I feel a change in the weather
I feel a change in me
The days are getting shorter and the birds begin to leave
Even me, yes, yes, y'all
Who has been so long alone
I'm headed home
Headed home

Ce qui est déprimant avec Gotham, c'est le refus de la ville d'évoluer dans un sens positif quelconque.

D'accord, le bon commissaire fait des efforts proprement inhumains – ce pour quoi il n'est jamais suffisamment remercié, juge l'ancien acrobate de cirque – et Wayne Industries dépense sans compter du temps et des millions de dollars pour davantage de sécurité, mais il n'en reste pas moins que la ville n'acceptera que le futur résolument cyberpunk. Celui où les grandes corporations ont pris le pas sur les gouvernements, où la vie humaine vaut tellement moins que la crotte de chien parce que l'écosystème est ruiné par la pollution au point que les animaux peu importe l'espèce sont parqués dans des zoos ultra-privés pour le bon plaisir d'une poignée de milliardaires.

Roy et Wally peuvent avoir des sujets d'intérêt assez déprimants, parfois. Franchement, Dick préfère les sitcoms, tant pis pour les stéréotypes minables, vous avez le droit et le devoir de rigoler quand l'un des acteurs sort une ânerie.

Mais pour en revenir à Gotham, il pleut quand l'ancien Robin descend du taxi – pas de surprise non plus, les nuages adorent plomber l'ambiance en squattant dans le ciel trois semaines sur quatre et quand il ne pleut pas, c'est la brume qui s'invite, autant avouer tout de suite que le Gothamite moyen fuit le soleil tel Dracula surpris hors de son cercueil. Il pleut et en conséquence les routes glissent et dérapent, et Dick dénombre une demi-douzaine d'accidents de la route alors qu'il poursuit son chemin vers le Manoir Wayne en mobylette de location, dont quatre commencent à dégénérer en bagarre générale quand il les trouve. Heureusement que les pompiers et la police sont présents pour empêcher l'émeute, sinon le justicier de retour sur Terre aurait été contraint d'intervenir.

Oui, c'est vraiment une triste ville Gotham, et Dick se sent d'humeur vaguement hargneuse et dégoûtée alors qu'il se gare devant le Manoir Wayne, trempé jusqu'à l'os en dépit de son casque et de son blouson en cuir – le cuir est supposé être imperméable mais il faut croire que les protocoles d'usine n'ont pas pris en compte les averses torrentielles d'Amérique du Nord – et fouille ses poches un long moment à la recherche d'une clef qui s'entête à lui glisser entre les doigts.

La porte d'entrée s'ouvre pour son enfant échappé, grinçant de tous ses gonds. Joli système d'alarme, mais c'est brutal sur les oreilles, et pour qui n'apprécie nullement ces films sinistres avec des portes à l'article de la mort donnant accès à des demeures ancestrales plus ou moins hantées.

Alfred se tient dans le vestibule. L'explication de sa présence est des plus prosaïques, vu que le portail du Manoir est équipé d'une caméra et que le majordome a donc été alerté d'un visiteur imminent, mais une partie gamine de Dick n'en ressent pas moins une certaine adoration craintive, comme si l'homme âgé au crâne dégarni et au complet impeccablement repassé dissimule un être surnaturel détenant les secrets de l'omniscience.

Très franchement, vu que c'est Alfred, il a sans doute accès à l'omniscience. C'est juste un fait que vous finissez par admettre comme l'incontournable vérité après l'avoir fréquenté assez longtemps.

« Monsieur Dick » salue le majordome. « Je suppose que vous voudrez des habits secs ? Vos chaussures sont en train d'écumer et cela ne doit pas être des plus confortables. »

Dick s'autorise un sourire navré aux entournures.

« Pardon de répandre de l'eau sur le carrelage, Al » s'excuse-t-il, parce que le majordome a beau recourir à des femmes de ménage une fois par semaine vu la taille du Manoir, il demeure le principal responsable de la propreté de l'endroit et voit donc la crasse ramenée par ses ouailles comme une terrible offense visant à le tuer à la tâche.

Alfred renifle un peu. Ça pourrait être à cause du froid, ou ça pourrait être une marque de désapprobation Anglaise. Dick penche vers la second option, puisque l'homme plus âgé est tellement imprégné de classe et de respectabilité Anglaise qu'il ne pousserait pas un seul gémissement même s'il était égaré quelque part sur l'Everest avec ses orteils congelant un par un.

« Oh, vous n'avez pas à vous en souciez, le ménage doit se faire cet après-midi. J'apprécie votre désir d'aider la dame chargée de l'entretien des sols, mais le protocole nécessite de passer d'abord l'aspirateur et d'ajouter des produits nettoyants dans l'eau avant de tremper le carrelage. »

« On n'a pas idée comme c'est complexe, le ménage » soupire le jeune homme qui oublie régulièrement que les placards existent pour qu'on y pende ses chemises au lieu d'abandonner celles-ci en tas par terre et ne fait la vaisselle que lorsqu'il ne trouve plus d'assiette ou de verre propre chez lui.

« Oh c'est très simple, en réalité. Mais c'est comme tout, le manque d'habitude rend la chose plus difficile qu'elle ne l'est. »

Pendant qu'ils conversent, les deux hommes s'enfoncent dans les entrailles du Manoir et rien n'a changé – Dick a besoin de se creuser un peu la cervelle pour se rappeler où mène tel ou tel couloir, mais une fois le robinet ouvert, les souvenirs jaillissent enthousiastement, menaçant de tourner à l'inondation et de le noyer là, debout dans ses godasses qui moussent après avoir été détrempées jusqu'à la semelle.

Dick ne se laisse pas faire. Il endure derrière son sourire, répondant jovialement aux questions d'Alfred sur la santé de ses amis et le déroulement de leur dernière aventure dans l'espace, à croire que les Titans ne sont pas un groupe de super-héros mais une simple bande de galopins s'étant rendus à un concert clandestin dans une cave paumée au fin fond de la campagne, se dépouillant de ses habits qui glougloutent piteusement à la perspective de finir dans la machine à laver pour une serviette histoire d'évacuer l'humidité de sa peau puis d'un jean et d'un t-shirt merveilleusement secs, plus un pull par-dessus pour ne pas inciter le rhume.

Il endure, et il guette le moindre indice de la présence d'un enfant dans le Manoir. Vu qu'ils sont deux, il doit forcément en exister. Dick sait que lui-même était un véritable ouragan à douze ans, déterminé à remplir l'endroit de fond en comble par son exubérance infantile, alors ces gamins ne peuvent pas effacer entièrement leurs traces. Les gosses ne fonctionnent simplement pas de la sorte.

D'un autre côté, ce sont les rejetons de Talia al Ghul et cette femme n'est pas le genre à tolérer le chaos et le bruit, une raison pour laquelle c'est si dur de l'imaginer avoir des bambins malgré son désir avoué et franc de concevoir un héritier aux Ombres via Bruce, les marmots ne s'entendent qu'à répandre le chaos et le bruit.

Dick glisse un regard en coin vers Alfred, lequel observe la pile dégoulinante occupée à suer dans le panier à linge avec exaspération. Connaissant le majordome, il a probablement eu des mots avec l'engeance diabolique pour leur signifier qu'il n'apprécie pas trop le bruit – l'ancien acrobate se souvient de sa propre conversation sur le sujet, et combien c'était difficile de ne pas trop incommoder Alfred mais il essayait néanmoins, vu qu'il s'agit d'Alfred.

Si quelqu'un peut dompter les rejetons de Talia al Ghul, c'est l'homme qui refuse de sourciller en face des lubies de Bruce, certainement.

Cependant, c'est très clair que le majordome ne s'en vantera pas. D'une part, ça manquerait de classe et la classe est essentielle pour un majordome et pour un loyal sujet de sa Majesté la Reine. De l'autre, si Alfred n'avait pas la capacité de conserver un secret, Batman l'aurait congédié depuis belle lurette.

Et se serait probablement fait tuer peu après, vu que Bruce est abjectement incapable de se nourrir tout seul sans mettre le feu à la cuisine. Sérieusement, qui met une boîte de sardines au micro-ondes sans retirer la boîte ?

The air's getting colder now
The nights are getting crisp
I first tasted the universe on a night like this
And I'll abide a box of wine
And the hunger in her eyes
In a place where the tree of good and evil still resides

Pour ce chapitre, vous avez droit à Homecoming par Josh Ritter.