Rogue montait les marches menant au bureau de Dumbledore, particulièrement agacé.

- Que peut-il y avoir de si urgent cette fois-ci ?

- Ron Weasley vient d'être empoisonné avec une boisson qui m'était destinée, déclara gravement le directeur en poussant la bouteille d'hydromel vers lui.

Le maître des potions la débouchonna et n'eut même pas à s'en approcher pour que l'odeur du poison effleure ses narines.

- C'est grossier. Comment une telle chose a pu arriver ?

- Horace lui en a offert un verre en guise de remontant. Le garçon en est presque mort, Severus.

- Comment s'en est-il sorti ?

- Un bézoard.

- Je vois.

Dumbledore le regardait sévèrement, comme si c'était lui qui avait fourni le poison.

- Vous deviez garder un œil sur lui.

- Que croyez-vous que je fasse de mes journées ?

- Je pense que vous passez trop de temps à vous atteler à des tâches qui ne sont pas primordiales.

- Vous vous foutez de moi ?

- Oh ne le prenez pas de cette façon Severus, je pense que c'est une très bonne chose pour vous, sincèrement. Néanmoins je pense qu'il est temps d'avoir une sérieuse discussion avec Drago Malefoy.

- Il ne veut pas de mon aide, il ne me fait pas confiance.

- Dois-je vous rappeler que vous n'avez pas le choix que de venir en aide à ce garçon ?

- Non Albus ce n'est pas nécessaire, il ne m'a pas échappé que c'était ma vie qui était en jeu.

- Par ailleurs, je vous serais reconnaissant de vous assurer que Monsieur Weasley se portera bien et de vérifier rapidement le contenu de cette bouteille.

- Oh vraiment ? Croyez-vous que je devrais aller lui tenir la main également ? Slughorn peut le faire ! Qu'il assume.

- S'il vous plaît, Severus.

Rogue s'empara de la bouteille avec rage et se dirigea vers les cachots.
Il lui arrivait par moment de s'imaginer loin de tout ça, de Poudlard, de son directeur et ses cornichons d'élèves, il lui arrivait d'oublier brièvement pourquoi il faisait tout ça.

Alors qu'il versait les trois quarts de la bouteille dans un chaudron, il songea à ce qui serait arrivé si celle-ci avait atteint sa cible.
Il porta l'hydromel empoisonné à ébullition et y jeta un sort de stase avant de sortir un second chaudron et d'y entamer une nouvelle préparation.
Pendant qu'il tournoyait dans sa réserve pour récupérer divers ingrédients, il conclut finalement que Dumbledore ne se serait jamais laissé avoir. Il déplorait l'idiotie de Drago tout en incorporant de la peau d'ophidien et des yeux de scarabée dans sa potion.
Il préférait l'idée que Drago ne souhaitait pas vraiment tuer le directeur à celle qu'il puisse imaginer que son plan ridicule avait des chances de fonctionner.
Il jeta un bézoard dans le premier chaudron après avoir levé le sortilège de stase.
Bien sûr qu'il ne voulait pas réellement le tuer, malgré les apparences, le garçon était complètement perdu et aurait sûrement payé cher pour s'évader, lui aussi.
Une fois la poudre de pieuvre ajoutée, il ajouta quelques gouttes d'hydromel empoisonné et mélangea la potion. Il fut satisfait de constater que la teinte correspondait exactement à celle dans laquelle s'était dissous le bézoard.
Weasley ne risquait rien et n'aurait aucune conséquence néfaste de son intoxication.

Après avoir nettoyé et rangé la salle il sortit à la hâte des cachots.
Drago était devenu hors de contrôle, il n'avait plus aucune autorité sur lui. D'abord le collier ensorcelé, maintenant l'hydromel empoisonné, il fallait qu'il l'arrête d'une façon ou d'une autre ou il finirait par se faire repérer, sans compter le fait qu'il risquait de tuer quelqu'un.

- Professeur Rogue ! Cria une voix qu'il ne connaissait que trop bien.

Il se retourna vers la Gryffondor furibonde qui lui courait après dans le couloir, heureusement vide. Pourquoi avait-il fallu que la victime soit Weasley ?

- Miss Granger, vous êtes bien loin de la bibliothèque.

- VOUS…

- Taisez-vous ! lui ordonna-t-il. Pas ici.

Après un rapide coup d'œil autour de lui, il se dirigea vers une petite porte qu'il ouvrit, la laissant rentrer dans le débarras avant de la refermer. Il savait qu'elle n'aurait pas tenu jusqu'à son bureau avant d'exploser et n'avait aucune envie de devoir gérer une Hermione enragée dans les couloirs un samedi matin.

- Vous avez laissé ça arriver ! lui reprocha-t-elle en pointant l'index sur son torse.

- Je ne vous permets pas, gronda-t-il.

- Je m'en contrefous ! Vous allez laisser Drago tenter d'assassiner combien de personne avant de réagir ?

Il s'était attendu à ce qu'elle se décharge sur lui, mais là elle dépassait clairement les limites.

- Je ne répondrai pas à ses gamineries, vous vous laissez ridiculement emporter par vos émotions. Vous vous croyez importante ? Vous ne comprenez rien, cracha-t-il.

Il venait déjà de subir la déception de Dumbledore, il était hors de question que cette satanée Gryffondor lui fasse les mêmes reproches.

- Je ne comprends rien ? Je comprends assez ce qu'il se passe pour constater que vous êtes complètement passif. Vous suivez les ordres de Dumbledore docilement sans vous poser de questions et vous…

- ÇA SUFFIT !

Habité par la colère, il saisit son poignet avant qu'elle ne recommence à le pointer du doigt et la plaqua contre le mur le plus proche.

- Pour qui vous prenez-vous ? Je n'ai pas la moindre critique à recevoir d'une effrontée dans votre genre. Être en possession d'informations que d'autres ignorent ne vous rend pas plus intelligente que les autres. Vous croyez sûrement que vous avez un grand rôle à jouer là-dedans, que vous allez pouvoir jouer les héroïnes ? Vous êtes insignifiante. Et votre petite comédie n'a aucun autre effet que celui de dévoiler votre stupidité.

- Vous êtes ignoble.

Il lui lança un regard moqueur en relâchant légèrement sa prise sur son poignet.

- Oh voyez-vous cela. Je suis ignoble maintenant ? lâcha-t-il d'une voix mielleuse. Ce n'est pas ce que je vous inspire ces derniers temps.

Les joues d'Hermione prenaient une teinte rosée alors qu'elle lui lançait un regard horrifié, il se délecta de cette vision.

- Savez-vous ce que les gens pensent des petites sottes qui s'entichent de leur professeur, Miss Granger ? murmura-t-il.

Il regarda la Gryffondor s'enfuir avec un air affecté. C'était bas, il le savait, mais au moins ça avait eu l'effet escompté.

Rogue regagna son bureau sans pouvoir s'empêcher de remarquer qu'il ne tirait pas autant de satisfaction de cet échange qu'il n'aurait pu le prétendre. Il avait été plus qu'agacé du comportement d'Hermione mais si c'était à refaire, il y répondrait peut-être différemment.
Quoi qu'il en était, il allait falloir qu'il ait une discussion avec Drago maintenant.

Durant le banquet du soir, Rogue regardait Hermione avec insistance.
Elle était totalement insondable. Il ressentait presque une certaine fierté de constater qu'elle atteignait un niveau d'occlumancie remarquable pour quelqu'un de son âge, surtout pour elle qui avait l'habitude d'exprimer ses émotions haut et fort. Cet apprentissage la faisait évoluer, elle était loin d'être la gamine insignifiante qu'il avait connu contrairement à ce qu'il pouvait lui dire. Il avait passé trop de temps à explorer son esprit pour ne pas en reconnaître sa valeur, il fallait être sot pour rester insensible à ses aptitudes.

Il ne détourna pas le regard lorsqu'il croisa celui d'Hermione qui s'était brusquement assombri. Elle lui en voulait. Il ne savait dire si elle le tenait réellement responsable pour Weasley et Bell ou bien si c'était pour l'avoir humilié un peu plus tôt.

Alors que le repas touchait à sa fin, il s'arrangea pour la retrouver dans la foule.

- Un mot, Miss Granger, lâcha-t-il en passant derrière elle, sans s'arrêter pour autant.

Il alla l'attendre dans son bureau et sortit du tiroir son vieux manuel de potion en se demandant ce qu'il allait en faire.
La Gryffondor avait eu la présence d'esprit de le considérer avec prudence, les choses auraient pu tourner au drame si c'était Potter qui l'avait gardé. Il estimait qu'il avait assez pris de risque en le laissant autant de temps à Hermione et qu'il était plus sage de s'en débarrasser.

Il le fit alors léviter et fit sortir une flamme bleue de sa baguette lorsqu'il vit la porte s'ouvrir sur son élève.
L'expression confiante d'Hermione laissa place à une mine bouleversée alors qu'elle se rapprochait du manuel qui brûlait. Elle semblait regarder les flammes lécher le livre comme si c'était sa vie qui partait en fumée.

- Pourquoi accordez-vous tant d'importance à un vieux livre décrépit ?

- Ce n'est pas le cas, monsieur, murmura-t-elle.

- Qu'est-ce que c'est alors? dit-il en se levant.

Elle ne répondit pas et se contenta de croiser les bras dans un mouvement défensif.

- Pourquoi me repoussez si violemment pour m'amadouer l'instant d'après ? demanda-t-elle au bout d'un long moment.

- Ce n'est pas ce que je fais.

- Que faites-vous alors ?

Il s'avança vers elle, l'air sévère.

- Vous rendez-vous seulement compte de la façon dont vous osez vous adresser à moi ?

Elle se renferma.

- Vous ne connaissez pas toute l'histoire Miss Granger, vous ne la connaîtrez pas. Quoi que Dumbledore ait pu laisser entendre, tout ceci n'est qu'un vulgaire accident. Et je commence sérieusement à regretter de ne pas vous avoir lancer un sortilège d'amnésie.

Il la regarda saisir sa main, orientant vers elle la baguette qu'il tenait toujours.

- Faites-le alors.

Il fronça les sourcils sans bouger.

- Que voulez-vous oublier au juste ?

- Rien. Tout ? Ce que vous voulez.

Il était presque déstabilisé par son attitude, avec le temps elle avait développé l'art de le surprendre et de le perdre en conjecture.
Était-elle en train de le provoquer ? S'attendait-elle qu'il se mette en colère, qu'il s'excuse, qu'il la questionne ? Depuis quand était-elle devenue si imprévisible ?

- Vous n'allez pas le faire, conclut-elle à sa place en abaissant sa baguette de la même façon qu'elle l'avait pointé sur elle.

Non il n'allait pas le faire, par pur égoïsme et par lâcheté.
Dans quelques mois, le monde entier le considérerait comme le meurtrier du plus grand sorcier de tous les temps.
L'idée qu'il puisse exister une personne qui tenait peut-être un tant soit peu à lui et qui saurait de quel camp il faisait réellement partie ne lui n'était pas désagréable.
Il avait fini par s'habituer à l'estime qu'elle lui portait, à la façon dont elle le regardait, l'avait-on seulement déjà regardé comme ça ? Il n'était plus indifférent face à l'intensité des pensées qui traversaient l'esprit d'Hermione, leurs caractères déplacées ne les rendaient pas moins distrayantes, encore moins déplaisantes.

Une lueur inhabituelle passa dans les yeux ambrés de la Gryffondor et il sentit sa présence au-delà de la proximité de leurs corps. Venait-elle d'être spectatrice de ses tergiversations ? Par réflexe, il se mura dans l'occlumancie et pénétra son esprit, cherchant des preuves de ce qu'il craignait.

Il se retrouva submergé de souvenirs de leurs cours, il était impossible de démêler les images qui défilaient sous ses yeux. Autant d'interactions, de haussements de voix, de silences et de regards échangés, des situations qui semblaient toutes identiques mais dans des contextes tous différents, c'était très malin, un parfait assemblage ininterprétable.
En essayant de lui faire arrêter son manège, il se heurta à la vision qu'elle pouvait avoir de lui lorsqu'il apaisait ses souffrances, une manœuvre à nouveau très ingénieuse puisqu'il en oublia complètement ce qu'il était venu chercher.
Il décela une certaine convoitise, encore et toujours cette admiration et cette attirance inappropriée. Elle avait une profonde envie, non, un besoin de le toucher. Il sentait l'effet que son odeur avait sur elle, la ferveur suscitée par son regard et le trouble qui l'envahissait lorsqu'elle l'observait. Elle le désirait, sans aucun doute possible.
Il était sidéré de son audace, elle semblait lui crier qu'elle le voulait sans aucune retenue. Comment diable en était-il arrivé là ?

- Vous jouez à un jeu dangereux Miss, dit-il d'une voix qu'il voulait menaçante.

- Je ne joue pas, souffla-t-elle.

Il la laissa lui montrer encore, guidé par une curiosité malsaine.
Elle avait peur, elle était effrayée, ses certitudes avaient volé en éclat, il ne lui restait que peu de temps à Poudlard, elle allait inévitablement s'éloigner de lui et elle ne le voulait pas.
Elle voulait connaître la sensation de ses mains sur elle avant que tout se finisse, découvrir le plaisir d'être le centre de son attention pour quelques heures, savoir jusqu'où s'étendait son intelligence. Avait-il déjà été désiré si ouvertement ?
Elle avait mis un certain temps à le comprendre, elle en avait eu honte et avait même lutté avant de s'abandonner à ce qu'il lui inspirait. C'était plus facile que de sombrer dans le désespoir ou l'incertitude. Elle préférait la chaleur dans son ventre plutôt que le poids sur ses épaules. Il ne pouvait que comprendre cela.
Les pensées d'Hermione étaient envoûtantes, il était plus que tenté de continuer à les explorer et dû se faire violence pour reculer d'un pas.

''Et maintenant ?'' s'interrogea-t-il alors que ses yeux de biche le fixaient. Elle était à fleur de peau, il suffirait d'un rien pour qu'elle s'embrase.

- Ne perdez pas de vue l'objectif de nos cours, vous vouliez apprendre à vous protéger… peina-t-il à articuler.

- Je vous ai empêché de trouver ce que vous vouliez en vous manipulant et sans perdre le contrôle une seule fois. Vous n'avez rien vu que je n'ai choisi de vous montrer.

Il esquissa un fin sourire, s'il avait encore des doutes quant à ses intentions, il n'en restait définitivement plus aucun.

- Brillant, Miss Granger, murmura-t-il d'une voix chargée d'ironie.

Il la regarda partir en se repassant le film de ses pensées controversées, loin d'être incommodé d'en avoir été spectateur. Il poussa le vice jusqu'à se demander si cela allait se reproduire, il ne détestait pas l'idée.