À cet instant précis, dès qu'elle eut aperçu l'expression crispée sur leurs visages, Noma eut la nette impression que les deux hommes s'étaient disputés juste avant d'ouvrir la porte. Elle doutait désormais que le Professeur Rogue allait la punir ; pour une fois, il ne semblait pas avoir le dessus. Assise autour de la petite table, dos à la cheminée, Noma s'efforçait de saisir le sens des murmures échangés entre les deux adultes à l'autre bout de la pièce...

- Je vous laisse, tous les deux. Ou devrai-je dire, tous les trois, dit Abelforth à Rogue en remuant à peine ses lèvres.

- Merci pour votre intervention, lui répondit Rogue à mi-voix

Durant un bref instant, juste avant de faire volte-face, Abelforth alterna son regard entre le tableau vide d'Albus, Noma qui rongeait ses ongles sur sa chaise, et finalement Rogue, toujours campé non loin de la porte. Il n'osait à peine la regarder.

Le directeur du Phénix pinça les lèvres lorsqu'ils se retrouvèrent seuls, juste avant de lui adresser une question dans un murmure à peine audible :

- Puis-je m'asseoir?

Noma ne parvenait pas à assimiler ce qu'il venait de dire, elle était même presque certaine de ne pas l'avoir très bien entendu. Cela semblait surréaliste que le professeur Rogue lui demande une autorisation. Habituellement, il imposait plutôt que de demander. La jeune élève resta muette de stupéfaction, mais réussit cependant à acquiescer d'un hochement de tête

- Je pensais que certains secrets n'étaient pas toujours destinés à être révélés, dit doucement Rogue en prenant place en face d'elle. Je me suis trompé.

Elle demeurait incapable d'émettre le moindre son. Ses yeux capturaient les traits familiers de Rogue, avec ses cheveux sombres identiques aux siens. Désormais consciente de la vérité cachée, elle percevait leur ressemblance physique avec une acuité troublante, comme si elle incarnait sa propre version au féminin.

- Comment se passe vos révisions? Demanda-t-il maladroitement dans une tentative désespérée d'établir un dialogue, alors qu'il savait que Noma s'ennuyait à l'école, tant que tout lui paraissait facile.

À son âge, il se remémorait que lui aussi, tout lui semblait ennuyeusement facile. C'était l'une des raisons pour lesquelles il n'avait pas beaucoup d'amis ; le talent ne s'accordait que rarement avec la popularité. Il redoutait qu'elle ne finisse par s'isoler, bien qu'elle semblât bien s'intégrer pour l'instant.

- J'aide ceux qui en ont besoin, surtout pour les cours du professeur Horace, répondit enfin Noma. Pourtant, j'ai beau retenir facilement les choses... Parfois, je ne sais pas les expliquer aux autres. Je ne sais pas toujours me faire comprendre...

- La pédagogie est quelque chose qui vient avec l'âge, dit Rogue qui trouvait sa réflexion très intéressante. Laissez votre esprit prendre de la maturité, c'est de là que naît la capacité de décrypter ce que les autres comprennent ou - la plupart du temps - ne comprennent pas.

- Oui, professeur Rogue, dit-elle sobrement, sans relever sa touche d'humour moqueuse.

Dans sa tête, elle priait tous les saints pour qu'Albus Dumbledore reprenne place dans son tableau et qu'il dise quelque chose d'assez intelligent pour détendre l'atmosphère.

Rogue resta un moment silencieux, cherchant la meilleure des manières pour s'y prendre avec sa propre fille :

- Ce soir, je ne suis pas en face de vous en tant que professeur, murmura-t-il. Je suis ici en tant qu'homme...Vous êtes, en d'autres termes, en droit de manifester toutes les ressentiments que vous pourriez ressentir à mon égard.

- Je n'ai rien à vous reprocher, dit Noma en parlant encore plus bas que lui, au bord des larmes.

- Parlez, insista-t-il. Je ne veux pas vous voir refouler vos ressentis pendant toute votre vie, ne soyez pas comme moi...

Rogue appuyait une main contre ses tempes en la fixant du regard, il regrettait de ne pas avoir suivit les conseils de sa douce et tendre Jade. Il y a trois ans, elle l'avait presque supplié de lui dire la vérité avant qu'elle ne grandisse davantage. Sa femme était de nature clairvoyante, elle se doutait que Noma finirait pas découvrir la vérité. Et pendant ce temps, il avait préféré se voiler la face.

Noma regardait son chocolat chaud qu'elle avait à peine entamée...

- J'ai été éduquée, je n'ai jamais eu froid et j'ai toujours mangé à ma faim, céda la jeune élève, laissant cette fois quelques larmes glisser sur ses joues pâles. Contrairement à certains de mes amis, toutes mes robes de sorcière sont neuves. Mon lit a toujours été confortable, et j'ai toujours dormi sur mes deux oreilles car votre présence me donnait le sentiment que rien ne pouvait m'arriver. Alors non, je n'ai rien à vous reprocher. Simplement, je ne comprends pas vos choix. Je ne comprends pas cette décision que vous avez prise il y a onze ans, et celle d'avoir un bébé avec Mademoiselle Greengrass tout en continuant de me mentir, à moi, votre aînée. J'aurais juste aimé plus d'honnêteté de votre part.

Derrière son visage insondable, elle pouvait lire une énorme panique sur le visage de son professeur.

- Je n'en penserai pas moins si j'étais dans votre position. Il y a certains éléments de mon passé dont je ne suis pas fier, dit-il lentement en mesurant avec précaution chaque mot qu'il prononçait. Vous savez lesquels, je présume.

Elle en savait beaucoup grâce aux fantômes et aux tableaux, même des choses qu'elle aurait tout simplement souhaitée ne pas savoir, comme les circonstances du décès du professeur Dumbledore.

- Oui, admit Noma, qui avait passé les premières semaines de la rentrée à chercher des informations sur lui, réalisant qu'elle ne savait rien à son sujet. Mais je ne vois pas en quoi cela expliquerait votre silence...

- Il suffit que vous sachiez.

- Que je sache quoi, monsieur?

- Quelques temps avant votre naissance, je savais déjà pertinemment bien que le Seigneur des Ténèbres préparait son retour, raconta-t-il d'une voix neutre. J'ai compris que vous étiez ma fille dès la première fois que je vous ai vue... Et lui...(Il parlait de Voldemort, la voix frissonnante...) il avait déjà assassiné la première femme que j'avais aimée. Il n'était pas question de vous perdre par la même main, ni par celle de qui que ce soit d'autre. Pour ce faire, j'ai veillé à ce que personne ne puisse faire de lien entre vous et moi. Je vous ai mise en sécurité, puis j'ai disparu pendant plusieurs années... Lorsque j'ai enfin eu la possibilité de vous récupérer, j'ai été terrifié par notre ressemblance. J'ai jugé bon de ne rien vous dire pour ne pas vous troubler, pour vous préserver de moi-même.

- Mais tout aurait été différent si vous m'aviez dit qui j'étais pour vous! S'emporta finalement Noma, libérant enfin ses émotions. À commencer par le fait que je ne me serais pas retrouvée à Prè-au-lard au beau millieu de la nuit pour chercher celui que je croyais être mon père. J'aurais gardé le secret, je n'aurais rien dit à personne!

- Le seigneur des ténèbres savait tout à un moment ou à un autre! S'exclama Rogue, comme paranoïaque. Il pratiquait la legilimancie mieux que quiconque dans cet univers, il aurait été capable de lire les moindres recoins de votre jeune esprit. Il vous aurait tuer rien que pour me punir de ma déloyauté, ou pour son propre plaisir!

- Vous n'avez pensé qu'à vous, en jugeant à ma place ce qui était le mieux pour moi! Cria-t-elle en se levant brusquement de sa chaise. J'aurai été capable de vivre cachée

à l'autre bout du monde si cela me permettait d'avoir mon vrai père à mes côtés!

- J'avais des taches à accomplir et des promesses à honorer! S'énerva Rogue en se levant lui aussi. Cela ne m'a pas empêché d'accomplir mes devoirs envers vous!

Il regretta directement de s'être énervé sur elle, c'est le genre de comportement qu'il essayait de bannir de sa personnalité. Severus changea directement d'attitude, mais le mal était déjà fait.

- Eh bien je suis en sécurité, affirma Noma, son visage à trente centimètres de celui de Severus Rogue. Je ne fais que ça d'être en sécurité entre les grilles de prisons de Poudlard et les sortilèges de protection du Phénix! Amusez-vous bien avec votre deuxième enfant, celui qui contrairement à moi, aura le même nom que vous.

- Le simple fait de porter un nom de famille tel que le mien aurait été un douloureux - et inutile - fardeau pour vous, dit-il en remarquant avec effroi que sa fille avait tendance à s'exprimer comme lui. Cet enfant sera un Greengrass, certainement pas un maudit Rogue.

- Greengrass est nom plus sympa que celui des Macnair, surtout dans notre monde, provoqua-t-elle.

- Je n'avais pas prévu d'avoir une fille! Gronda Rogue.

- Vous n'aviez qu'à y réfléchir à deux fois avant de faire ce que vous avez fait!

- Je ne regrette rien, vous êtes la meilleure chose qui me soit arrivé dans cette maudite vie! Se libéra-t-il dans un mélange de colère et d'amour profond.

- Ça, je n'en suis pas si certaine, dit-elle d'une voix glaciale.

- C'est la première et dernière fois que je vous entend remettre ma parole en doute, comment osez-vous? Dit-il avec la même intonation.

Le directeur du Phénix tourna les talons et alla se calmer à l'autre bout de la pièce, cela faisait bien longtemps qu'il n'avait plus été dans un état pareil. Il se sentait essoufflé, tétanisé et infiniment désolé. De son côté, Noma comprit qu'elle était peut-être allée trop loin dans ses paroles. Jamais elle n'aurait cru un jour lui parler de cette manière, même si on lui avait promis mille Gallions d'or en échange. Elle le respectait autant qu'elle l'aimait.

Un lourd silence s'installa pendant un certain temps, avant qu'il ne reprenne la parole après avoir retrouvé ses esprits :

- L'amour que je te porte et celui que j'ai déjà pour ton frère -ou ta sœur- est de la même intensité, vous bénéficiez tous deux des meilleurs sentiments qu'un père peut ressentir pour ses enfants. J'aimerai que tu me pardonnes, si par aventure tu en trouvais la force.

- Professeur Rogue...Murmura-t-elle près du feu, toujours en pleurant, désolée par ce qu'elle avait dit précédemment.

- Arrête de m'appeler comme cela, je t'en conjure, dit-il en lui tendant ses bras, enveloppés dans sa lourde cape noire. À présent, viens, je te prie.

Elle courut se blottir dans ses bras sans la moindre hésitation.

- Je correspond régulièrement avec ta mère, dit-il en caressant ses cheveux. Je lui donne de tes nouvelles, je lui narre tes prouesses...

- Pourrait-elle venir me voir? Demanda Noma sans relever sa tête tant qu'elle se sentait bien dans ses bras.

- Par ordre du Ministère, elle n'a plus le droit de se rendre sur le territoire Anglais, mais rien ne t'empêche d'aller à sa rencontre si tu es accompagnée d'une personne majeure. Mademoiselle Greengrass se montrera très certainement disposée à t'accompagner vers la fin de l'année scolaire.

- Oui avec Mademoiselle Greengrass cela serait juste parfait, dit Noma, détendue. Mais le pourra-t-elle avec son ventre qui va grossir?

- Elle est enceinte, je ne crois pas que cela soit une maladie, dit-il ironiquement.

Elle pouffa de rire quelques instants avant de mieux préciser sa question :

- Non mais je voulais dire, si...heu... Le bébé décidait de naître là-bas? S'inquiéta-t-elle en se rappellent d'un récent cours de biologie.

- Alors, il sera Suisse et pas Écossais. Ce sont des choses qui arrivent...

- Mais enfin! Rigola-t-elle, se demandant vraiment ce qui se passerait dans ce cas-là.

- Si cela devait se produire, je transplanerai pour être à vos côtés...

Elle se posait encore un milliard de questions auxquelles son père répondit inlassablement. Le directeur du Phénix se sentait libéré d'une énorme pression, le secret qui l'avait torturé durant tellement d'années touchait enfin à sa fin.

The end