Le commissaire claqua sa portière à la hâte avant d'accourir face à la devanture d'un gymnase ancien. Devant, une foule de parents campait sagement aux côtés de leurs enfants vêtus de leurs plus beaux justaucorps. Il balaya des yeux l'espace face à lui et finit par sortir son téléphone. «Gradins B, en haut à gauche» lut-il avant d'emprunter un long couloir. Et Antoine courait presque, angoissé de se prendre un énième reproche sur son boulot prenant et qui ne faisait décidément pas de sa fille une priorité.
Au pied de la tribune, Antoine ne tarda pas à apercevoir son ex, 6 sièges plus haut. Il se fraya tant bien que mal un chemin et approcha doucement…
«Salut! Désolé je suis à la bourre… Je quitte du boulot et y avait plein de bouchons.
- Elle est pas encore passée..., répondit-elle d'un ton las. C'est les 3-6 ans là.
- Ok! J'peux prendre la place là?
- Elle est libre hein…
- Merci!
- T'es tout seul? s'étonna-t-elle.
- Ouais…»
Jennifer acquiesça alors que le micro annonçait le passage imminent des 6-9 ans. Antoine était donc arrivé in-extremis. Chance…! songeait-il alors que sa fille faisait son entrée sur le tapis. Et la communication avec son ex était désormais rompue. Le brun se contentait d'observer sa fille en souriant, immortalisant parfois quelques figures acrobatiques qu'il jugeait spectaculaires. Bon ok, il n'était peut-être pas totalement objectif mais… au moins cette parenthèse lui faisait oublier le reste. Et justement, ce reste le rattrapa à la fin de la présentation. Fière, Suzanne avait insisté pour que son père la raccompagne jusqu'à la voiture de sa mère. Et une fois la porte claquée, les deux ex se retrouvèrent dans un face à face insoutenable.
«Merci d'être venu. Bonne soirée.
- Ouais! acquiesça-t-il. Euh au fait, la semaine prochaine je suis en formation à Paris.
- Et donc?
- Bah pour Suzanne, soit je la laisse à ma mère, soit…
- Je la garde avec moi. L'idée de la laisser une semaine entre les mains de Candice ça me…
- Nan mais ça va! C'est pas un monstre non plus! Et puis j'avais pas l'intention de lui demander ça, t'inquiète pas.
- C'est mieux pour elle.
- Et d'ailleurs, j'ai bien reçu les coordonnées de ton avocat, merci hein.
- Il te contactera bientôt.
- T'es vraiment certaine de vouloir te lancer là-dedans?! osa-t-il en s'approchant d'elle pour éviter que sa fille entende. Parce qu'après y aura aucun retour en arrière possible, je te préviens.
- Je veux ce qu'il y a de mieux pour elle.
- C'est vrai que voir ses parents se déchirer c'est la solution, j'avais oublié.
- À qui la faute?
- Et est-ce qu'à un seul moment dans ta tête tu t'es demandé ce qu'elle voulait, elle?
- Ce qu'elle veut, c'est être en sécurité et passer de bons moments. Pas passer une semaine de vacances, à subir des engueulades et se retrouver en danger!
Antoine roula des yeux, envahi par l'émotion.
- Donc si je décide de plus vivre avec Candice tu t'engages à te retirer de toute cette procédure, c'est ça ?
- Je peux y réfléchir.
- Ok… il rigole jaune. T'as conscience que t'es juste en train de ruiner ma vie là?
- Ça t'a pourtant pas dérangé de faire pareil il y a huit ans. Je te rappelle quand même que tu m'as salement trompé pendant des mois et que t'as failli me pousser à avorter.
- Oui. Et je t'ai déjà dit que je m'étais comporté comme un con. Que j'étais désolé et… qu'à ce moment-là, j'avais pas prévu de tomber amoureux de quelqu'un d'autre…
Jennifer rigola jaune et approcha à son tour.
- Mais arrête avec ça! La vérité c'est que tu ne m'as jamais aimé. Ça a toujours été elle de toute façon.
- Et maintenant tu me pousses à faire un choix dégueulasse entre elle et ma fille!
- Fallait y réfléchir avant Antoine!
- Suzanne va-t'en vouloir! Et tu vas t'en mordre les doigts!
- Bonne soirée! cria-t-elle en s'éloignant à grandes enjambées.
- Putain! maugréa-t-il. »
...
Dans la cuisine, Candice enclencha l'interrupteur de la bouilloire, imaginant déjà la chaleur du liquide brûlant réchauffer tout son être. Faut dire qu'en ce moment, ce n'était pas ses bras qui la réchauffaient, au contraire… Et la blonde finit par zyeuter son téléphone, constatant pour la vingtième fois de la journée, aucunes nouvelles de son compagnon. Elle souffla. Cela faisait déjà plus de 24 heures qu'ils ne s'étaient pas vus, ni parlés… Une première pour deux individus qui d'habitude ne pouvaient se lâcher… Et encore ce soir, Candice allait devoir subir une soirée en solitaire…
...
L'air hagard, Antoine déposa trois coups secs contre une vaste porte en bois. Il patienta brièvement lorsqu'elle s'ouvrit sur une femme âgée et visiblement étonnée.
«Antoine? Qu'est-ce que tu fais là? s'étonna-telle.
- Je peux entrer?
- Oui… Ça va pas? demanda-t-elle en le laissant passer.
- Euh… En fait c'est pas la mère que je viens voir là, c'est plutôt l'avocate…
- Assieds-toi. Tu veux boire quelque chose?
- T'as du whisky?
Isaure acquiesça et quitta le salon avant de revenir les mains prises par un verre au liquide marron.
- Alors? Qu'est-ce qu'il se passe?
- Jennifer demande la garde exclusive de Suzanne. Elle a contacté un avocat spécialiste en droit de la famille.
- Hein?! s'époumonna sa mère en s'affaissant sur le canapé à son tour. Mais?! Elle va pas t'enlever ta fille comme ça quand même?
Perdu, il haussa les épaules en avalant son whisky d'une traite.
- Objectivement, j'ai une chance de m'en sortir?
- Qu'est-ce que tu veux toi?
- Je voudrais que ça reste comme ça. Je vois pas l'intérêt de tout changer…. Suzanne à un bon équilibre comme ça… Mais je veux pas la laisser m'écraser non plus… C'est pas le but.
- Bah oui! Bien sûr que ça va pas se passer comme ça! Non mais! Et ça lui prend comme ça, comme une envie de pisser?!
- Non bien sûr… C'est…
- A cause de Candice?
Il confirma en soufflant, les yeux prêts à déverser des larmes salées.
- Super… pesta-t-elle en soufflant à son tour. Et qu'est-ce qu'elle en dit, elle?
- Rien… Avec tout ça, on se parle plus depuis hier… J'ai l'impression d'être bloqué. Je peux pas vivre sans ma fille mais… j'suis aussi malheureux sans Candice.
- Oui bah au moins, ça lui fait les pieds à ta femme! Bah oui, excuse-moi mais, quand on se comporte comme elle l'a fait, faut pas s'attendre à des miracles hein! Et voilà où on en est maintenant!
- Puis… Jennifer la déteste pour des raisons évidentes aussi… Ce qu'il s'est passé dans le passé laisse des traces.
- Oui. Et c'est sur ça qu'elle va jouer pour faire plier le jury en sa faveur. Elle va se victimiser Antoine.
- Et elle va insister sur le fait que je sois toujours au boulot, que je la mets en danger…
- Oui, mais elle oublie l'enlèvement de Suzanne l'an dernier. Je te rappelle quand même que c'est pas parce qu'elle a été blanchie qu'elle a pas eu son rôle dans cette histoire.
- Ouais… soupira-t-il.
- Je l'ai jamais senti de toute façon celle-là !
- Oui fin' t'as jamais senti personne alors bon…
- Alors si, Candice je l'aimais bien. Enfin, je l'aime bien! rectifia-t-elle en insistant. Sauf quand elle fait n'importe quoi et qu'elle pense pas à toi, c'est tout. Et oui, désolée mais lundi soir j'ai pas pu m'empêcher de lui rentrer dedans. Faut qu'elle comprenne aussi!
- T'aurais au moins pu t'excuser auprès d'elle.
- Oh! M'en demande pas trop non plus hein! le brima-t-elle agacée.
- Et qu'est-ce que je fais alors?
- C'est qui l'avocat?
- Maître Navarre.
- Ok. Je vais voir avec mes contacts et je te tiens au courant.
- Merci… souffla-t-il en souriant doucement. Et… Je peux dîner ici?
- C'est pas en la fuyant que tu vas régler tes problèmes hein!
- Sauf que là, j'ai pas la force de subir une énième engueulade… Pas ce soir…
- Bien! Alors comme tu voudras…»
...
Le téléphone de la blonde bipa sur la table basse, laissant afficher un message de son compagnon: «Je dîne à l'extérieur. Ne m'attends pas ce soir.». Candice souffla, agacée. Décidément, le fossé semblait se creuser davantage de jours en jours… Et au réveil, Candice se leva dans une maison vide et silencieuse. Certes Antoine n'avait pas dîné ici, mais visiblement, le commissaire n'avait pas non plus dormi là. Et Candice sentit rapidement une boule envahir sa gorge, priant intérieurement pour qu'il n'ait pas fait une bêtise après s'être enfilé des verres d'alcool dans un bar. Enfin, comme d'habitude, elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer les pires scénarios. Et l'heure sur le four affichait 7h30 alors que son téléphone sur le comptoir lui, n'affichait aucun message. Soudain, la porte d'entrée grinça et des pas résonnèrent derrière elle. Elle se contrôla comme elle put et préféra rester dos à lui.
«Salut… lâcha-t-il timidement depuis le salon.
Étonnée, Candice se retourna et le fixa sans gentillesse.
- T'as passé une bonne nuit? lâcha-t-elle amère.
- Nan… J'ai pas arrêté de cogiter…
- Et… J'peux savoir où t'étais?
- Chez ma mère…
Elle éclata de rire nerveusement.
- Chez ta mère? C'est ça ton excuse?
- On a discuté et j'avais trop bu, j'ai préféré rester sur place, c'est tout.
- Mais bien sûr…
- Appelle là si tu veux, elle te confirmera.
- Sans façon… maugréa Candice en le dépassant pour rejoindre le canapé.
Antoine la retint par le bras.
- Qu'est-ce que t'as à la main? s'inquiéta-t-il en observant un bandage à son poignet.
- J'ai passé la journée d'hier a tenté de monter l'étagère à mon bureau et… voilà le résultat.
- Mais je t'avais dit que je m'en occuperai! Tu pouvais pas attendre?!
- Bah vu la situation du moment, où c'est à peine si on s'adresse la parole, j'allais pas te demander ça, non.
- Hum… marmonna-t-il en la laissant partir.
Penaud, le commissaire la suivit et s'affaissa sur le canapé à son tour.
C'est officiel, Jennifer demande la garde exclusive… balbutia-t-il.
Candice s'immobilisa pour encaisser.
- Et ?
- Quoi?
- Bah elle demande la garde exclusive à cause moi. Donc si tu décides qu'on se sépare tous les deux, devrait plus y avoir de problèmes non?
- Sauf que j'ai aucune envie de ça… Et… En fait… bredouilla-t-il la voix nouée par les larmes qui montaient, Bah… Dans les deux cas… Je serai malheureux quoi…
Émue, Candice sentit ses yeux s'embuer de larmes à son tour. Face à elle, le commissaire essuya les siens et s'approcha d'elle pour trouver refuge dans ses bras.
Je suis perdu Candice…»
Candice eut du mal à accepter son câlin. Bah oui! Antoine venait demander consolation alors qu'il l'avait envoyé balader la veille au soir… Fallait savoir non?! pestait-elle en l'enserrant difficilement. Mais rapidement, Candice entendit de vrais pleurs s'étouffer dans son cou. Antoine semblait en craquage total et son émotion prit le dessus. Émue à son tour, elle caressa tendrement son dos pour l'apaiser.
«Je sais pas quoi faire… répéta-t-il tristement en sortant de ses bras.
- Et moi je peux pas décider pour toi Antoine…
- Je sais… acquiesça-t-il tête baissée.
- Et… même si ce sera difficile, j'accepterai ta décision, quoiqu'il en soit…
Ému, Antoine n'osait toujours pas relever la tête, au contraire il enlaça ses doigts dans les siens, le regard vide.
- Tu ferais quoi toi à ma place?
- Je sais pas… Mes enfants ont toujours été ma priorité mais ils sont grands maintenant.
- Ouais…
- Mais quand j'ai dû faire le choix de quitter Laurent et déraciner les enfants de Singapour c'était très difficile… J'avais l'impression de lui arracher ses enfants, juste parce qu'il avait été odieux avec moi. J'ai été un peu égoïste mais, je le regrette pas.
- C'est dur de faire des choix dans la vie…
- Et surtout ce genre de choix oui… répondit-elle amère. Mais peut-être que tu as raison, cette semaine loin d'ici va te faire réfléchir et quand tu reviendras, tu sauras…
- Peut-être…
- Et puis même si Jennifer décide vraiment de s'embarquer là-dedans, bah tu vas te battre. Parce que t'es un bon père, aimant, attentionné avec un boulot stable et…
- Dangereux aussi.
- Tu vas beaucoup moins sur le terrain Antoine. T'es moins exposé… Puis t'as une bonne situation financière, un cadre sérieux… Nan, en fait, le seul problème que t'as, c'est moi…
Il esquissa un bref sourire alors que son téléphone vibrait dans sa poche.
- Excuse-moi… l'interrompit-il en lâchant sa main. Allô? … Ok … Ouais … J'arrive! Oui, j'arrive! maugréa-t-il en raccrochant avant de poser ses yeux sur Candice. Je suis désolé, je dois y aller. J'ai plein de trucs à gérer avant de partir à Paris...
- Ouais… acquiesça-t-elle en souriant faiblement.
- Euh d'ailleurs… Ça t'embête si je te demande de me déposer à la gare demain soir? Ça m'éviterait de prendre un taxi…
- Bah non! Je t'y dépose. Y a pas de soucis…
- Merci… sourit-il en déposant un tendre baiser sur sa joue. À ce soir alors…
- Ouais!»
Face à elle, un commissaire encore fébrile revêtait une veste en cuir marron sur le dos, prêt à partir loin d'elle pour la journée. Bon, en ce moment, elle était habituée… Et il allait falloir encore plus s'y habituer puisque son chéri s'apprêtait à déserter la région pour une semaine. Une semaine entre distance et réflexion… Une semaine à l'issue de laquelle toutes les décisions étaient possibles… Une semaine à double tranchant.
