Story of my life
Searching for the right
But it keeps avoiding me
Sorrow in my soul
'Cause it seems that wrong
Really loves my company
Nanda Parbat est froide.
Oh, les couloirs de pierre peu éclairés contribuent à l'atmosphère, de même que le manque de tapis et de fenêtres, mais ce n'est pas ça, la raison principale. Ce sont les gens qui vivent là-bas, à titre aussi bien permanent que temporaire. Tout le monde est centré sur soi, sur son avancement. Si Nana venait à mourir sous leurs yeux, ils ne lèveraient pas un doigt pour l'aider, et retourneraient à leur quotidien comme si de rien n'était. Peut-être même qu'ils tiendraient le couteau.
(à Lahore, Nana était une source d'exaspération pour les serviteurs parfois, mais elle n'a jamais douté qu'ils auraient préféré se laisser mourir à petit feu plutôt que de toucher le moindre de ses cheveux)
Nanda Parbat est froide, et Nana sent ce froid se glisser sous sa peau, infiltrer ses os comme la pluie infiltre le bois et finit par le faire pourrir. Non sans l'avoir déformé au passage.
(elle ne pliera pas, elle ne pourrira pas)
(elle a trop peur de cette perspective)
Nana ne rencontre Dusan al Ghul que très brièvement. Elle ne connaît pas assez bien la forteresse pour savoir où il loge, et lui n'a visiblement aucune intention de faire connaissance avec la nièce qu'il ignorait avoir.
(la nièce qui pourrait un jour tuer sa fille)
Elle ne le trouve pas si déformé que ça. Il pourrait se promener dans la rue, et son visage ne pousserait personne à se retourner. Enfin, sauf le fait qu'il est si pâle que le sang sous sa peau lui rougit en permanence le teint, ce qui le fait paraître perpétuellement irrité. Aussi, ses yeux n'arrêtent pas de sursauter et même plus ou moins fixes, ils restent vacants, inexpressifs – à tous les coups, il ne doit pas y voir très bien.
Dusan refuse de lui adresser la parole quand il la croise dans un couloir. En fait, il tend à agir comme si elle n'était pas là du tout. Comme si c'était elle, le spectre, plutôt que lui.
Elle ne voit jamais Mara, la fille qui est supposée être sa cousine.
(la fille qu'elle est supposée tuer un jour)
La Tête du Démon n'apparaît que rarement dans sa vie, mais chaque fois, c'est une épreuve. Chaque fois, Nana est persuadée que cette fois-ci, ce sera la dernière, qu'elle va mourir étouffée sous la haine glacée du Démon ou incapable de satisfaire ses exigences.
(sauf qu'elle ne meurt pas, elle refuse, elle ne veut pas)
Le Démon ne s'intéresse jamais à elle, seulement à ses progrès. Nana pourrait être paranoïaque, mais elle a toujours l'impression qu'il est vaguement frustré de la voir remplir les critères qu'il exige, qu'il préférerait la voir échouer. Avoir un prétexte pour la punir – d'être en vie, de ne pas être un garçon, d'être la fille de Talia, elle ne sait pas exactement et n'ose pas demander.
(Nana a vu ce qui arrive aux Ombres quand celles-ci s'avèrent décevantes, et elle qui pleure dès qu'elle se fait une bosse, elle ne pourrait pas l'endurer gracieusement et elle sait que le Démon prendrait ça comme la preuve irréfutable de sa faiblesse)
Heureusement, quand Nana échoue et commet des erreurs, c'est toujours quand lui n'est pas là, alors c'est sur Tessa que retombe l'obligation de la punir.
De manière perverse, elle peut supporter que Tessa lui donne la cravache ou l'oblige à marcher pieds nus sur des charbons, ou autres horreurs en châtiment corporel, parce qu'elle sent à quel point ça bouleverse Tessa elle-même, que Tessa voudrait ne pas le faire du tout mais y est obligée car elle refuse que des nouvelles de sa mollesse remonte aux oreilles du Démon qui ne manquerait pas d'en être contrarié. Alors Tessa doit le faire, et chaque fois Nana peut voir que Tessa se déteste un peu plus, et qu'elle hait le Démon un peu plus.
Alors Nana endure, le plus stoïquement qu'elle peut, car si elle craque et commence à chouiner, Tessa va partir en miettes. L'absence de réaction, ce n'est pas idéal non plus, car Nana est d'ordinaire très expressive et se renferme seulement quand ça ne va pas du tout, ce qui ne manque pas de déprimer Tessa, mais c'est la moins pire des options.
À Nanda Parbat, il n'y a jamais de meilleur, seulement du moins pire.
Elle n'obtient l'opportunité de voir un autre enfant que pendant deux semaines.
C'est parce que David Cain est venu brièvement, une histoire de mission qui aurait mal tourné ou un débriefing qui n'a pas été fait correctement, ou un service qu'il aurait pu rendre mais n'a pas effectué. Toujours est-il qu'il vient à la forteresse pour une quinzaine de jours.
Et il amène sa fille avec lui.
Il ne dit pas qu'elle est sa fille, mais c'est évident, vu la façon dont il la regarde : possessif, et très, très fier.
(Talia aussi regardait Nana comme ça, et maintenant Nana ne sait plus si elle aura de nouveau droit à ce regard)
L'autre fille s'appelle Cassandra, elle ressemble à une poupée chinoise et ses yeux sont très noirs, très larges et très attentifs. Elle plaît aussitôt à Nana, tout en l'intimidant aussi beaucoup – c'est la première fois qu'elle rencontre quelqu'un de son âge. À peu près. Cassandra pourrait avoir un an de moins, c'est compliqué à évaluer, Nana n'a pas assez l'habitude.
Tessa permet aux deux filles de s'entraîner au combat à mains nues l'une contre l'autre. David Cain a demandé expressément, comme quoi il voulait préparer sa fille à combattre des adversaires à sa taille, elle finira forcément par grandir et n'aura plus à viser si haut pour abattre sa cible.
Cassandra est très, très bonne. À chaque séance, Nana se retrouve par terre, le nez plus ou moins en sang. Une fois, elle perd carrément une dent, mais c'est pas grave, c'était encore une dent de lait qui traînait. Curieusement, elle n'est jamais punie pour ces échecs, ce que Tessa lui explique par le fait que le Démon attend d'elle l'excellence, mais ce que David Cain attend de sa fille est la perfection, rien de moins.
Aux yeux de Nana, Cassandra est déjà la perfection. Quand l'autre fille bouge, c'est toujours le mouvement nécessaire, une évidence, une œuvre d'art vivante. Ça lui rappelle l'ancienne ballerine russe qui passait à l'occasion depuis les six ans de Nana – la femme avait beau récriminer constamment contre les épices dans les plats et la chaleur, elle bougeait comme un rêve et Nana faisait de son mieux pour la copier.
C'est à cause de cette ballerine que Nana se laisse aller à répéter de vieux exercices de danse, juste avant de mener son ultime combat contre Cassandra. Ça fait trop longtemps, elle est encore plus loin de la grâce que quand elle vivait encore à Lahore, mais ça provoque la curiosité de l'autre fille, et l'espace d'une poignée de minutes, le dojo devient studio de danse.
Ça ne dure pas, bien sûr. David Cain est furieux quand il les surprend à esquisser des pointes au lieu d'échanger des coups de poing, et le combat qu'il impose aux filles est si brutal que Nana récolte un œil au beurre noir et pisse du sang pendant deux jours.
C'est la dernière fois qu'elle interagit avec Cassandra Cain entre les murs de Nanda Parbat.
Nana commet son premier meurtre alors qu'elle a onze ans.
En fait, on ne peut même pas parler de meurtre, c'est une exécution, tout simplement. Une Ombre qui a mécontenté le Démon en le décevant une fois de trop.
Il est amené pieds et poings liés devant Ra's al Ghul, et pour avoir tenté de fuir sa juste punition, il n'a même pas le droit de tenter d'acheter sa survie par un combat honorable contre l'un des grands noms de la Ligue.
À la place, il doit être égorgé comme un vulgaire porc destiné à l'abattage, et c'est à la recrue la moins expérimentée présente dans la forteresse de porter le coup fatal. En l'occurrence, c'est Nana.
Elle ne dit rien, n'exprime rien alors qu'un couteau est posé dans sa main. Alors qu'elle saisit les cheveux du condamné pour l'obliger à pencher la tête et exhiber l'artère carotide, elle pense à la cuisinière préparant un curry, lui expliquant comment tuer l'animal à consommer pour que sa chair ne soit pas impure, pour que la bête sache que sa mort n'est pas absurde.
(dis toujours une prière de remerciement, pour le sacrifice d'une vie, car homme ou animal c'est toujours une vie)
Bismillah, les syllabes ricochent sous le crâne de Nana alors que le sang éclabousse ses doigts, coule sur sa tunique, Allah est le Miséricordieux, le Compatissant.
Le condamné meurt très vite, comme toujours quand un assassinat est bien fait. Pas un regard critique parmi les Ombres assistant à l'évènement. En fait, le Démon lui-même semble légèrement impressionné par le sang-froid de sa petite-fille, laquelle n'a pas battu un cil ni lâché un mot pendant qu'elle rendait la sentence qu'il avait décrété.
Nana reste muette et impassible jusqu'à ce que Tessa la ramène dans la chambre qu'elles partagent. Là et seulement là, elle se met à vomir.
Tessa passe deux heures à la bercer comme un bébé tandis qu'elle pleure et pleure si fort qu'elle étouffe presque, mais peu importe combien de morve lui coule dans la bouche par inadvertance, le goût métallique du sang écrase sa langue et dégringole dans ses poumons et lui paralyse les mains, elle a fait ça, elle a fait ça.
(Nana ne se laisse pas déformer, mais elle peut toujours se briser)
I don't wanna do this anymore
I don't wanna be the reason why
Every time I walk out the door
I see him die a little more inside
I don't wanna hurt him anymore
I don't wanna take away his life
I don't wanna be
A murderer...
Pour ce chapitre, Unfaithful de Rihanna est à l'honneur.
