Pour la référence de Jehd, je me suis inspirée d'un fanart de Obey Me!, de boxbusiness. Link, lui, a été complètement dessiné par IcaruVonDarlus (AO3, Twitter et Tumblr) !

Je n'ai pas choisi de race d'hippocampe en particulier pour Jehd, et le terme "poisson-dragon" est méga vague, en français, donc j'ai sans doute fait pleeeein d'erreurs xD (Mais, promis, j'avais fait des recherches) D'ailleurs, pour la petite anecdote, nos deux amoureux vivent... Dans la zone crépusculaire xD (si vous avez la réf...)

(Les références sont disponibles sur mon Tumblr : encreboueuse)

Et c'est ainsiiii que se conclue le mois de février !

Selon mes calculs, si je garde le rythme actuel d'écriture/post d'un texte par semaine, je devrais avoir fini dans un an, quasi jour pour jour. Dans le cas, évidemment, où je n'ai toujours pas de boulot, bien sûr orz

Bonne lecture !


Ça devait être une journée ensoleillée, à la surface, s'en fit-il la réflexion.

L'eau s'était réchauffée et les rayons la faisaient scintiller partout où son regard se posait.

Un banc de poissons obscurcit son champ de vision le temps de leur passage, leurs écailles reflétant la lumière, tout comme son corps quand ils s'éloignèrent.

Paresseusement, Jehd se propulsa un peu plus loin puis s'abandonna aux courants, se laissant dériver sans y prendre garde.

Aujourd'hui était un temps mort bien appréciable et pour une fois, il n'avait pas envie de travailler. Il souhaitait simplement se laisser emporter dans les eaux chaudes, au gré des caprices de l'océan, quitte à passer des heures à nager pour retourner chez lui. Tant qu'il n'atterrissait pas au sein du territoire d'un autre mâle, il pouvait se permettre ce caprice !

Sur le dos, les yeux tournés en direction de la surface, il agita plus mollement sa queue, moins pour contrôler son avancée et plus par habitude, à la recherche d'une algue à laquelle s'accrocher.

Pensivement, il passa ses mains palmées le long de ses flancs, s'arrêtant au début des anneaux osseux qui constituaient sa queue préhensile, ses cheveux flottant autour de sa tête. Sous ses doigts, il pouvait sentir ses os, beaucoup trop facilement, rappel de ses repas aussi peu nombreux que peu consistants.

Ce n'était pas entièrement sa faute, dès qu'il était plongé dans quelque chose, il oubliait tout ce qui pouvait se passer autour de lui, alimentation incluse, mais c'était surtout dû à ses piètres talents de prédateurs.

Son père l'avait encadré jusqu'à sa mort, ses rares amis l'avaient encouragé, mais rien à faire, Jehd laissait toujours s'enfuir une partie conséquente de ses proies et se retrouvait bien trop souvent à mâchonner des algues pour tromper sa faim, d'où le contrecoup sur sa silhouette.

D'ailleurs, il ferait mieux de profiter de son inédit jour chômé pour travailler là-dessus…

Il avait toujours faim…

Son soupir forma une grappe de bulles alors qu'il se tortillait, roulant sur le ventre puis se redressant, reprenant son assiette. Ses nageoires dorsales s'agitèrent et il retourna à son point de départ, commençant à fouiller pour trouver de quoi se sustenter.


Enroulé sur lui-même dans sa cavité préférée, Link s'étira lascivement, échauffant chacun de ses muscles avec attention et baillant à profusion.

Dans son petit coin de paradis, il faisait constamment sombre. Les seules lumières visibles étaient celles émises par la bioluminescence des organismes vivant ici. Il n'y faisait pas exception.

Une fois satisfait de sa forme, il ondula à l'extérieur et rasa de près le relief, un sourire carnassier aux lèvres : il était l'heure de chasser.

Sans se vanter, le jeune triton était un prédateur d'exception.

Il avait dû l'apprendre à la dure, mais depuis, les jours de famine étaient loin derrière lui.

Il ne faisait qu'un avec l'obscurité permanente, malgré l'orange et le turquoise que son corps émettait, attirant ainsi les proies les plus influençables sans effort, mais repoussant aussi les éventuels adversaires qui souhaiteraient lui voler son déjeuner ou le grignoter à la place.

Déjà sa première prise crissait sous ses dents acérées et il n'eut besoin que de quelques déglutitions pour qu'il n'en reste plus que ses arrêtes et les nageoires. Il s'en débarrassa d'un mouvement de main et reprit son avancée.

Son espèce vivait rarement en banc, préférant une existence solitaire, sauf à de rares occasions comme la saison de frai ou d'éventuelles rixes liées au partage de territoire, mais en réalité elle était plutôt considérée comme non territoriale. C'était plus les familles ou les mâles un peu chatouilleux qui montraient les dents.

Il avait quitté les siens depuis longtemps, préférant vivre sa vie par ses propres moyens, bien que ce ne fut pas amusant tous les jours.

Mais maintenant, il était un fier triton poisson-dragon vivant en complète autonomie, s'étant choisi une chouette cachette et coulant des jours paisibles. La seule inquiétude qu'il pourrait avoir serait liée à son ravitaillement, et même là, ce n'était pas un problème. Tout quitter pour remonter la piste de son alimentation n'était pas quelque chose qui lui faisait peur, il était loin d'être matérialiste.

Les temps où il ne chassait pas, il les passait à se prélasser à proximité des cheminées hydrothermales, autant pour son foisonnement d'organismes qu'il grignotait en apéritif que pour la chaleur qu'elles émettaient, ce qui était bien agréable. Et, parfois, il fixait les eaux immuables au-dessus de lui, tentant de percer toutes ces ténèbres pour apercevoir ce « soleil » dont il avait déjà entendu parler alors qu'il n'était encore qu'un alevin.

Une lumière pleine et naturelle qui n'était pas émise par une méduse ou du plancton ? Il peinait à se l'imaginer.

Parfois, affalé sur son rocher préféré (la surface la plus plane qu'il eut trouvé, recouverte de neige marine comme tout ce qu'il y avait par ici), il se rêvait à traverser toute cette noirceur et d'arriver à un niveau moins trouble, plus clair, et enfin contempler par lui-même ce phénomène.

Puis une proie appétissante traversait son champ de vision et il était plus occupé à l'attraper qu'à mettre en place son plan.

Moquez-vous de lui autant que vous voulez, mais oui, il mettra toujours la survie devant les rêves.


Finalement, la récolte avait été assez maigre. Au moins, il avait toujours ses algues préférées à porté de mains…

Les mâchonnant sans entrain, Jehd déroula sa queue préhensile pour s'accrocher à la tige d'une autre variété d'algue afin de ne pas dériver durant son triste repas.

Le soleil continuait de luire, au-dessus de sa tête. La température le rendait somnolent, l'incitant à fermer les yeux et à somnoler. Ses paupières s'alourdissaient petit à petit et son masticage ralentissait, jusqu'à l'arrêt total alors qu'il s'endormait enfin, les bras croisés, une main tenant toujours l'extrémité de l'algue sortant de sa bouche, sa queue serrant toujours fermement le Baudrier de Neptune afin qu'il ne dérive pas durant son sommeil.


Link s'ennuyait. Il avait mangé à satiété un peu plus tôt, donc chasser n'avait aucun sens. Il avait passé quelques minutes à juste traquer les autres poissons, juste pour le plaisir de les voir déguerpir dès qu'ils le repéraient, mais il s'en était rapidement lassé.

Il n'y avait pas beaucoup de challenge quand vous étiez l'un des plus grands prédateurs du coin.

Il avait déjà fait trois fois le tour de son non-territoire et n'était plus fatigué, sa collection de cailloux brillants avait déjà subi trois modifications d'arrangement et il avait manqué de perdre son pendentif à force de jouer avec.

Il avait joué avec les plantons bioluminescents, taquiné les méduses et s'était moqué du blobfish, il ne restait plus grand-chose.

Levant les yeux vers la surface noire, il hésita moins d'une seconde avant de se propulser, décidé. C'est aujourd'hui et maintenant qu'il allait explorer cette dimension inconnue. Peut-être découvrira-t'il au cours de son périple ce fameux soleil ?

Il était temps de sacrifier à la migration verticale…


Un peu honteux de s'être endormi - et plus encore dans une position aussi humiliante - Jehd avait abandonné l'idée de se reposer et avait donc repris son travail, qui était une étude approfondie sur les vies qu'il côtoyait. Il se doutait que ça n'intéresserait personne, mais c'était le devoir qu'il s'était imposé et il se tenait à le mener jusqu'au bout.

Accroché à la base d'une autre algue, il observait un groupe d'hippocampes qui faisait de même. Certains semblaient avoir confondu ses cheveux roux avec leur habitat naturel et se faufilaient parmi les mèches flottantes, le chatouillant à leurs passages. Il sourit alors qu'il notait tout cela, amusé.

Il aimait bien leur compagnie, bien que la réciproque était loin d'exister, mais il savait que ce n'était pas personnel, juste qu'avec sa taille, il était classé comme prédateur par bon nombre de spécimens marins, rendant sa tâche ardue. Mais il en fallait bien plus pour le décourager !

Ce qu'il aimerait faire, ce serait percer la surface et réaliser cette étude sur la vie qu'il y croiserait, mais chaque tentative s'était soldée par un échec. Bien souvent, il n'y avait pas âme qui vive, quelques ombres bougeant trop loin pour qu'il comprenne ce que c'était, et sa peau finissait par lui faire mal des jours durant, après avoir changé de couleur.

Peut-être que les tritons n'étaient pas faits pour sortir de l'océan ? Pourtant, il avait de vagues souvenirs de certains individus se perchant sur des débris ou des affleurements rocheux afin de s'y tenir des heures durant… Mais c'était si loin, tout ça…

Le cœur soudainement lourd alors que les souvenirs lui revenaient par fragments, il balaya les poissons de sa chevelure et relâcha sa prise, préférant s'éloigner pour se concentrer sur un autre organisme. Et, justement, il aperçut au loin ce qui s'apparentait à un serpent marin. Ou un concombre de mer ?

Curieux, il se pencha pour l'observer de plus près, tout en gardant une distance de sécurité. On ne savait jamais.

À l'aide d'un os qu'il avait ramassé il y a quelques jours, il appuya dessus, attentif à la réaction. Mais au lieu de l'attaquer ou de se recroqueviller, il disparut, ce qui l'intrigua.

Faisant fi de toute prudence, Jehd le suivit mais ne s'attendit pas à trouver un congénère - bien que d'une autre espèce, mis en évidence par leurs queues différentes - à moitié caché par les longues algues qui envahissait l'endroit, ayant l'air un peu malade.

D'abord apeuré - c'était clairement un triton plus fort que lui et habitué à se défendre au vu des cicatrices parsemant son corps - il s'inquiéta de le voir aussi patraque, même s'il restait un pur inconnu.

Assurant sa prise sur son os, il prit un peu de hauteur afin de rester hors de sa portée - juste au cas où - et l'enfonça résolument dans sa joue.

La réaction ne se fit pas attendre et l'intrus gronda férocement alors qu'il se redressait, crocs sortis et griffes en avant, prêt à attaquer celui qui osait l'importuner, sans regarder dans la bonne direction pour autant. Il se rallongea aussi sec, respirant difficilement et frottant son visage, grimaçant.

— Vous ne vous sentez pas bien ?

Il n'avait pas trop réfléchi avant de parler, bien que tous ses sens restaient en alerte, surtout après une telle démonstration, mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour cet inconnu.

Déjà qu'il ne voyait quasiment jamais personne, il fallait que le seul autre triton qui lui rende visite soit maladif… tu parles d'une guigne…

Leurs yeux se rencontrèrent enfin et Jehd agita sa main libre pour le saluer, anxieux.

Si jamais il décidait d'en profiter pour l'attaquer, il était foutu.

— J'ai… si mal… c'est ça le soleil ?


Partager son territoire n'était pas un souci pour Jehd. Il n'avait jamais ressenti cette fierté alpha de protéger les frontières, de marquer ses limites. Il avait plutôt tendance à esquiver les affrontements d'expansion et ne montait au créneau qu'en dernier recours. Il n'était pas non plus stupide, à la seconde où il perdait du terrain, ça signifiait aussi plus de difficulté pour se nourrir. Et déjà qu'avec l'actuel c'était loin d'être folichon…

Accueillir un autre triton était donc une décision assez mitigée. Il n'était ni aveugle ni stupide, il avait remarqué les blessures témoignant d'une aptitude au combat, sans parler de sa carrure musclée et bien nourrie, rien à voir avec sa silhouette filiforme et ses joues creuses.

Peut-être se sentait-il plus seul qu'il n'osait se l'avouer ?

Les premiers temps possédaient une fragilité semblable aux massifs coralliens. Il était évident qu'ils étaient deux mâles inhabitués à socialiser avec un autre triton, se surveillant du coin de l'œil, méfiant.

… jusqu'à ce que Jehd finisse par se coincer la main entre les valves d'un bénitier et se retrouve incapable de s'extirper de sa prise malgré toutes ses tentatives.

Il en aurait pleuré s'il l'avait pu, sans savoir si c'était dû à sa situation embarrassante ou par dépit. Il était loin d'être stupide, sa vie s'arrêtait là. Soit Link profitait de la situation pour le tuer, soit il le laisserait mourir lentement ici, mais dans tous les cas, il profitera forcément de l'aubaine pour s'emparer de son maigre territoire et le revendiquer.

Abattu, il cessa de se mouvoir et laissa le soin à l'eau pour le déposer sur les amas rocheux l'entourant, s'y affalant inconfortablement. Épaules et têtes basses, ses cheveux couvrirent ce qui restait de son champ de vision, et il ne bougea plus. Pour quoi faire, de toute façon ? Il avait bêtement signé son arrêt de mort, le temps de son agonie serait simplement à l'appréciation de l'autre triton.

Son poignet lui faisait de plus en plus mal, surtout dans cette position, mais rien ne pourrait apaiser la douleur, rien en-dehors de la libération de sa main.

Sa queue se recroquevilla sous lui et il enroula son bras libre autour de lui, comme pour se réconforter, puis il attendit.

Sa curiosité lui donna envie de relever la tête alors que les ondes d'un mouvement le heurtait, preuve d'une action dans son périmètre. Sans doute son rival qui venait se moquer de lui ou, justement, lui épargner une longue attente. Dans les deux cas, il n'avait pas l'intention de lui faciliter la tâche et garda les yeux obstinément fermés, serrant les dents.

— Hé, ça va ?

— Fais ça vite…

Malgré tous ses meilleurs efforts, sa voix n'avait rien d'assuré et était clairement suppliante.

Il avait sa fierté malgré tout, il ne voulait pas implorer la pitié de son exécuteur bien qu'il refusait l'idée de lentement dépérir, immobilisé par l'étreinte du mollusque sur son poignet.

— Je me doute que ce soit inconfortable, mais il vaut mieux que je prenne mon temps pour éviter d'aggraver ta situation.

Sa réponse était étrange mais Jehd ne la releva pas, restant prostré.

Il y eu d'autres ondes mais il ne voulait pas savoir ce qu'il se passait. Pour la première fois de sa vie, il n'était pas curieux. Il voulait rester dans l'ignorance. Fermer les yeux et, avec un peu de chance, ne pas avoir à les rouvrir.

Du moins, c'était le plan, jusqu'à ce que des ahans se fassent entendre, mais aussi que la pression appliquée sur son membre se déplace, s'allégeant puis se renforçant, tour à tour.

Relevant la tête et chassant ses cheveux de son visage, il eut la surprise de découvrir celui qu'il considérait comme un compétiteur glissant un des débris qui jonchaient le sol entre les parois du mollusque et son propre poignet, tentant de faire levier et d'ainsi le libérer.

Link émit de nombreux grognements de toutes sortes, concentré sur sa tâche, mais ce fut un cri de victoire qui couronna son succès alors que le tridacne relâchait enfin sa prise et qu'il était libéré.

Jehd n'eut pas le temps de savourer cette nouvelle que déjà l'autre triton s'était emparé de sa main et l'examinait consciencieusement, la manipulant avec soin et appuyant légèrement du bout de ses doigts.

— Rien n'a l'air cassé. Peux-tu bouger les doigts ?

Il se releva, l'observant. Il avait un air concentré alors que ses yeux ne s'éloignaient pas des bleus qui commençaient à se former sur sa peau pâle. Il avait presque l'impression de sentir les bulles d'oxygène s'échappant de ses branchies, tellement ils étaient proches…

Il obtempéra, les agitant précautionneusement, attentif. Rien n'avait l'air d'être endommagé et si on oubliait la couleur que prenaient les tissus sur lesquels le bénitier avait pressé, on pourrait penser que rien n'était arrivé.

Malgré ça, non seulement Link continuait d'avoir l'air préoccupé, mais en plus il continuait de retourner le membre comme s'il s'attendait à tout instant à ce qu'il finisse par révéler une plaie grave. Ou qu'il tombe. N'importe quoi d'inquiétant.

Quand il le relâcha enfin, ses sourcils restèrent froncés un long moment, et Jehd put sentit distinctement son regard le passer en revue, comme à la recherche de quelque chose. Mais de quoi ?

— Merci de m'avoir sorti de ce mauvais pas, déclara-t-il, gêné.

Mais au lieu de lui répondre, Link se rapprocha de lui d'un coup de nageoire et l'attrapa par les épaules, avant de finalement glisser ses mains griffues sur sa joue, suivant ce qui devait être la cicatrice qu'il arborait depuis quelques jours, puis passa à celle barrant son épaule, les autres décorant son torse…

La promiscuité était un concept qu'il avait oublié depuis longtemps, couplé au toucher quasi intime, Jehd ignorait comment réagir correctement et plus encore ce qu'il y avait derrière. Quand ce fut finalement trop pour lui, il se braqua et le repoussa le plus violemment possible, se recroquevillant sur lui-même, se protégeant de ses bras et de sa queue, plus rouge que jamais.

— Mais qu'est-ce qu'il te prend ? Tu es fou ?!

— Tu es blessé.

— Non. Tout est guéri depuis longtemps ou en passe de l'être. Ce n'est pas important.

Il détourna le regard quand celui de son vis-à-vis fut trop lourd à soutenir. Il lui faisait penser à ces phoques dont il avait croisé le chemin, une fois, avec ses grands yeux doux et sa tête penchée sur le côté. Son attitude, son but, tout était un vrai mystère.

— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

Au lieu de lui répondre, il préféra faire volte-face et s'éloigner, espérant qu'il comprenne son besoin de solitude. Avec un peu de chance, il l'abandonnera et passera son chemin.


Non seulement Link n'avait rien abandonné, mais en plus il n'était pas parti.

Les choses avaient changé sous son influence. En bien, en mal ? Elles avaient changé, les juger n'avait que peu d'importance.

— Chéri, non, ne touche pas aux méduses, tu vas te faire mal…

— Jehd, laisse-le faire. Celles-ci sont inoffensives.

— Justement ! S'il pense qu'elles le sont toutes…

Il fut coupé par l'insertion efficace d'une anguille dans sa bouche ouverte par un Link à l'air agacé, bien qu'il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir l'amour qu'il exprimait malgré tout.

— Laisse-le vivre. Il ne sera pas éternellement un alevin, toute expérience est bonne.

Jehd se frotta le visage de ses paumes avant de lutter avec son repas qui continuait de s'agiter entre ses mâchoires, le broyant efficacement de ses dents.

— Mais il est si petit, si fragile… soupira-t-il.

L'objet de leur attention, très loin de leurs occupations, nageait maladroitement jusqu'à un banc de méduses qui flottait paisiblement.

Malgré son expression indifférente, Link le surveillait de son regard prédateur, prêt à abandonner la pèche du jour pour se précipiter auprès de son petit à la seconde où il sera en danger.

Les deux jeunes parents grignotèrent les prises sans leur porter plus d'attention, celle-ci étant entièrement dédiée aux tentatives de leur fils pour caresser les ombrelles des méduses.

Au fur et à mesure que rien de grave ne survenait - autant grâce à l'innocuité de cette espèce que par la maladresse de leur alevin - ils se détendirent et Jehd appuya sa tête contre l'épaule de son partenaire, osant même clore les paupières un instant, savourant l'instant.

Link n'était jamais parti. Au contraire, il était resté et avait pris en main tout ce qui pêchait dans sa vie avec, en priorité, son alimentation. Il avait bien tenté de lui enseigner les ficelles de la chasse mais il s'était finalement résolu à s'en charger, rapportant suffisamment de prises pour gommer les preuves de carence, puis l'engraisser.

Quand il arriva à cette étape, Jehd devint légèrement méfiant alors que le volume apporté semblait croître toujours plus, confinant à un gâchis avec lequel il n'était pas à l'aise. Il avait fini par le confronter à ce sujet.

— Bah, je te courtise, pourquoi ?

La réponse l'avait tellement prise au dépourvu qu'il s'était figé avant de se camoufler parmi les longues algues et de ne pas en bouger avant que l'embarras ne quitte ses joues. Quand cela arriva, il s'attela à la création de son propre cadeau de cour qu'il lui tendit alors que ce qu'il lui semblait que la totalité de sa circulation sanguine était détournée vers son visage et le haut de son corps.

Il n'oubliera sans doute jamais l'air prédateur qu'afficha Link quand il prit connaissance de la nature du geste et encore moins ce qui devint l'un de leurs premiers accouplements.

Et les voilà, des années plus tard, à veiller sur leur enfant découvrant le monde.

Comme s'il partageait ses pensées, son compagnon l'enlaça de son bras musclé, le rapprochant un peu plus de lui, terminant de dévorer la dernière anguille, les yeux ne se détachant pas un instant de leur alevin.

C'était difficile avec les palmes liant leurs doigts, mais Jehd savait exactement comment les entrelacer, leurs mains liées reposant sur son torse. Après tout, ce ne serait ni la première, ni la dernière fois qu'il le ferait.


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