No one could ever know me
No one could ever see me
Seems you're the only one who knows
What it's like to be me
Someone to face the day with
Make it through all the rest with
Someone I'll always laugh with
Even at my worst, I'm best with you, yeah
« Tu vois, il ne risque rien. »
Bruce continue de darder un regard plus sceptique que l'apôtre Thomas sur son ami Kryptonien – lequel tend l'oreille afin de percevoir ce qui passe à l'arrière de la ferme Kent, où les poules sont très occupées à faire connaissance avec le dénommé Damian Wayne.
« Tu m'excuseras si je conserve mes doutes, vu les tendances de ta femme à sous-estimer le danger » déclare platement le millionnaire – un timbre un peu trop froid qui fait sonner le constat comme une critique, mais Clark peut entendre un pouls un peu trop rapide dans la poitrine de son interlocuteur, pas assez pour indiquer un péril mortel, de toute façon Bruce reste de marbre dans ces cas particuliers, mais juste assez pour indiquer une nette anxiété.
Le Chevalier Noir de Gotham – l'homme qui se vante d'avoir maîtrisé la peur, d'être devenu un objet de peur pour une ville entière – est anxieux, parce que ses enfants ne se trouvent plus dans son champ de vision.
Bien sûr, vu qu'il s'agit de Bruce, celui-ci exagère à l'aide de paranoïa et d'acidité envers son entourage, alors que ça crève les yeux que ce n'est pas nécessaire. Décidément, le bonhomme en remontrerait à un cactus géant question épines – dès qu'il s'agit d'attribuer un totem à Batman, Clark ne cède pas à la facilité, la chauve-souris est tellement moins approprié que le cactus (pousse seul dans le désert, aspect rébarbatif, buvez de son jus et vous souffrirez d'hallucinations troublantes) ou le hérisson (se roule en boule quand on l'approche pour vous piquer la main, un ventre duveteux et vulnérable une fois passé le barrage des épines), ça dépend de l'humeur.
« Allons donc, depuis quand les poulets sont-ils dangereux ? » interroge le kryptonien, qui a une idée très précise de la réponse – lui-même n'a pas grand-chose à redouter, étant invulnérable, mais il a plus d'une fois entendu Pa Kent se plaindre d'avoir pris des coups de bec sur les orteils en allant nourrir les volailles, quand le grain ne tombait pas assez loin de ses pieds.
« Vu notre occupation secondaire, je veux bien m'attendre à tout » riposte l'humain. « Ou aurais-tu oublié Sun Prairie ? C'était pourtant mémorable. »
« C'est davantage Flash qui a été traumatisé » nuance Clark. « Et il y avait de quoi, quand on n'a pas l'habitude de voir des marmottes dans la vraie vie et qu'on pense qu'elles se contentent d'emballer le chocolat et d'indiquer si le printemps sera froid... »
« Dès qu'un animal a des dents, il peut mordre. Flash l'avait bien cherché. »
A chaque fois que l'incident revient sur le tapis, Batman manifeste bien plus de compassion pour la marmotte que pour leur collègue super-héros. Il prétexte que l'idiotie mérite un châtiment, mais vu l'enthousiasme de Damian pour les poules, il se peut que le Chevalier Noir nourrisse une tendresse cachée envers les animaux. Il paraît que c'est fréquent pour les introvertis de trouver les interactions avec les bêtes plus reposantes et satisfaisantes que celles avec leurs semblables en mesure de raisonner et de parler.
C'est fréquent aussi pour les enfants traumatisés et atteints de troubles du comportement de s'épanouir lorsqu'ils sont en présence d'un animal. Regardez donc l'équithérapie.
D'un autre côté, Clark ne peut pas imaginer Alfred bondir de joie à la perspective d'une créature poilue et bavante venant salir ses tapis et ses parquets – ni manifester un autre signe d'enthousiasme, à la fois parce qu'il s'agit du majordome anglais et parce que l'idée lui déplaît. Aussi, trois enfants à la maison sont bien assez pour remplir les journées, sans leur rajouter un chien ou un chat, si bien dressé fusse la bête.
Néanmoins, si Bruce ou un de ses petits éprouve le désir de visiter les vaches et les chevaux à la ferme Kent, Clark ne voit pas pourquoi il leur fermerait la porte. Surtout si Bruce se sent vulnérable.
C'est presque impossible à discerner, mais le Kryptonien triche avec sa vision mille fois supérieure à la performance humaine. Le millionnaire a les sourcils légèrement froncés, le coin de la bouche imperceptiblement crispé, ajoutez à cela le rythme cardiaque plus élevé que d'habitude et c'est flagrant – quelque chose ne va pas.
Quelque chose ne va pas, et Clark a un soupçon des plus indiscrets sur la nature de ce malaise.
Devenir père, c'est une expérience douloureusement complexe, même quand ça se passe bien. Cela fait déjà huit mois depuis la naissance de Jon, et Clark n'en revient toujours pas d'être aussi chanceux, il a le soutien de Lois et de Pa et Ma et pourtant…
Et pourtant, surtout quand c'est la nuit et que le monde se tait suffisamment pour permettre aux pensées sous votre crâne de faire tout le vacarme qu'elles désirent, il arrive à son cœur de se serrer, à un murmure de se glisser dans son oreille, et si quelque chose se passe mal.
Quand il s'est ouvert à Pa, celui-ci lui a dit que ça fait partie intégrante du statut de parent, que le frisson de crainte sera constamment là pour lui pincer l'oreille. Pa et Ma savent qu'il est quasi invulnérable, cela depuis qu'il est tombé en fusée dans leur champ de maïs, mais il leur arrive encore de s'interroger, peut-être qu'il va se passer quelque chose, et alors que ferons-nous.
Bien sûr, Bruce peut affronter les problèmes de ses enfants à la même échelle qu'eux ; Pa et Ma sont un couple humain ayant adopté un alien, ils ont dû souvent improviser et ont été forcés de laisser Clark se débrouiller seul trop souvent à leur goût mais ils n'avaient pas tellement le choix.
Mais le Chevalier Noir est paranoïaque et pessimiste et un rien trop obsédé par le désir de contrôler toutes les issues possibles à un événement, et il en a atrocement conscience. Il sait qu'il est loin d'être parfait, et cela le ronge la nuit. À quel point le murmure a-t-il gagné en force, depuis que ses enfants sont arrivés sous son toit ?
Même Dieu ne peut pas tout contrôler, puisqu'il a offert à l'homme la possibilité de lui désobéir, de s'attirer des malheurs. Même Dieu a dû voir son fils souffrir sans pouvoir intervenir.
Bruce est humain, et lui qui se vante d'avoir maîtrisé la peur a désormais peur, parce qu'il ne sait pas quoi faire, qu'est-ce qui va se passer. Il a peur, et ça le ronge.
Clark regarde par la fenêtre. Les plants de maïs ont été récoltés depuis un mois, laissant derrière eux une plaine marron attendant que passe l'hiver pour verdir de nouveau. C'est étrangement serein, comme paysage – plus rien à faire pour le maïs, on peut se concentrer sur les vaches qui elles se moquent de la saison et demandent à être nourries chaque jour à la première aube.
« Quand on vit dans une ferme » il articule prudemment, « on apprend à se concentrer sur le problème en face de soi. Une vache tombe malade, tu dois appeler le vétérinaire. Des insectes dans le maïs, tu dois répandre des pesticides. Tu ne te poses pas de questions philosophiques, tu ne te dis pas oh non, quel malheur. Tu retrousses tes manches et tu cherches des solutions à appliquer. »
« Peu commode, si tu ignores la solution » grogne Bruce.
« Non, figure-toi. Parce que dans ce cas, tu files chez ton voisin, et peut-être qu'il n'y connaît rien non plus, mais maintenant vous êtes deux au fond du même trou, et vous pouvez trouver quelque chose ensemble, au lieu de tourner en rond tout seul. »
Le millionnaire hausse un sourcil, visiblement pas convaincu. L'alien qui a grandi sur une ferme soutient son regard – le bleu subtilement dérangeant du ciel trop dégagé lors des grandes canicules, face au bleu vaguement passé d'un éclairage de chambre froide.
Cela dure presque une minute entière avant que les épaules de Bruce ne s'affaissent, une capitulation qui refuse de l'être, le Chevalier Noir persiste à se méfier. Clark ne s'offusque pas, il a l'habitude.
Avancer par petits pas, et au bout d'un moment, on aura parcouru une distance tout à fait surprenante.
It's like you're always stuck in second gear
When it hasn't been your day, your week, your month
Or even your year
I'll be there for you
(When the rain starts to pour)
I'll be there for you
(Like I've been there before)
I'll be there for you
('Cause you're there for me too)
Pour ce chapitre, vous avez droit à I'll Be There For You par The Rembrandts.
