Texte fini hier.

Comme ce thème est le suivant sont assez proches, ceci est une partie 1 et vous aurez la seconde mardi prochain. Ça allait bien arriver !

Bonne lecture !


Peu importait la distance, peu importait la destination. La base était de s'assurer de bien choisir le moyen de transport, et surtout de le connaître sur le bout des doigts. Il ne manquerait plus qu'il tombe en panne au beau milieu du désert Gerudo ou des Pics Blancs et qu'il soit incapable de relancer la machine !

C'est pour cette raison que Link passa de longues heures à monter et démonter chaque pièce de son 4x4 et lut tant de fois son mode d'emploi qu'il aurait pu vous le réciter dans son sommeil.

L'objectif était de s'éloigner le plus possible de Toal, de mettre le plus de distance possible entre eux et, peut-être, de ne jamais revenir.

En tout cas, c'est ce qu'il avait en tête alors qu'il chargeait les sacs dans son coffre, le cœur lourd.

Pour couper aux adieux hypocrites, il avait décidé de mettre les voiles au petit matin, vers l'aube, avant le réveil de la première cocotte ou d'une chèvre.

Personne ne devrait le retenir, normalement, il y avait veillé, mais il refusait tout autant de faire face à leurs visages, à leurs yeux… aux propos qu'ils pourraient tenir.

Au fond de lui, il savait qu'il était l'unique coupable de la tension qui perdurait entre eux, mais il était encore trop tôt, il était lui-même bien trop à vif pour le reconnaître à haute voix, mais pas assez obstiné non plus pour ne pas se l'avouer à lui-même, au fond de son esprit, durant ses longues heures d'insomnie.

C'est d'ailleurs lors d'une d'entre elles qu'il avait pris sa décision.

Puisque sa présence seule suffisait à troubler la sérénité de ces lieux, alors c'était à lui de partir. Tout simplement.

Et c'était ainsi qu'il avait réalisé ses préparatifs, ne cherchant pas particulièrement à se cacher mais ne se mettant pas en spectacle non plus. Il agissait seulement, sans prendre en compte la moindre tentative de qui que ce soit de lui parler ou de l'arrêter. Pas comme s'il avait l'intention de prendre en compte le moindre mot qui passerait leurs lèvres.

Plus d'une fois, Link avait été comparé aux chèvres élevées par Fahd. Il pouvait être aussi têtu et foncer tête baissée tout autant qu'elles, et peu importait ce qui se trouvait sur son passage.

Dans un petit village comme le leur, ça avait peu d'importance et il avait été surtout taquiné pour ça puis, plus tard, gourmandé quand ça avait évolué en un comportement qui flirtait presque avec le suicidaire, alors qu'il rentrait avec de nombreuses coupures parsemant son corps.

Et, une fois de plus, il démontrait cette facette de son caractère en ne démordant pas cette lubie soudaine, sans peser plus ses options, quitte à perdre tout ce qu'il avait.

C'est comme si un voile de colère s'était déposé sur ses sens, l'aveuglant à tout ce qui se passait autour de lui et le focalisant uniquement sur cette étrange porte de sortie qui s'ouvrait à lui.

La fuite. La fuite droit devant et pour un temps indéterminé.


Hyrule avait beau être un royaume prospère, il était franchement en retard niveau infrastructures de toutes sortes, telle les routes.

La Citadelle était évidemment la mieux desservie, mais c'était aussi une destination obligatoire dès que que vous souhaitiez faire quelques kilomètres. Toutes les routes y menaient, et toutes les routes en partaient. C'était canulant au possible, mais l'autre possibilité était les voies non damées, avec nids de pie et absence de signalisation, creusées par les passages à cheval et les roues de charrettes.

La plupart des véhicules préférait donc les routes toutes tracées, quitte à devoir allonger leurs trajets, et ainsi économiser leurs pneus.

En réaction, tout un système lié au partage des transports s'était formé, et il n'était pas rare de voir de parfaits inconnus montant à bord du véhicule d'autres inconnus pour être déposés n'importe où ailleurs.

Bien sûr, il y avait eu quelques difficultés et autres pans sombres, mais il en fallait plus pour refroidir l'engouement de cette mode qui était née d'un besoin de se déplacer, entravé par le prix des voitures et leur nombre réduit.

Jehd avait beau se répéter toutes ces informations, tentant de rationaliser les statistiques qu'il avait pu réunir, mais ça ne suffisait pas pour apaiser son angoisse croissante.

Assis sur son bagage, il observait toutes ces personnes qui s'interpellaient joyeusement, échangeant sur les destinations qu'ils souhaitaient, montant à plusieurs dans les voitures puis disparaissant.

Il était là depuis des heures, le soleil ayant depuis longtemps fait son office sur lui et sa tenue trop couvrante et chaude pour la saison. La sueur semblait couvrir l'entièreté de sa personne et sa peau était douloureuse en réaction aux coups de soleil qu'il subissait.

Il n'arrivait pas à se décider. Il ne parvenait pas à afficher ce sourire enjoué des autres autostoppeurs, agiter le bras pour attirer l'attention des conducteurs, énoncer d'une voix claire sa destination, alpaguer d'autres prenant la même direction…

Au fond, il n'était même pas sûr de vraiment vouloir partir.

Mais il n'avait pas le choix.

Une semaine plus tôt, l'Académie Royale lui avait fait savoir que ses recherches ne seraient plus subventionnées. Pire ! Qu'il était aimablement invité à ne plus jamais se présenter en cet auguste lieu, ni maintenant, ni jamais.

La raison ? Il n'en savait encore trop rien, personne n'estimant nécessaire de le lui faire savoir, répliquant à chaque fois « qu'il devrait le savoir mieux que quiconque » avant de lui fermer la porte au visage, maître de thèse compris.

Sans la rentrée d'argent de la bourse ou des subventions, il lui était impossible payer ses charges ou ses besoins les plus basiques, et son propriétaire eut tôt fait de le mettre à la porte quand il lui expliqua la situation, persuadé qu'après toutes ces années à régler son loyer sans le moindre retard, il pourrait lui faire une faveur, peu importe laquelle. Il avait été si naïf…

Orphelin de toute famille, sans ami, il n'avait plus qu'une solution : partir. Les tarifs de la capitale étaient beaucoup trop élevés et aucun travail ne lui convenait.

N'importe où lui irait, mais il y avait aussi cette sensation de défaite dont le goût amer s'éternisait dans sa bouche. Sa vie prenait un tournant auquel il ne s'attendait pas. Il n'était pas assez aveugle pour s'attendre à ce que ses recherches soient auréolées de succès, que son nom rejoigne ceux illustres décorant le Hall de la Connaissance, bien sûr, mais il ne s'attendait pas non plus à finir ainsi, jeté à la rue, sans moyen et avec toute une vie se résumant à un bagage trop lourd pour qu'il le déplace avec facilité.

Il était si occupé à se lamenter sur son sort que, lorsqu'il releva la tête afin de reprendre son observation, il découvrit qu'il n'y avait plus que lui. Bon, c'était faux, il y avait encore quelques autostoppeurs, mais ils n'étaient plus qu'une poignée et le soleil autoritaire de tantôt s'était atténué au bénéfice de températures plus douces alors que la fin d'après-midi s'amorçait lentement.

Le trafic s'atténuait lui aussi, et c'était une assez mauvaise nouvelle.

Abattu, Jehd se releva, chancelant jusqu'au bout du trottoir, scrutant l'asphalte comme si une voiture allait soudainement surgir pour lui proposer de l'emmener n'importe où. Enfin, c'était un taxi, ça, mais il avait besoin d'une version gratuite. Ou, au moins, qui accepterait d'être payé en différé. Ou autrement.

Mais il se retrouva rapidement seul, ne restant plus que les quelques badauds pressés de rentrer chez eux, là où deux heures auparavant une foule bigarrée et bruyante se tenait.

Il avait toujours été tellement mauvais pour saisir les opportunités qui lui étaient offertes, certaines choses ne changeaient décidément jamais…

Défait, il pencha la tête, contemplant le sol avec une forte envie de pleurer, alors que le bruit d'une voiture s'arrêtant se fit entendre. Mais il ne voulait pas regarder, persuadé que c'était une hallucination ou que ça n'avait rien à voir avec lui.

— Hé, tu saurais quelle direction prendre pour arriver au lac Hylia ?

Surpris d'être interpellé, il se redressa subitement, comme sur ressort, faisant face au conducteur qu'il apercevait à contre-jour.

— Le lac Hylia ?

— Euh oui, pardon, vous prenez par là…

Alors qu'il lui expliquait de la façon la plus concise possible le chemin à prendre, un élan d'audace s'empara de lui et il s'accrocha subitement à la portière.

— Si… sinon, je peux vous y guider directement, si vous voulez.

Sa gorge parut s'étrécir alors qu'il achevait sa phrase. Cette fois, ce n'était plus de l'audace mais bien du désespoir qui l'étreignait.

Il sentit clairement le regard qui se promena sur lui alors qu'il attendait la réaction qui sera sans nulle doute violente. S'y préparant, il commença à reculer, rentrant sa tête entre ses épaules, la tournant légèrement, craintif.

— Okay, monte.

La stupeur fut telle que Jehd se redressa comme un ressort, bouche bée et les yeux grands ouverts, avant de se reprendre et de détaler auprès de son sac, tirant dessus de toutes ses forces.

— Attends, tu vas te faire mal.

La portière claqua et rapidement, deux bras musclés s'ajoutèrent aux siens et le sac s'envola comme s'il était vide. De nouveau inutile, Jehd récupéra ses bras et les croisa maladroitement, hésitant sur la marche à suivre.

— Je peux le mettre dans le coffre ? T'auras pas la place de t'asseoir avec, je pense.

Bredouillant son assentiment et des remerciements, il s'empressa de s'installer à la place du mort, bouclant sa ceinture. Ses paumes étaient moites d'appréhension alors il les frotta sur ses cuisses, déglutissant à plusieurs reprises alors qu'il essayait de traiter ce qui se passait en moins de dix minutes. Qu'allait-il lui arriver, maintenant ?

Le conducteur reprit sa place derrière le volant, lui adressa un coup d'œil puis démarra.

— Par là, tu disais ?

— Euh, oui oui !

Dans l'habitacle, une certaine tension régnait, c'était assez inconfortable, mais aucun des deux ne la releva. Jehd se coula dans le rôle de navigateur, lui permettant d'alléger son anxiété temporairement. Au bout de deux croisements, il se rendit compte qu'il avait repris sa mauvaise habitude de bavarder en tout sens, afin de remplir le silence. Cette fois, c'était sur l'histoire de la capitale et quelques anecdotes sur l'architecture, ses rues… Bref, typiquement le genre de sujet qui lui valait bon nombre de piques acides et d'invitations à se taire.

— Désolé, je ne voulais pas t'assommer de toutes ces fadaises. Je vais me taire.

— Nan ça va, tu peux continuer. J'ai cassé l'antenne de la radio dans la forêt de Firone, alors j'ai dû rouler dans le silence. Ça fait du bien d'entendre autre chose que la ventilation. Et puis, c'est intéressant.

— Vraiment ?

— Je ne suis jamais venu à la capitale et l'accès aux informations est assez restreint par… chez moi. Mais fais comme tu veux. Je vais à gauche, c'est ça ?

— Euh, oui.

Ragaillardi par sa permission, Jehd se détendit légèrement, un petit sourire aux lèvres. Il s'installa un peu plus confortablement, observant les rues se vidant lentement. Il eut un petit pincement au cœur en se rendant compte que ce serait peut-être la dernière fois qu'il les verrait.

— Ah non, c'était juste là… Pas grave, on peut rattraper, ce sera la prochaine à droite.

Il fronça les sourcils suite à cette remarque. Il n'avait pas pensé à prévenir car les panneaux indiquant le lac commençaient à être visibles et qu'ils étaient difficiles à rater. Peut-être de l'inattention ? Allez savoir depuis combien de temps il roulait, après tout !

Il reprit diligemment sa tâche et ils parvinrent sans encombre à la berge.

La nuit s'était bien installée et ils étaient loin d'être seuls. Des tentes et des feux de camp avaient été mis en place, de la musique s'en élevait, ainsi que des discussions. Camper là n'était pas très légal, mais tant qu'il n'y avait aucune plainte ni dégradations, les autorités fermaient les yeux dessus.

Roulant aux pas, le conducteur examinait attentivement les environs, comme s'il cherchait quelque chose. Quand il s'en rendit compte, la paranoïa de Jehd monta en flèche et de nombreux scenarii se bousculèrent subitement dans son cerveau, un frisson glacé lui traversa l'échine. Avait-il l'intention de l'assassiner derrière des buissons ?

— M… merci pour le trajet. Vous pouvez me déposer juste là, ça ira.

Il freina mais tourna la tête vers lui, clairement curieux.

— Je ne t'aurais pas pris pour quelqu'un aimant camper à la belle étoile.

— Je ne voudrais pas déranger plus longtemps, merci beaucoup, je vais y aller.

Nerveux, il se débattit avec la ceinture mais se figea quand l'inconnu tendit le bras vers lui. Retenant sa respiration, il ne lâcha pas du regard ses gestes, s'attendant à tout moment à se faire agresser. Mais à la place, il le libéra, pressant sur l'enclencheur.

— Tu as besoin d'aide pour ton sac ?

Initialement, il avait l'intention de refuser, avant de se souvenir de son incapacité à juste le soulever. Résigné, il accepta et ils descendirent tous les deux, se retrouvant au coffre que son propriétaire ouvrit.

— Tu veux que je te rapproche des autres ? Tu aurais pu me le dire plus tôt, tu avoir un peu de marche avant de les rejoindre.

Sans être minuscule, le campement était en effet assez éloigné pour que les bruits soient pratiquement étouffés de là où ils se tenaient.

— Je n'ai l'intention de rejoindre nulle part.

— Ah bon ? Alors où comptes-tu aller ?

Il lui tendit son sac de voyage et Jehd eut bien l'impression que ses bras allaient s'arracher quand il s'empara des poignées, mais il carra les épaules, creusa le dos et assura sa position. Ce n'était pas le moment de (plus) se ridiculiser !

— Pas la moindre idée, avoua-t-il. Je n'ai nulle part où aller et plus personne pour s'en inquiéter.

Cet aveu était au-delà de toute prudence et il ignorait pourquoi il l'avait émis, alors qu'il tremblait de peur dix secondes plus tôt d'être emmené dans un coin sombre afin d'être découpée en morceaux ! Peut-être était-ce la fatigue, le désespoir qui le grignotait depuis sa radiation de l'Académie, cette impression d'intimité amplifiée par le manteau de la nuit. Et peut-être un mélange de tout ça.

L'étranger lui retira son bagage des mains, le reposant dans le coffre, obtenant un piaillement de surprise.

— Je suis venu ici pour y passer la nuit. Est-ce que tu veux rester ? J'ai une tente mais tu peux aussi dormir dans la voiture si ça te met plus à l'aise.

Une fois de plus, c'était contraire à toute règle de survie, mais pour la première fois de sa vie, Jehd n'en avait cure. Il manqua de s'écrouler en larmes alors que pour la première fois en l'espace d'une semaine, on lui témoignait un peu de gentillesse. À y réfléchir, n'était-ce pas même auparavant cet incident ? Sa mémoire peinait à se souvenir de la dernière fois qu'on l'avait pris dans les bras ou adressé un compliment sincère, et plus encore qui ne portait pas sur ses travaux.

— Hé, désolé, je ne voulais pas te faire pleurer. Ça va aller, mec ?

On l'attrapa par les épaules d'une prise sûre et solide. Les larmes qu'il peinait à retenir dévalèrent subitement ses joues, c'était fichu.


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