I don't want to lie, can we be honest?
Right now while you're sittin' on my chest
I don't know what I'd do without your comfort
If you really go first, if you really left
I don't know if I would be alive today
With or without you like night and day
Read and repeat every conversation
Bein' with you every day is a Saturday
But every Sunday, you've got me prayin'
Dans les rues de Gotham, c'est courant au point que ça devient déprimant de croiser des gosses qui se sont barrés de chez eux, ou qui ont décidé de rejouer la Grande Évasion avec les Services Sociaux dans le rôle des méchants. Enfin, Jason parle des rues de Gotham, mais il a jamais quitté l'East End, alors il imagine que c'est sans doute pas comme ça dans les quartiers friqués – pourquoi donc se tirer d'un coin alors que vous avez des sous ? Il faudrait avoir une case en moins, ou une moitié de cerveau amputée.
Ces gosses dans les rues, ils sont plutôt des ado, ou presque. Les plus petits sont plus facilement ratissés par les flics ou les gangs ou les gens des bonnes œuvres qui cherchent à se donner bonne conscience façon la marraine de Cendrillon. Jason le sait très bien, il doit faire gaffe vu son petit gabarit qui pousse tout le monde à se faire des idées sur son âge.
La môme – Nana – aussi a un petit gabarit, le style fluet en dépit du gros duffle-coat, et vu le regard nerveux dont elle balaye les rues pleines de pisse et de graffiti, Jason doute franchement qu'elle fasse long feu si elle voulait survivre dans Crime Alley.
Il suggère sans grand enthousiasme de l'emmener voir quelqu'un qui pourra contacter un foyer d'accueil – son expérience personnelle l'empêche de manifester de la conviction pour la perspective, et de toute façon elle l'empale aussi brutalement que soudainement de ses yeux vert, à croire qu'il lui a conseillé de bouffer du vomi qui a pourri dans une benne à ordures.
« Je viens de m'enfuir d'un foyer » elle laisse tomber, quasi incrédule, « et tu proposes que j'y retourne juste après ? »
L'argument pèse son poids, et Jason décide de lâcher l'affaire – c'est pas comme si c'était un bon plan, de toute façon. Mais la question reste : que faire de Nana ? Il a déjà du mal à se démerder au jour le jour, il peut pas en plus se coltiner un boulet.
« C'est quoi ton plan, alors ? »
Le visage brun se chiffonne sans crier gare, et Jason est saisi d'une intense terreur à l'idée qu'elle chiale – vu sa tête, ça annonce le torrent de larmes débit Niagara, et son t-shirt n'est déjà pas bien chaud sans le faire tremper en plus. Sauf que non, après quelques secondes tendues, elle renifle, avale un grand coup, et reprend la parole comme si de rien n'était, c'est juste qu'elle cause comme si elle venait d'attraper le rhume :
« Je dois retrouver mon frère. Ils… ils nous ont séparés, mais Damian, il a besoin de moi... »
« Il a quel âge ? »
« Trois ans. »
Santa Maria de la Luz y los Angeles, c'est plus de la pluie qui tombe, c'est de la grêle. Passe encore qu'une môme d'une dizaine d'années veuille se débrouiller seule, mais que voulez-vous faire d'un moutard à peine sorti des couches ? Ils iront pas loin, tous les deux.
« Et après ça ? Vous ferez quoi ? »
La tête de Nana se chiffonne de plus belle, un cran au-dessus de la dernière fois.
« Je sais pas si on peut retourner chez notre père… l'assistance sociale est venue le disputer parce qu'il n'avait pas les papiers pour nous, et puis elle nous a emmenés ailleurs… Peut-être qu'il peut trouver les documents, mais je sais pas combien de temps ça prendra... »
Elle renifle, l'air de ne pas croire franchement là-dedans, et Jason est de tout cœur avec elle. Les Services d'Immigration, c'est peau de vache, surtout pour ce qui regarde les Arabes depuis le 11 septembre. À moins d'un miracle, il ne voit pas Nana et son petit frère éviter un avion de retour pour l'Afrique ou le Moyen-Orient.
« Tu verras quand tu y seras » préfère-t-il lancer, ce qui est stupide vu que ça ne prévoit pas assez loin, mais ça paraît la consoler un peu, alors c'est toujours ça de pris.
Et puis, elle a le ventre qui gargouille, parce que le monde en veut vraiment à Jason.
D'habitude, c'est plus sûr de fouiller dans les poubelles de restaurants et d'épiceries plutôt que de les cambrioler, mais hier les éboueurs sont passés et il n'est pas encore assez tard pour que les bennes à ordures soient remplies, donc il faut en passer par la case vol.
Nana… et bien, Jason s'attendait à ce qu'elle lui fasse des chichis, comme quoi c'est mal et tout, ou qu'elle panique au dernier moment et les fasse attraper.
Va te faire fiche qu'elle a ruiné la chose, non seulement elle a été tranquillement remplir son sac plastique comme si elle faisait tout bêtement les courses, une fois venu le moment de décamper à toutes jambes par la porte, elle a filé comme une fusée vers leur point de rendez-vous, non sans oublier de lancer une injure aux sonorités chinoises à l'adresse du vigile qui a voulu les courser.
(« Je peux savoir ce que tu lui as dit ? Parce que ça sonnait vache. »
« Je lui ai dit qu'il était un fils de tortue et que j'enculais ses ancêtres sur dix-huit générations. »
C'est tellement ridicule que Jason n'arrive pas à retenir un éclat de rire.
« Cono carajo, t'es folle, toi ! Pourquoi une tortue ? »
« Tu as déjà vu une tortue qui connaît son père, peut-être ? »)
Histoire de célébrer leur braquage de haut vol, Jason a invité Nana dans sa planque du moment, un immeuble désaffecté pour cause de générateur qui a explosé – les travaux de rénovation sont prévus depuis cinq ans et des brouettes, mais dans l'East End rien n'avance jamais. Dans l'intervalle, Jason a décidé de camper dans un des appartements, le moins moisi qu'il a trouvé, avec seulement deux nids de cafards dans les murs.
Nana fait minimalement la gueule devant la déco, mais s'abstient de tout commentaire vu qu'elle est trop concentrée sur leur butin, dont elle manque dévorer un quart à elle seule. Pour sa taille, c'est pas possible ce qu'elle peut bouffer – remarque, en Afrique et au Moyen-Orient, pour qui n'est pas les émirs avec leur pétrole, c'est crever de faim la bouche ouverte – comme à Gotham, quand on y pense – alors Jason lui accorde un passe.
Il essaie quand même de la calmer.
« Tu sais que c'est quand même plus pratique, d'avoir des réserves de côté. Si on avale tout aujourd'hui, on mangera quoi demain ? »
Elle le regarde en coin – maintenant qu'il y pense, elle a des yeux un peu bridés pour aller avec ses gros mots chinois de tout à l'heure. C'est séparé de combien de kilomètres, le Moyen-Orient et la Chine ?
« Je pourrais toujours te cuisiner en ragoût » elle lance, et si jamais elle joue au poker, Jason ne veut pas l'affronter parce qu'elle a une expression sérieuse si convaincante que ça colle les jetons.
« Nan, j'ai que la peau sur les os » il rétorque, « trouve quelqu'un de plus gros. Peut-être un des richards du quartier Diamond, je te parie tout ce que tu veux qu'en plus, ils ont meilleur goût. »
Nana semble un peu amusée, mais ça ne dure qu'une petite seconde alors que son visage passe à un mélange de confusion et d'émerveillement.
« Jason » elle souffle, « je crois que tu es mon deuxième ami. »
Là, le garçon est obligé de froncer les sourcils.
« Dis donc, tu vas pas un peu vite en besogne ? »
« On est restés ensemble tout un après-midi, et on s'est dits au moins trois mots. Ce n'est pas assez ? »
D'accord, cette fille a un problème. En définitive, c'est peut-être pas plus mal qu'elle veuille se cramponner à Jason, parce qu'elle se ferait définitivement gober tout rond par les gangs, telle qu'elle est.
« T'as des critères de merde » se borne-t-il à déclarer.
Elle sourit en réponse, et même si ce sourire n'est pas celui de tout à l'heure, il sent quand même sa respiration vaciller dans sa poitrine.
Don't you ever leave me, don't you ever go
I've seen it on TV, I know how it goes
Even when you're angry, even when I'm cold
Don't you ever leave me, don't leave me alone
Even when you're angry, even when I'm cold
Don't you ever leave me, don't leave me alone
Don't leave me alone par Anne Marie pour ce chapitre.
