Bonjour à toutes et à tous,
Merci à Cassye pour son commentaire !
Cette semaine fut plutôt bonne côté écriture, on attaque le premier quart de l'Acte 3... Encore une dizaine de chapitres, et on en verra le bout !
Les Tours de Hautelune messieurs-dames !
Réponse aux reviews :
Cassye : Merci pour ton retour ! Je suis contente que la scène du miroir t'ai plût. A l'origine, j'ai écrit la backstory de Nymuë sans réfléchir aux liens avec le reste du jeu. Alors quand j'ai repensé à la pixie de l'Acte 2, je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de cette connexion. Je crois que Karniss me fait pitié et m'effraie à égale mesure x) Pitié, car en tant que drider cela signifie qu'il a déjà connu un tourment divin (Lolth) avant l'Absolue. Effrayée, car c'est un fanatique, il n'y a aucune limite à ses actions.
Je vous souhaite une excellente lecture !
Chapitre 22 :
Les Tours de Hautelune
De plus près, le sommet des Tours de Hautelune disparaissait à travers les nuages. La bâtisse principale, construite en carré, disposait d'au moins trois étages ; une seconde tour, de plus petite taille, suivait le bastion et donnait lieu directement sur un port auquel étaient amarrés plusieurs navires. L'immense pont de pierre conduisant à l'entrée était assez large pour permettre la circulation de chevaux, ou même de charrettes : un vestige d'une autre époque, de quand cet endroit était visité par de multiples émissaires. Les fondations du bâtiment étaient tout aussi massives, laissant supposer - comme ils l'avaient deviné - un vaste sous-sol.
Lors de leur trajet, les aventuriers s'étaient interrogés sur où pouvait être dissimulé le pouvoir de l'Absolue. Rapidement, leurs conclusions s'étaient portées sur une zone discrète, cachée des communs et de la plupart des cultistes ; nul doute que peu d'entre eux apprécieraient connaître la véritable origine de leur dévotion… Les catacombes ou les prisons étaient un bon point de départ pour leur investigation.
"Notre cible principale reste Ketheric, rappela Nymuë.
- Darling, il serait ridicule de ne pas profiter de notre présence pour prendre le contrôle d'une secte si utile…
- Vous ne prendrez le contrôle de rien du tout, Astarion, si le général se tient entre vous et notre objectif, contra Lae'zel.
- Sans compter que toute son armée sera là pour monter la garde, ajouta Ombrecoeur. Et que ledit général est immortel. Mieux vaut d'abord enquêter et éliminer la tête pensante."
Le roublard soupira, déçu une fois de plus par le manque d'humour de ses coéquipières. Elles étaient toujours si prudentes ! Un peu de chaos ne faisait jamais de mal à personne…
Comme pour le camp gobelin, les compagnons avaient décidé de se faire passer pour des âmes éveillées, prêtes à offrir leurs services. En tant que mercenaires, ils auraient la liberté de fureter un peu partout, tout en étant aux premières loges pour observer la stratégie militaire ennemie. Deux zélotes les arrêtèrent tandis qu'ils achevaient leur traversée du pont :
"Plus un pas !", lança une des sentinelles.
Sans grande surprise, leur parasite se manifesta aussitôt. Au fur et à mesure qu'ils s'étaient approchés des Tours, les aventuriers l'avaient senti trépigner d'impatience, reconnaissant le lieu l'ayant vu naître ; Halsin ne s'était pas trompé. Nymuë et ses camarades ouvrirent leur esprit face au garde et se soumirent pacifiquement à son inspection :
"Je vois que vous êtes bénis, vous aussi, apprécia-t-il. Quelles sont les nouvelles, âmes éveillées ?
- Tout est calme sur le terrain, répondit l'elfe noire. Et à l'intérieur ?
- Le conseiller du général Thorm est parti en mission, et Z'rell le remplace jusqu'à son retour, les informa sa collègue. Vous la trouverez dans la salle d'audience, âmes éveillées. Elle voudra sans doute entendre ce que vous avez à lui dire.
- Gloire à l'Absolue !", conclut Astarion.
La musicienne lui jeta un regard en coin. L'influence de leur larve était telle l'océan : perpétuellement changeante et trompeuse. Pourtant, le roublard se baignait dedans, jubilant de leur petite comédie. Quand il avait commencé à insinuer, la veille au soir, qu'ils feraient mieux de s'emparer du culte de l'Absolue pour eux-seuls, Lae'zel et Ombrecoeur s'étaient contentées de le railler sans le prendre au sérieux. Nymuë, quant à elle, se méfiait davantage des envies de grandeur de leur camarade vampire. Annoncez un buffet gratuit, et les premiers à se précipiter seront toujours les affamés.
"L'envie me démange de sortir mon arme et de massacrer ces cultistes jusqu'au dernier.", siffla la githyanki, alors qu'ils pénétraient à l'intérieur d'un vaste hall.
L'elfe noire observa nerveusement les alentours afin de vérifier que personne ne l'avait entendue ; mais l'entrée de Hautelune était bondée, et le brouhaha ambiant avait noyé ses paroles. Les fidèles de l'Absolue s'étaient donné rendez-vous des quatre coins du monde : des hobgobelins, mais aussi des halfelins ou des elfes se disputaient l'espace. Guerriers, marchands, nobles… chaque classe sociale, chaque artisanat était représenté. Si l'Absolue était un tant soit peu réelle, elle avait choisi ses disciples avec une méthodologie effrayante.
"Essayez de vous retenir, rétorqua la prêtresse. Certains d'entre eux pourraient nous être plus utiles vivants, du moins pendant quelque temps.
- Je sais contrôler mes désirs, Ombrecoeur. Mais quand le moment sera venu, ils tâteront tous de ma lame."
De l'autre côté de la pièce, deux grandes portes en bois marquaient l'entrée de la salle d'audience. Ils n'étaient pas les seuls à chercher à rencontrer le fameux Ketheric Thorm, car les protestations fusèrent quand des zélotes les escortèrent parmi la foule. La tête haute, la petite équipe s'avança en direction de leur prochaine entrevue…
L'antichambre où ils furent accueillis, bien que grande, ne disposait que de peu d'invités. Quelques soldats montaient la garde de part et d'autre d'un immense trône ; ils encerclaient un attroupement faisant l'objet de la séance du jour. Sur le siège, surplombant ses subordonnés, se tenait un homme oscillant entre vie et trépas.
La prestance de Ketheric Thorm, rehaussée par son imposante armure, ne laissait nul doute quant à l'identité du maître des lieux. Le flegme de sa posture, le calme de sa figure ; il dégageait une telle autorité que Nymuë ne trouvait pas surprenant qu'il ait réussi à décourager la mort elle-même.
Et pourtant. Son visage avait les traits creusés, vieillit prématurément. Ses yeux froids jaugeaient ses subalternes sans s'y intéresser. Un général, un stratège, un guerrier dont le bras desservait le châtiment : voilà ce qui subsistait de lui. Mais qu'en était-il du meneur d'hommes, du combattant de légende ayant inspiré les foules, le garant de la justice sur ces terres ? Oh, cet individu-là avait péri depuis longtemps.
"On a fait ce qu'on nous disait, général ! gémit une voix. On a suivi les ordres à la lettre !"
Les sentinelles se déplacèrent, permettant aux aventuriers de voir un groupe de gobelins agenouillés au pied du trône. Avec horreur, la musicienne reconnut ceux qu'ils avaient interrogés lors de leur arrivée au Village Abandonné. Avaient-ils eu vent de l'empoisonnement ayant emporté leurs semblables ? Avaient-ils assisté à la bataille du Bosquet durant laquelle ils avaient vaincu Minthara ? Une chose était sûre, ils connaissaient leur visage…
Située à proximité de Ketheric, bien droite derrière son trône, une demi-orc prit la parole :
"Les faits suggèrent le contraire. Vous aviez l'ordre de récupérer l'artefact, et vous avez échoué ! Que s'est-il passé, là-bas ?
- Nous ? Non, non, c'était Minthara. On devait fouiller le village, et on l'a fait Votre Majestisance ! On ignore tout de…
- Assez !", hurla-t-elle.
Une décharge d'énergie mentale submergea les gobelins, emplissant toute la salle. Dans un coin de leur crâne, le parasite des compagnons frémit ; il les suppliait de se soumettre. Cette femme, probablement la conseillère Z'rell de par son statut, savait elle-aussi manier les aptitudes de sa larve. Voilà qui allait compliquer leur petite mascarade !
"Vous avez échoué sur toute la ligne, poursuivit-elle. Vous n'avez pas réussi à récupérer l'artefact, ni à protéger votre âme éveillée. Vous ne méritez pas de vivre.
- Pitié, général, supplia l'un d'eux. Je vous en prie !"
Comme sorti d'un long sommeil, Ketheric Thorm fit un geste en direction des nouveaux venus. Aussitôt, zélotes comme gobelins se tournèrent vers les aventuriers, et Nymuë retint avec difficulté ses tremblements. Son parasite l'incitait à fuir, à se prosterner devant le regard implacable du général. A l'inverse, elle se força à demeurer droite et inflexible.
"Laissons parler nos nouvelles âmes éveillées.", ordonna le maître des lieux.
Les trois gobelins ouvrirent de grands yeux en les apercevant, et l'un d'entre eux poussa un cri aigu. Ketheric observa calmement cette réaction, avant de reprendre :
"Vous avez vu de quoi ces créatures étaient capables, tout comme vous avez été les témoins de leurs manquements, n'est-ce pas ? Quel est votre jugement ?"
L'elfe noire déglutit. Les gobelins la dévisageaient avec désespoir, les mains en prière ; quant à ses compagnons, leur posture raide trahissait leur appréhension. Hésitante, elle déclara :
"J'ai vu les atrocités qu'ils ont commises au nom de l'Absolue."
Rien, dans l'expression du général, n'indiqua s'il s'agissait de la bonne réponse. Toujours aussi impassible, il continua son examen :
"Nul doute qu'ils se sont montrés extrêmement… enthousiastes. Mais le zèle sans efficacité à la clé, ne convient pas pour des serviteurs. Nous sommes trop près de la fin… et du nouveau commencement. Je ne peux plus tolérer l'échec."
Il se leva pesamment, dominant davantage son audience. Maintenant qu'il était redressé, Nymuë nota les détails de son armure, le pourpoint d'acier taillé comme une cage thoracique par-dessus la cotte de maille ; les genouillères représentant un crâne doré, entouré d'un triangle ; et enfin, la gemme violette au coeur du poitrail, liant les différents éléments entre eux.
"Tuez-les, ordonna-t-il à sa conseillère. Rapidement."
Les gobelins gémirent, voyant avec horreur les zélotes dégainer leurs armes. L'une des créatures, cependant, fixait Ketheric avec des yeux remplis de haine :
"Espèce de sale pourriture !", éructa-t-elle.
Arrachant sa hache à un des cultistes, elle la projeta de toutes ses forces en direction du général. Un lancer parfait, qui traversa le maître des lieux de part en part tout en le harponnant à son trône. Nymuë observa leur ennemi, effarée : un tel coup aurait découpé en deux un individu moins massif. La poitrine de Ketheric se colora lentement de rouge, et les gobelins poussèrent des cris de victoire.
Trop tôt. Et trop optimistes.
Le général rouvrit les yeux. Sans même un regard vers son torse en lambeaux, il retira la hache et se releva. Son corps, pourtant disloqué, se reconstitua en un instant.
Un hiver, à Baldur's Gate, Nymuë avait assisté à un spectacle d'automates. Ils bougeaient leurs membres mécaniques indépendamment de la pluie, du vent ou de la neige, pour la plus grande joie des spectateurs. Un des modèles les plus anciens s'était désarticulé la jambe à la suite d'une pirouette : il avait pourtant continué de tournoyer comme si de rien n'était, insensible à cette anomalie. Ketheric Thorm lui faisait penser à cette machine... Il était animé de sorte à donner l'illusion de vie, sans pour autant être soumis aux limites du corps terrestre.
"Pardonnez-moi seigneur, murmura Z'rell avec inquiétude. Ce n'est pas une croyante, je ne la contrôle pas."
Le général s'approcha de la gobeline l'ayant attaqué. Lentement, il laissa tomber la hache :
"Essaye encore.", ordonna-t-il.
La peur inondait le visage de la créature ; avec une panique grandissante, elle s'empara de l'arme à ses pieds. Sans hésiter, elle la planta cette fois-ci dans la nuque du général, dont le cou prit un angle peu naturel. Nymuë sentit ses compagnons trembler ; tout comme elle, toutefois, ils demeurèrent silencieux. Presque… fascinés. Il y avait quelque chose de prodigieux chez cet homme dont les vertèbres se replaçaient toutes seules. Était-ce donc ça, la puissance de l'Absolue ? L'impassibilité des zélotes indiquait qu'ils n'assistaient pas à cette scène pour la première fois.
Un hurlement envahit la pièce alors que Ketheric, las de sa démonstration, broyait le crâne de la gobeline à mains nues. Ses gardes se mirent immédiatement en mouvement et plantèrent leurs lances dans le corps des condamnés. Bientôt, le sol de la salle d'audience fut couvert de sang.
"Demandez à nos invités de se rendre utile, indiqua le général à sa subalterne. Vous avez bien plus important à faire de votre côté… à moins que vous n'ayez oublié.
- Bien sûr que non, seigneur, murmura Z'rell. Merci."
Aussi discrets que des ombres, des serviteurs entrèrent dans la pièce et commencèrent à nettoyer le massacre. La conseillère Z'rell reprit contenance tandis qu'elle rassemblait zélotes et fidèles devant elle :
"Le général Thorm s'est maintenant retiré pour ses prières et ses préparatifs. Nul n'a le droit d'accéder au toit. Montez la garde, et veillez à ce que personne ne passe."
Son regard se posa ensuite sur les aventuriers, toujours en retrait. Elle les invita à approcher d'un geste sec :
"Le moins qu'on puisse dire est que vous arrivez à point nommé, âmes éveillées. Vous avez eu l'honneur d'assister à l'élimination de ces misérables."
Nymuë hocha brièvement la tête, tâchant de ne pas laisser transparaître son dégoût. La demi-orc, cependant, ne parut pas le remarquer :
"Si le général Thorm me l'avait demandé, j'aurais pu les annihiler d'une simple pensée. Cela aurait été délicieux… Grâce à l'Absolue, les fantasmes du subconscient peuvent devenir plus réels encore que ceux de la chair. J'ai déjà eu l'honneur de me tenir en sa présence : c'était une bénédiction. La félicité suprême. Elle m'a offert tout ce que je voulais.
- Que voulez-vous dire, au juste ? s'enquit Ombrecoeur.
- Pouvoir prendre sans demander, ressentir sans douter, et tuer sans craindre de conséquences. En un mot, la liberté.
- Voilà qui est très intéressant, souffla Astarion. Puis-je requérir une démonstration ?"
Le vampire peinait à dissimuler sa fascination, malgré les regards réprobateurs de ses camarades. Z'rell, en revanche, semblait ravie de son enthousiasme :
"Et pourquoi pas, après tout ? reprit-elle. À quoi bon avoir le pouvoir si on ne peut jamais s'amuser avec ? Elle m'a conféré le don de couper le fil de la vie par la pensée."
Elle joignit ses doigts, et une intense lumière violette se matérialisa entre ses paumes. Au même instant, un des domestiques gémit de douleur ; il chancelait, les membres secoués de tremblements. Z'rell frappa ses mains l'une contre l'autre et une gerbe de sang jaillit des yeux du serviteur. Il s'écroula, mort, aux pieds de ses collègues terrifiés.
Nymuë serra les poings : si elle n'avait pas été témoin de la puissance de Ketheric Thorm à l'instant, elle se serait volontiers jetée sur sa conseillère. Le plaisir que cette femme ressentait en dominant autrui frisait l'extase. Ce transport n'était dépassé que par le mépris qu'elle accordait à la vie de ses subordonnés. Le pire, dans tout ça, était l'admiration d'Astarion. La musicienne se rappelait l'euphorie ressentie alors qu'elle annihilait la conscience de Nere ; elle savait à quel point ce pouvoir pouvait se révéler séduisant. Il vous donnait l'impression d'être invincible, intouchable : que le monde, tout comme ses occupants, n'avaient d'autres choix que de se plier à votre volonté. Mais en réalité, il vous aveuglait ; son aura était si éblouissante qu'elle éclipsait la laisse qu'il glissait insidieusement autour de votre cou. Le roublard allait devoir se rappeler cela.
"Je peux caresser autant que je peux trancher, susurra-t-elle. C'est pour cela que vous feriez mieux de rester dans mes petits papiers. Et le meilleur moyen de le faire est de servir le général Thorm. J'ai une mission pour vous.
- Nous ne vivons que pour servir, répondit docilement Nymuë. Que devons-nous faire ?
- Il existe une relique que le général désire. Il a envoyé son plus proche conseiller, le disciple Balthazar, la chercher. Elle est cachée sous le mausolée de la famille Thorm ; c'est là que vous devriez trouver Balthazar. Nous avons perdu contact avec lui. Allez là-bas, aidez-le si vous le pouvez et rapportez-nous la relique."
Les aventuriers se dévisagèrent, unis par la même pensée : le mausolée était également l'endroit où se trouvait l'orthon qu'ils devaient abattre pour Raphaël… Si ce que le cambion leur avait dit était vrai, alors le dénommé Balthazar était probablement tombé sur plus fort que lui.
"Et si Balthazar a péri ? demanda Lae'zel, résumant leurs réflexions communes.
- La mort ne saurait le réduire au silence pendant longtemps. Mais quoi qu'il ait pu advenir de lui, ce qui compte, c'est la relique.
- Et qu'est-ce donc exactement ?" interrogea Ombrecoeur.
L'expression de Z'rell se renfrogna : elle paraissait presque nerveuse à l'idée de cet objet, comme si sa simple mention la rendait anxieuse.
"C'est quelque chose que le général Thorm désire et qu'il nous a ordonné de lui rapporter, répondit-elle hâtivement. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir.
- Je suis sûre qu'une disciple aussi fidèle que vous en sait davantage, minauda Nymuë. Et toute information supplémentaire serait utile pour contenter au plus vite le général…
- Je suis juste… impressionnée par le pouvoir qu'elle doit contenir, admit la conseillère. Nos troupes sont sur le départ depuis des semaines ; mais le général Thorm ne quittera pas Hautelune sans lui."
L'elfe noire hocha la tête, pensive : c'était là l'occasion de s'immiscer plus profondément dans les affaires du culte. Si Ketheric désirait à ce point cette relique, c'est qu'elle devait avoir une valeur inestimable… Quelque chose de similaire à leur propre artefact, peut-être ? Ou bien alors, un instrument en lien direct avec son immortalité…
"Comptez sur nous, déclara-t-elle. Nous partirons dès demain matin, après nous être réapprovisionnés.
- Vous trouverez de quoi manger et un endroit pour dormir au rez-de-chaussée. Toutefois, les ombres qui entourent le mausolée sont aussi épaisses qu'affamées. Vous aurez besoin d'une lanterne lunaire pour vous en prémunir."
Les compagnons réalisèrent qu'à travers des yeux extérieurs, la bénédiction accordée par Dolly Trois Fois était en effet invisible. Il serait probablement de très mauvais goût d'informer leur interlocutrice de l'attaque d'un certain convoi…
"Il est vrai que cela nous serait fort utile, approuva Astarion.
- Libre à vous de vous servir dans les quartiers de Balthazar. Mais ne vous avisez pas de fouiner dans ses affaires. Le dernier qui s'y est tenté a perdu la tête. Littéralement. Il me semble que, depuis, Balthazar s'en sert comme pot de chambre."
Les aventuriers acquiescèrent, retenant à grand peine leur excitation ; ce Balthazar, qui qu'il soit, était suffisamment important pour que Ketheric Thorm l'ait envoyé personnellement en mission au nom de l'Absolue...
Et voilà qu'ils venaient d'obtenir une visite officielle dans ses appartements privés.
Un zélote les escorta dans les étages de Hautelune, jusqu'à une chambre mise à l'écart des mansardes réservées aux visiteurs et autres fidèles ; les environs étaient déserts, pour ne pas dire évités. Lorsque le garde referma une lourde porte en bois derrière eux, les aventuriers comprirent vite pourquoi.
Le bureau de Balthazar ressemblait, en tout point, à une salle de torture : des tâches de sang recouvraient l'intégralité du sol, et plusieurs organes difficilement identifiables étaient conservés dans des bocaux. L'odeur retourna l'estomac des compagnons, et même Astarion - pourtant friand de tout ce qui était à base d'hémoglobine - dû se pincer l'arête du nez pour respirer correctement. De nombreux ustensiles étaient suspendus au mur, parmi des bibliothèques dont les ouvrages décrivaient avec force détails l'anatomie des différentes espèces de Faerun. Ombrecoeur pointa du doigt une table de travail rassemblant du matériel alchimique, des pierres de divination, et autres dessins de pentacles obscurs ; ce Balthazar était un nécromancien. Une branche arcanique douteuse, puisant sa source des cadavres et autres corps en putréfaction.
"Pas étonnant que lui et Ketheric soient si proches, grinça Astarion. Un général immortel, cela doit être fascinant pour quelqu'un de sa profession.
- Pensez-vous qu'il soit à l'origine de son invulnérabilité ? demanda Nymuë.
- Cela m'étonnerait, répondit la prêtresse. Une telle puissance dépasse le savoir d'un seul homme. Ses expériences, cependant, sont peut-être ce qui a mis le général sur une piste…"
Alors qu'ils approchaient du large secrétaire au centre de la pièce, les aventuriers eurent à nouveau le droit à une macabre découverte. Près d'une lanterne lunaire - celle-là même que Z'rell s'attendait à ce qu'ils empruntent - se tenaient les restes sanguinolents d'une pixie. La créature avait été soigneusement disséquée.
"Cette secte est remplie de dégénérés, siffla l'elfe noire. Toujours aussi impressionné par leurs dons, Astarion ?
- Darling, il faut parfois se salir les mains pour obtenir un résultat. Si vaincre la mort supposait de dessiner des arcs-en-ciel et de caresser des lapins, tout le monde le ferait."
La musicienne s'apprêtait à rétorquer vertement quand un cri de rage la fit se retourner. Ignorant les ossements et autres résidus douteux à ses pieds, Lae'zel traversa la pièce en direction d'une étagère ornementée.
"Shka'keth ! hurla-t-elle. Où diable a-t-il eu ça ?"
Plusieurs objets - d'origine inconnue, aux yeux de Nymuë - étaient posés sur les rayonnages. L'un d'entre eux, creux et de petite taille, lui évoquait un sifflet ; deux autres, en forme de disque, étaient recouverts de marques étranges.
"Ces créations sont githyankis, poursuivit la guerrière. Elles viennent de mon peuple !"
Les compagnons se rapprochèrent, curieux : que faisaient des artefacts gith sur le Plan Matériel, en plein cœur de la malédiction des ombres ? Du peu que Lae'zel leur ait communiqué, les gith vivaient sur des formations rocheuses disséminées un peu partout sur le Plan Astral ; de là leur venaient toutes leurs connaissances sur de multiples royaumes. Leur présence avait déjà été relevée à certaines occasions, via des crèches, mais on ignorait tout de leurs coutumes ou technologies. L'intérêt de l'Absolue pour leur prisme l'aurait-elle poussée à attaquer certaines de leur patrouille ?
"Ils étaient ici, déclara Lae'zel en scrutant le premier disque rayé. Ces marques que vous voyez sont ce que nous nommons du tir'su ; notre système d'écriture. Nous communiquons entre nous à l'aide de tablettes gravées.
- Et que dit-elle ?" s'enquit Ombrecoeur.
La guerrière lui jeta un regard insondable :
"Ce message mentionne des troupes githyankis ayant pour mission de parcourir ce Plan… afin de retrouver notre artefact. De nous retrouver, nous.
- Les vôtres connaissent notre identité ? s'exclama Nymuë.
- Pas directement ; ils savent juste que le voleur est de ce monde. Ils n'auront de cesse de nous traquer jusqu'à obtenir réparation. Cet ordre vient de Vlaakith en personne !
- Et je suppose que vous avez l'intention de rapporter le prisme à votre reine ?", provoqua la prêtresse.
A la grande surprise de l'elfe noire - qui craignait déjà un nouveau conflit -, la guerrière secoua la tête :
"Non. Il est très clair désormais que l'artefact a un lien avec le culte de l'Absolue, et donc les ghaik. Si ma souveraine veut le récupérer, c'est qu'il a un rôle essentiel pour stopper ce que les illithids nomment le "Grand Dessein". J'accomplirai la volonté de Vlaakith, mais agir à l'aveugle ne rendra pas service aux miens. Je veux savoir comment ces cultistes ont pu vaincre toute une escouade composée de githyankis surentraînés !
- Et qu'est-ce que ceci, exactement ?" interrogea Astarion, en pointant du doigt le sifflet.
Les yeux de Lae'zel se mirent à pétiller alors qu'elle retournait l'objet entre ses doigts :
"Ca c'est… un qua'nith, une balise psionique. Quand une lame d'argent se perd sur un territoire inconnu, elle peut avertir sa crèche de sa position à l'aide de ce genre d'appareil. S'il fonctionne, cela devrait permettre à mon peuple de nous retrouver !"
La guerrière les dévisagea, euphorique : Nymuë voyait l'espoir se dessiner sur son visage. Privée des siens depuis maintenant plusieurs semaines, Lae'zel brûlait de faire appel au savoir githyanki. Le groupe s'était déjà détourné de la crèche la plus proche, afin de se rendre rapidement aux Tours de Hautelune : il serait cruel que de lui nier cette nouvelle opportunité.
"Vous nous garantissez que votre peuple ne se contentera pas de nous trancher la gorge ? questionna-t-elle.
- Vous n'êtes pas sérieuse ! protesta Ombrecoeur. S'ils ne nous tuent pas immédiatement, les gith nous prendront l'artefact, ce qui revient au même !
- Les miens m'écouteront, assura Lae'zel. Et parce que vous êtes avec moi, ils vous laisseront la vie sauve. Je suis prête à passer sous silence votre crime, Ombrecoeur ; mais nous devons tout mettre en œuvre pour vaincre la menace ghaik !
- S'ils en savent plus au sujet du prisme astral, avança Astarion, cela nous permettrait de mieux nous défendre face à l'Absolue…"
Nymuë réfléchit, ignorant avec difficulté les regards de ses compagnons. D'un côté, les gith étaient un peuple cruel et peu enclin à la bienveillance ; de l'autre, Lae'zel avait prouvé sa valeur en tant qu'alliée et camarade depuis le début de cette aventure insensée. La musicienne était plus que disposée à lui faire confiance. Ils avaient vu de leurs propres yeux la puissance de l'Absolue, et Z'rell avait laissé sous-entendre l'existence d'une véritable armée…
Ils ne pourraient pas affronter l'entièreté du culte à eux-seuls. Quand bien même les Ménestrels de Jaheira leur viendraient en aide, ils seraient en sous-nombre. Mais avec la relique de Ketheric à leur côté, ainsi que les guerriers githyankis…
"Très bien, décida-t-elle. Voyons si ce qua'nith est en état de marche."
Ombrecoeur soupira, mais n'argumenta pas davantage. A la place, elle murmura :
"J'espère simplement que vous savez ce que vous faites."
Lae'zel porta l'engin à ses lèvres et souffla à l'intérieur avec impatience. Les compagnons tendirent l'oreille, mais aucun son ne leur parvint. Cela avait dû marcher, cependant, car la guerrière souriait quand elle rangea le sifflet dans sa besace :
"Il fonctionne, les informa-t-elle. Maintenant, il faut attendre qu'une patrouille nous trouve. Ne reste plus qu'à patienter.
- Et à espérer, railla la prêtresse.
- Voyez ça du bon côté, ironisa Astarion. Si votre déesse a réellement de grands projets pour vous, vous ne devriez pas mourir.
- Et si les githyankis nous éliminent, au moins n'aurons-nous pas à affronter votre orthon."
Le roublard grimaça, mouché : voilà qu'il payait le prix de son sarcasme. Ignorant ses camarades, Nymuë désigna le second disque githyanki qu'ils n'avaient pas encore étudié :
"Pouvez-vous nous traduire également cette inscription, Lae'zel ?" quémanda-t-elle.
La gith s'exécuta et, presque aussitôt, sa bonne humeur disparut. Sa peau pâlit, et ses yeux s'écarquillèrent :
"Que se passe-t-il ? s'inquiéta l'elfe noire. Dites-nous !
- C'est impossible…", murmura la guerrière.
Elle lâcha la tablette comme si son contact l'avait brûlé ; lorsqu'elle se retourna, les compagnons virent l'incompréhension se dessiner sur son visage :
"Ce disque est un rapport concernant le prisme astral… et ses origines.
- Oh ! s'exclama Astarion avec ravissement. Qu'avez-vous appris ? D'où vient l'artefact ?
- Du plus grand traître que le peuple githyanki ait jamais connu. Celui ayant osé se rebeller contre Vlaakith elle-même lors des heures les plus sombres de notre histoire… Orphéys, le Prince de la Comète."
Notes de fin :
Et oui, on va aborder le lore githyanki plus tôt que prévu... Cela fera l'objet des chapitres suivants, mais je tenais à intégrer l'histoire de Lae'zel au début de cet Acte 2, afin qu'elle ait le droit à son développement au même niveau qu'Astarion, Ombrecoeur et Nymuë. Cela suppose quelques modifications par rapport à la trame principale dont nous auront l'occasion de reparler. Je ne me suis pas obligée à suivre à 100% l'intrigue du jeu si j'avais envie de la modifier.
J'ai beaucoup aimé décrire Ketheric dans ce chapitre ! Probablement un de mes Elus favoris.
Au prochain, une rencontre particulièrement importante pour Astarion avec une autre elfe noire...
Selon mes plans du weekend, le chapitre 23 arrivera soit dimanche comme d'habitude, soit un peu plus tôt.
A la semaine prochaine !
