I lose my way
And it's not too long before you point it out
I cannot cry
Because I know that's weakness in your eyes
I'm forced to fake
A smile, a laugh everyday of my life
My heart can't possibly break

When it wasn't even whole to start with

Quand Leslie les prend à part, lui et Gordon, Bruce réalise sinistrement que les nouvelles s'annoncent mauvaises. C'est tout dans la manière dont son regard brun étincelle et parvient à noircir (sans jamais changer de couleur) si fort qu'elle donne l'impression d'avoir des trous de revolver à la place des yeux, deux gouffres béants ouverts sur la mort.

« Il est hors de question de laisser aucun de ces enfants retourner à leur précédent tuteur » lâche-t-elle sans prendre le moindre gant.

Bruce ferme les yeux l'espace d'une poignée de secondes. Intellectuellement, il s'en doutait, il avait deviné, mais ça ne rend pas plus facile le fait qu'il lui faille avaler et digérer le fait accompli.

(Talia, Talia, qu'a-t-elle fait à leurs enfants, qu'a-t-elle permis à son père de leur faire)

Gordon ne paraît pas surpris. Consternation et résignation, peut-être un soupçon de dégoût, lui tirent le coin des lèvres et des yeux vers le bas.

« Il y a trois plaintes pour violences domestiques dans le casier judiciaire de Willis Todd » avoue-t-il. « Ça n'a jamais abouti à rien parce que sa femme finissait toujours par se rétracter, mas la famille était néanmoins classée à risque. Je suppose qu'il ne s'est pas arrêté à Catherine ? »

Leslie pointe un doigt vengeur vers le commissaire, et Bruce songe fugacement que si les cheveux gris désordonnés et la blouse blanche en vrac étaient tenus dans le même regard que les casques et les chitons, le docteur Thompkins aurait été déifiée sur le champ comme incarnation de la furie vengeresse et implacable.

« Cet homme » articula-t-elle, « devrait être déchu de ses droits parentaux, et s'il existe un reste de décence dans le monde, il le sera sous peu. Quelqu'un qui peut casser le poignet de son fils et puis refuser de l'emmener à l'hôpital ne mérite pas d'avoir des enfants. »

Batman ne visite pas les criminels déjà emprisonnés, mais peut-être bien qu'il devrait, en fin de compte.

« Vraiment » se borne à formuler Bruce tandis qu'un grondement sourd lui rugit dans les veines.

« C'était il y a environ quinze mois et a heureusement guéri de manière à peu près correcte, alors il n'y a rien à faire » soupire Leslie, « mais ce n'était pas la seule fois. Enfin, pour l'instant, je conseillerais de constituer à Jason un plan alimentaire : il est beaucoup trop petit pour son âge, il est à deux doigts de la dénutrition, et se nourrir dans les poubelles sans la moindre idée de ce qui constitue une diététique correcte signifie qu'il faudra le surveiller pour vérifier qu'il n'a pas un début d'empoisonnement alimentaire ou de scorbut. »

« Oh » souffle Bruce, sentant son cœur s'arrêter.

L'expression de Leslie demeure inexorable, mais il croit saisir une lueur d'adoucissement dans son regard. Parce qu'elle s'apprêtait à donner de bonnes nouvelles, ou à en révéler de mauvaises ? L'un ou l'autre, il n'en a aucune idée.

« Cela, c'est pour Jason. Damian… en dehors de la déshydratation et de la fatigue causée par la panique des derniers jours, il est en très bonne santé. Mais très méfiant concernant les étrangers. »

« Vu le micmac qu'a été ce placement, difficile de lui en vouloir » commente Gordon, les sourcils froncés.

« Effectivement. En passant, il n'a aucun problème aux cordes vocales, il choisit tout simplement de ne pas répondre quand on lui parle. Apparemment, il finira toujours par dire quelque chose quand il en a vraiment besoin, selon sa sœur. »

« Ah » fait Bruce, et cette fois ce fut sur un ton soulagé.

Il pouvait vivre avec un enfant silencieux qui avait juste besoin de temps pour prendre la parole. Il avait été comme ça, autant à l'époque où ses parents vivaient encore qu'à celle tout de suite après.

« Bruce, au sujet de ta fille. Si tu peux demander une ordonnance restrictive en son nom contre son grand-père, fais-le dès que tu pourras. »

Et comme ça, le soulagement se dissipe.

« Y a-t-il eu des maltraitances ? » interroge Gordon, la mâchoire durcie – c'était le commissaire qui parlait, mais il discerne un soupçon du père aussi.

« Elle a des marques de coups de fouet sur le dos et les épaules » annonce Leslie sans aucune pitié, « la plante des pieds couverte de brûlures, et six lacérations sur le ventre et les avant-bras vraisemblablement causées par des couteaux. Elle a dit qu'il s'agissait de punitions, et elle en parle comme elle évoquerait un éternuement. Mais le pire, c'est qu'elle a réalisé que ça me mettait dans tous mes états, et elle a réagi comme si j'allais la battre. »

Bruce a failli se noyer à plus d'une reprise, et il peut revoir les mêmes taches noires voltiger aux confins de sa vision, ne demandant qu'à déborder sur l'ensemble de son globe oculaire, tandis qu'un liquide immonde supplie de pouvoir remonter sa gorge et lui inonder la bouche et les poumons.

« Bruce ? Bruce, regarde-moi. »

Leslie. Leslie est là – quoi qu'il advienne, Leslie est là, inébranlable et indestructible, un roc dans la tempête.

« Je suis là » réussit-il à croasser.

« Bruce » répète le médecin pour la troisième fois, « ces enfants vont avoir besoin de toi. Tu sais ça, n'est-ce pas ? »

« Je… je ne sais pas par où commencer » avoue-t-il, et les mots lui déchirent la langue et les lèvres.

Il est supposé être Batman. Il est sensé être préparé à tout.

(mais ce sont ses enfants et ils sont en détresse et en souffrance, comment se préparer à cela)

Le regard de Leslie a perdu sa noirceur, redevenant brun noisette, juste une pointe de doré près de la pupille.

« C'est permis » lui assure-t-elle. « Tu n'es pas seul là-dedans. »


Dans les rues court une chiée de spéculations concernant Batman. La plus courante raconte qu'il est un vampire, mais les criminels se demandent aussi s'il est un démon sorti du trou du cul de l'enfer, ou un commando de plusieurs soldats d'élite formé exprès pour nettoyer les rues de Gotham. La préférée de Jason, c'est celle où le Chevalier Noir est secrètement une chauve-souris qui se transforme en humain plutôt que le contraire.

Aucune des théories ne prétend que Batman est en réalité Bruce Wayne, le millionnaire le plus absurdement tarte qui vive sur la côte Est des États-Unis.

Et pourtant, Nana l'appelle baba et se blottit contre lui comme elle l'a fait avec Batman, et si Jason sait quelque chose de Nana après les quelques jours passés avec elle, c'est que cette fille est totalement incapable de mentir ou jouer la comédie – il n'est même pas sûr qu'elle soit au courant que ça existe.

Alors. Batman est secrètement un millionnaire – au fond, ça se tient, parce que les gadgets et la voiture et l'armure doivent coûter une blinde. Batman est secrètement Bruce Wayne – juste… quoi ? Genre, quoi ?!

Batman veut devenir sa nouvelle famille d'accueil – il a rempli les papiers, et maintenant Jason est dans la voiture en route pour un foutu manoir et il va habiter là-bas.

Jason ne sait pas s'il veut hurler, s'évanouir ou se jeter par la fenêtre.

Ce qui rend l'histoire encore pire, c'est de voir à quel point Nana et Damian sont détendus, à croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, maintenant que leur papa est revenu dans leur vie.

Ah, la bonne blague. Comme si les pères étaient quelque chose de positif.

D'un autre côté, c'est Batman.

Bref, la situation est tellement abracadabrante que Jason décide de choper la migraine, ce qui lui permet de ne pas réfléchir à tout ce merdier le temps du trajet. Mais une fois arrivé au manoir – et cette baraque est immense, il va lui falloir un GPS pour s'y retrouver – ça devient encore pire.

Parce qu'il y a quelqu'un qui les attend, et ce n'est pas du tout quelqu'un avec qui les Wayne ont l'air de s'entendre.

« Détective, je crois que nous avons à discuter. »

Because of you

I never stray too far from the sidewalk
Because of you
I learned to play on the safe side so I don't get hurt
Because of you
I try my hardest just to forget everything
Because of you
I don't know how to let anyone else in
Because of you
I'm ashamed of my life because it's empty
Because of you
I am afraid

Pour ce chapitre, vous avez droit à Because of You par Kelly Clarkson.