Friday night beneath the stars
In a field behind your yard
You and I are painting pictures in the sky
Sometimes we don't say a thing
Just listen to the crickets sing
Everything I need is right here by my side
Damian Wayne, pense Lois, est indiscutablement le rejeton de Bruce. Oubliez le test ADN, le regard dégoûté qu'il darde sur les décorations qu'elle a passé un bon quart d'heure à disséminer un peu partout dans la maison, c'est son père en miniature, un chat qui vient d'avaler une chaussette de travers.
Sur Bruce, c'est le genre d'expression qui cause des sueurs froides quand vous n'avez pas l'estomac solidement accroché. Sur Damian, c'est bizarrement adorable.
« Il mord, vous savez » commente sa sœur, sur le ton employé par le beau-père de Lois pour annoncer qu'il pleuvra dans l'après-midi.
La journaliste hausse le sourcil avec toute l'assurance de qui s'est retrouvé face à un seigneur de la guerre en Afghanistan et ne s'est pas pris une centaine de balles dans la peau.
« Dans quelles circonstances ? »
« Seulement si vous l'embêtez » admet la fillette – et cet humour pince-sans-rire, c'est également Bruce dépouillé de son habituel masque niais, les gènes Wayne ont décidément de la force à revendre.
Pour sa part, Lois n'a aucunement l'intention de provoquer le bambin ; maintenant qu'elle est mère, elle a davantage conscience de combien c'est épuisant pour les parents d'avoir à gérer un petit en pleine crise de nerfs. Jon est un parfait petit ange les trois quarts du temps, mais quand il décide de se fâcher pour des raisons connues de lui seul, il faut qu'il en fasse profiter la ville entière – et encore, il n'a pas une constitution entièrement kryptonienne. Martha confesse que bébé Clark leur a coûté une petite fortune en verre de fenêtre, à force de les faire exploser avec ses cris.
Au moins, Damian est entièrement humain. Si casse il doit y avoir, ce sera limité à une très petite échelle.
Et cette casse paraît inévitable, Damian fronçant le nez face à la télévision et refusant de succomber aux charmes de Snoopy pour explorer le salon à la place. Il s'étale carrément à plat ventre sur le tapis pour faire mine de nager dans les poils, et siffle hargneusement lorsque Lois le remet debout parce que sans être maniaque de la propreté, elle ne veut quand même pas laisser un invité en bas âge se traîner sur le ventre dans le plus pur style limace alors que c'est tout sauf hygiénique.
« Vous pouvez l'emmener dehors » suggère Anastasia – ou Nana, c'est le surnom sous lequel elle s'est présentée. « Montrez-lui les animaux. »
Rien qu'à la mention du terme animaux, Damian se redresse, ses yeux vert brillant et aux aguets. Pas stupide, Lois décide de courir le risque.
« Tu veux venir aussi, dire bonjour au chien ? »
Anastasia grimace immédiatement et se renfonce dans les coussins du canapé.
« Les chiens mangent des ordures et sont pleins de puces » déclare-t-elle, aussi tranchante qu'une guillotine. « Au moins, les poules pondent des œufs et sont très bonnes avec du curry. »
Bon, voilà qui a le mérite d'être clair. Lois accepte ce refus aussi franc qu'explicite, chargeant la fillette de surveiller Jon pendant qu'elle-même emmène Damian à l'extérieur, une mission que la petite reçoit avec autant de gravité que d'enthousiasme, lui décochant un sourire de travers si lumineux qu'il en devient troublant. Pour sa part, Jon semble fasciné par la longue tresse de sa jeune nounou, tendant ses petits doigts grassouillets pour tenter de saisir l'épaisse corde noire dans laquelle s'est glissé un ruban jaune miel.
Lois se fait la promesse de revenir vite : son bébé n'est peut-être pas en mesure de casser le plâtre quand il donne un coup de pied dans le mur, mais il a suffisamment de poigne pour donner l'impression qu'il est à deux doigts de vous scalper quand il tire sur vos cheveux. Nana s'est montrée bien élevée pour l'instant, mais personne n'apprécie d'avoir mal et ce serait une drôle de façon de récompenser sa conduite.
La prise de Damian sur ses propres doigts est étonnamment ferme tandis qu'elle le fait passer par la porte de derrière, seulement pour qu'il lâche sa main à la vue des poulets.
Les Kent n'en ont qu'une demi-douzaine, assez pour des omelettes régulières et très rarement une volaille rôtie maison plutôt qu'achetée chez le boucher, laissées en liberté dans le jardin de derrière et suffisamment dociles pour se promener autour des jambes des visiteurs. Néanmoins, elles ont leur limites et s'écartent lorsque Damian leur marche directement dessus.
Le garçon ne se décourage pas devant le rejet, ne pique pas de colère. À la place, il imite la démarche saccadée du volatile brun et blanc qu'il file, les bras tendus comme s'il marchait sur une corde raide. C'est ridicule, et Lois regrette l'absence de Jimmy – une scène pareille mérite d'être immortalisée dans un album photo et ressortie lors des grandes occasions.
C'est ridicule, mais ça tranquillise les poules qui apparemment jugent que cette étrange créature déplumée doit être l'une des leurs, surtout quand le gamin commence à copier les bruits qu'elles émettent. Elles s'apaisent, se laissent approcher, se laissent caresser, et Lois est prête à intervenir si le petit se montre un peu trop brusque, un peu trop agressif dans son affection, mais tout va à merveille.
Et Damian – sourit, le même sourire de travers que son père et sa sœur, quelque chose de petit et incertain et tellement plus précieux de par son statut de secret, un honneur à tenir caché et à ne dévoiler qu'à de très rares initiés.
Lois n'a eu l'occasion de voir le sourire de travers de Bruce qu'une seule fois, des années après l'avoir rencontré, et elle a longtemps cru qu'elle s'imaginait des choses, que son imagination lui avait joué un tour en plaquant sur le visage du millionnaire une expression qui n'aurait jamais dû y figurer.
Et pourtant, un indéfinissable élément de ce sourire l'incitait à penser que c'était bien réel, qu'elle ne verrait jamais rien d'aussi réel chez Bruce, une fenêtre ouverte sur le fond de lui.
En matière de charisme, Superman remporte définitivement haut la main l'aura de confiance et de jovialité qui vous met à l'aise, tandis que Batman est du genre si déterminé et ferme dans ses convictions que vous ne pouvez pas vous empêcher de le respecter. C'est une façon d'être bien spécifique, une qui prend la totalité de l'espace et ne vous laisse même pas envisager que la personne qui vit de la sorte pourrait être autre chose.
C'est un bon masque, aussi bon que l'idiot joué par Bruce dans la vie quotidienne. Lois pense parfois que le bonhomme a raté sa vocation, il aurait dû se faire acteur vu le nombre faramineux de rôles dans lesquels il se glisse selon les besoins du moment.
Est-ce un mécanisme de défense, cette obstination à se dissimuler ? Ou bien simplement le goût du secret et des complexités ? Les indices pointent autant dans un sens que dans l'autre, parce que rien n'est jamais simple avec Batman, et c'est probablement ainsi qu'il le préfère. L'essence du Chevalier Noir, c'est d'abord et avant tout le mystère.
Alors quand le voile se lève, quand vous recevez une miette de vérité indiscutable, impossible à contester… c'est tellement plus précieux que cinquante tonnes de platine. Ça vous hante, mais dans le bon sens.
Avec cela en tête, Lois peut comprendre pourquoi Clark est ami avec Bruce malgré leur opposition générale. Bien sûr que Bruce est ami avec Clark, n'importe qui veut et peut devenir ami avec Clark, mais la quantité de gens amis avec Bruce se compte sur les doigts d'une main, et il en resterait plusieurs de libres.
Parce que Bruce Wayne est à l'image de son sourire, incertain et de travers et disparaissant en un clin d'œil. Ça prend quelqu'un de spécial pour apprivoiser une personne pareille, mais sous toute son humilité, Clark est certainement spécial.
Et pendant qu'elle surveille Damian occupé à caresser les plumes des poules sans cesser de sourire, Lois se dit que Bruce a choisi la bonne adresse pour dévoiler sa vérité et celle de ses enfants.
When I'm with anybody else
It's so hard to be myself
And only you can tell
I'm only up when you're not down
Don't wanna fly if you're still on the ground
It's like no matter what I do
Well, you drive me crazy half the time
The other half I'm only trying
To let you know that what I feel is true
And I'm only me when I'm with you
Pour ce chapitre, vous avez droit à Taylor Swift avec I'm Only Me When I'm With You.
