Musiques : Kuon (FMA, OST 2), Hisô, Kenja no ishi, Shinkô, Ishiba et Kinki (FMA, OST 1)

Note : Pour ce chapitre 2, on change radicalement de décoret on embarque avec l'héroïne principale de notre histoire ! Bonne lecture ~


Chapitre 2 : Mauvais augure


Des yeux ternes sous lesquels étaient creusés de profonds cernes. Des sourcils froncés qui tentaient en vain de bloquer la lumière trop vive de ce début de matinée, qui éclatait de toutes ses forces dans le réfectoire bruyant et bondé. Des cheveux en bataille qui témoignaient d'un manque de soin récurrent. Et, enfin, une bouche grimaçante de dégoût face au café insipide qui tourbillonnait dans une tasse usée, au gré des mouvements d'une cuillère tournée sans conviction.

Voilà l'image d'elle-même que cette mixture fadasse renvoyait à Riza.

La jeune femme soupira longuement, puis mâchonna un bout de pain cartonneux auquel le beurre n'avait su donner de goût. Partout autour d'elle se tenaient des conversations animées entre des soldats trop énergiques pour elle, qui profitaient d'un bon petit déjeuner roboratif tous ensemble avant d'attaquer une nouvelle journée de travail. Enfin, « bon »… Il semblait en tout cas l'être pour tout le monde, sauf pour elle. Peut-être ne trouvait-elle simplement aucune joie à rejouer, chaque matin, ce sempiternel rituel avec ce même plateau, qu'elle aurait autrefois partagé pourtant avec entrain avec… avec…

Riza serra les dents et reposa brusquement sa tartine, qu'elle avait à peine touchée. Sa tasse de café tangua et manqua de se renverser, mais seules quelques gouttes s'en échappèrent. Le liquide brûlant atterrit sur sa peau, mais la militaire n'y prêta pas attention. Elle était trop épuisée pour perdre de l'énergie à siffler de douleur.

Peu lui importait ce genre de broutilles.

Elle ramena sa main à elle et la pressa contre sa poitrine. Son cœur se soulevait à la simple vue de la nourriture. Non, décidément, elle ne parviendrait pas à avaler une bouchée de plus sans qu'elle se coinçât dans sa gorge encore nouée des sanglots étouffés lors de sa dernière nuit.

Le cœur au bord des lèvres, Riza repoussa son plateau d'une main tremblante et s'apprêta à quitter la table.

« Lieutenant ! » l'interpella une voix.

Riza releva la tête. En face d'elle…

« Sous-lieutenant Havoc ? Qu'y a-t-il ? »

Elle le suivit du regard et le vit se faufiler entre les soldats amassés de part et d'autre de la longue table au milieu de laquelle elle avait pris place. Il s'assit sur la chaise en face de la blonde, posa gauchement son plateau rempli à ras bord, puis répondit tout en s'installant :

« Rien. Je voulais juste vous empêcher de partir. Vous aviez l'être prête à prendre la poudre d'escampette sans même avoir fini.

—Effectivement », reconnut Riza, qui esquissa un nouveau geste pour prendre congé.

Elle n'avait ni l'envie de manger ni celle de discuter. Bien entendu, cela n'avait rien à voir avec Havoc, mais là, vraiment, elle n'avait pas la force de…

« Ah non ! Je ne me suis pas tapé un sprint au travers de ce fichu réfectoire pour que vous me plantiez tout seul devant ma gamelle comme ça. Vous allez manger ça, et ça, et ça, et ça ! Et vous ne partirez qu'une fois le tout fini, je vous préviens ! » ordonna son ami tout en empilant sur son plateau une quantité astronomique de viennoiseries. De quoi nourrir au moins trois hommes, et bien portants.

« Vraiment, je ne… », commença Riza, déstabilisée par ces directives soudaines.

« Il faut prendre des forces, si vous souhaitez continuer correctement vos recherches. Ne vous faites pas prier et mangez. Vous êtes épuisée. Vous ne tiendrez pas longtemps comme ça », la coupa Havoc dans un murmure avant de mordre avec appétit dans un petit pain qui croustilla tant il mettait d'entrain à le croquer.

Le soldat lança à sa supérieure un regard si appuyé qu'elle finit par céder. Après tout, il n'avait pas tort. Si elle ne s'alimentait pas, un moment viendrait où elle ne tiendrait plus debout, avec toutes les nuits blanches qu'elle avait enchaînées ces dernières semaines.

« Merci… », souffla Riza dans un sourire triste.

Elle entama l'un des croissants déposés par Havoc à son attention. Étrangement, il lui sembla moins fade que ce qu'elle avait essayé de manger auparavant.

« Où en êtes-vous, à ce propos ? » demanda tout bas le sous-lieutenant, tout en surveillant du coin de l'œil que des oreilles indiscrètes ne fussent pas tournées vers eux ; prudence était mère de sûreté.

« Toujours au même point. C'est-à-dire sans aucune piste », clarifia Riza. Elle croqua sans entrain dans sa viennoiserie. « Depuis la condamnation de l'aile est et, surtout, du bureau du généralissime, c'était déjà devenu compliqué d'enquêter, mais là… depuis qu'ils ont classé l'affaire cette semaine, c'est de pis en pis. Impossible d'interroger librement les équipes qui étaient en fonction la nuit de l'attentat, de faire des recherches dans le bâtiment et, comme toujours, d'inspecter la maison des frères Elric. »

La blonde serra avec force son croissant, se rendit compte qu'elle le broyait carrément, le posa sur le côté et poursuivit :

« C'est quand même un comble d'en interdire l'accès sous prétexte qu'elle est toujours utile à une affaire qu'ils ont pourtant d'ores et déjà classée ! Ils se fichent du monde ! »

Elle menaça d'écraser violemment contre la table son poing crispé, mais n'en fit rien. Il lui fallait rester calme, au risque d'ameuter tout le réfectoire.

Après une profonde inspiration, Riza reprit son sang-froid et le fil de ses pensées :

« Je suis sûre que cette maison regorge d'indices, ou qu'ils la destinent à un usage particulier ; d'où l'importance de tenir les curieux à distance, j'imagine. Résultat, elle est gardée nuit et jour. Je ne suis pas parvenue à ne serait-ce que m'en approcher sans me faire automatiquement refouler.

—Effectivement, c'est louche », confirma Havoc, qui l'écoutait très attentivement, mais n'en laissait rien paraître, soucieux d'adopter un air dégagé dans ce lieu où les murs avaient des oreilles.

« Ce que je trouve plus étrange encore, c'est l'attitude du généralissime à ce sujet », murmura Riza plus bas, en feignant elle aussi de parler de la pluie et du beau temps. « Les premiers jours, une grosse équipe d'intervention avait été dépêchée pour participer aux recherches, pour finalement être réduite peu à peu. À présent, elle ne comprend plus que ceux qui se sont toujours réellement préoccupés des véritables pertes de cette satanée nuit. »

Le lieutenant posa un regard dur sur l'une des oriflammes qui encadraient la porte principale du réfectoire. Pour un peu, elle eût dit que les dragons qui les armoriaient la narguaient de leurs petits yeux vides et plats.

« Le bel intérêt du généralissime pour l'attentat n'aura pas mis longtemps à se volatiliser. » Elle rit jaune. « Et voilà, comme si ça ne suffisait pas, qu'il classe l'affaire sans suite, comme si de rien n'était ! Et si encore, il n'y avait que ça…

—Que voulez-vous dire ? »

Riza soutint son menton de ses mains croisées.

« J'ai demandé à ce que l'enquête soit rouverte. Évidemment, sans succès, mais lorsque je suis tombée sur le généralissime l'autre fois, au détour d'un couloir, et que j'ai remis l'affaire sur le tapis, il… Je savais que je risquais fort de me heurter à un refus, mais là, le Führer a… comment dire ? perdu toute maîtrise de lui-même, dirais-je. »

Havoc haussa un sourcil, surpris.

« Je sais que certains le disent irascible, mais les rumeurs font plus état d'une colère froide, quand ça se manifeste », rappela-t-il. « Alors, qu'il sorte de ses gonds ? C'est difficile à imaginer.

— En effet. Moi-même, je ne l'avais jamais vu comme ça. Il est d'ordinaire si… flegmatique. » Les doigts de la jeune femme se nouèrent un peu plus. « Croyez-le ou non, mais il m'a même plaquée contre le mur en me hurlant dessus comme un veau. »

Havoc faillit en recracher son jus d'orange.

Son interlocutrice ne releva pas et reprit :

« Son regard… » La respiration de Riza trembla malgré elle. Elle essaya cependant de n'en rien laisser voir à Havoc. « Son regard m'a glacé le sang. J'aimerais dire "comme d'habitude", puisqu'on ne peut pas vraiment dire que cet homme ait jamais été chaleureux, mais j'ai eu l'impression qu'en insistant davantage, je me serais aussitôt retrouvée six pieds sous terre. On l'aurait cru possédé. On aurait dit… On aurait dit un autre.

—Effectivement, c'est du jamais-vu », abonda Havoc, abasourdi. « Ou plutôt, du "jamais-entendu". Je me demande bien quelle mouche l'a piqué.

—Moi aussi, sous-lieutenant. Moi aussi. Je garde un sacré souvenir de notre "conversation". En tout cas… » Riza attrapa distraitement sa cuillère et esquissa quelques dessins sur son plateau, comme si elle essayait de résoudre une énigme en reliant plusieurs données esseulées. « Pour être à fleur de peau de la sorte, c'est qu'il ne doit pas avoir l'esprit tranquille. »

Havoc, nerveux, se renseigna tout de même :

« Entièrement d'accord, mais vous n'avez pas eu d'ennuis, récemment ?

—À cause de cette altercation, vous voulez dire ? Non, non… Il ne m'en a pas touché mot depuis. Étrange, d'ailleurs. » Elle marqua une pause. « Enfin, tout ça pour dire qu'il avait l'air… différent. Je pense que quelque chose le préoccupe et que ce n'est pas sans lien avec l'attentat.

—Étonnant qu'il ait classé l'affaire, alors. Surtout que dans ce genre de cas, on attend généralement plus de temps avant de déclarer morts les disparus, même si…

—Ils ne sont pas morts », l'interrompit Riza, dont le regard se fit intraitable.

« Ce n'est pas ce que j'ai dit », tempéra son interlocuteur. « Cependant, admettez qu'au vu des circonstances, il y a peu de chance de les retrouver tous vivants. »

Cette terrible vérité ébranla la blonde, qui ne sut que répondre. En même temps, Havoc n'avait pas tort. Qui aurait pu survivre à tel un éboulement ? Le général, Edward et son frère avaient probablement été piégés sous les décombres. L'explosion avait été si violente que le choc s'était fait ressentir des kilomètres à la ronde, et l'équipe de sauvetage que la jeune femme avait aussitôt rejointe n'avait pu sortir de ces débris que des documents dont plus personne ne se souciait, et quelques rares blessés ; des soldats. La plupart des autres malheureux pris dans l'effondrement avaient été tués. Et, à supposer que le petit groupe eût survécu à la déflagration en elle-même, comment aurait-il pu rester en vie sans vivres, sans eau et sans lumière, dans un endroit confiné, qui plus était, deux mois durant ? C'était impensable.

Or, depuis ce sinistre jour, personne ne s'était manifesté. Que ce fût Scar, qu'on accusait de tous les maux – à tort, aux yeux de Riza –, ou les disparus… Personne.

Personne n'avait montré le bout de son nez.

Ni Edward, ni Alphonse, ni Roy ne l'avaient contactée. Elle vivait depuis lors dans un monde angoissant d'ignorance. Cela lui faisait mal de l'avouer, mais elle aurait même préféré avoir la preuve qu'il ne servait plus à rien de s'acharner. Ne pas savoir ce qu'il était advenu des garçons et de l'homme pour lequel elle avait tout sacrifié était plus douloureux encore. À présent, une seule chose l'empêchait de sombrer et de se laisser aller aux envies de suicide qui la traversaient parfois, ainsi qu'à la dépression qui planait au-dessus d'elle comme une épée de Damoclès : cette image qui s'était gravée de façon indélébile au fond de sa rétine, ce jour funeste ; lorsque, morte d'inquiétude et éprouvée par la fouille, elle avait redressé la tête et vu.

Deux silhouettes, qui se tenaient en retrait, au loin, à l'heure dorée.

Des visages invisibles, mais une chevelure éblouissante et gorgée de lumière.

Des cheveux blonds.

Riza avait eu beau retourner la question dans tous les sens, elle en était sûre :

C'était Edward.

Il était en vie. Quelque part. Malheureusement, la jeune femme avait été tellement obnubilée par ces décombres ce jour-là, et l'urgence d'en sortir ceux qu'elle y croyait piégés, qu'elle n'avait pas investigué davantage au sujet de cette vision fugace et incertaine. Son esprit avait éludé cette information presque aussi vite qu'il l'avait perçue. De plus, elle seule avait vu ce qu'elle avait tout d'abord pensé être un mirage. Tous ceux venus prêter main-forte aux secours se trouvaient concentrés sur leur tâche à ce moment-là. Ce n'était que par chance que son propre regard avait été attiré par l'étrange apparition. D'ailleurs, Havoc, qui était pourtant présent lui aussi au moment des faits, assurait n'avoir rien remarqué. Riza ne pouvait que le croire : le temps qu'elle se retournât pour lui faire part de son étonnement, les deux silhouettes s'étaient évanouies.

Or, à présent, Riza en était persuadée : ce qui lui avait semblé n'être qu'un détail était en fait la clef du mystère qui entourait la disparition du petit groupe. Cette idée en tête, elle en était venue à ne plus s'accrocher qu'au mince espoir qu'Edward eût survécu pour trouver la motivation nécessaire à la poursuite de ses recherches. Bien sûr, elle continuait de penser que les décombres recelaient encore de nombreux secrets, mais elle misait beaucoup sur cette silhouette qu'elle aurait juré être l'un des disparus.

Hélas, dès qu'elle tentait d'aborder le sujet, le jugement de Havoc était sans appel. Son collègue secouait doucement la tête ; les premiers temps, pour lui signifier qu'elle fonçait tête baissée sur une fausse piste ; par la suite, pour lui faire réaliser que, même si sa théorie s'avérait, elle n'avait aucune chance de remonter jusqu'à ces deux personnes ; enfin, et à présent, pour désapprouver purement et simplement son acharnement, qu'il estimait vain.

Riza ne pouvait pas blâmer son subalterne. Elle n'avait aucune preuve à lui présenter pour étayer ses dires, et la voir dépérir à petit feu à force de veiller tard, de se sous-alimenter et de perdre goût à la vie ne devait pas être pour inciter le sous-lieutenant à la soutenir dans la poursuite de chimères.

Pour autant, Riza n'était ni aveugle ni stupide. Elle avait conscience de son propre état. Certes, il était rassurant de savoir que quelqu'un s'en préoccupait, surtout si ce quelqu'un était un ami. Cependant, au fond d'elle, elle aurait préféré être crue qu'inutilement protégée. Havoc avait peut-être fini, après un long travail personnel, par se résoudre au pire, mais pour elle… pour elle… Non. C'était au-dessus de ses forces.

« Edward est vivant. J'en ai la certitude », rétorqua finalement le lieutenant d'un ton qui ne souffrait aucune réplique. « Il suffirait de le retrouver. Il répondrait à nos questions. Toutes nos questions.

—Peut-être, mais comment faire ? C'est encore sur cette maigre intuition que vous dirigez vos recherches depuis que le dossier a été classé ?

—Précisément », asséna Riza, restant la plus droite possible dans ses bottes. « Je pensais d'ailleurs m'entretenir une nouvelle fois avec le caporal Stevens à ce sujet. Il était de service le jour de la disparition d'Edward et le jour de l'attentat. Je n'ai pu lui parler que quelques fois depuis, car il a été surchargé de travail ces derniers temps, mais j'aimerais bien savoir s'il n'aurait pas vu quelqu'un qui ressemblerait à… »

CLING

Le tintement métallique de la cuillère que Havoc venait de lâcher parut résonner si fort aux oreilles de Riza qu'elle sentit ces dernières bourdonner. Elle se tut aussitôt et dévisagea son compagnon, incompréhensive.

Le visage de l'homme s'était décomposé en un quart de seconde.

« Attendez », souffla Havoc d'une voix tremblante qui ne lui ressemblait pas. « Je pensais que… que vous…

— "Que je" quoi ?

—Que vous étiez au courant. Ce… Ce n'est pas pour ça qu'aujourd'hui, vous êtes si… Oh, merde… »

Riza cligna des yeux répétitivement. Il était rare que Havoc se laissât ainsi aller en sa présence. Elle n'eut toutefois même pas le temps de s'en étonner.

« Vous me parlez bien du caporal Cole Stevens ? » demanda le sous-lieutenant en épongeant grossièrement avec sa serviette en papier les quelques gouttes que le heurt de sa cuillère avait fait jaillir de tous côtés, plus sous le coup du stress que par réel souci de propreté. Ses gestes étaient gauches et précipités, et il semblait dans un état de rare agitation. « Celui qui était de garde la nuit dernière pour filtrer les entrées au Q.G. ?

—Oui, pourquoi ? »

Une expression terrible s'afficha sur le visage figé d'horreur de Havoc. Après une déglutition plus sonore qu'il ne l'aurait voulu, il déclara gravement :

« On l'a retrouvé mort hier soir, dans la cour. Il a été enterré ce matin. Je… Je vous pensais informée. »

Riza écarquilla les yeux. Autour d'elle, le brouhaha ne devint qu'un murmure indistinct. Elle trembla de tout son corps et, avant même de comprendre ce qu'elle faisait, elle se levait brusquement de sa chaise, la faisait basculer et hurlait en plaquant ses deux mains sur son plateau :

« Comment ? ! Vous plaisantez ? ! Il est… Il est ? ! »

Cet homme si droit et si gentil, qui prenait toujours soin de leur adresser un mot, au général et à elle, avant chacune de leurs journées de travail… Cet homme dévoué et franc qui ne rechignait à aucune tâche, qui prenait son service à cœur et qui l'avait longuement aidée à creuser jusqu'à des heures tardives dans l'espoir de libérer les disparus de leur prison de pierre…

Mort ?

Plusieurs têtes se tournèrent vers eux, intriguées par l'agitation causée et le haussement de ton soudain du lieutenant. Riza, crispée, sonda intensément du regard Havoc. Elle ne parvenait pas à y croire et… plus que le décès de cet homme, c'étaient les circonstances de celui-ci qui la bouleversaient et qui envoyaient son cœur valser contre ses côtes.

« On l'a retrouvé mort ».

Le caporal Stevens avait été « retrouvé mort » dans la cour, alors qu'il était en service. Ceci, ajouté au regard lourd de sens de Havoc, signifiait que cette mort n'avait rien de naturel. En d'autres termes, le malheureux avait été assassiné. Et cet enterrement précipité laissait à penser qu'on avait tiré des conclusions rapides, voire hâtives, de son meurtre.

Soit parce que le coupable avait été identifié et condamné en un temps record – mais aucune rumeur, que ce fût sur l'homicide en lui-même ou sur le passage en cour martiale de qui que ce fût n'avait circulé, ce qui rendait cette thèse hautement improbable…

Soit parce qu'il aurait été embêtant que l'enquête se prolongeât. C'était généralement le cas lorsque l'on voulait étouffer une affaire, ou que l'on ne souhaitait pas que l'auteur d'un crime fût appréhendé et jugé. D'ailleurs, Havoc évoquait un enterrement, mais il n'avait pas mentionné un quelconque responsable, ce qui en disait long sur le traitement réservé à ce meurtre. Pire : Riza devinait dans les yeux du sous-lieutenant que toute cette histoire avait d'ores et déjà été classée sans suite.

Comme la sienne.

La jeune femme se mit à trembler.

Se pourrait-il que l'homme eût été tué car il détenait des informations qui auraient pu l'intéresser, elle ? Parce qu'elle avait cherché à entrer en communication avec lui récemment ? Quelles raisons avaient motivé ce forfait ?

Tant de questions brûlaient ses lèvres sèches que Riza ne savait laquelle poser en premier et, quand bien même elle aurait pu en décider, ses cordes vocales auraient refusé de fonctionner. La blonde perçut soudain une vague de murmures s'élever autour d'elle ; certains soldats commençaient à porter une attention trop poussée à la situation. Elle entendit également Havoc la prier de se rasseoir avant que trop de gens ne fussent alertés par son attitude. Seulement, Riza était incapable du moindre mouvement. Cette révélation l'avait paralysée.

« Lieutenant ! » appela encore une fois Havoc en lui attrapant le poignet.

Pourtant, le contact qui la tira de sa stupeur ne fut pas celui-ci, mais la sensation d'une main ferme et puissante qui se refermait sur son épaule telle la serre d'un rapace. Surprise, Riza sursauta et se retourna précipitamment. Elle se retrouva alors face à deux hommes aux mines patibulaires. Tous deux la toisaient de leurs yeux bleus et vipérins, exempts de toute amabilité. Tout criait dans leur posture ainsi que dans leurs expressions impassibles qu'ils avaient, au cours de multiples batailles, pris la vie d'innombrables soldats. Riza était certes mal placée pour les juger sur ce point, mais l'absence du moindre atome de sympathie chez ces nouveaux venus indiquait clairement que c'était grâce à la traînée de sang qu'ils avaient laissée sans remords derrière eux qu'ils pouvaient, à présent, arborer sur leurs uniformes aussi impeccables et lisses que leurs visages des décorations outrageusement voyantes.

« Lieutenant Hawkeye ? » demanda l'homme qui lui broyait l'épaule sans ménagement et qu'il lui semblait déjà avoir vu quelque part.

Pas le temps de se remémorer où. Riza retint à grand-peine un sifflement de douleur et salua ses interlocuteurs conformément au rang qui leur était dû, malgré la furieuse envie qu'elle ressentait de faire ôter à ce gorille sa sale patte de son épaule. De toute façon, le geste brusque et parfaitement maîtrisé qu'elle exécuta en portant sa main à hauteur de sa tête suffit à lui faire lâcher prise.

« Oui ? » répondit sobrement la jeune femme d'une voix encore troublée d'émotion, non sans jeter un coup d'œil inquiet et interrogateur à Havoc.

Son collègue lui adressa le même en retour. Visiblement, il ignorait tout comme elle qui étaient ces gens, mais ils ne lui disaient rien qui vaille à lui non plus ; à tel point qu'il se tassa sur lui-même à l'instar d'un chien prêt à mordre et esquissa un geste vers son arme de fonction. Riza le garda d'en faire plus d'un froncement de sourcil discret et reporta son attention sur les deux colosses, qui attendirent que le silence se fît pour reprendre la parole. Lorsque, autour d'eux, les tables se furent parfaitement tues – même si les soldats, tout en feignant de s'occuper de leurs assiettes, observaient la scène à la dérobée et avec grand intérêt –, le plus taciturne des deux hommes annonça :

« Lieutenant Hawkeye, le généralissime vous demande. Vous êtes priée de bien vouloir nous suivre. »

Cette déclaration tomba comme un couperet. Ce fut au tour de Havoc de se lever précipitamment. Il dévisagea longuement les molosses – qui ne lui accordèrent qu'un regard méprisant –, avant d'écarquiller les yeux. Riza dut remettre à peu près au même moment que lui les deux déplaisants personnages.

Ce duo appartenait à la garde rapprochée de King Bradley et était responsable de l'administration des affaires militaires importantes. Le domaine de prédilection de ces sentinelles de l'ombre ? Les promotions, quand elles concernaient des grades élevés et émanaient de la volonté du généralissime. Toutefois, en cette période de crise, il leur arrivait aussi de gérer certaines affaires internes… comme les homicides. Combien d'hommes avaient-ils récemment conduits devant le peloton d'exécution pour des motifs fallacieux ayant servi à justifier une haute trahison, après les avoir livrés au Führer qui, lui-même, avait décidé de leur sort ? Beaucoup, assurément.

Riza sentit son sang se glacer à cette idée. Son cœur tambourina contre ses côtes avec une force inouïe ; peut-être aurait-il pu les lui briser. Néanmoins, la soldate fit un effort surhumain pour ne rien laisser paraître de l'angoisse qui, petit à petit, étreignait jusqu'au moindre de ses muscles. Elle adressa un regard qu'elle voulut rassurant à Havoc pour l'empêcher de protester, lui demanda de rapporter son plateau une fois qu'il aurait fini son repas, puis suivit les deux hommes, qui l'escortèrent jusqu'à la sortie. Elle épousa bien vite leur pas réglé comme une montre à gousset. Leurs talons claquèrent sur le sol en parfaite harmonie, mais le cœur de la jeune femme était loin d'observer le même rythme que ceux des deux cerbères à ses côtés.

Reprends-toi, Riza, reprends-toi… Ce n'est pas le moment de flancher, bon sang… Reprends-toi !

Alors que la blonde franchissait les deux grandes portes du réfectoire sous le regard intrigué de certains soldats qui échangèrent des murmures à son approche, elle eut plus de difficulté encore à garder les épaules et le dos droit, comme si un poids bien plus lourd qu'elle l'écrasait un peu plus à chaque pas.

Riza trembla.

Elle avait l'impression de s'être engouffrée dans le couloir de la mort.


À suivre…


Je l'avoue, j'ai eu un peu de mal au début à me glisser dans la peau de Riza, qui n'est pas un personnage que j'ai vraiment l'habitude d'utiliser pour la narration. Dans mes autres histoires, elle est souvent reléguée au rang de figurante. Ici, c'est tout l'inverse ! C'est un sacré exercice, je dois dire…

J'espère en tout cas que ce chapitre vous a plu, même si là encore, il y a pas mal d'informations à intégrer pour qui n'aura pas joué au jeu. Soit dit en passant, le personnage de Cole Stevens est celui du garde que l'on aperçoit à plusieurs reprises dans le jeu, devant le Q.G. militaire. Comme le pauvre n'est jamais présenté qu'en tant que « soldat », j'ai dû me dépatouiller pour lui trouver un nom qui soit dans le ton des autres. J'espère que ça passe u.u'

N'oubliez pas le petit review qui fait plaisir, et à très vite ! ~


White Assassin