Are things really gettin' better, like the newspaper said?
What else is new my friend? Besides what I read
Can't find no work, can't find no job, my friend
Money is tighter than it's ever been
Say, man, I just don't understand
What's going on across this land

Très franchement, au train où les choses avaient dérapé, Dick s'attendait un peu à ne revenir sur Terre qu'une fois le Nouvel An passé.

C'est sans arrêt le même refrain, quand les Jeunes Titans décident de partir en mission le problème attirant leur attention paraît simple comme bonjour et facile à résoudre, seulement pour déclencher une catastrophe quand ils s'y attellent, ou s'avérer une façade pour un complot à l'échelle internationale. Parfois, Dick se demande si lui et ses amis n'ont pas écopé d'une malédiction quelconque – probablement lancée par l'un des multiples ennemis de John Constantine, ce type constitue un aimant à vendettas, il n'a besoin que de respirer pour qu'un démon du Septième Cercle des Enfers veuille massacrer les dix dernières personnes à qui il a adressé la parole.

Et malheureusement, parce que Zatanna est fréquemment occupée avec ses spectacles et ses propres combats, tandis que Docteur Fate prétexte être trop occupé à défendre l'ensemble de la planète du Chaos pour accorder son attention exclusive à une organisation en particulier, il faut que bien que le poste de consultant en ce qui concerne les artefacts enchantés, les mages noirs plus ou moins mégalos et les Sidhes saisis de pulsions touristiques retombent sur Constantine.

D'un autre côté, peut-être que c'est simplement une conséquence de la vie de super-héros. La Ligue des Justiciers n'en finit pas de déterrer complots après complots, ce doit être la faute de Lex Luthor, ce type n'a rien d'autre à faire que d'enquiquiner Superman au lieu d'utiliser son intellect à des fins réellement constructives et de soulager le Tiers Monde pour de bon. Vraiment, oncle Clark mérite de se faire canoniser par le Vatican pour ne pas avoir balancé l'exaspérant génie criminel dans le fin fond de l'Antarctique, là où la morve gèle dès que les gens éternuent.

Hum, c'est quoi le protocole à suivre pour déclarer un alien comme le dernier saint en date ? Plutôt une question intéressante, ça, le conclave des cardinaux devrait se pencher sérieusement dessus parce que Superman n'a aucune intention de mettre fin à ses bonnes œuvres, et mine de rien les aliens commencent à considérer le petit globule bleu en orbite autour du Soleil comme une destination viable pour l'immigration. Oui, l'endroit s'est déjà fait envahir une demi-douzaine de fois, mais de l'autre côté, l'invasion a toujours fini par se casser les dents.

La Terre, c'est cette planète d'aspect insignifiant qui recèle des trésors inattendus, et Dick s'en vantera sur tous les toits quand il doit prendre le vaisseau spatial pour interagir avec une bande d'extraterrestres cherchant constamment à insinuer que l'humanité est l'équivalent galactique de la réserve Amérindienne de Pine Ridges, moins de trois pour cent des résidents capables de lire et écrire, espérance de vie limitée à trente ans par l'alcoolisme et la toxicomanie.

Inutile de préciser que c'est une comparaison que Roy avec sa grand-mère Diné ne manque jamais de trouver insultante. Dick ne reproche pas à son ami sa colère, lui qui a grandi sur les routes et dont la peau a toujours été un peu trop foncée, l'accent un peu trop gitan pour la bonne société bien pâlotte et soupçonnant des voleurs partout.

Dick refuse de s'excuser pour cela, tout comme il refuse de s'excuser pour être un super-héros. Si Bruce trouve ça répréhensible, qu'il se regarde d'abord dans un miroir, et pas pour pratiquer des mines et des grimaces lui donnant l'air d'un être humain sain d'esprit plutôt que d'un connard endurci obsédé par sa propre interprétation de la justice.

Non, Dick n'est pas amer du tout, pourquoi tu poses cette question, Wally ?

Vraiment, il n'est pas amer. Que Bruce fasse ce qu'il veut à Gotham, ça ne regarde pas Dick, ça ne le regarde plus. Il s'abstient exprès de lire les magazines de là-bas, ne va jamais plus loin que les titres quand les journaux publient la dernière atrocité en date du Joker. Les autres Titans sont bonnes pâtes et s'abstiennent de discuter des potins gothamites devant lui.

Et pourtant, alors que le vaisseau est retourné à la Tour, alors que toute la bande décompresse dans le salon autour d'un bol de cacahuètes et se jette sur les derniers chapitres de leur manga favori, les derniers épisodes des séries télés à la mode, Donna fait main basse sur un tabloïd et ne peut retenir un cri d'exclamation.

« Dick ! Tu es devenu un grand frère ! »

Honnêtement, il y a de quoi en rester baba. Parce que malgré la réputation de cavaleur que se traîne le Prince de Gotham, Bruce applique à sa vie intime les mêmes précautions ultra-compliquées digne d'un paranoïaque endurci qu'à sa vie nocturne de chauve-souris bipède – règle numéro un, ne jamais sortir sans protection, pour lui autant que pour le partenaire.

Le jeune homme arrache pratiquement le tabloïd des mains de l'Amazone pour trouver l'article accusateur, et la photo lui saute pratiquement à la figure, cruellement brillante dans ses couleurs vives, Bruce arborant un sourire un peu assommé et accompagné de deux enfants.

Impossible de nier que le garçon – un bébé, c'est juste un bébé, et Donna roucoule par-dessus son épaule, les Amazones raffolent des gamins de cet âge peu importe leur sexe – est le fils de Bruce, malgré la peau foncée et les yeux verts – des yeux verts, ça rappelle vaguement un souvenir désagréable à Dick – les cheveux rebelles, la moue boudeuse, c'est Bruce en miniature.

Mais la fille.

La fille qui doit être la grande sœur du bambin, lovée contre Bruce avec la mine du matou pelotonné sur son coussin au coin du feu, contemplant de haut les humains venant le caresser pour bien leur faire comprendre que c'est un honneur incommensurable de pouvoir approcher sa majesté royale, si tu me déplaît tu perdras un œil et cela ne m'empêchera nullement de dormir la nuit car je n'ai rien à me reprocher.

La fille qui partage le visage de Talia al Ghul.

Dick ne s'est jamais entendu avec Talia. Comment le pourrait-il, alors que la femme tue sans remords et proclame qu'elle agit pour le plus grand bien – c'était pour le plus grand bien aussi, de 1939 à 1945, ces sales romanichels ne manqueront à personne, ils ne seront jamais utiles à qui que ce soit, à quoi que ce soit – mais Bruce a toujours été fasciné par elle. Juste pas au point de l'épouser, ce qui agace furieusement Ra's al Ghul mais pourquoi ménager le dirigeant d'une secte d'assassins ?

Mais voilà, Talia a apparemment eu des enfants – des enfants qui sont également ceux de Bruce, c'est en tout cas ce que clame l'article et c'est Vicky Vale qui l'a écrit, elle prend trop sérieusement son métier pour publier une information avec de trop grosses chances de s'avérer un canular. Des enfants qui vivent désormais au Manoir, que Bruce a reconnu, qu'il a l'intention de garder et d'élever.

Le cœur de Dick rate un battement dans sa poitrine et fait mine de se retourner tête en bas, une sensation pas du tout agréable.

(bien sûr que Bruce a cherché à remplacer Dick maintenant que Dick est parti après lui avoir lancé tous ses défauts à la figure)

(bien sûr que Bruce a ouvert sa porte à ses enfants biologiques, le sang parlera toujours et aura toujours la précédence sur un orphelin ramassé dans les rues et jamais adopté légalement, toujours resté un pupille)

(mais pourquoi ses enfants à elle, n'importe quelle femme aurait suffi mais pourquoi donner cet honneur à Talia qui n'a jamais regardé Dick que comme un détritus issu du fond de la fosse sceptique)

« Je suppose que les félicitations sont de rigueur, alors ? Juste, très en retard. Il date de quand, ce magazine ? »

« Mais ils sont gratinés, ces prénoms ! Damian et Anastasia, je te demande un peu, reste plus qu'à espérer qu'elle va pas se la jouer communiste et que le petit ne sera pas assez odieux pour se déclarer l'Antéchrist... »

« Tu penses que tu devrais retourner à Gotham, des vieux ? Rien que pour dire coucou et faire connaissance ? »

Retourner à Gotham, comme si Dick n'avait pas fait des pieds et des mains pour ne pas penser à l'endroit pendant les derniers mois.

Sauf que ceci, c'était une excellente raison, n'est-ce pas ?

Woo, ah, what's happening, brother?
Say it, man, woo
What's happening, brother?
What's been shaking up and down the line?
I want to know 'cause I'm slightly behind the times

Pour ce chapitre, vous avez droit à What's Happening, Brother de Marvin Gaye.