And I don't care about (all, all, diamond ring, diamond ring)
They don't mean a thing (all, all, all, tha-thang, thang)
All these fancy things (all, all tha-thang, thang, thang)
I tell you that all is my weight in gold (all, all that glitters is not gold, all gold is not reality)
Now, all I know, I know all these things (real is what you lays on me)

Anastasia Wayne est indiscutablement la fille de Talia al Ghul, et cela jusqu'à la racine des cheveux et des ongles, ça crevait les yeux sur la photo dans ce magazine pour salles d'attente, et ça crève les yeux quand Dick la rencontre enfin en personne.

Ce n'est pas seulement le teint foncé indiquant des origines au Proche Orient, ou les yeux verts étincelants. C'est la froideur de ce regard vert lorsqu'il se pose sur Dick, c'est la façon dont les lèvres se contractent aux commissures comme pour réprimer une grimace dégoûtée, c'est la tension dans les articulations et les membres suggérant une puissante envie de passer à l'attaque, uniquement retenue par une féroce volonté de ne pas se laisser dominer par de vulgaires bas instincts.

Elle ne l'apprécie pas, ce qui tombe bien puisque ça déculpabilise Dick : maintenant il est libre de la déclarer imbuvable autant qu'il le souhaite. C'est toujours plus compliqué de haïr quelqu'un cherchant juste à se nouer d'amitié avec vous, ou désireux de vous impressionner par diverses bêtises causant plus de gêne que d'admiration.

Mais l'autre gamin… et de une, il est beaucoup trop vieux pour être le deuxième enfant de Talia. Damian Wayne est à peine en âge de se rendre aux toilettes sans se faire tenir la main, et ce garçon semble juste assez mûr pour fumer des cigarettes dans le dos des autorités cherchant à lui faire résoudre des équations à deux inconnues ou rédiger une dissertation avec pour sujet les relations tendues entre les races dans Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur.

Et de deux, il louche actuellement sur Dick et Bruce comme si l'ex-Duo Dynamique est en réalité une paire des fans dérangés du Joker, menaçant de dégoupiller une grenade remplie de la version plus létale du gaz hilarant. Ce qui est juste vexant, Dick vous le fera savoir !

En passant, d'où il sort, ce troisième môme ? L'acrobate devenu jeune adulte s'est présenté à la porte qu'il avait claqué derrière lui pour obtenir des réponses, pas pour se coltiner davantage de questions. Mais bien sûr, Bruce ne veut jamais dire les choses comme elles sont, il doit absolument se montrer cryptique et détourné, faire des cachotteries à n'en plus finir, une raison parmi une bonne centaine qui le rend peut-être très populaire sur le Net parce que ça donne l'air tellement cool mais à se trimballer chaque jour du matin au soir, on en a vite son content.

Ses pensées sont interrompues par une voix haut perchée, la voix d'un type qui vient de se prendre un coup dans les valseuses ou celle d'une fille qui ne souffre pas encore d'une tempête hormonale prête à revenir chaque mois, plus ou moins régulièrement.

« Alors c'est toi, Richard Grayson, le fils aîné de mon père. »

Décidément, elle sait cogner pile où ça fait mal. Du coin de l'œil, Dick parvient à discerner la grimace constipée de Bruce qui se demande visiblement de quelle façon expliquer à la gamine qu'elle se trompe dans son estimation de la relation personnelle sans froisser le garçon qu'il a recueilli sous son toit pendant plus d'une décennie, épreuve digne de figurer dans les supplices concoctées par le Diable en Enfer histoire de tourmenter les âmes des pécheurs prises entre ses mains griffues.

Le jeune homme décide d'avoir pitié et de régler l'affaire lui-même.

« Bruce n'est pas mon père, il m'a juste offert un foyer le temps que je sois assez grand pour ne pas retrouver victime des Services Sociaux une fois mis dehors. »

Le garçon aux yeux bleu clair – c'est quoi, son nom ? Parce qu'au bout d'un moment, il risque d'y avoir confusion, vu que Dick également peut se voir appliquer cette description spécifique – prend une moue pensive autant qu'agacée, apparemment convaincu par l'hypothèse qui en dit long sur l'état des services publics dans une ville aussi pourrie que Gotham. Mais Anastasia…

Anastasia regarde Dick. Pas d'autre manière d'expliquer ce qu'elle fait avec ses yeux, elle regarde. C'est un complexe mélange d'incrédulité, d'exaspération et de confusion qui tournoie dans ces prunelles vertes, silencieux et pourtant criant à plein poumons à d'autre on ne me la fait pas, qui crois-tu embobiner en sortant une craque aussi invraisemblable ou encore dois-je réellement dessiner un diagramme avec des flèches et des sous-titres au marqueur fluo pour que ça rentre dans ton crâne épais. La sueur perle sous le col de l'acrobate qui n'en mène pas large, soudainement ramené au statut de gamin insolent qui vient de pulvériser une statuette en plâtre du dix-huitième siècle en faisant des cabrioles et recevant la désapprobation du sourcil haussé d'Alfred en guise de prélude à la punition.

Bon sang de bonsoir, est-ce que c'est Alfred qui a appris ce truc-là à la môme ? Parce que là, Dick voudrait juste ramper sous le canapé et gémir pitoyablement jusqu'à ce que le péril jette l'éponge et décrète qu'il offre trop piètre figure pour mériter l'horreur destinée à lui plonger dessus.

« Quoi, c'est vrai » s'efforce-t-il vaillamment de se défendre. « Demande à Bruce si tu ne me crois pas. »

Tactique de lâche, mais qui paie plus que son pesant d'or, Anastasia arrête aussitôt de regarder l'acrobate pour détourner son attention vers le millionnaire qui ne bronche absolument pas, cette ordure. Comment s'y prend-il ? Peut-être qu'à force de côtoyer Alfred pendant si longtemps, nettement plus longtemps que Dick, il a fini par développer une forme d'immunité ? Si c'est bien le cas, alors foin des bienfaits de la jeunesse, l'acrobate ne peut pas attendre d'être vieux.

« Il ne voulait pas » déclare Bruce sur le ton de qui suggère qu'il fera beau cet après-midi, mais garde quand même un œil sur ces nuages, ils tirent une drôle de couleur. « Et c'est important de respecter les décisions des autres. »

Le garçon qui n'a toujours pas de nom renifle.

« Alors ça, c'est le genre d'explication con employé par les trouducs pour emmerder le restant de la planète. Garder mes pépètes pour draguer des minettes russes sur mon bateau privé ? C'est ma décision et va te faire foutre avec tes problèmes de loyer ! »

« Ton langage, Jason » intervient machinalement Bruce, et maintenant Dick peut enfin attribuer un nom à ce participant inattendu au mélodrame qui se déroule entre les murs du Manoir. « Ton argument ne manque pas de mérites, mais l'argot lui confère un aspect vulgaire qui empêche qu'on te prenne au sérieux. »

« Encore une stratégie des gens friqués » critique le susnommé Jason en roulant des yeux, son accent populaire gagnant de l'épaisseur probablement pas par coïncidence. « Quand on dit un truc malin, il faut aussitôt qu'ils pinaillent sur la façon dont c'est dit, ou les baskets déglinguées, soi-disant c'est une excuse pour pas écouter. C'est pas naze, des fois ? »

« L'humanité est irrationnelle par nature » rétorque Anastasia nonchalamment, aussi assurée qu'un grand gourou taoïste dispensant une perle de sagesse. « Les gens refusent de l'admettre, parce que ça les rassure de croire qu'il existe une forme d'ordre au sein du chaos sociétal, en dépit du monticule de preuves attestant du contraire qui leur passe chaque jour en face du nez. Ou alors ils s'en rendent compte, et se lancent dans la politique afin d'obliger autrui à suivre leurs propres règles arbitraires seulement pour échouer. »

« Objection, tu fais de la politique pour t'en mettre plein les poches. »

« Tu penses énormément à l'argent, aujourd'hui. Est-ce un moyen subliminal pour convaincre baba de t'en donner un peu ? »

Jason toussote et se gratte l'arrière du crâne tandis que son interlocutrice plus petite attend placidement une réponse. Dick se mordille la lèvre pour se redonner contenance.

Il croyait savoir à quoi s'attendre en pénétrant dans le Manoir, mais vu que la vie adore vous tirer le tapis sous les pieds, le voilà qui se demande dans quoi il vient de se fourrer.

Bon sang, il préférerait presque s'engueuler avec Bruce.

They don't mean a thing (all, all, all tha-thang, thang)
They don't mean a thing (all, all tha-thang, thang, thang)
(All, all that glitters is not gold)
They don't mean a thing, a thing (all gold is not reality, real is what you lays on me)

Pour ce chapitre, vous avez droit à Family Business par Kanye West.