12 octobre

« Ça file les chocottes », « Vraiment ? » ("This is spooky", "Really ?")

Ophélie & Octavio (La passe-miroir)


Octavio n'arrêtait pas de glisser ses doigts dans sa frange humide pour la repousser sur le côté. Ophélie n'était pas sûre de l'avoir déjà vu aussi désemparé: même quand ils s'étaient fait attaquer par le Sans-Peur, dans la ville basse noyée par la tempête de poussière et son tigre à dents de sabre, il était en territoire connu et donc, maîtrisait son environnement. Les rues pavées et vallonnées, les grosses flaques d'eau d'Anima, dues à la pluie froide qui tombait sans discontinuer depuis trois jours, devaient sacrément le dérouter. Il n'avait jamais appréhendé ces climats autrement que par les livres.

« Je comprends mieux pourquoi tes cheveux sont comme ça, commenta le Visionnaire à sa façon unique de plaisanter, l'expression neutre mais un léger rictus au coin des lèvres. Est-ce qu'il pleut constamment sur ton arche… hum, dans ton pays ? My, j'ai l'impression que l'eau s'est infiltrée jusque dans mes bottes. »

C'était vrai que l'écharpe ne s'illustrait pas particulièrement par ses capacités à tenir un parapluie parfaitement à la verticale. Il valait pourtant mieux que ce soit elle qui s'en charge plutôt qu'Octavio. Il était tellement habitué à manier les ombrelles, sous le soleil brûlant et les vols de perroquets de Babel, que son amie et lui se prenaient toutes les rafales de pluie dans le visage.

Le soleil commençait à baisser au-dessus des toits des maisons mais, comme on était encore que le 12 octobre, il ne disparaîtrait pas complètement avant deux bonnes heures. Ophélie avait le temps de montrer à Octavio la façon dont les Animistes célébraient l'une des fêtes les plus anciennes et les plus étonnantes de leur arche: les Tous Saints. À cette occasion, les objets les plus chouchoutés, appréciés et valorisés de chaque famille d'Anima étaient revêtus d'étoles blanches et décorés d'une petite bougie à la flammerole bleue tremblotante. Ça les changeait un peu et illustrait leur appartenance à une même grande, longue et fantastique histoire, issue de siècles d'objets animés par leurs talentueux propriétaires.

Pour autant, comme ils avaient tous l'habitude des tables de billard, machines à chocolat et autres rubans à chapeau doués d'un tempérament et de comportements détonants, la jeune fille ne s'attendait pas au commentaire tranquille qui émana de son compagnon de promenade :

« Ça file les chocottes.

-Vraiment ? s'étonna-t-elle. »

Un parapluie couleur citrouille était en train de tournoyer dans une flaque, devant eux, l'étole reliant chaque de ses douze extrémités lui donnant l'air d'émaner un halo d'éther blanc. La bougie dans sa poignée refusait obstinément de s'éteindre, malgré les gouttes d'eau qui trempèrent une nouvelle fois les bottes ailées d'Octavio. Le jeune homme s'écarta et, comme l'écharpe voulut continuer de l'abriter avec leur propre parapluie, son amie reçut une giclée de pluie sur les lunettes. L'autre extrémité de l'écharpe se mit aussitôt en tâche de les retirer de son nez pour les essuyer.

« Mais ce n'est pas désapprobateur, précisa le Visionnaire en tendant un mouchoir à Ophélie pour qu'elle s'essuie le front. In fact, c'est plutôt fascinant. Spooky. Un mélange d'effrayant et de mignon, je suppose.

-Depuis quand apprécies-tu ce qui est effrayant ? s'étonna son amie en récupérant ses lunettes sur son nez.

-Depuis que mon esprit s'est élevé à de nouvelles compréhensions. Il y a plus de mondes que ce que nous pouvons percevoir. C'est effrayant. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a aucune trace de bonté, de valeur ou de cuteness à l'intérieur, au contraire. C'est probablement pour ça que vos ancêtres célébraient cette fête de cette manière. »

Ophélie sourit et Octavio tourna brièvement la tête vers elle pour lui rendre son expression chaleureuse. Elle aimait la façon dont elle comprenait mieux le monde lorsqu'ils se promenaient ensemble.