I'm not trying to stick it to you
But I've been trying hard getting through to you
And I'm not gonna - fine, let's face it
You know I won't take it
I'm never gonna take it
D'emblée, sans jamais avoir posé les yeux sur le bonhomme, Nana se méfie du fils aîné de son père pour la bonne et simple raison qu'elle a lu plusieurs manuels d'histoire, et forcément quand vous cherchez à étudier le passage du temps dans les sociétés humaines, il faut à un moment ou un autre vous pencher sur la question de la succession.
Si les monarchies occidentales ont opté pour résoudre le problème en adoptant le principe du droit d'aînesse, tout revenant au plus âgé des survivants de la progéniture (évidemment mâle car les femmes ne pouvaient servir qu'à partir dans d'autres familles et à leur donner prétention à l'héritage, ce qui était inacceptable pour ce ramassis de misogynes cupides ayant codifié les lois) sans besoin de confirmer que l'héritier avait suffisamment d'intelligence pour ne pas commettre de faux pas outrageant qui causerait une révolution, les règles étaient plus fluides du côté de l'Asie et du Croissant Fertile. Plus fluides, et en conséquence plus souvent promptes à engendrer de redoutables conflits pour le trône.
Nana avait été particulièrement marquée par les traditions de l'Empire Ottoman du seizième siècle, qui certifiait que le sultan choisissait un successeur parmi les multiples fils enfantés dans son harem, et que ce fils seul survivrait car les eunuques s'empresseraient de massacrer ses frères pour empêcher une future guerre civile menée par un prince furieux que sa potentielle aptitude à régner n'ait pas été jugée suffisante pour lui faire gagner la couronne. On s'en doute bien, les héritiers en puissance voulaient désespérément s'avérer l'élu, et cherchaient très fréquemment à éliminer la concurrence par le biais de scandales divers, empoisonnements subtils ou accidents flagrants. Et quand un prince était trop vertueux ou trop lâche pour se salir les mains, sa mère se chargeait de la sale besogne, mue qu'elle était par le désir d'assurer la survie de son enfant, désir parfaitement louable au demeurant.
À force de querelles fratricides, la qualité des sultans ottomans avait progressivement diminué, et leur soif de sang s'était apaisée, jusqu'à ce qu'il soit décidé que les princes dans la ligne de succession seraient basiquement emprisonnés dans leurs quartiers tant que quelqu'un d'autre pouvait prétendre au trône avant eux. Mesure nettement plus humaine et se voulant miséricordieuse, aboutissant à des sultans mentalement perturbés par plusieurs décennies de confinement entre quatre murs dorés et précipitant la chute du glorieux Empire Ottoman dans des conditions peu reluisantes.
Oui, Nana se méfiait profondément de cet homme qui venait de se présenter au Manoir – le garçon que baba avait choisi de recueillir, avait basiquement désigné comme son fils aîné malgré l'absence totale de lien du sang. Comment donc réagirait cet homme, qui avait eu des années pour se considérer l'héritier de Bruce Wayne, à la perspective d'entrer en compétition pour le titre avec un enfant d'à peine trois ans qui pouvait se targuer d'être un rejeton biologique ?
Bien sûr, Gotham n'est pas l'Empire Ottoman mais la nature humaine n'en reste pas moins cruelle quand un trésor particulièrement convoité est en jeu, et Nana refuse de jouer avec la sécurité et le bien-être de Damian. Elle ne le perdra pas, ni maintenant, ni jamais, que ce soit par la faute de Grand-père ou celle du fils aîné de baba.
Pour cette raison, pour assurer la protection de son petit frère, son âme, son cœur, actuellement sous la surveillance d'Alfred (il faut vraiment que baba engage une nourrice, mais chaque candidate à s'être présentée jusque là manquait cruellement d'expérience dans le domaine de l'auto-défense sans parler de la protection d'un tiers, au moins le majordome âgé ne risque pas de se poignarder en voulant utiliser un couteau pour trancher la jugulaire à un potentiel kidnapper), Nana se retrouve en chaussettes sur les parquets et le carrelage pour faire moins de bruit, s'avançant à pas feutrés vers la porte entrebâillée donnant sur la pièce dans laquelle l'auteur de ses jours reçoit son fils aîné.
Jason suit derrière elle, se déhanchant de manière exagérée afin de marcher exactement dans son sillage. Elle soupçonne que c'est un peu pour se moquer d'elle mais pas méchamment, un peu car il n'a pas reçu de formation adéquate dans les arts de l'espionnage. Les occidentaux se font des idées très ridicules de l'espionnage, la bibliothèque contient plusieurs ouvrages écrits par un dénommé Ian Fleming sur les aventures d'un certain James Bond et Nana a été incapable de terminer le premier et seul volume qu'elle a tenté de feuilleter, c'était simplement trop absurde, le décalage d'avec la réalité était trop grand.
Elle devra probablement lui expliquer comment s'y prendre de manière convenable. Ils vivent sous le même toit, ils mangent à la même table, ce qui veut dire que Jason est affilié au clan Wayne et Nana a l'obligation de le soutenir et de l'encourager à effectuer une performance acceptable alors qu'il progresse sur le chemin du guerrier comme sur celui de l'érudit. Pour l'instant, baba paraît surtout vouloir que Jason et Nana se concentrent sur les études, est-ce qu'il attend d'eux un certain stade de vieillissement physiologique avant de les plonger dans l'entraînement physique et martial ? Ce serait certainement curieux mais logique pour un homme qui n'a pas encore cessé de prouver que sa façon de vivre est en opposition avec les Ombres.
Nana peut attendre, et tant que le jour où il faudra reprendre une arme entre ses mains n'est pas arrivé, elle profitera de cette paix momentanée. Elle en profitera car elle sait que ça ne peut pas durer, une menace vient déjà de surgir sous la forme du fils aîné de baba et d'autres ne tarderont vraisemblablement pas à se montrer, encouragées par la première, et Nana n'est qu'une fille de toute façon, elle sait que les hommes n'éprouvent que peu ou alors pas d'attachement démesuré à leur descendance féminine, une fille ou une petite-fille doit se montrer utile si elle ne veut pas se retrouver à croupir dans un coin sombre ou pire.
(mais baba n'a pas donné signe de vouloir que tu sois utile, il semble ne rien attendre de toi, il donne des cadeaux et des leçons mais que des luxes, que du superflu, des jouets et une inscription au conservatoire ce n'est pas la même chose que trois semaines à apprendre la survie en montagne ou un jeu de dagues, que peut-il vouloir, quel est son plan)
(Nana n'en sait rien, elle n'en a aucune idée, et elle ne sait pas si la sensation de déchirure entre ses côtés tient davantage du soulagement que de l'anxiété, parce que peut-être son père ne vaut pas mieux que la Tête du Démon mais a plus de patience, ou peut-être juste qu'il n'est pas du tout pareil, elle ne sait pas, elle n'en sait rien)
Elle est juste derrière la porte et tend l'oreille, parce que baba et son invité ne crient pas, ce qui pourrait être bon signe du moment qu'aucun des deux n'a la colère qui murmure vu que ça brouillerait la donne, mais Jason se penche au-dessus de sa tête car il est plus grand et il entend tout aussi mal, et pour ne pas perdre l'équilibre il avance la main et celle-ci se pose sur la porte qui n'est pas fermée, qui est vulnérable à une poussée.
La porte s'ouvre, en grinçant de toutes ses charnières, et les deux gamins reculent précipitamment en priant fort pour que les occupants de la pièce se persuadent qu'il s'agit d'un bête coup de vent.
Leurs espoirs sont déçus par la voix de baba qui ne semble pas impressionné du tout.
« Est-ce une paire de souris trop curieuses que j'entends ? Ou bien une paire de cambrioleurs maladroits ? Si vous ne répondez pas, je vais devoir confirmer de mes propres yeux. »
Impossible de s'enfuir, le couloir est trop long et manque d'armoires ou de tables derrière lesquelles se tapir. Plus qu'une conduite à adopter, donc.
Nana inspire profondément malgré le nœud qui lui brûle subitement l'intérieur du ventre, et s'avance, Jason sur les talons.
You always got me on the hook
And you didn't even notice
Stuck in the old neighborhood
Just running through the motions
You know just how to piss me off
Don't test my patience
You're always up to no good
And I just can't take it
Pour ce chapitre vous avez droit à Sibling Rivalry par Pup.
