j'ai de meilleurs standards en termes de nourriture.
- Elles se faisaient du souci pour les gnomes, pas pour vos préférences culinaires.
- Je vois.", jeta-t-il froidement.
Nymuë le dévisagea un instant, notant ses sourcils froncés et son regard sévère. Une fois encore, son absence d'expression la désarçonna. La considérait-il comme un danger, à cause de ce qui s'était passé avec Nere ? Pensait-il qu'elle perdrait le contrôle à nouveau, en s'en prenant cette fois-ci à ses compagnons ? Ou était-ce l'expression de ses propres craintes ?
"Je ne voulais pas vous déranger, reprit-elle lentement. Je vous laisse tranquille.
- Attendez ! l'interrompit le roublard. Je suis désolé, je… Vous m'avez pris par surprise, voilà tout. J'essaie de lire ce qui est écrit dans mon dos en identifiant les lettres du bout des doigts, mais c'est peine perdue. Ce serait écrit en rashéménien, ce serait pareil."
Il l'étudia, guettant secrètement sa réaction. L'elfe noire fut prise d'une subite envie de rire : il lui faisait penser à Elyon, lorsqu'elle lui demandait "innocemment" si elle comptait finir sa part de tarte. Il sollicitait clairement son assistance, mais était trop fier pour formuler ce besoin à voix haute. "Je parie qu'il va refuser mon aide, juste histoire de parfaire un peu plus son décorum…", pensa-t-elle.
"Laissez-moi regarder ça.", proposa-t-elle.
Le soulagement traversa le visage du roublard, vite tempéré néanmoins :
"Je… Ce n'est pas votre problème, vous savez ?
- Bien sûr, roucoula-t-elle. Maintenant, fermez-la et tournez-vous.
- Très bien."
Trop rapidement pour que sa mauvaise grâce soit crédible, il pivota. Pour la seconde fois, la jeune femme put contempler les symboles aux lignes agressives barrant ses épaules ; c'était définitivement la langue des Enfers. Mais ses connaissances étaient sommaires - au mieux - et elle ne pouvait pas en comprendre le sens. Observant les lieux alentour, elle dégagea un espace où le granit avait laissé la place à un sol plus meuble.
"Que faites-vous ?", demanda Astarion avec agacement.
Elle leva les yeux au ciel :
"Au cas où cela ne soit pas évident, je m'apprête à recopier. Ne bougez pas."
Il s'abstint de tout commentaire, et Nymuë se concentra sur la reproduction de ses cicatrices. Les runes étaient nombreuses, mais simples dans leur exécution ; elle arriva bien vite à un schéma fidèle à la réalité.
"Par les Enfers…"
Astarion s'était rapproché, examinant désormais le tracé avec consternation :
"Qu'est-ce qu'il a bien pu me faire ?"
L'elfe noire, elle-aussi, ressentait un profond malaise. L'infernal pouvait parfois être utilisé pour certaines transactions contenant des produits illégaux ; elle avait déjà vu des inscriptions sur le marché noir. Mais il s'agissait de noms de codes ou de notes succinctes. Rédiger un texte entier dans la langue des Enfers ne présageait jamais rien de bon.
"Devrions-nous en parler aux autres ? suggéra-t-elle. Elles sauraient peut-être quelque chose…
- Non ! contra énergiquement le roublard. Non… gardons cela entre nous. Du moins, jusqu'à ce que nous en apprenions davantage."
Pendant une brève seconde, Nymuë vit les traits de son compagnon se crisper sous le coup de l'angoisse, avant qu'il ne poursuive :
"Deux siècles que j'ai cela sur le dos… Et je peux enfin savoir de quoi il s'agit.
- Aviez-vous déjà vu Cazador écrire en infernal avant cette nuit-là ? demanda-t-elle.
- Non. J'aurais pu le rater, bien sûr, mais j'en doute. Cazador est seulement métaphoriquement diabolique ; je n'ai jamais vu le moindre démon dans sa crypte. Ce qu'il a gravé dans mes chairs demeure un véritable mystère…"
Il hésita, comme si les mots qu'ils s'apprêtait à prononcer sonnaient peu naturels :
"Merci, par ailleurs, reprit-il. Tout ceci c'est… eh bien, c'est déjà quelque chose.
- N'en parlons plus, sourit Nymuë.
- Compte tenu du sujet, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait me motiver à en parler. Qu'en est-il à présent de votre situation ?"
La jeune femme se tendit, nerveuse. Forcément. Impossible d'accepter un service sans glaner des informations en retour, pas vrai ? C'était plus fort que lui.
"Il n'y a rien à en dire, répondit-elle froidement. Je me suis laissée dominer par ma colère, et ça ne se reproduira plus.
- Oh mais au contraire, j'espère que vous laisserez davantage votre part d'ombre s'exprimer à l'avenir. Ça vous donne un certain charme, susurra-t-il.
- Hors de question. Je n'irai pas jusqu'à dire que je regrette ce qui est arrivé à Nere mais… Je déteste l'idée de ne pas avoir su contrôler mes actions. Je ne me suis pas reconnue.
- Cela en valait-il le coup ?"
Nymuë croisa les bras. Elle songea aux visions entraperçues dans l'esprit de l'âme éveillée : le visage de sa mère, sa fuite en direction de la surface…
"Je ne sais pas trop, avoua-t-elle. Ma propre histoire me paraît moins abstraite, désormais. Mais malgré ces révélations, rien ne change. Mon avenir demeure toujours aussi flou."
Elle fit un vague geste en direction de l'esquisse en infernal :
"Vous voyez où je veux en venir, conclut-elle.
- Et bien, je suppose que vous et moi allons devoir prendre notre mal en patience, déclara le roublard. Et si les résultats supposent d'autres meurtres de cultistes, je ne vois vraiment pas où est le mal.
- Vous deviez être le pire des avocats, vous savez ? rit-elle.
- Darling, vous m'offensez. J'ai beau ne pas m'en souvenir, j'étais sans aucun doute un génie parmi mes pairs.
- Vous ne vous rappelez pas votre vie avant votre transformation ? s'enquit Nymuë, choquée.
- Ce n'est pas comme s'il y avait un grand intérêt.", siffla-t-il.
Il enfila sa chemise avec des mouvements brusques, pleins de colère. Mais cet emportement servait surtout à dissimuler son amertume. La jeune femme réfléchit un instant, essayant d'imaginer ce à quoi devait ressembler Astarion avant… tout ça. Cazador, le Nautiloïd, la secte de l'Absolue. Un homme politique ambitieux, sûr de sa place dans le monde et à qui tout était offert. Sans vraiment y prêter attention, elle formula sa pensée à voix haute :
"Je suis contente de connaître le Astarion vampire. Je ne pense pas que j'aurais pu être amie avec le magistrat."
Les épaules du haut-elfe se raidirent tandis qu'il finissait de se rhabiller. Il la dévisagea avec perplexité, cherchant une trace de manigance ou de moquerie sur son visage. Nymuë se soumit à cet examen, elle-même légèrement troublée par sa brusque confession.
"Amis, répéta-t-il doucement. Est-ce là ce que nous sommes ?
- Je l'ignore, lui répondit-elle. Je n'en ai jamais eu avant."
Elle décida de le laisser à la solitude à laquelle elle l'avait arraché. Au moment où elle quittait la pièce, Astarion l'interpella :
"Je crois que je préfère avoir rencontré Nymuë de Baldur's Gate que Nymuë Asenred."
Elle ne se retourna pas.
Notes de fin :
Et voici pour ce chapitre ! Je crois que j'ai adoré écrire le passage avec Nere. J'ai aussi beaucoup apprécié rédiger le petit passage de fin entre Nymuë et Astarion. A ce stade, les deux personnages traitent la nuit qu'ils ont partagé comme une histoire sans lendemain, par conséquent leur proximité est assez floue. Vous l'aurez compris, je pense, mais je préfère prendre le temps de développer tranquillement leur relation.
J'essayerai de poster le prochain chapitre vendredi soir, car je serai absente le weekend. Je vous souhaite une excellente semaine et vous remercie pour votre lecture !
