« Hey, le Nabot, c'est vrai que le commandant t'a fait creuser une porte entre son bureau et la salle de réunion à côté ? » s'enquit Ragot, l'air avide.
« Ouais. »
« Et c'est aussi vrai qu'il a tenu un fruit dans sa main et t'a ordonné de le couper en deux ? » renchérit Utor'kan qui, assis sur la couchette de Ragot, tentait d'aider ce dernier à réparer son holster de blaster.
« Ouais. » grinça Zen.
Ç'avait été absolument terrifiant comme expérience. Ses muscles tremblaient après tous les efforts fournis sur le mur, et il aurait très bien pu couper la main – ou pire – du commandant.
« Pourquoi a-t-il fait ça ? » renchérit Ragot, vibrant littéralement d'excitation.
« Mais qu'est-ce que j'en sais ?! Chuis pas dans sa tête ! » répliqua Zen.
Quelques rires accueillirent ses paroles.
« Le Nabot, ici. » siffla Kizu'kan depuis l'entrée du dortoir.
Ragot lui jeta un regard interrogateur, auquel il répondit d'une grimace. Aucune idée de ce qu'on lui voulait encore !
« Tu es attendu à l'armurerie. » nota le chef de la garde, avant de se retourner vers d'autres guerriers qu'il appela d'un aboiement.
Arrivé dans le vaste hangar caverneux servant d'armurerie, Zen fut accueilli par le maître des lieux, un guerrier à l'air las, qui tourna un regard délavé dans sa direction.
« Zen'kan Giacometti ? » s'enquit-il.
« Oui. »
Le guerrier lui fit signe d'approcher et, sortant de sa poche un ruban de cuir, se mit à prendre différentes mesures. Longueur du bras, distance entre le poignet et le sol, et quelques autres données.
« C'est pourquoi ? » finit-il pas s'enquérir.
« Arme sur mesure. » répondit laconiquement le guerrier.
Ça ne l'avançait pas beaucoup.
« Vous pouvez partir. On vous préviendra quand ce sera prêt. » le congédia le maître des lieux.
Qu'est-ce qu'il se passait ? Le commandant voulait lui faire faire une cognée d'abattage sur mesure ou quoi ?!
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L'hiver était venu par vagues. Un jour, il faisait presque bon, et il était indispensable de retirer son manteau de fourrure pour travailler sans transpirer. Deux jours plus tard, la toile des tentes était figée par le gel, et un vent cruel recouvrait tout de minuscules cristaux de glace.
Le surlendemain, il faisait à nouveau grand beau. En quelques semaines, la neige s'était installée durablement, et chaque jour, il fallait déneiger les chemins reliant les huttes entre elles.
Avec un pragmatisme abominable, lorsqu'il était devenu évident que Titik l'antilope n'était pas capable de trouver sa nourriture seule sous l'épaisse couche de neige compacte, Brel'om l'avait égorgée et dépecée.
Ilinka avait bien essayé de protester, en vain. Ils n'avaient plus l'usage de son lait, qui n'allait de toute manière pas tarder à se tarir, et gâcher sa précieuse viande en la relâchant – ou pire, en la laissant mourir de faim – était au mieux stupide. Les quartiers de viande grasse avaient donc été soigneusement emballés dans les viscères lavés, puis mis à congeler dans une fosse creusée spécialement à cet usage. Les os, le cuir et même les cornes avaient été récupérés, afin d'être transformés en outils, vêtements et ornements.
Elle avait été triste pour la pauvre bête, mais ne pouvait nier la logique de cet acte. On lui avait dit que l'hiver durait longtemps. Ils n'en étaient qu'au tout début, et il faisait déjà si froid. Chaque corvée était plus dure, et les pièges restaient souvent vides. La tribu ne pouvait se permettre de gaspiller aucune ressource.
Après ce qui lui sembla une petite éternité de jours gris et glaciaux, alternant avec des blizzard plus froids encore, les nuages disparurent enfin du ciel, le soleil faisant douloureusement scintiller la neige immaculée. Avec un enthousiasme presque enfantin, tout le village sembla se réveiller, s'agitant dans des préparatifs chaotiques et joyeux. C'est ainsi qu'elle apprit l'existence de sources chaudes, à quelques heures de marches du campement. Après des jours et des semaines à ne pouvoir ni se laver, ni faire la lessive, la nouvelle était réjouissante.
Jitik lui avait appris quelques coiffures qui dissimulaient avantageusement ses cheveux gras, et ils avaient lavé de leur mieux, à la neige fondue, les langes sales des enfants, mais tout le monde rêvait d'un bon bain. C'est un panier de linge dans les bras et un Tudan enrhumé sur le dos qu'elle se mit en route, suivant Zalinn et les siens.
Zalinn avait disputé le matin même un genre de pierre-feuille-ciseaux acharné avec les autres reines, et avait visiblement gagné, puisqu'ils faisaient partie de la moitié du village partant la première aux sources. Les autres devraient attendre le lendemain.
Le trajet leur prit longtemps. Ce devait être une courte marche en été, mais avec de la neige jusqu'à l'épaule, c'était une terrible tâche. Même si les plus grands et les plus forts des mâles ouvraient la marche, traçant une voie dans l'épaisse couche blanche, il leur fallut des heures pour arriver à la surface parfaitement lisse d'un petit lac gelé.
Pendant que les mâles s'affairaient à en briser la surface, Ilinka aida les autres femelles à débarrasser des pierres de leur neige et à créer, à l'aide de grandes perches polies par des années d'usages et soigneusement alignées sous des arbres, des genres d'étendages.
« Je croyais que c'était une source chaude. » nota-t-elle, alors que les coups de hache de pierre résonnaient en échos sur la glace.
« L'eau chaude jaillit du fond du lac. Il faut aller la chercher. » répondit Salm'ti, occupée à attacher la perche qu'elle tenait à bout de bras.
« Il va falloir plonger dans l'eau gelée ? »
Son aînée sourit.
« Oui, mais je te rassure, ce n'est pas nous qui allons le faire. »
« Ooooh... »
Dans un grand craquement, la glace céda enfin, provoquant quelques grondements de joie des mâles qui, avec enthousiasme, se mirent à jouer au même jeu de chance que les reines quelques heures plus tôt.
« Ils font quoi ? » s'enquit la jeune femelle, ramassant une nouvelle perche.
« Ils sélectionnent ceux qui vont chercher l'eau. » répondit simplement Salm'ti, concentrée sur sa propre extrémité de la perche.
Quatre mâles finirent par remporter la partie et, revenant sur la berge, ils entreprirent de se déshabiller, pendant que les autres amenaient près du trou de longs troncs creux, taillés afin de s'emboîter les uns dans les autres.
Ilinka observa avec fascination jusqu'à l'instant où les plongeurs retirèrent les longues bandes de tissu leur servant de sous-vêtements. Elle décida alors en avoir assez vu et se concentra plutôt sur son propre travail. La proximité de la hutte, interdisait toute pudeur mal placée, et elle s'était habituée à voir les membres de la famille en sous-vêtements. Elle avait même commencé à les imiter. Mais cette nudité complète, face à la moitié de la tribu, c'était autre chose !
Les feulements douloureux et les bruits d'éclaboussures lui apprirent qu'ils étaient entrés dans l'eau, et sa curiosité reprit le dessus. Se tordant le cou, elle jeta un regard dans son dos, découvrant comment les longs troncs étaient glissés dans l'ouverture faite dans la glace, et emmenés dans les profondeurs par les plongeurs qui, en quelques minutes, les mirent en place, ressortant prestement et la peau bleuie alors que, dans un grand jet de vapeur, de l'eau se mettait à jaillir du dernier tronc installé, faisant fondre la glace à vue d'œil.
Pendant que les braves mouillés se réchauffaient et se séchaient, les autres mâles finirent d'installer les tuyaux de bois, dirigeant l'eau chaude sur une zone précise de neige qui, en fondant, révéla une successions de bassins peu profonds taillés dans la rive et renforcés de pierres. Dès que le premier fut plein, avec une joie simple, les enfants se déshabillèrent et, emmenant leurs cadets trop petits pour tenir sur leurs jambes, partirent se mettre au chaud, riant et s'éclaboussant avec bonheur.
Ilinka, trop âgée pour bénéficier d'une telle indulgence, dût terminer l'installation des perches, puis, accompagnée des autres jeunes presque adultes de Zalinn, se retrouva de corvée d'essorage, tordant et secouant les vêtements que les parents, leurs pantalons retirés, lavaient dans un des derniers bassins, de l'eau presque jusqu'aux cuisses.
Midi était largement passé quand, les mains douloureuses et fripées, Ilinka étendit le dernier draps sur une perche, tandis que Kassinn, affamée, se ruait sur le panier-repas apporté pour l'occasion et, la bouche déjà pleine de sa ration de noix, apportait à chaque mange-chair de la famille son repas.
Ilinka engloutit volontiers sa part de noix et de champignons séchés, avant de rejoindre Jitik qui grondait sa cadette, trop pressée de rejoindre l'eau et ses parents qui s'y prélassaient déjà pour plier ses vêtements correctement.
Que les enfants plongent nus ne la choquait pas, mais que tout le monde le fasse, un peu plus. Un moment, elle hésita à garder la chemise et le pagne qui lui servaient de sous-vêtements, mais paradoxalement, elle risquait plus de se faire remarquer ainsi qu'en se déshabillant.
Et d'ailleurs, qu'est-ce qui la gênait exactement ? Ce n'était pas la nudité, à proprement parler, c'était... d'exposer son corps ? Oui, c'était ça. Elle ne voulait pas exhiber ses protubérances vertébrales, les veines sombres sur sa peau trop pâle, ou les fentes respiratoires vestigiales qui barraient son torse. Toutes ces choses qu'elle considérait comme hideuses et monstrueuses. Elle ne voulait choquer ou dégoûter personne avec ce corps qu'elle détestait.
Elle dut se secouer. C'était ridicule. Irrationnel. Personne ne serait choqué. Elle était wraith. Ils l'étaient aussi. C'était normal. Ce serait plutôt l'absence de ces choses qui choquerait.
Elle était consciente de la stupidité de sa gêne, et pourtant, elle ne parvenait pas à s'en débarrasser. Elle ne put retenir un petit rire jaune.
Ces choses qu'elle trouvait immondes sur elle, elle les trouvait belles sur d'autres. La manière qu'avaient les muscles des grands mâles de saillir dans leur dos, puissamment enroulés autour de leurs protubérances osseuses. La façon dont les fentes respiratoires de certains soulignaient la finesse de leur buste ou, au contraire, sa largeur. La danse harmonieuses des veines et des tatouages, complémentaire en un dessus-dessous fascinant, sur des peaux presque translucides.
Petits ou grands, jeunes ou vieux, mâles ou femelles, elle ne pouvait honnêtement qualifier aucun Im'amî de laid. Certains étaient indubitablement plus beaux que d'autres, mais aucun n'était laid ni repoussant. Ils avaient tous, sans exception, les mêmes caractéristiques qu'elle, et ils n'en étaient pas pour autant hideux. Alors pourquoi n'arrivait-t-elle pas à se sentir normale ? Pas monstrueuse ? Elle n'en avait aucune idée. Elle ne savait même pas s'il lui serait un jour possible de se regarder dans un miroir sans se trouver affreuse.
Mais aujourd'hui, il y avait une chose qu'elle pouvait faire. Éteindre son cerveau et son horrible petite voix, et profiter de son premier vrai bain depuis des mois !
Avec une assurance qu'elle ne ressentait pas, elle entreprit de se déshabiller avant de rejoindre Jitik qui, peigne en main, tâchait de défaire les tresses mouillées de Kassinn.
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Astralymn avait beau l'avoir prévenu, Rorkalym avait mal calculé la trajectoire du jet de lubrifiant moteur, et la vidange s'était transformée en une longue et exténuante session de nettoyage du sol de l'atelier. Il en était ressorti fourbu et recouvert d'une épaisse mélasse bleuâtre et nauséabonde. Pour sûr, ce n'était pas une erreur qu'il referait.
Mais en attendant, il allait devoir se nettoyer avant de rejoindre le pont, et il ne se faisait aucune illusion : sa pause de midi n'y suffirait pas. Tendant son esprit à la recherche d'un officier disponible, il signala en avance son retard et le pria de présenter ses excuses à Rosanna. Ceci fait, il partit récupérer de quoi se changer dans sa cabine.
Avisant un serviteur qui passait, les bras encombrés de plusieurs boîtes organiques, il l'arrêta un instant.
« Pourriez-vous signaler à quelqu'un s'occupant du secteur trois-cent dix-huit, que le sous-officier de commandement Rorkalym Lanthian a besoin d'une lessive rapidement ? » demanda-t-il à ce dernier qui, après l'avoir regardé stupidement quelques instants, visiblement stupéfait qu'il connaisse son numéro de secteur -ou qu'il soit couvert d'huile-, l'assura que ce serait fait avec une courbette aussi grande que son chargement le lui permettait.
Satisfait, il récupéra sa trousse de toilette et un rechange propre, fourra le tout dans un sac afin de ne pas risquer de le salir, puis rejoignit la salle de bain la plus proche. Pour son plus grand désespoir, l'eau y était à peine tiède, et figeait le lubrifiant, empêchant le savon de faire son travail.
« Monseigneur Rorkalym ? » s'enquit poliment une voix qu'il reconnut comme étant celle de la servante qui s'occupait de sa chambre.
Se dissimulant derrière le mur qui séparait la zone de douche du vestiaire, il autorisa cette dernière à entrer.
« Merci d'être venue si rapidement. Mes habits sont sur le banc. Ils ont été tachés au lubrifiant moteur. Vous devrez probablement les faire laver séparément. Veuillez présenter mes excuses aux personnes qui s'en chargeront. » lança-t-il haut et fort pour couvrir le bruit de l'eau qui coulait toujours.
« Je ne fais que mon travail, monseigneur. Je m'assurerai personnellement que vos vêtements soient traités dans les plus brefs délais. Puis-je faire autre chose pour vous ? »
« Non, ça ira. »
« A votre convenance, monseigneur. » lança la femme, juste avant de quitter la pièce.
Jetant un coup d'œil, il s'assura qu'il était à nouveau seul puis, avec un grincement défait, se remit à la pénible corvée d'effacer les taches qui maculaient sa peau et, pire encore, ses cheveux.
Après vingt minutes de lavage et relavage, c'était à peine s'il avait réussi à étaler davantage le produit sur lui. Le chuintement de la porte lui apprit qu'il n'était plus seul.
Un scientifique, ses affaires sous le bras, entra, lui jetant un regard curieux, avant de se retourner pour s'adresser à quelqu'un dans le couloir. A sa suite, une jeune femme arborant un impressionnant chignon entra craintivement, un panier sous le bras, et un gros pot de verre dans les mains.
Perplexe et un peu mal à l'aise, Rory récupéra un linge et s'enroula dedans. L'ignorant royalement, le scientifique s'approcha d'un des miroirs, retirant ses bijoux – qu'il plaça dans une petite boîte d'os sortie de son nécessaire de toilette.
La servante sembla hésiter un peu, puis se dirigea timidement dans sa direction.
« Magal m'a envoyée pour vous aider, monseigneur. » murmura-t-elle, s'inclinant nerveusement.
« Oh... euh... c'est gentil. » bafouilla-t-il.
Semblant se ressaisir un peu, elle se mit à jongler maladroitement avec ses affaires.
« J'ai de l'essence de nirott, des éponges en kagaz, et aussi du lait de virum, pour vos cheveux... » expliqua-t-elle, désignant tantôt le pot, tantôt une boîte ou une fiole du panier.
« Je n'ai aucune idée de comment utiliser tout ça. » nota-t-il sur un ton d'excuse.
« Je... je vais vous aider ! »
« Ce ne sera pas nécessaire. Dites-moi juste ce que je dois faire. »
« Vous êtes sûr, monseigneur ? Je suis là pour vous aider. »
« Oui, certain. »
Un instant, il aurait juré qu'elle en était soulagé , il n'y eut plus que la soumission polie coutumière des serviteurs.
« L'essence de nirott va dissoudre le lubrifiant. Utilisez les éponges pour le retirer. Il faut bien les mouiller avant, sinon, elles vont vous arracher la peau. Pendant que vous faites ça, mettez le lait de virum sur vos cheveux. Vous pourrez ensuite les peigner pour tout enlever. Quand tout sera parti, vous n'aurez qu'à vous rincer au savon. Et il vous faudra de l'huile de Kadir. Pour vos cheveux... Le lait de virum va les dessécher... » expliqua-t-elle.
Il opina.
« Vous pourriez me rendre un service ? » demanda-t-il, s'approchant pour récupérer les produits.
Elle frémit.
« Bien sûr, monseigneur. »
« Dans ma trousse, sur le banc là-bas, il y a un flacon d'huile. Vous pourriez me dire combien il en reste ? »
Opinant, elle s'empressa de s'exécuter. Était-elle pressée de lui obéir, ou juste de s'éloigner ?
« La bouteille est à moitié pleine, monseigneur. » nota-t-elle, alors que le scientifique, nu comme un ver, lui passait à côté pour aller se doucher.
« Parfait. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Quand j'ai fini, vous préférez que je laisse les produits ici ou ailleurs ? »
« Ici sera parfait, monseigneur. » nota-t-elle, jetant un regard dans sa direction avant de piquer un fard violent.
Jetant un regard par-dessus son épaule, Rorkalym ravala un grondement. L'autre wraith, définitivement sans gêne, était occupé à laver à grande eau et à grands gestes son membre viril.
Il se retourna vers la servante.
« Vous pouvez disposer. Merci. » statua-t-il.
Bafouillant des remerciements et salutations, elle disparut en un éclair.
Laissant son dégoût pour l'attitude de son aîné sourdre dans l'Esprit, Rory échangea sa serviette contre les précieux produits, et s'appliqua à suivre les consignes de l'humaine, ignorant soigneusement son congénère – dont la toilette avait définitivement pris un tour masturbatoire.
