Bonjour à toutes et à tous,

Merci à Chlio pour son commentaire et merci aux lecteurs silencieux. Ca y est, la rédaction de la seconde fiction va enfin commencer. Mon objectif est de prendre suffisamment d'avance afin de pouvoir la publier à l'achèvement de celle-ci.

Réponse aux reviews :

Chlio : J'aime également beaucoup Neuf-Doigts, et tout l'aspect "guilde des voleurs" de Baldur's Gate, j'espère que tu apprécieras mon interprétation ! Merci pour ton commentaire, on commence à entrer dans le vif du sujet dès maintenant !

Je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 36 :

Auprès des miens

A première vue, Baldur's Gate n'avait pas beaucoup changé. Nymuë reconnaissait les mêmes rues, les mêmes bâtiments crémeux aux toits garnis de briques rouges. Elle voyait les bonnes gens et les mendiants se côtoyer, tout en humant le fumet étrange des épices mélangées à l'eau grise des égouts. La forteresse du Dracosire menait directement à la ville-basse : son tabernacle destiné aux divinités mères, ses multiples tavernes, son immense boutique de sorcellerie en tout genre ! L'elfe noire était surprise du nombre de détails qu'elle avait gravés dans sa mémoire. Après des semaines de voyage, elle retournait enfin chez elle.

Baldur's Gate n'avait pas beaucoup changé, mais était en même temps méconnaissable. Les miséreux se cachaient dans des ruelles sombres. Les marchands lorgnaient constamment par-dessus leur épaule. La place des crieurs, habituellement réservée à l'annonce des nouvelles, avait été aménagée afin d'accueillir une potence. Ainsi placée à l'entrée de la ville, elle accueillait lugubrement tout nouveau venu. Personne ne se déplaçait seul, désormais ; les habitants évoluaient par groupes de deux ou de trois. Ils se recroquevillaient et baissaient la tête, sous le regard vigilant des Gardes d'Acier postés à chaque coin de rue.

C'était comme voir le visage d'un être aimé, rongé par la maladie. La cité avait perdu de son éclat d'autrefois, et la peur régnait en maître.

Exactement comme l'avaient prévu les Élus de l'Absolue. Alors que les aventuriers avançaient sur la place aux crieurs, ils aperçurent de nombreux portraits d'Enver Gortash. Bien avant son couronnement, le disciple de Baine s'était assuré que chacun connaisse son visage. Les notes se comptaient par dizaine sur les tableaux d'affichages. Certaines signalaient la disparition d'individus au cours de la nuit, d'autres mettaient en garde face à la série de meurtres frappant la ville. Les assassins semblaient verser dans l'ostentatoire, car chaque victime avait été retrouvée dans un décor dessiné à l'aide de son propre sang. Orin n'avait pas lambiné…

Nymuë lu brièvement la liste funèbre, espérant de tout cœur ne pas y trouver d'anciennes connaissances. Le tailleur Figaro Pennygood, la viticole Cora Highberry, la duchesse Stelmane…

"Stelmane ?" s'exclama l'Empereur.

Les compagnons grimacèrent ; l'illithid s'était manifesté brusquement, avec urgence. L'elfe noire détestait se rappeler que - même seule - elle était constamment surveillée. Leur invité indésirable s'était jusqu'alors montré discret… Pourquoi la mort d'une inconnue le sortait-il soudain de son mutisme ?

"Vous la connaissiez ? s'enquit-elle.

- Belynne était mon alliée, avant vous. Je ne vous ai pas tout dit, au sujet de ma captivité à Hautelune

- Tiens donc ! ironisa Astarion.

- Des années après avoir été infecté, j'ai réussi à me libérer de l'influence du cerveau vénérable. Une ancienne connaissance m'arracha à son emprise, et me ramena chez moi, à Baldur's Gate. J'ai dû vivre clandestinement. En tant que flagelleur mental, il me fallait me nourrir, mais je veillais à ne m'en prendre qu'aux criminels et aux bandits de peu de vertu. Je me cachais la plupart du temps. Et un jourj'ai rencontré Belynne.

- Elle était membre du Conseil des Quatre, se rappela Nymuë. L'une des autorités suprêmes de Baldur's Gate, jusqu'à son accident il y a plusieurs mois. Vous êtes en train de nous dire qu'une représentante de la cité a vu un flagelleur et s'est… acoquinée avec lui ?

- Peut-être faisait-elle preuve de plus d'ouverture d'esprit que vous."

Le scepticisme des aventuriers était évident.

"Ma relation avec Belynne étaitunique. Elle était ma partenaire, sur le plan professionnel, s'entend. Ensemble, nous avons formé les Chevaliers de l'Ecu, une société secrète trafiquant non pas de l'ormais des informations.

- Vous étiez donc déjà un manipulateur hors pair avant même d'atterrir dans le prisme." cracha Ombrecoeur.

L'Empereur l'ignora, perdu dans ses pensées. L'elfe noire n'avait jamais entendu parler des Chevaliers de l'Ecu. Si ce groupuscule avait vraiment agi depuis les ombres, il l'avait fait avec talent.

"La cité avait foi en Stelmane, et elle en moi. C'était elle qui organisait les réunions, négociait les marchés et signait les contrats. Mais j'écrivais chaque ligne du scénario. Nous avons ramené l'ordre là où tout n'était que chaos. Et puisle cerveau vénérable fut équipé d'une couronne."

La musicienne sentait l'illithid ruminer un passé désormais hors d'atteinte. Il avait dû servir la pensée collective pendant des années, avant de se libérer de Hautelune. Retrouver Baldur's Gate avait certainement été un choc ; peut-être que sur bien des aspects autres que commercial, l'Empereur avait eu besoin d'une alliée.

"L'appel de l'Absolue s'est fait de plus en plus fort, et les chaînes d'autrefois m'ont à nouveau lié. Je suis retourné à Hautelune afin de servir la pensée collective, dirigée cette fois-ci par les Élus des dieux morts. J'y suis resté… jusqu'à être envoyé à la recherche de l'artefact. Là, mon autonomie m'est entièrement revenue.

- Cet ami vous ayant sauvé la première fois, ne pouvait-il pas encore intervenir ? demanda Nymuë.

- Non, répondit le flagelleur. Il est mort peu après mon arrivée en ville."

Méditatifs, les aventuriers examinèrent le portrait de Stelmane. C'était une dame âgée, nommée au Conseil des Quatre depuis des années. Il y a de ça quelques mois, elle avait eu une attaque cérébrale laissant son poste vacant… Et n'avait plus été revue en société. Aux yeux d'Orin et de ses laquais, cette soudaine aliénation avait dû rendre son meurtre d'autant plus amusant. Lâches.

"Autrement dit, être votre allié n'est pas le meilleur gage de survie…" théorisa Astarion.

La présence de l'Empereur disparut subitement, comme une bulle de savon qui éclate.

"C'est malin ! siffla Ombrecoeur. Vous l'avez vexé.

- Ne me dites pas que son histoire vous a émue, riposta le roublard. Nous avons tous nos problèmes, et notre "ami" ici présent est loin d'avoir fait ses preuves.

- Il aime nous rappeler son utilité, ça c'est certain, ajouta Nymuë.

- Utilité toute relative quand on sait qu'il vole ses pouvoirs à mon prince, cracha Lae'zel. Ne laissez pas le ghaik vous attendrir de ses beaux discours ; notre véritable espoir, c'est Orphéys."

L'elfe noire jeta un œil au Marteau Orphique que Lae'zel portait constamment dans son dos. Après leur avoir révélé sa véritable identité, l'Empereur avait cessé d'empiéter leurs rêves. Hormis sa brève apparition devant le cadavre de Ketheric, le flagelleur s'était tenu à l'écart, attentif. Peut-être espérait-il que les compagnons abandonneraient leur projet de libérer le Prince de la Comète, s'il se faisait oublier. Le pauvre n'avait pas du tout saisi le caractère de Lae'zel.

"Trouvons un endroit où nous établir pour les jours qui viennent, proposa Nymuë. Je doute qu'un campement soit le plus pratique maintenant que nous sommes en ville."

La nouvelle parut réjouir ses camarades. Cela faisait des semaines qu'aucun d'eux n'avait côtoyé un matelas ou des thermes dignes de ce nom. Un retour à la civilisation leur ferait le plus grand bien. Astarion s'auto-proclama guide : Nymuë n'avait que peu connu la cité en dehors de ses missions avec Revan, et Ombrecoeur avait des difficultés à se rappeler les lieux.

"C'est comme si j'avais mis les pieds dans un endroit datant de mon enfance, leur expliqua-t-elle. Les détails sont flous, les noms me sont inconnus… Mais je les reconnais. Nul doute que plus de souvenirs me reviendront quand nous gagnerons le cœur de la cité !

- Je ne serais pas aussi confiante si j'étais vous, lança une voix dans leur dos. Mais après tout, qui sait ? Vous venez déjà de me faire perdre un pari."

Les aventuriers se retournèrent : à demi dissimulé dans l'ombre d'un bâtiment, un homme observait leur petit groupe. Il avait les traits ronds et les oreilles pointues des semi-elfes. Les cheveux courts, la barbe soigneusement taillée, il paraissait propre sur lui. Seules son armure de cuir et ses lames incurvées trahissaient sa nature de mercenaire. Pour le moment, il semblait avoir trouvé sa proie : ses yeux étaient fixés sur Ombrecoeur.

"Qui êtes-vous ? lança froidement la prêtresse.

- Quelqu'un ayant gagé que ne seriez pas assez bête pour revenir ici. Mais vous voilà, et du coup, il va me falloir payer.

- Vous nous faites de la peine, ironisa Astarion. Venez-en au fait."

Nymuë échangea un regard avec Ombrecoeur. Maintenant qu'elle détaillait mieux l'inconnu, elle reconnaissait sur sa tunique un emblème familier. Le symbole de Shar, discret mais distinctif pour qui cherchait un représentant de son cloître. Leur camarade s'était montrée clairvoyante dans ses prévisions.

"Il se murmure des choses à votre sujet, ma soeur, poursuivit le demi-elfe. A propos de votre foi, de votre loyauté… Je ne peux m'empêcher de ressentir un certain dégoût quand je vous regarde. Est-ce vrai ? Notre Dame vous a-t-elle abandonnée ?

- Je connais la vérité, riposta Ombrecoeur. Je sais que mes parents sont toujours vivants. Dites-moi où ils se trouvent et je ne vous chercherai pas querelle.

- Je crains que celle-ci ne soit inévitable… en raison de vos actes."

Les compagnons tendirent prudemment la main vers leurs armes, mais le guetteur se contenta d'un rictus.

"Je vais devoir signaler votre retour. Si vous tenez à vous expliquer avec la hiérarchie, allez donc à la Maison du Chagrin. Mais si j'étais vous, je serais plutôt tenté d'oublier tout ça et de disparaître une bonne fois pour toute. C'est dans vos compétences, après tout."

Sur un hochement de tête des plus sarcastiques, le disciple de Shar disparut au cœur de la foule. La prêtresse le regarda s'éloigner ; elle était aussi impassible qu'une statue.

"Toute la ville est au courant de notre arrivée, nota Astarion.

- La rançon de la gloire, philosopha la musicienne. Vous rappelez-vous où se trouve cette Maison du Chagrin, Ombrecoeur ?

- Pas vraiment. J'ai des images : un toit bleu nuit, une rivière, des rhododendrons violets. Mais aucune localisation précise.

- Si c'est un lieu de culte, il ne doit pas être particulièrement difficile à trouver." suggéra Lae'zel.

Ombrecoeur se tourna vers ses camarades, le regard alerte :

"Je sais que nous avons de plus grandes priorités. Je sais que nos jours sont comptés. Mais mes parents se trouvent là-bas, quelque part…

- Alors nous irons, conclut Nymuë. Gortash et Orin devraient respecter notre arrangement, du moins temporairement. Et bien que le cerveau infernal gagne en force, les Élus possèdent encore deux pierres pour le discipliner.

- J'aime autant laisser mes frères et sœurs venir à moi de leur propre chef, ajouta Astarion. Quant à notre rencontre avec la Guilde, je suppose que la reine du crime ne se formalisera pas si nous présentons nos respects en retard."

L'elfe noire acquiesça, étudiant les rues sombres de la ville-basse :

"Demain, nous nous rendrons à la Maison du Chagrin."


Le premier établissement où les mena le roublard avait été bâti à partir des restes d'un immense navire. Les fenêtres étaient couvertes de tentures rouges et de filets de pêche. Au-dessus de l'entrée, une figure de proue représentait une jeune femme d'une grande beauté. Le bas de son corps se terminait en queue de poisson cramoisie :

"La Sirène Écarlate, déclara fièrement Astarion. Le plus grand lieu de perdition de tout Baldur's Gate. Je ne compte plus le nombre de conquêtes que j'ai trouvées ici…

- Étaient-elles à l'image du lieu ? siffla Ombrecoeur en fronçant le nez.

- Oh, oui. De véritables épaves."

Nymuë jeta un œil à son camarade. Il souriait, mais le cœur n'y était pas. Cela faisait deux cents ans qu'il n'avait pas vu les rues de la ville en plein jour. Et il s'avérait que la lumière du soleil n'enjolivait pas certains décors.

Ou certains souvenirs.

"Voyons s'ils ont des chambres !" s'exclama-t-il joyeusement.

L'après-midi n'avait beau pas avoir touché à sa fin, des clients faisaient déjà office de piliers de bar. Des relents de rhum embaumaient l'air ; Revan devait sans doute être un habitué de cet endroit.

"Quatre chambres, mon brave !" sollicita Astarion.

L'aubergiste était un homme trapu, à l'expression patibulaire. Il portait un vieux manteau arborant davantage de trous que de cuir, et l'une de ses jambes était faite de bois. Seul son tricorne paraissait impeccablement entretenu.

"On a pas d'chambres pour les gens comm'vous, grommela-t-il.

- Plaît-il ?" s'enquit le roublard.

Son sourire s'était figé.

"Les étrangers restent d'hors. Ordre du fameux lord Gortash. Ceux qu'sont pas d'ici, viennent pas ici, c'tout.

- Et que voulez-vous dire exactement ?" murmura dangereusement Ombrecoeur.

Le tavernier les dévisagea. Derrière les nouveaux venus, les conversations s'étaient tues. Une impression familière commença à envahir la musicienne, tandis que des chaises raclaient le sol. Ils étaient désormais au centre de l'attention.

Le propriétaire lava un verre, effort infructueux au vu de l'épaisse couche de crasse qui le maculait. Ses yeux passèrent longuement d'Astarion à Ombrecoeur, avant de glisser sur les deux femmes fermant la marche. Il nota leur armure, leurs armes, et le négligé de leur tenue trahissant une vie au grand air.

"Vous deux, j'peux vous trouver une piaule, déclara-t-il au roublard et à la prêtresse. Mais elles, j'veux pas les voir dans mon auberge. C'est un établiss'ment respectable."

Il pointait du doigt l'elfe noire et la githyanki. Une demi-douzaine d'hommes les avait discrètement encerclés.

"K'chakhi. Même pas dignes de servir de chair à dragon, siffla la guerrière.

- Oh, mais je crois que notre ami a formulé maladroitement sa réponse, susurra Astarion. Ce qu'il voulait dire, en réalité, c'est qu'il nous offrait ses plus belles chambres à prix réduit. Pas vrai ?

- J'ai dit c'que j'voulais dire. Y a assez d'monstres d'hors, pas b'soin d'les avoir dans mon auberge."

Le roublard saisit aussitôt sa dague, créant un dangereux mouvement de foule. Les gros bras dégainèrent leurs lames, et un ivrogne à la musculature massive fit craquer ses doigts.

"Enfin ! sourit Lae'zel. Baldur's Gate s'apprête à devenir amusante.

- Ça suffit, ordonna Nymuë. Allons-nous-en."

Elle attrapa fermement le bras de son compagnon :

"Ça ne vaut pas le coup, Astarion, insista-t-elle. Il y a d'autres auberges.

- Allez donc au Chant de l'Elfe, ricana le tavernier. Après le meurtre de la conseillère Stelmane, ils s'ront assez désespérés pour accepter les drows.

- Vous allez vous excuser, siffla le roublard. Je vous avertis…

- J'ai dit stop, Astarion. Lae'zel, rengainez-moi cette épée. Maintenant."

De mauvaise grâce, le vampire fit volte-face, la guerrière sur ses talons. Les quolibets les poursuivirent jusqu'à la sortie de l'établissement.

"Je ne comprends pas pourquoi vous avez refusé de leur donner une leçon, explosa Astarion. Il y a une différence entre la générosité et l'absence de dignité.

- Vous nous avez fait passer pour des faibles ! approuva Lae'zel. Ces idiots n'auraient pas fait le poids !

- Evidemment qu'ils n'auraient pas fait le poids, riposta l'elfe noire. Ce sont des soiffards imbéciles. Quelle gloire une combattante telle que vous aurait eu à les éliminer ?

- T'chk ! Gloire ou non, s'ils m'ont insulté, ils doivent en payer le prix.

- Nous nous serions retrouvés avec les autorités aux trousses. J'aimerais autant ne pas faire appel à la bonne volonté de l'archiduc pour nous sortir de prison.

- Vous n'avez même pas riposté ! s'exclama le roublard. J'ai connu mon lot de situations dégradantes et…

- … Et quoi, Astarion ? cria Nymuë. Quelle leçon comptez-vous me donner ?"

Ses compagnons se turent. La musicienne n'avait pas bronché lors de l'altercation avec le tavernier, mais elle serrait désormais des poings. Sa poitrine se soulevait rapidement ; même ses pupilles grises étaient dilatées.

"Je conçois que cela vous soit difficile, reprit-elle. L'injustice pousse d'ordinaire à contre-attaquer. A faire subir aux autres exactement ce qu'ils vous ont fait. Mais vous ne pouvez pas les obliger à vous accepter, Astarion, peu importe la méthode, les efforts, ou le niveau de force que vous employez."

Le roublard s'était figé, les traits tirés. Il n'avait que trop conscience du sous-entendu implicite.

"Vous ne pouvez que vous accepter, vous, continua la musicienne. Et trouver une place qui vous convienne en ce monde. Mais lui ne bougera pas en votre faveur.

- Il le peut, siffla-t-il, s'il n'a pas d'autre choix."

Nymuë pinça des lèvres. Se détournant brusquement, elle porta une main tremblante à son visage.

"J'ai versé de la poudre de laurier-rose dans le rhum." intervint Ombrecoeur.

Un silence éberlué accueillit cette déclaration.

"Ce n'est pas mortel, se défendit la prêtresse. Ils vont juste… avoir de terribles maux de ventre. De manière instantanée. Ce qui ne leur laissera probablement pas le temps de…

- Je pense que nous voyons très bien le tableau." l'interrompit l'elfe noire.

Sa camarade haussa les épaules, cachant avec difficulté un sourire espiègle. Nymuë finit par le lui rendre de bon gré.

"Trouvons une autre auberge, voulez-vous ? Le tavernier a parlé du Chant de l'Elfe. C'est à l'entrée de la ville."

Les aventuriers hochèrent la tête, faisant mine de se repérer pendant que leur de-facto leader s'essuyait les yeux. Astarion ne lui décocha pas un regard, mais sa voix était plus mesurée quand il reprit la parole :

"Si les chambres de la Sirène sont dans le même état que le manteau de son propriétaire, je suppose que nous gagnerons au change en allant voir ailleurs."

Il rit, et ses doigts effleurèrent ceux de sa compagne.

Mais là encore, le cœur n'y était pas.


La taverne du Chant de l'Elfe était pleine à craquer. Curieux ou habitués, nombreux étaient les badauds souhaitant en apprendre plus sur la mort de la duchesse Stelmane, membre fondatrice du Conseil des Quatre. L'aubergiste les informa que la dame et sa suite avaient réservé les quartiers les plus luxueux de son établissement, il y a de ça quelques semaines. Le matin du troisième jour, la femme de chambre avait dévalé les escaliers en hurlant : ne restait de la duchesse qu'un cadavre ensanglanté, disposé grossièrement au centre d'un pentacle. Les gardes de faction avaient juré que personne n'avait rendu visite à la Conseillère au cours de la soirée. La porte de sa chambre n'avait pas été forcée, et aucun membre du personnel n'était manquant. Le meurtrier était un professionnel.

Nymuë, comme ses camarades, ne pipèrent mot à l'écoute de cette histoire. Voilà qui illustrait l'adresse des disciples de Bhaal. Le tavernier leur avoua ensuite n'avoir plus loué de chambres depuis l'accident. Ses tables étaient pleines à craquer, et les fureteurs étaient légions. Mais les mansardes ? Personne ne voulait passer la nuit dedans.

"Si vous n'avez pas peur de prendre les quartiers de la morte, ils sont à vous, proposa-t-il d'un ton bourru. Ne serait-ce que pour prouver à tous ces idiots que mon établissement n'est pas maudit. Je vous en ferai un très bon prix."

C'est ainsi que pour une poignée de pain, les compagnons obtinrent la suite la plus confortable de l'auberge. Elle était composée de quatre chambres entourant un foyer commun. Les lits à baldaquins étaient drapés de velours, les tapis moelleux étouffaient le son des pas, et un feu d'enfer ronronnait dans les cheminées. Ombrecoeur poussa un cri de ravissement quand elle réalisa que chaque chambrette était dotée d'une baignoire.

Nymuë ne se rappelait plus quand datait son dernier bain. Ou de sa dernière nuit sur une couche digne de ce nom. Malgré leur application à se nettoyer régulièrement et à entretenir leur tenue, les voyageurs avaient accumulé suffisamment de crasse pour faire tache dans n'importe quel paysage de la haute société. Cette interlude - bien qu'elle ne fasse que précéder de nombreux combats à venir - était plus que bienvenue.

La joie des compagnons redoubla quand, une fois lavés, la perspective d'un véritable repas leur fut proposé. Seul Astarion ne partagea guère l'enthousiasme général, préférant largement se contenter de ses "réserves personnelles". Alors que les trois femmes de la compagnie se jetaient sur leur assiette, on frappa à la porte :

"M'sieur-dames ? s'exclama la voix de l'aubergiste. Quelqu'un s'est présenté pour vous. Je vous fais rentrer la petiote."

Leur surprise fut grande quand la bouille ronde de Yenna apparut sur le seuil.

"Euh, salut, balbutia-t-elle. Vous vous souvenez de moi, pas vrai ?"

Hormis un bleu sur la joue gauche, l'enfant ne tirait aucune séquelle de sa rencontre avec Orin. Elle s'agitait d'un pied sur l'autre, transportant toujours entre ses mains le baluchon offert par Nymuë.

"Les Poings Enflammés m'ont fait entrer, et quand je suis venue chercher à manger ici, les gens parlaient d'aventuriers alors…

- Ils t'ont bien traitée ? s'enquit la musicienne.

- Oh, oui ! C'est juste que… Vous avez été vraiment gentils avec moi, tout à l'heure. Et, euh… ma mère n'est pas encore de retour, malgré les plantes que vous m'avez données. Elle reviendra peut-être plus tard."

Sa voix se transforma en murmure tandis qu'elle cessait de gesticuler :

"J'y crois pas trop. En fait, pas du tout. Est-ce que… je pourrais rester ici ?"

Elle aurait pu tout aussi bien leur demander l'intégralité de leur bourse ; sa question eut l'effet d'un ouragan.

"C'est absolument hors de question, déclara Astarion. Nous n'avons pas de temps à perdre avec tous les chats errants de cette ville.

- Où est le mal ? objecta Ombrecoeur. Ce n'est pas comme si elle prenait beaucoup de place.

- Ne peut-elle pas rejoindre une crèche humaine ? siffla la guerrière.

- Bon sang de bonsoir, Lae'zel, nous ne sommes pas une ruche."

Nymuë soupira :

"Bien sûr que tu peux rester, Yenna. Installe-toi où tu veux."

Face à la mine déconfite de deux de ses camarades, l'elfe noire se para de son plus beau sourire.

"Tu peux dormir avec moi, si tu le souhaites. Mais n'hésite pas à aller réveiller tonton Astarion si tu fais des cauchemars.

- Il risque surtout de lui en donner.", chuchota la prêtresse.

Le roublard ne la contredit nullement. Le regard fixé sur Nymuë, il perdit un peu de sa sévérité quand il la vit recevoir les embrassades enthousiastes de leur nouvelle recrue. Une image lui vint en tête, involontairement partagée par sa compagne à l'époque, via l'entremise de leur larve. A travers les yeux de Nymuë, il avait vu une petite fée aux yeux verts et aux cheveux roux. Cette vision avait créé comme une bulle de chaleur au milieu de sa poitrine. Une sensation à la fois douloureuse et paisible, ne pouvant être ressentie qu'en se trouvant auprès des siens. Astarion ne se rappelait pas avoir jamais éprouvé quelque chose de similaire dans sa propre vie. Pourtant, quand la musicienne leva les yeux vers lui, il frissonna sous les prémices de ce sentiment inconnu.

C'est donc en exprimant haut et fort son mécontentement qu'il s'avoua vaincu.


Nymuë pensait dormir d'un sommeil sans rêves. A la suite de toutes ces semaines d'errances, son corps était fourbu, son esprit épuisé. Il était étrange de se retrouver précisément là où tout avait commencé ; combien de choses avaient changé, depuis l'attaque du Nautiloïd ! Elle avait été infectée par un parasite alien, avait joué d'un instrument qu'elle pensait avoir abandonné, et couru le monde aux côtés d'individus pour le moins uniques. Elle avait posé le pied en Outreterre, avait manqué mourir embrochée par un orthon, pour finalement être menacée par la Reine Araignée elle-même… La jeune femme s'étant faite kidnapper à Baldur's Gate était presque une inconnue, désormais. A l'époque, son cœur était rempli de peur et d'espoir. Aujourd'hui, elle affrontait de bien pires dangers et pourtant elle se sentait à sa place, aux côtés de ce groupe disparate avec qui elle avait combattu des dieux, la mort et le chagrin. Quoi qu'il arrive dans les prochains jours, son esprit serait rempli de ces souvenirs.

Près d'elle, la respiration de Yenna était calme et régulière. La musicienne avait attendu longtemps après qu'elle se soit assoupie, mais l'enfant semblait dormir sur ses deux oreilles. Alors, plus discrète qu'une ombre, l'elfe noire quitta son lit pour rejoindre la chambre d'Astarion.

Quand elle s'approcha de sa couche, une main froide la saisit par le bras afin de la tirer sous les couvertures :

"Vous en avez mis, du temps." grommela le roublard.

Nymuë sourit. Ce fut bien après que sa méditation l'eut emportée qu'elle eut le droit à une visite étrange.

Sa transe s'ouvrit sur un ciel étoilé, brisé d'éclats rocheux en lévitation. La jeune femme connaissait cet endroit, bien que les vestiges soient plus nombreux qu'autrefois. Il n'y a pas si longtemps, c'était encore la fausse Elyon qui l'y accueillait.

L'Empereur ne s'embarrassait maintenant plus d'illusions. Dos à elle, il contemplait l'espace infini. Les flagelleurs mentaux étaient des créatures inexpressives, peut-être même dépourvues d'âmes, selon les textes. Pourtant, Nymuë l'aurait presque trouvé… affligé.

"Comment t'es-tuOh, s'exclama-t-il. Mon esprit vagabondait assez pour que tu arrives ici, visiblement."

L'elfe noire s'assit à ses côtés :

"Vous savez qu'il s'agit de ma première vraie nuit de repos depuis des lustres, lança-t-elle.

- Pardonne-moi. Je suis épuisé, moi aussi. Depuis que tes camarades et toi avez tué Ketheric, les Élus ont plus de mal à contrôler le cerveau. Il se rebelle violemment contre Orin et Gortash, comme le confirment ces séismes. J'essaie de nous protéger maisje n'arrive pas à discipliner mes pensées. Mon manque de concentration nous met en danger.

- Stelmane, comprit la jeune femme.

- Je suis hanté par mes souvenirs. Ils ne me laissent pas un instant de répit, et je n'arrive à penser à rien d'autre. A personne d'autreSans Belynne, je n'aurais rien accompli. Mais elle a disparu."

Il se tourna vers elle en la jaugeant de ses prunelles orange :

"Je sens ta méfiance. Tu crois que les flagelleurs mentaux sont des êtres dénués de sentiments. Belynne le pensait également, au début.

- Je me demande seulement si vous l'avez approchée avec des mensonges, elle-aussi.

- Tu refuses d'aller au-delà de mes duperies. Tu sais pourtant comme moi qu'elles étaient nécessaires. Nous ne vaincrons le cerveau infernal que si nous œuvrons ensemble. Les illithids ressentent des émotions, mais contrairement à toi, ils n'en sont pas esclaves.

- Que voulez-vous dire ?" demanda-t-elle froidement.

La brève inspiration de l'Empereur le trahit. Il ne l'avait pas convoquée par erreur, comme il s'appliquait à le faire croire.

"Tu as déjà bénéficié des avantages conférés par ta larve, reprit-il doucement. Moi aussi, au départ, j'ai eu du mal à accepter mon évolution, mais à la longue j'ai fini par m'attacher à ma nouvelle forme. Ma transformation en illithid m'a permis de transcender les limites de ma condition première etje t'invite à te soumettre à ton tour à ce fabuleux changement."

Nymuë pâlit de peur et de stupéfaction. Ses yeux s'écarquillèrent face au flagelleur mental.

"Êtes-vous en train de faire la même proposition à mes compagnons, en ce moment ?

- Non. Entreprendre une cérémorphose tout en conservant le libre-arbitre du sujet demande énormément de ressources. En tant que leader, cette offre ne concerne que toi. Tu as porté tes camarades jusqu'ici ; imagine ce que tu pourrais faire si tu acceptais de libérer ton potentiel ! Je suis convaincu que cela nous donnerait de meilleures chances de vaincre le cerveau infernal."

Il continua, la voix de plus en plus empressée :

"Tu as vu ce dont je suis capable. Songe à tout ce que tu pourrais accomplir si tu étais investie d'une telle force. D'une telle intelligence. D'une tellebeauté. Tu n'as qu'un mot à dire, et je te ferai évoluer.

- Vous pouvez donc déclencher la cérémorphose, mais pas l'arrêter ? accusa Nymuë. Nous essayons de nous débarrasser de ces choses depuis des semaines !

- Je t'ai déjà expliqué qu'extraire la larve te serait fatal, soupira le flagelleur. Tout comme l'a fait ce druide, au Bosquet d'Emeraude. Tu as réalisé de grandes choses sous ta forme actuelle, si imparfaite soit-elle, pourquoi ne te proposerais-je donc pas de faire plus encore ? Tes amis et toi bravez les trois dieux morts, flanqués d'un cerveau infernal gigantesque aux pouvoirs décuplés par magie

- J'en ai assez que tout le monde me rappelle la menace environnante, l'interrompit l'elfe noire. Cessez d'insister : je refuse de devenir un flagelleur mental."

Aussi séduisantes qu'aient pu paraître les aptitudes du parasite, la musicienne n'oubliait pas la peur qui l'avait saisie à chaque utilisation. Le flot de pouvoir était parfois si puissant qu'elle avait manqué se perdre. Et l'Empereur… son invitation avait un autre objectif que de les aider à vaincre l'Absolue. Nymuë se rappelait son regard, lorsqu'ils avaient récupéré la pierre infernale de Ketheric. L'avidité qui y avait percé.

"A quel moment avez-vous souhaité la couronne de Karsus pour vous tout seul ? murmura-t-elle. Quand nous avons tué Ketheric… ou bien avant, quand le cerveau infernal a surgi des flots ?"

L'Empereur la regarda, sans répondre. La tranquillité avec laquelle il l'avait accueillie avait disparu, laissant place à une immobilité trop parfaite pour être humaine. Ses expressions, ses postures, ses paroles… des mimétismes d'une vie longtemps effacée.

"Vous nous avez dit avoir servi le cerveau infernal durant votre emprisonnement à Hautelune. Je pense que vous avez toujours su quelle créature se cachait derrière le masque de l'Absolue. La seule donnée manquante, c'était les trois Élus. Vous saviez que les pouvoirs de la conscience collective étaient trop grands pour être d'origine purement illithide. Alors, quand vous vous êtes échappés pour la seconde fois, vous vous êtes juré de découvrir la vérité. Car si cette puissance pouvait être contrôlée… quelle nouvelle ère ce serait, pour vous !"

Le flagelleur continuait de la dévisager en silence.

"Je pense que vous vous moquez du Grand Dessein, poursuivit Nymuë. Je pense que vous n'avez aucunement envie d'agir sous le joug d'autrui. Non, ce que vous souhaitez, c'est de devenir l'Absolue vous-même.

- Je souhaite détruire le cerveau infernal, se défendit-il.

- Bien sûr. Car tant qu'il existera, il constituera une menace. Si trois dieux échouent présentement à le dominer, aucune précaution ne sera jamais suffisante. Mais vous n'avez pas besoin du cerveau, pas vrai ? Ce qu'il vous faut, c'est tout simplement la couronne et les joyaux qui vont avec. Avec des aptitudes psychiques telles que les vôtres, couplé au pouvoir d'Orphéys que vous avez déjà volé… qui pourrait vous arrêter ?"

Nymuë reprit son souffle, les joues en feu, le regard plus gris que l'acier :

"Car c'est ce que vous faites, pas vrai ? C'est ce que vous avez toujours fait. Vous prenez d'assaut des esprits et des forces qui ne sont pas les vôtres, et vous les possédez. C'est ce que vous avez fait avec Stelmane, afin de profiter de sa position au sein de la cité. C'est ce que vous faites maintenant avec le Prince de la Comète. Et c'est ce que vous avez essayé de faire, avec moi."

Les pupilles de l'Empereur scintillaient telles des flammes. L'elfe noire sentait son parasite s'affoler, conséquence des ondes mentales s'échappant de l'illithid. Sans réfléchir, elle fit ce qu'elle s'était jurée de ne plus jamais faire.

Elle projeta sa conscience dans la sienne.

Elle vit une pièce sombre, aux murs de pierre et au sol froid. Son foyer. La faim la tenaillait, et la douleur dans son ventre lui rappelait à quel point elle était vulnérable. Elle s'était montrée imprudente, ces derniers jours. Enivrée par la liberté enfin obtenue après des siècles de servitude. Baldur's Gate avait bien changé depuis sa dernière visite… Mais au bout de deux semaines d'observation, la curiosité et la famine avaient eu raison de son bon sens. Elle s'était précipitée dans les rues, décidée à se jeter sur des bandits ou des meurtriers. "Des criminels, pas d'honnêtes citoyens", s'était-elle dit. A la place, elle était tombée sur une femme.

Assez âgée, à la mise élégante : "Stelmane", se rappelait-elle. Son nom était dans tous les journaux qu'elle avait pu lire ces derniers jours. Une personne intéressante, à l'esprit vif et aux nerfs d'acier. Elle possédait un tel potentiel ! Mais la Conseillère ne semblait guère partager son enthousiasme. Contemplant avec horreur l'assassin qu'elle venait tout juste d'abattre, elle prit ses jambes à son cou.

"Gardes ! cria-t-elle. À moi !". Nymuë savait qu'elle ne pouvait la laisser fuir. Si les Poings Enflammés apprenaient qu'un flagelleur parcourait les rues de la cité… ils n'auraient de cesse de la poursuivre. Sa liberté si chèrement acquise lui serait reprise. Au mieux, elle serait exécutée. Au pire, le cerveau vénérable la retrouverait. Elle ne pouvait le permettre.

Le cri de Stelmane s'étouffa dans sa gorge tandis que leurs consciences s'entremêlaient. Nymuë vit tous les projets sur lesquels la Conseillère travaillait dernièrement… Les Chevaliers de l'Ecu. Une société secrète, utilisant les ambitions des patriars et des marchands pour étendre son réseau d'espionnage sur toute la ville. C'était brillant.

C'était exactement ce dont elle avait besoin, réalisa Nymuë. Pour rattraper des siècles de retard sur cette société, pour la comprendre, il lui fallait des yeux à chaque recoin. Stelmane tomba, sa voix se muant en un gargouillis inexpressif. Peut-être y était-elle allée trop fort sur la domination psychique. Elle n'avait jamais eu l'occasion d'utiliser librement ses pouvoirs, auparavant. Quand elle s'approcha, le corps de la Conseillère était secoué de soubresauts. Son regard était fou, son visage pris de tics nerveux. Nymuë sonda sa conscience : sa vague mentale avait été trop grande. Elle n'avait voulu qu'immobiliser la vieille femme, mais avait presque annihilé son cerveau à la place.

Elle contempla ses longues mains, pourvues de griffes. Devait-elle faire preuve de miséricorde et mettre un terme à son existence ? Quel dommage ça serait… avec tout ce qu'elle avait accompli ! Son grand œuvre devait perdurer. Ensemble, elles pouvaient lui donner forme. Nymuë se pencha sur la figure pétrifiée et articula les doigts : les membres de Stelmane s'agitèrent en réponse. Elle leva le bras en l'air, et la Conseillère se redressa ; hocha la tête, et reçut un salut similaire en retour. Une fois n'est pas coutume, la satisfaction la saisit.

Elle avait bel et bien trouvé une alliée, finalement.

"Assez !" rugit l'Empereur.

L'elfe noire recula, comme frappée. Sa tête bourdonnait, mise au supplice par les hurlements de sa larve. Elle fixa le flagelleur mental avec effroi.

Pendant une seconde, elle avait été lui. Et elle n'avait ressenti… que du vide. Une pensée froide, pragmatique, dépourvue de toute empathie envers les autres êtres vivants. Dire qu'il avait osé prétendre pleurer Stelmane ! La pauvre femme était morte depuis longtemps quand les assassins de Bhaal l'avait achevée.

"Vous êtes un monstre ! hurla Nymuë. La Conseillère n'a jamais eu d'attaque… Vous êtes celui ayant ravagé son esprit !

- Et quelle était l'alternative ? riposta l'illithid. Belynne serait morte si je n'étais pas intervenu. J'aurais pu agir de même avec tes camarades et toi. Ne m'es-tu pas reconnaissante d'avoir affiné mes méthodes ?"

La musicienne serra les poings, prête à faire usage de sa magie pour se défendre. Mais l'Empereur se contenta d'émettre une exclamation dédaigneuse :

"Je t'ai tout offert. J'ai été ton chevalier servant. Mais puisque tu tiens tant à ruiner cette alliance… je vais être direct. Tes amis et toi êtes mes pantins. Sans moi, vous n'avez aucune valeur. Vous me conduirez au cerveau infernal parce que vous n'avez pas d'autre choix. Et une fois atteint, vous ferez exactement ce que je vous ordonnerai de faire.

- Ce n'est pas fini, objecta Nymuë. Orphéys…

- Le Prince de la Comète est en ma possession ! Tu ferais mieux de reconsidérer mon offre. Ton attitude puérile sabote notre opération."

D'un geste brusque, l'Empereur projeta la jeune femme en arrière, dans le vide étoilé. Ses paroles résonnèrent dans son esprit tandis qu'elle tombait en chute libre :

"S'il le faut, je te forcerai."


Notes de fin :

Beaucoup de choses dans ce chapitre. Sachez que même si j'ai réarrangé la rencontre entre Stelmane et l'Empereur, leur relation n'est pas inventée. Notre ami flagelleur a bel et bien causé une crise cardiaque à la Grande Conseillère, pour ensuite contrôler son corps afin de se simuler une alliée. C'est une information qu'il ne nous dévoile que si on le fait sortir de ses gonds lors d'une conversation de l'Acte III.

C'est un point à débattre, mais la situation entre l'Empereur et Orphéys arrivant un peu comme un cheveu sur la soupe, j'ai trouvé plus logique de réellement prendre "un camp". J'ai l'impression que Larian a voulu rester le plus neutre possible sur ces deux alliances (peut-être en raison de contenu ayant finalement été cut ?). Hors, le soucis de cette neutralité à mon sens, est qu'il n'y a pas ou peu d'implication. Donc quitte à dériver du canon, on part sur un parti-pris.

Semaine prochaine, l'arc d'Ombrecoeur ! Merci pour votre lecture et à bientôt.