Le lendemain, après une nouvelle journée d'initiation au rock, Mina et Neji enchaînèrent avec un cours de valse. Ils avaient une demi-heure de battement entre les deux cours et en profitèrent pour se rendre dans la cour intérieure où, une fois de plus, il n'y avait personne.
- Il y a trop de monde la journée pour que j'active mon byakugan, on ne fait pas beaucoup de progrès, dit Neji avec agacement.
- Je ne suis pas sûre que le byakugan soit très utile pour ce que l'on souhaite mettre en évidence de toute façon, tenta de le rassurer Mina. Il faudrait plus qu'on essaye de discuter avec du monde pour creuser.
- Comment veux-tu aborder quelqu'un sans avoir l'air suspect ? demanda Neji.
- C'est toi qui me l'a dit. Cette école regorge de femmes magnifiques et la moitié d'entre elles te font de l'œil quand tu traverses le couloir.
- Je n'ai pas l'intention de jouer les Don Juan, Mina, répondit Neji avec une voix ferme.
- Je ne te parle pas de draguer tout ce qui bouge, mais pourquoi pas aborder quelques cibles potentielles en jouant les intéressés ?
- Et toi ? Comment comptes-tu t'y prendre ? demanda Neji en bottant en touche.
A ce moment-là, la jeune femme brune qui était présente au bar lorsqu'ils avaient fait une filature sortit dans la cour. Elle s'alluma une cigarette et commença à fumer, seule.
- C'est elle qui était énervée après que celle qu'on suivait parte avec le quarantenaire, chuchota Mina à Neji. C'est le moment d'agir !
- Je ne vais pas l'aborder comme ça ! répondit Neji sur la défensive.
- Je m'en occupe.
- Nani ?
Il n'eut pas le temps d'argumenter car Mina s'éloigna de lui pour se diriger jusqu'à la jeune femme.
- Excusez-moi, dit Mina en sortant un paquet de cigarette de sa poche. Est-ce que vous auriez du feu ?
- Oui, bien sûr ! répondit-elle en lui tendant son briquet.
- Arigato ! Le mien est vide et mon ami ne fume pas.
Mina s'alluma une cigarette et lui rendit son briquet.
- Comment tu t'appelles ? demanda Mina.
- Hana, répondit-elle. Et toi ?
- Yumi ! Tu es professeure ici ?
- Non, je suis élève.
Effectivement, d'après Mina, elle avait beau se mettre en valeur et se maquiller, elle ne devait sans doute pas être majeure.
- Tu suis quels cours ? demanda Mina.
- Je fais du jazz et un peu de pole dance. Et toi ?
- L'initiation au rock et un cours de valse. J'ai aperçu le cours de pole dance d'hier, c'était impressionnant ! Ces figures suspendues en l'air, je me demande comment vous faites…
- Oh… C'est une question d'habitude, répondit-elle avec un sourire.
- Tu es ici depuis longtemps ? demanda Mina.
- Environ un an.
- Je trouve que cette école est géniale ! J'aurais voulu pouvoir rester plus longtemps mais on est juste de passages !
- Crois-moi, c'est très bien que tu n'y sois que de passage, marmonna Hana.
Mina s'arrêta net et analysa le comportement de la brunette, les yeux rivés au sol, tirant sur sa cigarette avec avidité.
- Est-ce que tout va bien ? demanda Mina.
Hana haussa les sourcils et leva son regard vers Mina. Elle vit ses yeux brillants, sa main devint tremblante tandis qu'elle porta une nouvelle fois la cigarette à sa bouche.
- Oui, ça va… J'ai… loupé une opportunité récemment et j'en paye les conséquences aujourd'hui. Ce n'est rien.
- Je suis désolée de l'apprendre, répondit Mina. Je peux faire quelque chose pour toi ?
Elle fronça les sourcils et sembla entrer dans un mécanisme de défense.
- Pourquoi est-ce que tu voudrais faire quelque chose pour moi ? demanda-t-elle avec méfiance.
Mina haussa les épaules.
- Je ne sais pas, par gentillesse, répondit-elle avec un sourire.
La brunette la dévisagea un moment, interdite.
- Je veux bien une clope, je suis un peu à sec en ce moment.
- Hai, répondit Mina.
Elle sortit son paquet et lui donna une cigarette.
- Arigato, répondit Hana.
Et elle partit sans crier gare. Mina la regarda s'éloigner et rentrer dans le bâtiment, puis elle retourna près de Neji.
- Tu fumes ?! lui demanda-t-il avec un air ahuri.
- Non, je déteste ça, répondit Mina en grimaçant. C'est un conseil que m'a donné Asuma-sensei il y a quelques mois. Toujours avoir un paquet de cigarette dans sa poche pour aborder les fumeurs.
- C'est… brillant ! répondit un Neji épaté. Alors ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
- Pas grand-chose… Que je pouvais m'estimer heureuse de n'être que de passage dans cette école et qu'elle avait loupé une opportunité récemment et qu'elle en payait les pots cassés.
- Une opportunité ? demanda Neji. Tu penses qu'elle aurait pu s'enfuir d'ici ?
- Non, je doute que s'enfuir soit une option.
- Pourquoi ça ?
- Il faut qu'on aille au cours suivant, on va être en retard.
Neji n'insista pas et suivit Mina jusqu'à leur salle de classe. Ils furent accueillis par un couple de professeurs d'une trentaine d'année. Ils étaient une bonne dizaine de couples à suivre le cours et furent placés à intervalle régulier.
- Vous allez maintenant vous placer comme ceci avec votre partenaire, expliquèrent les professeurs.
Mina rougit en voyant à quel point ils se collèrent l'un contre l'autre. Elle s'approcha timidement de Neji qui faisait de son mieux pour ne pas montrer sa gêne. Ils se collèrent l'un contre l'autre, se prirent la main d'un côté et s'enlacèrent de l'autre, leurs visages n'étaient pas faces à faces mais côtes à côtes.
- Je suis désolée, je n'aurais sans doute pas dû choisir ce cours… chuchota une Mina toute déconfite.
- Ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas, répondit Neji en essayant tant bien que mal de rester impassible alors que le souffle de Mina lui avait chatouillé l'oreille jusqu'à lui provoquer des frissons.
Ils passèrent une heure ainsi, à apprendre les rudiments de cette danse tourbillonnante, à sentir la chaleur de l'autre contre leurs corps respectifs, à sentir l'odeur de l'autre et à s'en délecter avec un plaisir coupable. Et en une heure, pas une fois Mina n'avait réussi à dérougir. Elle s'en voulait de lui avoir imposé cette proximité. Proximité qui faisait battre son cœur au galop car elle n'arrivait pas à s'habituer à ce contact si intime à ses yeux.
Quant à Neji, il dédia seulement 10% de sa concentration à l'exercice, le reste étant entièrement consacré à empêcher à son corps de répondre au fait d'avoir sa coéquipière contre lui. Il pouvait clairement sentir sa poitrine contre son torse, son odeur vanillée remonter jusqu'à lui à chaque tourbillon et son souffle qui caressait son cou ou son oreille à certains mouvements. Ce cours fut un véritable supplice pour le jeune homme sous l'influence des hormones qu'il était. Et effectivement, il maudit intérieurement Mina pour avoir choisi ce cours.
- Neji, tu es sûr que ça va ? demanda Mina tandis qu'ils marchaient côte à côte dans la rue. Tu n'as pas dit un mot depuis tout à l'heure.
- Je vais bien, répondit Neji la mâchoire contractée.
- T… Tu es fâché après moi ?
- Je ne suis pas fâché du tout, ne t'inquiète pas, dit-il le plus calmement possible.
Ils entrèrent dans l'auberge et montèrent les escaliers.
- Oh… Je suis soulagée, je sais que tu n'es pas à l'aise avec la proximité… J'avais peur que tu sois dur.
- Comment ça ? demanda-t-il.
- Ben, que tu m'en veuilles beaucoup quoi ! Après tout, c'est moi qui ai choisi ce cours.
Elle ouvrit la porte du studio.
- Ça ne te dérange pas si je vais prendre ma douche ? demanda Neji.
- Pas du tout, je vais faire à manger.
Elle eut à peine finit sa phrase qu'il s'enferma dans la salle de bain. Elle soupira, déconfite et persuadée qu'il était trop fâché après elle pour supporter sa présence.
Bien décidée à se faire pardonner, elle confectionna le repas consciencieusement. Tandis qu'elle découpait les légumes, elle repensa à sa discussion avec Hana et se demanda longuement comment elle allait aborder le sujet qui la taraudait avec Neji. Au bout d'un moment, la porte de la salle de bain s'entrouvrit.
- Mina ? appela-t-il.
- Hai ? répondit-elle.
Elle s'approcha et se mit à rougir en constatant qu'il n'avait qu'une simple serviette autour de la taille.
- Je suis désolé, j'ai oublié de prendre mes affaires.
- Oh ! Ce n'est rien, je ne regarde pas, dit-elle en retournant à ses fourneaux. Il y a des affaires sur l'étendoir, j'ai fait une lessive hier soir.
- Arigato, répondit Neji en s'y rendant.
Souhaitant le laisser tranquille, elle saisit les affaires qu'elle avait préparé et se dirigea vers la salle de bain.
- Je vais prendre ma douche ! annonça-t-elle.
Elle prit volontairement son temps pour prendre sa douche car elle voulait laisser à Neji le plus de temps possible seul afin de lui donner un peu d'espace. Lorsqu'elle retourna en cuisine, elle fut satisfaite de constater qu'il semblait apaisé. Il avait mis la table et fait la vaisselle et était désormais assis en train de prendre des notes. Mina servit le repas, et tandis qu'ils mangèrent, elle coupa le silence.
- Neji, il faut que je te dise quelque chose.
Il se stoppa net quelques secondes avant de reprendre contenance.
- Dis-moi, répondit-il simplement.
Mina posa ses baguettes et prit une profonde inspiration. Elle fixa son assiette, incapable de débiter la suite en le regardant dans les yeux.
- C'est à propos de quand j'étais leur otage, dit-elle.
- Je t'écoute, l'encouragea Neji.
- Tu sais… Psychologiquement, c'était…
Elle sentit son stress refaire surface et dû se concentrer pour ne pas pleurer.
- Je ne sais pas comment l'expliquer Neji, mais… Fuir n'était pas une option. J'étais enfermée là depuis le plus jeune âge, je n'avais aucun souvenir ailleurs, aucune idée de ce à quoi ressemble le monde réel. On m'a formaté à croire des choses, à être leur esclave, leur robot, à éprouver un besoin de reconnaissance envers mes propres bourreaux. Je suis persuadée que même s'il n'y avait pas eu de barreaux à ma cellule, même si la porte était grande ouverte… Je ne serais pas partie. Le monde extérieur faisait trop peur, ils nous le décrivaient comme un lieu terrible, bien pire que celui où nous étions. Alors bien sûr… Il y avait cette part de moi qui espérait, qui fantasmait sur ce monde extérieur. Mais ça restait le fantasme d'une enfant battue qui rêvait d'un monde meilleur. La réalité c'est que j'étais terrorisée par le monde extérieur.
Neji déglutit difficilement, touché par la confession de son amie.
- Et si c'était le cas de ces filles là ? Et si elles étaient tout aussi captives et persuadées que rien de mieux ne les attendait ailleurs ? Ce n'est pas parce qu'elles ont le droit d'aller dans les bars du quartier qu'elles sont déjà allé plus loin que ça. Ce n'est pas parce qu'on a l'impression qu'elles sont libres qu'elles le sont vraiment. Elles sont peut-être des otages formatés et lobotomisés par leurs bourreaux.
Elle s'autorisa un furtif coup d'œil vers Neji et vit qu'il ne mangeait plus. Il ne bougeait pas, captivé par son discours. Son regard était doux.
- Et aussi, il y a le système de récompense.
- Le système de récompense ? demanda Neji.
- Hai. Quand on travaillait particulièrement bien, par exemple après l'acquisition d'une technique, on pouvait prétendre à une récompense. Par exemple…
Mina se stoppa quelques instants car elle eut soudain très envie de pleurer en revivant ses souvenirs. Elle se racla la gorge. Neji lui-même sentit ses yeux le picoter tant son cœur se serra en la voyant ainsi.
- Gomen, dit Mina en reprenant contenance. Par exemple je pouvais demander une couverture pour l'hiver, ou un pull si le mien était trop usé.
Neji plaça doucement sa main devant sa bouche et se frotta le visage, en proie à une colère immense envers les anciens bourreaux de sa coéquipière.
- Ce que je veux dire, c'est que peut-être que quand Hana m'a parlé d'opportunité manquée… Et le fait qu'elle me demande une cigarette comme si elle n'avait pas vraiment de quoi s'en payer… Je transpose peut-être trop mais ma théorie c'est que c'était elle qui devait rentrer avec le mec du bar et que comme elle n'y est pas parvenue, elle est en quelque sortie privée de ses ressources. Peut-être que les cigarettes font partie des récompenses.
Elle s'arrêta de parler mais n'osa pas lever son regard vers Neji. Elle commença à touiller son assiette avec ses baguettes.
- C'est une théorie qu'on va étudier ensemble sérieusement, répondit Neji calmement.
- Arigato, répondit Mina avec une petite voix.
Neji observa sa coéquipière un moment, le cœur serré.
- Mina ? dit-il avec douceur.
- Hai ? répondit Mina avec les yeux rivés sur son assiette.
- Tu veux un câlin ?
Mina ferma immédiatement les yeux, les émotions surgissant de plus en plus tandis que sa gorge se nouait. Elle eut tellement envie d'accepter, de sangloter, de pleurer toutes les larmes de son corps enserrée dans les bras de Neji. Mais elle s'y refusa. Elle se l'était interdit en arrivant à Konoha et ne comptait pas craquer juste en partageant quelques souvenirs. Elle prit une grande inspiration et souffla, évacuant le plus possible ses émotions.
- Arigato Neji, mais non. Parce que si tu me fais un câlin, je vais pleurer, et je refuse de verser plus de larmes pour des bourreaux qui n'en valent pas la peine. Je veux garder le contrôle.
- Tu es très forte, je suis fier de toi, lui dit Neji.
Elle lui sourit et fit un signe de tête en remerciement, toujours incapable de le regarder sous peine de fondre en larme. Neji se dit alors que le mieux à faire était de lui changer les idées.
- Tu sais, j'ai remarqué quelques incohérences sur ma théorie initiale de mon côté, et qui pourraient bien coller avec ta théorie.
Elle releva les yeux, curieuse.
- La femme blonde qu'on a suivi la dernière fois, je n'avais pas fait attention sur le coup mais en fait… Elle avait un chakra assez important. Je n'ai pas relevé car ça peut arriver parfois chez les civils, mais c'est en général plutôt caractéristique des ninjas et des kunoichis. Et lorsque j'ai observé le sous-sol avec mon byakugan hier midi, j'ai constaté qu'il y avait un nombre non négligeable de femmes avec un chakra digne de kunoichis. J'ai pensé que c'était peut-être des gardes mais… En fait ça ne colle pas trop, jusque-là ils ont toujours utilisé des hommes pour faire le guet.
- C'est bon à savoir en effet, dit Mina en retrouvant peu à peu contenance.
- On va noter ça dans notre compte-rendu du jour, d'accord ? proposa Neji. Et demain, j'essayerai d'activer mon byakugan en pleine journée pour voir ce qui se passe dans ce sous-sol aux horaires des cours.
- Arigato Neji !
Le baume au cœur, elle recommença à manger, heureuse que son coéquipier l'ait écouté attentivement, sans jugement et sans faire preuve d'une curiosité mal placée. Sa compassion l'avait touchée. Elle n'avait pas osé lui annoncer qu'elle aurait dû elle-même finir dans ce genre d'endroit car elle avait très peur qu'il puisse la juger, et elle était contente de ne pas avoir eu besoin de lui raconter cela pour qu'il la croit.
