Homecoming, I'm coming, my sweet mistake
Summer's over, hope it's not too late
I'm pacing, impatient, up in my head
Taken back to the sidewalk where we met
And carved out our names
Do you remember that?
Huit ans consacrés à élever plus ou moins un pupille ont permis à Bruce de comprendre que prendre soin d'un enfant, c'est généralement beaucoup plus complexe que de lui fournir des habits propres sans trou, trois repas chaque jour et un toit sur la tête. Et quand l'enfant en question a subi un traumatisme émotionnel, c'est encore pire.
Il faut vraiment qu'il retrouve ces manuels d'instruction pour les parents de fraîche date, même s'il se rappelle que la première fois, il a paniqué chaque fois que la conduite de Dick déviait des prévisions établies par les auteurs et que ce type de lecture lui fournissait des cauchemars où il faisait exactement ce qu'il ne fallait pas faire et Dick finissait par le haïr.
(Dick le hait en ce moment, mais c'est en raison de circonstances externes. Ça finira bien par lui passer. En tout cas, il l'espère)
Sans compter que ses deux enfants fraîchement découverts viennent avec des complications personnalisées.
Il y a le fait qu'Anastasia est une fille. Bruce est un homme, le premier enfant qu'il a élevé était un garçon, et en dépit de son intelligence et de son talent déductif, il éprouve toujours d'épouvantables difficultés à comprendre ce qui passe par la tête de Diana ou Selina hors de leurs costumes respectifs. En d'autres termes, non seulement il est prédisposé à commettre un faux pas, il ne saura pas comment faire amende honorable pour la bonne raison que son cerveau mâle n'est pas branché sur la bonne fréquence.
Il y a le fait que Damian est très petit. Au moins Anastasia et Dick sont arrivés chez lui en âge de traverser la route sans nécessiter qu'il leur tienne la main (ce que Bruce faisait quand même avec Dick). Neuf et douze ans, c'est plus indépendant que trois, et c'est tellement moins fragile et vulnérable. Damian est encore terra incognita, une personnalité encore en train de se former, et il pourrait si facilement contracter de mauvaises habitudes juste parce qu'il ne comprend pas pourquoi il ne devrait pas imiter son père en tout point.
Il y a le fait qu'il s'agit de ses enfants biologiques. Bruce a entendu raconter que comprendre les enfants de votre chair et de votre sang tenait de l'intuition, pratiquement de la télépathie, vous les regardez et vous savez aussitôt pourquoi ça va ou pas. Soit la théorie est encore une de ces cagades new-age, soit il lui manque une composante essentielle à la paternité car tout ce qu'il ressent en leur présence, c'est pure confusion et panique. Bruce ne sait pas comment réagir, lui qui est sensé avoir un plan pour tout, et c'est terrifiant.
Il y a le fait que ses enfants vont être convoités. La ligue des Ombres voudra certainement les récupérer, mais il ne s'agit là que d'un joueur. La haute société de Gotham ne prendra pas l'apparition de deux héritiers par le sang du nom Wayne avec un sourire et un souhait de bienvenue – enfin, si, mais ce sera dans l'intention de leur mettre le grappin dessus, de les réduire à des pions dans le constant jeu des influences entre les familles puissantes et fortunées qui se disputent la possession de la ville. Et d'autres criminels encore n'hésiteront pas à s'abattre sur de nouvelles cibles, si tant est que l'occasion s'en présente, pour les prétextes les plus variés.
Bruce se sent le dos au mur. Il est désarmé, seul face à cette nouvelle crise, et il ne peut pas se permettre d'échouer. Pas avec un enjeu de cette ampleur.
Il fera face, bien sûr. Il est le Chevalier Noir, et qu'est-ce qu'un chevalier si celui-ci ne peut même pas assurer que les enfants qu'il protège mèneront une vie libre et paisible ?
La bibliothèque est énorme.
Après le dîner – toujours sans goût – Nana s'est vu demander si elle aimerait pratiquer une activité particulière. Comme il n'est pas question qu'elle retourne dans le jardin intérieur à moins d'une rénovation, elle s'est rabattue sur une option toujours agréable et opté pour la lecture.
La bibliothèque doit être aussi large que sa propre suite ; même la havelî ne consacrait qu'une seule pièce aux livres. Ici, il y en a bien trois, divisées en sections nettes bien dépoussiérées, leurs étagères en bois sombre croulant sous les reliures de cuir, de tissu, même de plastique.
Sur l'une des armoires se trouve une petite pancarte de papier arborant la dénomination POLICIER. À l'intérieur, Nana aperçoit des titres comme Sherlock Holmes, Miss Marple, Arsène Lupin, San Antonio, Harry Bosch, Frère Cadfael et Amelia Peabody. À voir les stries sur le dos de leurs couvertures, quelqu'un les lit et les feuillette régulièrement. Quand elle essaie de sortir un Arsène Lupin, elle réalise que le titre et le résumé sont dans une langue qu'elle ne parle pas. Du français.
Elle va devoir se mettre à l'apprendre, n'est-ce pas ? Et peut-être une ou deux autres langues européennes. Elle ne veut plus se retrouver prise au dépourvu.
Une des pièces de la bibliothèque est entièrement dévolue à la guerre : Nana répertorie une armoire pour la stratégie, une section sur tous les types d'épées et couteaux possibles et imaginables, une section consacrée aux batailles historiques avant de se lasser.
(elle a eu sa dose de mort à Nanda Parbat et quand on y pense, la guerre n'est que de l'assassinat à large échelle)
Une des pièces comporte une large section tout à fait incompréhensible. Nana ne parvient pas à décrypter si c'est de l'histoire ou des carnets de voyage.
Les Chroniques de Narnia, Histoires comme ça, Le Livre de la Jungle, Le Seigneur des Anneaux, De la Terre à la Lune, Vingt Mille Lieues sous les Mers, Michel Strogoff, Le Grand Meaulnes…
Elle n'y comprend rien, et ça l'énerve. Une seule chose à faire, alors.
Elle s'empare des Histoires comme ça, s'assoit par terre sans plus de façon et ouvre le livre.
Cela fait presque quarante ans depuis que le Manoir Wayne a dû accommoder un enfant en très bas âge, si bien que l'apparition du jeune maître Damian a pris tout le monde au dépourvu. Alfred n'était tout d'abord même pas sûr que le mobilier nécessaire se trouve dans le grenier – et quand aux habits, n'en parlons même pas.
Monsieur Bruce a proprement reporté le problème en refusant de se séparer du bambin, mais cet état des choses n'est tout bonnement pas tenable : vie nocturne à part, maître Damian est encore trop jeune pour assister à une réunion du conseil d'administration de Wayne Entreprises. Une chambre appropriée à son âge est inévitable.
La pièce choisie est encore très spartiate, mais ensoleillée par deux larges fenêtres – vu les plaintes et récriminations de sa sœur aînée contre la météo terne et fraîche, le jeune homme appréciera sans doute la lumière. Un lit d'enfant a émergé des profondeurs du grenier, et se retrouve désormais garni de draps propres et d'un matelas qui n'est pas dévoré par les mites.
Le futur occupant lui-même n'a pas encore visité les lieux, Monsieur Bruce insistant pour le garder à ses côtés et ce en dépit de sa panique évidente face au bambin lové dans ses bras. Alfred n'aurait pas cru possible d'être aussi maladroit en tant que jeune parent s'il n'avait pas été le témoin mi-amusé mi-compatissant des premiers mois hésitants de Martha Wayne née Kane en tant que mère : à croire que c'était une grenade dégoupillée dont elle avait accouché.
La maternité n'est pas venue naturellement à Martha et tout débonnaire qu'il était, Thomas Wayne confessait fréquemment n'avoir aucune idée de la marche à suivre en tant que parent. Cela ne semble pas être quelque chose de naturel en soi, en vérité, juste une conduite qui s'improvise sur le tas, pendant qu'on prie pour trouver la bonne solution.
Alfred a vu Martha et Thomas apprendre les gestes pour aimer leur fils, tout comme il a vu Bruce apprendre le langage pour aimer son pupille. Alors il ne s'inquiète pas tellement.
Ces enfants, leur père les aime déjà. Il a seulement besoin des mots pour le leur exprimer.
I'm coming home, I'm coming home
Did you take off while I was gone?
I missed it all, I messed you up, I missed you
I'm coming home, I wanna know
When all the leaves begin to fall
If I'm falling, falling apart
Pour ce chapitre, écoutez donc Homecoming par Hey Monday.
