Les profondeurs de la solitude (1/3)

Eddie se morfondait sur son trône de corail, les yeux fixés sur le vide, entouré par la splendeur de son royaume sous-marin. Pourtant, aucune de ces merveilles ne parvenait à apaiser la douleur et la solitude qui l'étreignaient depuis des années.

Prince d'une lignée royale des sirènes, il vivait dans un palais étincelant de perles et d'or, pourtant son cœur était prisonnier d'un chagrin profond. Sa dépression avait commencé le jour où il lui avait été interdit de retourner à la surface, un décret sévère qui le séparait de l'amour de sa vie et de l'autre moitié de son cœur, de l'autre parent de son fils, Christopher.

Christopher, cet enfant merveilleux, mi-humain, mi-sirène, était la seule lueur dans l'obscurité qui enveloppait Eddie. Il l'élevait seul, avec toute l'attention et l'amour qu'un père pouvait offrir. Cependant, la situation devenait de plus en plus difficile à mesure que Christopher grandissait et que ses besoins spécifiques et son côté humain se manifestaient.

Les parents d'Eddie, le roi et la reine du royaume sous-marin, ne prenaient pas son rôle de père au sérieux. Ils le voyaient encore comme le jeune prince insouciant qu'il était autrefois, incapable de comprendre la profondeur de ses responsabilités et de son désespoir. Leur colère avait éclaté lorsqu'Eddie était revenu de la surface avec Christopher en son giron, un enfant qu'ils considéraient comme une honte pour la lignée royale.

Mais aujourd'hui, la situation avait atteint un point critique.

Christopher était tombé gravement malade. Les médecins sirènes, malgré tous leurs efforts, ne parvenaient pas à trouver de remède à son mal. Eddie regardait impuissant son fils souffrir, son cœur se brisant un peu plus à chaque instant, alors que la mort rôdait autour de lui.

Il ne lui restait plus qu'une seule option : braver l'interdiction et retourner à la surface pour trouver de l'aide.

Eddie prit Christopher dans ses bras, son fils à demi-conscient, enveloppé dans une couverture de soie marine. Il quitta en secret le palais, nageant avec détermination vers la surface, une terre d'espoir mais aussi de danger.

Il savait que la plupart des humains ignoraient jusqu'à leur existence et c'était le mieux qu'il pouvait espérer pour son monde.

Lorsqu'il émergea des flots, la nuit était tombée, offrant une couverture bienvenue. Il avança prudemment, se dissimulant autant que possible, jusqu'à rencontrer une jeune femme sur une plage isolée.

– S'il vous plaît, aidez-moi, implora Eddie, sa voix tremblante de détresse.

La jeune femme se retourna, surprise de voir cet homme émergeant des vagues avec un enfant dans les bras.

Elle vit immédiatement le désespoir dans ses yeux et fut touchée.

– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle doucement.

– Mon fils... il est malade. Les médecins de mon peuple ne peuvent rien faire. Je cherche un médecin humain, quelqu'un qui pourra peut-être l'aider.

Elle réfléchit un instant, incertaine. Puis, voyant la détresse dans ses yeux, elle céda à la compassion.

– Je connais un médecin. Il est bon avec les enfants et il est le plus proche d'ici, je vais vous y emmener.

Eddie hésita, la peur le saisissant. On lui avait toujours dit que les humains étaient cruels, prêts à disséquer les créatures marines comme lui.

– Est-ce qu'il sait soigner les mammifères marins ? demanda-t-il, sa voix chargée d'anxiété.

Elle fronça les sourcils, déconcertée par la question. Elle avait du mal à comprendre mais Eddie refusait de laisser son fils à n'importe qui. Christopher ressemblait peut-être à un humain mais il avait des attributs sirènes.

Elle hésita mais voyant l'urgence de la situation, elle hocha la tête.

– Mon frère est spécialiste des mammifères marins. Venez, je vais vous emmener chez lui.

Eddie la suivit, son cœur battant à tout rompre.

Il serrait Christopher contre lui, espérant de tout son être avoir pris la bonne décision. Lorsqu'ils arrivèrent chez le jeune homme, ils furent accueillis par l'homme qu'il espérait plus que tout revoir un jour, il était le frère de la jeune femme et Eddie espérait que c'était une chance.

Dès qu'il posa les yeux sur lui, Eddie su qu'il le reconnut immédiatement, bien qu'il ne laissa rien paraître devant sa sœur.

– Maddie, que se passe-t-il ? demanda-t-il en déglutissant.

– Cet homme... son fils est malade. Il a besoin de ton aide, répondit-elle rapidement.

Il acquiesça, gardant son calme.

Il fit signe à Eddie de déposer Christopher sur la table d'examen. Il vérifia ses constantes rapidement Christopher se laissant faire, dormant depuis qu'ils étaient arrivé à la surface. Maddie les quitta rapidement et Eddie lui était tellement reconnaissant bien qu'il soit terrorisé à l'idée de la conversation qui les attendait.

– Alors, tu as eu un enfant, dit-il sur le ton de la conversation, tout en auscultant Christopher. Je comprends, tu sais.

Eddie hésita, cherchant ses mots.

– Je... oui, répondit-il finalement. On a... je suppose.

– On ? répéta Buck, levant un sourcil.

Eddie détourna le regard, honteux et confus.

Il se souvenait de leur amour plus fort que tout et c'était peut-être ce qui l'avait détruit durant toutes ses années. Il était parti en lui laissant son cœur mais il avait emmené avec lui une partie de son amour.

Mais comment lui expliquer ?

– Oui, je... As-tu compris qui j'étais ?

– Crois-tu que je suis devenu spécialiste en biologie marine par hasard ? lui demanda-t-il avec un sourire taquin.

Celui qu'il aimait tant.

– Bien sûr que j'ai compris. Je pensais juste… que tu reviendrais.

– On ne m'a pas laissé faire. Je suis désolé.

Buck arrêta un instant son examen pour le regarder.

– De quoi parles-tu ?

– Je suis un prince et mes parents... par Poséidon, ils étaient si en colère quand je suis revenu avec Christopher en moi. Ils m'ont confiné au palais et je ne savais pas quoi faire d'autre…, lâcha-t-il les larmes roulants sur ses joues.

Buck écarquilla les yeux.

– Attends, le coupa-t-il. Quand tu dis « on », tu veux dire qu'il est... ?

– Le tien, confirma Eddie, la voix tremblante.

Buck pâlit, pris de panique.

– Il doit voir un vrai médecin !

– C'est pour ça que nous sommes là.

– Tu ne comprends Eds. Je ne suis pas médecin. Il est malade à cause de moi.

– Non, je ne sais pas ce qu'il a. Nos médecins ne comprennent pas.

– Il est à moitié humain, sa part fragile lui vient de moi. Il doit voir un vrai médecin.

– Non, bien sûr que non, Buck, s'il te plaît...Il est différent et ils vont lui faire du mal...

Buck prit une profonde inspiration, essayant de se calmer.

– Personne ne fera de mal à notre fils, lui promit-il en décrochant son téléphone. Personne. P'pa, j'ai besoin de toi.

Le père de Buck, Bobby, un médecin respecté dans le village, arriva rapidement.

Il examina Christopher avec soin, son visage grave mais professionnel. Eddie regardait chaque mouvement avec anxiété, son cœur battant à tout rompre.

– Rien de grave, affirma-t-il en se redressant. Quoi qu'il se soit passé, c'est en train de s'améliorer. Mais je vous conseille de bien nettoyer ses branchies, elles étaient obstruées.

Eddie sentit une vague de soulagement l'envahir.

Il ne savait comment remercier Bobby, qui se contenta de lui faire un signe de tête avant de quitter la pièce. Une fois seuls, Buck se tourna vers Eddie, son regard rempli de questions.

– Vas-tu repartir ? demanda-t-il doucement.

Eddie baissa les yeux, luttant contre ses émotions.

– Je n'ai pas le choix.

Buck secoua la tête, posant une main réconfortante sur l'épaule d'Eddie.

– Tu as le choix. Quelle que soit ta décision, je la respecterai. Mais sache que je t'attendrai, toujours. Parce que je t'aime depuis le jour de notre rencontre et je sais que ça ne changera jamais.

Eddie le regarda, incrédule.

– Tu veux toujours de moi ? demanda-t-il, la voix brisée par l'émotion.

Buck sourit, un sourire tendre et plein de nostalgie.

– Evidemment, tu es tout ce que j'ai toujours voulu et tu reviens aujourd'hui avec le cadeau le plus inestimable. Je ne suis pas assez fou pour le refuser.

Eddie se blottit dans ses bras, sentant enfin une paix qu'il n'avait pas connue depuis longtemps.

– Je veux plus que tout rester avec toi, murmura-t-il.

Buck le serra plus fort, promettant de ne plus jamais le laisser partir.