Bonjour à toutes et à tous !

Merci beaucoup à Cassye pour son commentaire, et merci aux lecteurs anonymes.

Cette histoire me permet de mettre des mots sur un sujet vraiment important pour moi et qui rythme mon quotidien, à savoir : l'hypersensibilité. A travers les doutes de Nymuë, ses peurs, ses réserves, et surtout ses colères brèves mais fulgurantes, c'est ma propre gestion des sentiments que j'analyse. L'ironie étant que ce n'était pas du tout prévu à l'origine. J'ai commencé cette histoire en travaillant davantage sur la psychologie des compagnons, notamment Astarion, et j'ai laissé Nymuë se "dessiner toute seule". Le résultat fait que j'y ai mis une grande part de moi, sans même m'en rendre compte. Je ne l'ai réalisé que cette semaine.

On attaque une série de chapitres un peu plus calmes, car le début de l'Acte II est riche en informations et il faut le temps d'introduire de nouveaux visages, de développer les relations entre les personnages... J'espère que vous ne trouverez pas cela ennuyeux et que j'arriverai à garder nos protagonistes suffisamment intéressants en attendant que l'action revienne.

Réponse aux reviews :

Cassye : Je suis contente que tu aies apprécié le plot twist par rapport à Nere, j'ai beaucoup aimé l'écrire ! Sache qu'il vient réellement de Menzoberrazan et s'est détourné de Lolth à la suite d'événements personnels, ce qui l'a conduit à l'Absolue. Ce sont de vrais éléments de son background que j'ai réutilisé afin de greffer mon histoire autour. Oui, tout doucement Nymuë commence à se rendre compte qu'elle s'est attachée à toute cette équipe, en particulier un certain vampire... Ils avancent petits pas par petits pas, sans même réaliser qu'ils marchent l'un vers l'autre. Merci encore pour ton retour !

Je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 18

La malédiction des ombres

Cette nuit-là, Nymuë se retrouva dans le Plan Astral. L'océan étoilé l'entourait, vaste et magnifique. Elyon - ou, du moins, l'entité ayant pris son apparence - se tenait à ses côtés. Elle contemplait elle-aussi le spectacle de ce pont entre les mondes.

"Je t'avais promis que je reviendrais", la salua-t-elle.

La musicienne inspecta le vide éthéré avec méfiance, mais nul ennemi ne surgit du néant pour l'attaquer. Le vaisseau en forme de crâne flottait toujours au milieu des météorites, à l'abri de son champ de force. Quoi qu'ait dû affronter son "ange gardien" lors de leur dernière conversation, elle en était venue à bout.

"Ne t'inquiète pas, confirma-t-elle. J'ai la situation sous contrôle… Du moins, pour le moment."

Elle l'étudia, sondant l'intérieur de son esprit. Ce qu'elle y trouva paru la désappointer :

"Tu ne t'es que peu servie du pouvoir du parasite. Tu crois ne pas en avoir besoin… mais aujourd'hui a démontré le contraire, pas vrai ?"

Nymuë serra les poings : sa larve frémissait encore d'extase, suite à l'absorption de l'essence de Nere. La jeune femme aussi se rappelait avec précision l'ivresse du moment.

"Tu penses qu'éliminer Nere était une erreur ? l'interrogea Elyon. Pourtant, sans ton intervention, qui sait à qui il se serait attaqué ensuite ? Ou le nombre d'innocents qu'il aurait pu livrer à l'Absolue… Sans parler de ces pauvres gnomes que tes compagnons et toi avez réussi à libérer !"

Elle lui sourit avec fierté mais le cœur de Nymuë, lui, ne pouvait se réjouir. Elle n'était pas une héroïne, ou une libératrice. Juste une artiste de rue dépassée par des événements bien plus grands qu'elle. Sa bienfaitrice la berçait de douces paroles, certes. Mais au détour des couplets se dissimulait le mensonge.

"Les choses ne se sont pas déroulées comme tu l'espérais, continua doucement la visiteuse nocturne. Tu pensais qu'un druide aussi puissant qu'Halsin pourrait t'aider ; mais il n'a fait que confirmer l'ampleur du danger. Tu essaies désespérément de te débarrasser de ta condition. C'est compréhensible, mais en te concentrant sur cet objectif tu cherches des solutions aux mauvais endroits.

- Dites-moi qui vous êtes.", exigea l'elfe noire.

Elyon pencha la tête sur le côté, pensive. Avec un bref hochement de tête, elle consentit à accéder à sa requête :

"C'est compliqué. Mais sache que je suis également une aventurière, enfermée à l'intérieur de l'artefact que vous transportez. Je ne peux m'adresser à vous qu'à travers des formes qui vous sont familières ; d'où cette apparence qui, j'en suis navrée, te fait tant de peine. Tout comme toi, j'ai été infectée par un parasite. Et je cherche à m'en débarrasser."

Nymuë réfléchit à toute allure : ses compagnons et elle-même savaient que le prisme githyanki était habité d'une énergie particulière. C'est ce qui, à ce jour, les protégeait de l'influence de leur larve. Mais en ce cas, comment leur ange gardien pouvait-il être atteint du même mal ?

"Tu as déjà compris que ta larve est inhabituelle, confessa la fausse Elyon. Halsin t'a informée de la magie l'empêchant de la retirer. Tant qu'elle continuera de faire effet, toute tentative pour l'extraire te tuerait. Mais ceci n'est qu'un aperçu d'un mal bien plus grand rongeant Faerun…

- Vous voulez parler du culte de l'Absolue ? s'enquit la musicienne. La dernière fois, vous avez mentionné un combat concernant l'ensemble du continent… Est-ce pour cela que cette secte vous recherche ?"

L'entité onirique acquiesça :

"Je ne sais pas exactement quel est son objectif, mais une chose est sûre : si sa progression se poursuit, sa domination sera bientôt totale. Comme tu le sais, ces graines illithides servent à contrôler les personnes dans lesquelles elles sont implantées. Ceux qui sont infectés entendent la voix de l'Absolue dans leur tête, et sont persuadés que c'est une déesse qui leur parle. C'est ainsi que le culte se propage. Ses plus puissants fidèles, les âmes éveillées, ont une larve telle que la tienne. C'est par elle qu'ils reçoivent leurs instructions, mais c'est également ce qui les force à obéir. Quand l'ordre de transformation leur sera envoyé, la cérémorphose ne prendra pas plusieurs jours. Ils deviendront des flagelleurs mentaux en l'espace de quelques instants."

L'elfe noire réprima un tremblement. Ainsi donc, non seulement leur échec marquerait leur transformation, mais celle-ci serait foudroyante ? Tout ce qu'ils avaient été, tout ce pourquoi ils s'étaient battus… annihilés, en un claquement de doigts. Nymuë croisa le regard de sa bienfaitrice qui l'examinait avec un calme calculé. Confirmant ses craintes, elle déclara :

"En effet : sans ma protection, c'est exactement ce qu'il t'arriverait."

"Une aubaine, songea la musicienne, ou bien une menace ?".

"Et pourquoi me protégez-vous ? demanda-t-elle.

- Nous partageons la même cause, argumenta l'entité, et nous avons un ennemi commun. Nous sommes semblables, toi et moi. Cela fait une éternité que je cherche à échapper à ce mal. Une fois… j'ai même failli y arriver. Et aujourd'hui, grâce à toi, une nouvelle chance m'est offerte. Tu peux aller là où je ne peux pas. Et je peux te protéger de la menace illithid. En travaillant ensemble, nous pouvons nous en sortir. Mais tu dois toutefois savoir que la puissance que je te confère… a été volée à quelqu'un.

- Les githyankis, devina Nymuë. D'où les runes sur l'artefact. Et ensuite, c'est Ombrecoeur qui vous a dérobé…

- Tu es vive d'esprit, apprécia la fausse Elyon.

- Etaient-ce eux, la dernière fois ? L'attaque du vaisseau ? Je vous préviens, il est hors de question que j'abandonne Lae'zel en votre faveur.

- C'est plus complexe que cela. Ceux… ou plutôt celle à qui j'ai pris cette force veut la récupérer. Je retiendrai ses assauts le plus longtemps possible, mais à un moment ou un autre, je n'aurai plus la force de le faire. Les cultistes se rassemblent aux Tours de Hautelune : utilise les pouvoirs de ton parasite pour t'infiltrer parmi eux. Et quand tu auras découvert la source de leur magie, détruis-là."

La jeune femme pinça des lèvres, sceptique : il était évident que rien n'était aussi simple que l'exposait sa "sauveuse". Mais à la lumière de leur situation, elle n'avait que peu d'options disponibles. Levant les yeux vers l'hôte du prisme, elle hocha lentement la tête. Un éclair de soulagement traversa les traits de la fausse Elyon :

"Tu es une valeureuse alliée. Maintenant, va… notre liberté en dépend."

Quand ils se réveillèrent le lendemain, les compagnons se jetèrent un regard lourd de sous-entendus. Une fois encore, leur songe avait été partagé. Mais si le messager arborait de multiples formes, son propos quant à lui avait été unanime : ils devaient se rendre à Hautelune. C'était là-bas que tout se jouerait.


Depuis les ruines de Malforge, un monte-charge les conduisit aux étages supérieurs. Les lieux étaient vides, envahis par une végétation décomposée. Des racines noires s'étaient infiltrées par les ouvertures et seul régnait le silence. Quelques coffres, ici et là, témoignaient du passage régulier des adeptes de l'Absolue. Les aventuriers y trouvèrent un ensemble de torches, ainsi que des notes listant le matériel des fidèles. Mais plus le petit groupe s'approchait de la porte principale, plus une sourde appréhension saisissait leur cœur.

"Vous le sentez, pas vrai ? demanda Lae'zel. La malédiction des ombres. Son influence pénètre jusqu'ici. Une fois que nous aurons dépassé le seuil…

- Plus de retour en arrière, approuva Nymuë. Restez proches de vos torches ; quoique nous trouvions de l'autre côté, évitons de nous éloigner."

Avec incertitude, Ombrecoeur et Astarion poussèrent les lourds battants menant vers l'extérieur. Ils ne virent aucun ciel ; aucune trace de Soleil. Seul un gris sombre s'écoulait à l'horizon, habillant le sol et infectant l'air. La nature paraissait avoir poussé de manière désordonnée. Privée de lumière, la flore s'était développée en un ensemble chaotique et menaçant. Les arbres pointaient leurs branches vers les voyageurs, tels des doigts crochus prêts à les saisir ; le sol était traître, spongieux, et avait pris au piège bon nombre de nomades inattentifs. Là-aussi, il n'y avait presque aucun son. Pas de chants d'oiseaux ou de bruits d'insectes ; très brièvement, il leur semblait parfois entendre comme des murmures au cœur du brouillard… mais jamais assez longtemps pour ne pas croire à un tour de leur imagination.

"Ces ombres… murmura Ombrecoeur. Elles sont habitées par une puissance qui m'est étrangement familière... Méfiance.

- Même dans les Tréfonds Obscurs, nous n'avons pas vu une obscurité pareille, chuchota Nymuë. C'est inquiétant."

Sans trop savoir pourquoi, les compagnons n'osaient hausser la voix. C'était comme si le moindre signe de vitalité, ici, n'avait pas sa place. En Outreterre, les aventuriers s'étaient retrouvés piégés dans des ténèbres oppressantes, certes, mais naturelles. Un écosystème s'était développé et adapté en réponse à l'opacité constante. Pas céans ; la pénombre n'était pas innée. Elle prenait racine aussi bien autour des voyageurs qu'à l'intérieur d'eux-mêmes. Les yeux qui suivaient le moindre de leur mouvement n'appartenaient pas au monde des vivants ; et tout ce qui poussait sur ce sol était destiné à être putréfié.

Jamais la lumière de torches ne leur avait paru plus rassurante ; et alors qu'elles avançaient, Ombrecoeur et Nymuë allumèrent grand-nombre de braseros. Elles remarquèrent, cependant, que leurs camarades traînaient derrière elles. Astarion et Lae'zel avaient des difficultés à respirer, et leur visage était secoué de tics nerveux. Les deux femmes se regardèrent avec étonnement :

"On dirait que la malédiction des ombres ne nous affecte pas comme les autres, souffla la prêtresse. Pas aussi gravement, du moins.

- Qu'est-ce que ça signifie ? s'enquit la musicienne.

- Dame Shar doit m'accorder sa bénédiction ! Elle me protège, là où tous les autres doivent affronter son courroux. Elle m'aime, c'est obligé !

- Merveilleux, railla Astarion. N'hésitez pas à partager un peu de cet amour, surtout. Quelle ironie que je ne sois pas dans mon élément dans le noir…

- Ma Maîtresse ne me bénirait pas sans raison, continua la demi-elfe sans lui prêter attention. Elle doit compter sur moi pour accomplir quelque chose… Nous savons qu'il existe des signes des Tribuns de la Nuit dans cette région, mais peut-être y a-t-il quelque part un lieu consacré ? Un temple de plus grande importance, par exemple ?

- Qu'en est-il de vous, Nymuë ? interrogea Lae'zel. Pourquoi cette malédiction ne vous frappe-t-elle pas ? Serait-ce votre héritage drow ?

- Je ne pense pas, lui répondit la concernée, abasourdie. J'ignore qui me protège… et pour quelle raison.

- Je suppose qu'il aurait été trop beau d'espérer que l'artefact nous préserve également de ce mal…", soupira le roublard.

Les aventuriers définirent un positionnement stratégique : au vu de leur mystérieuse immunité, Nymuë et Ombrecoeur furent placées respectivement en début et fin de file. Au cœur du cortège, éclairées par des torches, Lae'zel et Astarion pouvaient observer les alentours avec leurs armes dégainées.

L'elfe noire ne comprenait pas pourquoi la malédiction des ombres l'atteignait si peu. Elle sentait ses bras sinueux l'enlacer, mais cet appel paraissait comme… amoindri. Distant, en un sens. Quelle magie en était la cause ? Ce ne pouvait être l'hôte du prisme, qui n'avait aucun avantage à la faire affronter seule l'armée de cultistes. Ce n'était pas une intervention divine non plus ; contrairement à Ombrecoeur, elle n'entretenait pas de foi aveugle… Pas de pacte infernal également, le diable Raphaël ayant été envoyé sur les roses. Mais alors… qu'est-ce que ça pouvait bien être ?

"Resserrez les rangs ! cria une voix plus en amont. Restez dans la lumière !"

Les aventuriers se cachèrent derrière une racine, étudiant le groupe de nouveaux-venus. Ils étaient une demi-douzaine, armés et vêtus comme des mercenaires pour la plupart, et torches brandies. L'absence de marque sur leur tempe gauche ne les désignait pas comme des âmes éveillées potentielles. De plus, chacun des étrangers arborait un symbole au-devant de son armure, celui d'une harpe, d'une épée et d'un croissant de Lune entremêlés. Nymuë se pencha davantage : elle était persuadée d'avoir déjà vu cet emblème lors de ses leçons avec Revan…

Le craquement d'une branche, sous son pied, manqua lui arracher un juron :

"Halte ! interpella la meneuse. Qui va là ?

- Bravo, souffla Astarion. Brillant !

- Taisez-vous ! lui rétorqua Ombrecoeur. Faites-vous discret, pour une fois.

- Parce que vous pensez que cette aimable escouade va nous oublier si on ne bouge pas ? Qu'ils vont se dire que "c'était juste le vent" ?

- La ferme tous les deux, rugit Lae'zel, ou je vous tue pour ne plus vous entendre."

L'elfe noire soupira :

"Commencez par baisser vos armes, répondit-elle au petit bataillon. Et nous nous montrerons.

- Je n'étais pas en train de vous demander votre avis, rétorqua l'autre. Maintenant levez les mains et avancez… lentement."

La musicienne obéit, suivie de très mauvais gré par ses camarades. Les mercenaires avaient adopté une posture défensive, et l'un d'eux pointait sans équivoque son arbalète en direction de sa poitrine. Nymuë s'approcha sans faire de gestes brusques, détaillant un à un les inconnus. Malgré leur air bravache, l'angoisse et la fatigue se distinguaient nettement sur leur visage. Ils s'accrochaient à leur torche avec un désespoir furieux, l'œil aux aguets. Quand la lumière des flammes révéla la peau bleutée de l'elfe noire, l'un d'eux lâcha un juron :

"Par les dieux, siffla l'arbalétrier, une drow…

- Yonas, l'appela sa commandante, bouge de là !"

L'homme s'était reculé de quelques pas, quittant le cercle lumineux des flambeaux. Lorsqu'il se retourna, seule l'obscurité le scrutait froidement, déserte de toute menace. Il soupira de soulagement… pas très longtemps. Un grognement rauque brisa le silence alentour tandis qu'une immense silhouette s'élevait devant lui. Yonas n'eut pas le temps de se dégager alors que la créature le saisissait par la cheville, en le traînant loin de l'attroupement.

"Yonas ? s'écria une de ses compagnes. Yonas !"

Seul un hurlement lui fit écho. Nymuë et ses camarades se rapprochèrent des nouveaux-venus, trop occupés désormais à battre la pénombre de leurs torches pour se préoccuper d'eux. La végétation était aussi dense qu'auparavant, et ils ne virent nulle trace du guerrier ou de la chose l'ayant enlevé. Pourtant, sa voix résonna à leurs oreilles :

"Je suis là ! s'exclama-t-il. Où êtes-vous ?

- Yonas ! Tu ne vois pas la lumière ? lui demanda la cheffe de groupe.

- Je ne vois rien du tout ! Il y a… il y a un problème…

- Base-toi sur ma voix. Reviens près de nous !

- Qui va là ? gémit-il soudainement. Meg ? C'est bien… Ahhhh !"

Un bruit de déchirure coupa son cri, suivi d'un glougloutement sinistre. Les grincements rauques reprirent autour d'eux, sans que leurs auteurs soient visibles. A la lumière tremblotante des flammes, les contours d'une forme humanoïde se dessina.

"Yonas !" reconnut avec joie une des guerrières.

Mais les traits de l'homme étaient brouillés. Il avançait avec difficulté, comme si son corps n'était plus qu'un squelette désarticulé. Sa peau était aussi sombre que les plantes alentour, aussi tâchée que le ciel et aussi décomposée que le sol sous leurs pieds. Seuls ses yeux, deux perles brillant d'un feu presque vert, luisaient au coeur des ténèbres :

"Te voilà… crissa-t-il d'une voix désincarnée. Viens… Rejoins-moi…"

Nymuë contempla la créature, plus cadavre qu'homme. L'angoisse lui donnait la nausée et faisait trembler ses mains ; elle s'empara de son poignard chaîné. A ses côtés, ses compagnons dégainèrent :

"Ménestrels ! commanda la meneuse. Aux armes !"

Trois ombres sortirent de l'obscurité et s'élancèrent à leur rencontre. Leur silhouette était vaguement humanoïde, vestige peut-être de ce qu'elles furent autrefois. Seule la nuit, désormais, leur faisait office de chair. L'une des mercenaires porta un coup d'épée sur le spectre le plus proche, mais son attaque passa à travers lui comme s'il était fait de fumée. Un autre glissa en direction d'Astarion, mais la torche du haut-elfe le disloqua en de multiples fragments.

"Les ombres sont maudites ! cria la cheffe des Ménestrels. Évitez-les, ou détruisez-les à l'aide de lumière !"

Nymuë observa avec consternation un carreau d'arbalète transpercer une des créatures sans même la ralentir ; le monstre se contenta de saisir le guerrier l'ayant visé à la gorge, et le ponctionna lentement de son énergie. Le pauvre hère ouvrit la bouche pour hurler : mais ses joues se creusèrent, sa peau se ternit, le faisant se ratatiner sur lui-même. Une flèche d'Astarion l'acheva avant qu'il ne connaisse le même sort que Yonas.

"Les flammes les rendent consistantes, les informa-t-il. C'est le seul moment où nous pouvons les blesser !

- Mettez-vous derrière moi !", ordonna Ombrecoeur.

Les aventuriers obéirent, bientôt rejoints par les quelques Ménestrels survivants. Portant les mains à sa poitrine, la prêtresse leva les yeux vers le ciel :

"Dum vita est spes est !" hurla-t-elle.

Une déflagration de lumière les entoura, tel un bouclier fait de rayons purs. Les ombres s'écrasèrent dessus en gesticulant de douleur ; il leur était impossible de franchir le seuil lumineux. Les quelques spectres restés en arrière furent baignés par ce soudain éclat, et prirent de l'épaisseur :

"Maintenant !" cria Nymuë.

Les attaquants taillèrent les créatures de ténèbres, tout en gardant Ombrecoeur au centre de leur formation. Bientôt, seul resta Yonas. Il braquait son arbalète dans leur direction, ses murmures prenant lentement l'intonation rauque des spectres de fumée.

"Je suis désolée, mon amour…", gémit une des ménestrelles.

Elle plongea sa rapière dans la poitrine de son ancien frère d'arme. L'éclat fantomatique de ses yeux s'éteignit ; sa silhouette se décomposa en fines particules sombres. Le silence retomba, reprenant ses droits sur ces terres désolées. Comme si aucun monstre de cauchemar n'avait surgi de l'obscurité, les coins d'ombres se reculèrent, vaincus… jusqu'au prochain assaut. Des six guerriers ayant composé l'escouade des nouveaux-venus, seuls trois avaient survécu. La meneuse prit un instant pour se recueillir là où avait disparu Yonas. Elle se tourna ensuite vers les compagnons :

"Merci, murmura-t-elle. Sans vous, nous ne nous en serions jamais sorti."

Elle les étudia longuement, prenant note de l'absence de fatigue apparent chez Ombrecoeur et Nymuë :

"Votre arrivée dans cette région est récente : elle n'a pas encore laissé son empreinte sur vous. Il nous faut partir d'ici. Ces ténèbres craignent notre feu, mais leur appétit n'est jamais rassasié. Je connais un endroit…suivez-nous."

Les aventuriers hochèrent la tête et se lancèrent à la suite de leurs nouveaux alliés. L'elfe noire se rappelait où elle avait vu leur insigne maintenant : de tous les contes et légendes circulant parmi les bardes, ceux relatant les hauts-faits des Ménestrels étaient probablement les plus connus. Organisation secrète répandue un peu partout en Faerun, ces héros de l'ombre oeuvraient à vaincre le mal et à préserver l'équilibre. Certains des plus prestigieux membres de cette caste étaient natifs de Baldur's Gate ; d'aucuns prétendaient même qu'ils avaient participé à sauver la ville il y a une centaine d'années, lors de l'attaque d'une sinistre guilde d'assassins.

Des alliés de poids, s'ils parvenaient à les joindre à leur cause… Mais que diable faisaient-ils en plein cœur de la malédiction des ombres ? Leur présence - si proche du quartier général des cultistes ! - était-elle réellement une coïncidence ? Un bref coup d'œil à ses compagnons lui suffit pour se décider : ils allaient devoir soigneusement choisir leurs paroles, lorsque viendrait l'heure des présentations officielles.

Les Ménestrels les firent voyager quelques heures, allumant plusieurs feux de fortune en cours de route. Bientôt, une lumière blafarde se discerna :

"Nous y sommes presque, leur lança la meneuse. C'est là l'unique lieu sûr de la région ; même les ombres ne peuvent y entrer."

Avec stupéfaction, les aventuriers aperçurent la charpente solide d'une grande auberge. S'élevant sur deux étages, la construction bordait un lac aux eaux calmes, devant lequel avaient été dressées de multiples tentes. Marchands, écurie, forge : c'était un véritable camp de guerre qui s'était aménagé autour des restes de ce petit village. Un dôme à l'éclat argenté entourait le baraquement : un sanctuaire au milieu des ténèbres.

La ménestrelle sourit devant leur mine ahurie :

"Vos yeux ne vous trompent pas. Bienvenue… à l'auberge de l'Ultime Lueur."


Notes de fin :

L'introduction à la malédiction des ombres est faite... Je suis très curieuse de connaître vos théories quant à l'immunité de Nymuë ?

Je vous remercie pour votre lecture, et vous dit à la semaine prochaine, les publications reprendront leur rythme habituel du dimanche. A bientôt !