Hello ! Voici le Chapitre Deux :)

Bonne lecture à tous/tes.


Chapitre Deux ~ Pâris

Une douleur sourde enserra le crâne de Tybalt lorsqu'il se réveilla. Le jour n'était pas encore levé, et une autre âme que lui dormait à ses côtés, confortablement blottie dans ses bras, nue. L'espace d'un instant, il ressentit que tous les rêves qu'il avait faits de Juliette cette nuit n'étaient que les vagues souvenirs d'une réalité déformée. Mais lorsque la chevelure auburn d'Antonia lui apparut, les souvenirs de la veille le frappèrent de plein fouet.

Il soupira, se relevant légèrement pour enfiler un pantalon de cuir bordeaux avant de se rassoir dans le lit, perdu dans ses pensées. Passant une main anxieuse sur ses traits tirés, il se remémorait la violence avec laquelle il avait traité Antonia, déversant sur son corps toute sa frustration. Alors qu'il gardait les yeux fixés dans le vide, il sentit soudainement un corps se presser contre son dos, et deux bras l'enrouler avec tendresse.

« Viens te recoucher, mon amour, le soleil n'est pas encore levé. »

Il resta immobile, laissant la jeune femme caresser sa peau avec douceur. Il ferma un instant les yeux, tentant de retrouver contenance. Pourquoi n'était-ce pas Juliette qui lui disait ces mots ? Antonia, en tentant de le tirer en arrière, l'arracha à ses pensées, mais Tybalt se dégagea avant de se lever, enfilant une chemise ainsi que son plastron de cuir bordeaux.

« Où vas-tu ?

- Rendre visite aux Montaigu.

- Mais… Tybalt…

- … Rendors-toi, Antonia. »

Il s'efforça d'adopter la voix la plus douce et tendre possible, s'avançant vers elle pour caresser ses cheveux auburn tout en l'incitant à se rallonger. Chastement, il déposa un baiser sur ses lèvres avant de lui sourire et de se relever. Il l'observa un instant, replongée dans les abîmes du sommeil.

Il devait la garder à ses côtés, jouer le rôle du jeune homme épris. Cela ferait taire les rumeurs sur son amour pour Juliette, évitant ainsi à lui-même et à sa tendre fleur l'humiliation, voire l'exil. Il savait, tout au fond de lui, qu'il ne pouvait se mentir sur ses sentiments. Mais mentir aux autres, il le pouvait.

Il s'approcha de sa table de chevet, ses gestes empreints d'une certaine précipitation, et saisit sa dague, la glissant habilement à sa ceinture. Avant de quitter la chambre, il ferma la porte avec précaution, veillant à ne faire aucun bruit, comme si chaque son pouvait éveiller un secret qu'il souhaitait garder pour lui. Mais, du coin de l'œil, un mouvement furtif attira soudainement son attention, une lueur blanche dans l'ombre de la pièce. Intrigué, il tourna lentement le regard vers la source de cette agitation. Ce qu'il découvrit lui coupa le souffle et lui fit retenir un hoquet de surprise. Devant lui se tenait l'objet de tous ses désirs, une vision qui fit battre son cœur avec une intensité insoupçonnée, une image à la fois familière et lointaine.

« C'était donc Antonia ? »

Juliette se tenait là, debout face à lui, une silhouette éthérée. Elle portait une chemise de nuit blanche d'été, à peine recouverte d'une robe de chambre rouge qui ne dissimulait pas la transparence du tissu. Les contours de son corps lui apparaissaient distinctement, et cela le fit immédiatement piquer un fard, comme un adolescent surpris en plein délit. Sans répondre à la question de sa cousine, il l'attrapa par le poignet, l'entraînant dans les couloirs sombres de la demeure, leurs pas résonnant comme des échos lointains, jusqu'à arriver dans le corridor de la bibliothèque, vide et silencieux.

Une fois arrivés, il la tourna brusquement face à lui, son cœur battant plus fort que jamais, et ferma la robe de chambre en satin avec précipitation, le rouge de ce tissu brûlant toujours ses joues. Juliette, elle, le fixait avec une innocence désarmante, ses grands yeux pleins d'interrogations, ce qui ne faisait qu'accentuer son agitation.

« L'aimes-tu ? » demanda-t-elle, la voix claire, comme une cloche qui sonnait au milieu de la nuit.

« Juliette, on est au beau milieu de la nuit ! » rétorqua-t-il, un peu trop vivement.

« Tu évites mes questions ! » insista-t-elle, la colère perçant légèrement dans sa voix insouciante.

« Et toi, tu te promènes dans des tenues indécentes dans la demeure familiale ! » s'indigna-t-il, mais ses mots n'étaient que murmures, presque des chuchotements, une danse de mécontentement.

« Répond. »

Son ton exigeant ne laissait guère de place à l'ambiguïté. Tybalt se surprit à se demander si elle n'était pas jalouse d'Antonia, une pensée qu'il chassa rapidement. Finalement, il murmura, presque à lui-même :

« Non, je ne l'aime pas. »

Un éclat de soulagement traversa le visage de Juliette, mais il fut suivi par une colère plus grande encore, le rouge montant à ses joues pâles.

« Alors, au lieu de faire souffrir les femmes autour de toi, Tybalt, va voir la femme que tu aimes et dis-lui ! La pauvre Antonia souffre, elle croit que tu l'aimes, elle ! »

Cette phrase lui sembla soudainement risible. La vérité, tous la connaissaient, sauf elle. Elle vivait dans son propre monde, dans cette bulle de douceur et de tendresse, et elle ne voyait pas, depuis toutes ces années, qu'il l'aimait et la couvait de son amour incommensurable. Une douleur sourde l'envahit, tandis que la colère se mêlait à son désespoir. Il devait partir.

« Il m'est interdit de l'aimer, Juliette. »

Les mots tombèrent comme des pierres, laissant Juliette complètement désarmée. Elle recula lentement, son dos rencontrant le mur froid derrière elle, le contact de la pierre glacée la faisant frissonner. Elle le fixa alors longuement, comme s'il venait de lui annoncer une condamnation à mort. Dans son regard, elle cherchait une solution, une échappatoire, mais il n'y en avait pas. Ce ne fut qu'après une longue seconde de silence qu'elle reprit la parole, sa voix redevenant plus douce, presque tendre, parvenant à percer la carapace de colère de son cousin.

« Peut-on réellement interdire à un cœur d'aimer, Tybalt ? »

« Je ne sais pas, Juliette. »

Elle fronça une nouvelle fois les sourcils, prête à le contredire, frustrée par cette conversation pleine de non-dits. Mais Tybalt l'arrêta d'un regard, un regard froid et autoritaire, celui qu'il réservait habituellement aux autres, mais pas à elle. Sa mâchoire se contracta doucement alors qu'elle s'écartait de lui, prenant le chemin de l'escalier. Sans se retourner, elle asséna :

« Bonne journée, cousin. »

« Bonne journée, Juliette. »

Il avait répondu, les dents serrées, tandis que son cœur se broyait avec violence dans sa poitrine. Il la regardait s'éloigner, tel un mirage dans la demeure encore engourdie par les ténèbres. Un ange tombé du ciel, venu le rendre complètement fou.

oOo

« Tybalt, les Montaigu sont là ! »

La haine envahit ses veines tel un poison lourd et corrosif, un venin qui pulsait à travers son corps, faisant battre ses tempes dans un chaos oppressant. Son cœur s'emballait, et il ressentait le goût amer de la bile sur sa langue, un dégoût qui mêlait rage et frustration. Tybalt avait l'impression de devenir fou, tel un lion en cage, rugissant contre des barreaux invisibles. Oui, la colère brûlait en lui, suivie de près par la rage, prête à éclater.

Ils avaient arpenté les rues de Vérone toute la matinée, en quête d'un conflit à faire éclater, et peu à peu, leur groupe s'était étoffé, attirant d'autres partisans de cette haine. Ils étaient désormais une bonne vingtaine, une meute affamée de violence, prête à se déverser sur leurs ennemis. Alors qu'ils se rapprochaient de la demeure des Capulet, Julian avait hélé son meilleur ami, la voix tremblante d'adrénaline. Les Montaigu étaient sur leur territoire.

Le blond le rejoignit en courant, et à peine fut-il à ses côtés qu'il posa son regard sur la mêlée qui s'était déjà déclenchée. Des cris de colère, des pleurs désespérés, des coups portés avec la fureur des âmes en guerre. Au loin, il aperçut la chevelure auburn d'Antonia, son amante d'une nuit, frappant en plein visage une autre femme, Montaigu, dans un geste d'une violence inouïe. Ce spectacle fit sourire Tybalt, une flamme de satisfaction dansant dans ses yeux.

Peut-être avait-il fait le bon choix en jetant son dévolu sur elle ?

« Tybalt ! »

Il leva le regard, ses yeux hazel se fixant sur un homme à la longue chevelure ébène, Mercutio, son ennemi juré. Le regard provocateur de ce dernier, accompagné d'un rictus sournois, raviva la flamme de la colère en lui.

« Mercutio ! Que faites-vous sur nos terres !? » cracha-t-il, la voix chargée de dégoût.

« Vos terres ? Vous êtes ici sur le territoire du Comte Montaigu, » répliqua le poète, avec un ton désinvolte.

Une rage amère envahit la bouche de Tybalt, et sans prévenir, il frappa Mercutio en plein ventre. Le jeune homme hoqueta de douleur, ses yeux écarquillés de surprise. Un rictus mauvais déforma les traits du blond alors qu'il murmurait pour que seul Mercutio entende :

« Petit merdeux. »

Depuis leur enfance, Tybalt et Mercutio se haïssaient. La haine de Vérone les avait bercés, nourris, laissant leur cœur stérile d'amour et d'innocence. L'innocence… Seule Juliette parvenait à réinsuffler ces sensations si pures dans son propre cœur, mais à cet instant, elle était loin de ses pensées. Distrait par ce souvenir, Tybalt ne vit pas le poing de Mercutio fondre sur son nez avec une violence qui le fit vaciller. Comme deux loups affamés, ils se jetèrent l'un sur l'autre, chaque coup de poing résonnant comme un écho de leur haine.

Tybalt assena un énième coup au poète raté, qui tomba au sol presque assommé. La foule autour d'eux était devenue une mer de chaos, des corps s'entrechoquant, des cris de douleur et de colère se mêlant dans un chœur désordonné. Alors que Tybalt se retournait, cherchant Antonia, il aperçut la douce jeune femme. À peine eut-il le temps de la prévenir qu'un jeune Montaigu, Benvolio, la frappa en plein visage, la faisant tomber au sol avec une brutalité déconcertante.

La vision lui parut tel un mirage, mais l'esprit de Tybalt, dans un élan de folie, transposa l'image de Juliette sur celle d'Antonia. Sans réfléchir, il sortit son couteau, sa rage prenant le pas sur la raison, et se rua sur le garçon aux cheveux polaires. Il visait à le défigurer, à bout portant, mais le mouvement ne fut qu'un éclair. Mercutio, émergeant de la lutte, attrapa Tybalt par les épaules, le projetant au sol avec une force inouïe, ses yeux embrasés de fureur.

« Qu'est-ce que tu fais, Tybalt ? » hurla Mercutio, le souffle court, alors qu'il se redressait pour faire face à la marée de violence qui les entourait.

Tybalt se releva, sa fureur intacte, la douleur d'un coup à la tête ne faisant qu'attiser la flamme de sa rage. Il savait que cette bataille n'était que le début d'un conflit qui dépasserait les limites de leur haine, et alors que les coups pleuvaient autour de lui, il était prêt à tout pour défendre l'honneur des Capulet.

« Gens de Vérone ! »

Tous se stoppèrent net, les yeux écarquillés, haletants, transpirant d'effort et de peur. Les Capulet comme les Montaigu semblaient paralysés, mortifiés par la voix rauque du Prince, chargée de mépris et de colère. Le sang avait déjà parsemé les pavés de la rue, et deux corps sans vie, abandonnés, gisaient dans l'ombre, témoins silencieux de la brutalité du conflit.

« Je vous préviens ! Non. Je vous ordonne de cesser ces querelles qui m'empoisonnent et vous tueront ! La paix seule vaut la peine qu'on se batte pour elle ! Vous, Montaigu ! Et vous, Capulet ! Si vous troublez encore nos rues, vous payerez de vos vies pour avoir gâché la mienne. Je vous le dis une dernière fois… Ne comptez plus sur mon pardon. Tybalt ! Et toi, Mercutio ! »

Les deux hommes se retournèrent vers le Prince, qui se tenait sur l'un des remparts de la ville, les surplombant de toute sa hauteur. Son visage était un masque de colère, un orage sur le point d'éclater. Il les fixait avec une autorité qui glaça le sang de Tybalt, rendant son cœur lourd et sa respiration difficile. Sa chevelure noire de geais, nouée en un catogan serré, accentuait la dureté de ses traits, bien plus sévères encore que ceux du Comte Capulet.

« Ne comptez plus sur mon pardon, » répétait le Prince, sa voix résonnant comme un coup de tonnerre.

À ces mots, les deux jeunes gens échangèrent un regard de défi. Dans un accès de rage, Tybalt essuya son nez ensanglanté d'un revers de manche, sentant la chaleur de son propre sang couler, brûlant comme la colère qui montait en lui. Il se détourna, prêt à quitter ce lieu maudit, chaque pas résonnant comme un battement de tambour de guerre dans son cœur.

Antonia, inquiète et désespérée, tenta de l'aider. Elle s'approcha pour essuyer le sang qui ruisselait sur son visage et s'encrait dans sa barbe naissante, une lueur de compassion dans les yeux. Mais Tybalt, submergé par la colère, la repoussa avec une violence inouïe. Elle tomba au sol, la surprise et la douleur mêlées sur son visage.

La jeune femme resta alors bouche bée, contemplant pour la première fois la haine dans les yeux du jeune Capulet. C'était comme si un voile s'était levé, révélant un homme qui, sous les couches de fureur, était déchiré par un conflit intérieur. La haine, non seulement pour les Montaigu, mais aussi pour lui-même, pour la position dans laquelle il se trouvait. Ce n'était pas seulement une bataille pour l'honneur ; c'était une guerre pour son âme.

Les cris de la foule, les échos de la violence qui régnait autour d'eux, s'estompaient peu à peu, laissant place à un silence lourd. Tybalt sentit son cœur battre plus fort, une pulsation de rage. Chaque battement résonnait comme un rappel de sa propre impuissance. Il ne pouvait pas laisser cela se terminer ainsi.

Soudain, une nouvelle explosion de violence jaillit, et Tybalt, fou de colère, se tourna. Il serra les poings, prêt à se jeter de nouveau dans la mêlée. Il avait besoin de frapper, besoin de libérer cette rage qui bouillonnait en lui. Son regard rencontra celui de Mercutio, qui se relevait difficilement, les yeux brillants d'une détermination sauvage.

« Tu penses que cela se terminera ainsi ? » lança Mercutio, un sourire tordu aux lèvres.

Tybalt, emporté par la vague de colère, se rua sur lui, chaque coup qu'il portait était alimenté par des années de rancœur, chaque coup de poing un cri de guerre contre un destin qu'il haïssait. Il se battait pour sa vie, pour son honneur, mais surtout, pour la passion qui l'animait, une passion qui se mêlait à la haine, un feu qui ne pouvait être éteint.

La chaleur oppressante enveloppait peu à peu Vérone, et avec elle, les esprits brouillés engendraient des promesses de vengeance et de douleur. Les cris des combattants résonnaient dans les rues pavées, des échos de vie et de mort, tandis que Tybalt, dans un ultime effort, se jeta à corps perdu dans ce tourbillon de violence, aveuglé par sa rage.

oOo

Il était assis à la même place qu'hier, les branchages du saule le protégeant de la chaleur du soleil. Son regard errait sur l'horizon, vide et désabusé. Un mouchoir imbibé de sang était collé à son nez, la douleur vive d'un souvenir récent. Mercutio, ce salopard, avait su frapper là où cela faisait mal, et chaque image de la scène à laquelle il venait d'échapper s'imprimait dans son esprit comme une litanie douloureuse. Les soldats du Prince étaient intervenus comme des spectres vengeurs, séparant les belligérants avec une brutalité qu'il avait rarement connue, ordonnant à chacun de regagner ses demeures et d'y rester jusqu'à nouvel ordre.

« Tybalt ? »

Son nom, murmuré comme une incantation, fit vibrer quelque chose en lui. Son regard hazel se tourna vers elle, et il sentit sa gorge se serrer légèrement, tandis qu'elle s'avançait dans son champ de vision. Ses cheveux blonds, tels des rayons de miel, descendaient en cascade sur ses épaules, tranchant avec la robe carmin qui dansait autour d'elle comme une flamme. Elle semblait irréelle, au point qu'il crut un instant que le coup à la tête qu'il avait reçu était plus fort qu'il ne l'avait imaginé, le plongeant dans un rêve éveillé.

« Viens-tu me hanter jusqu'ici, ma fleur ?

- Te hanter ? »

L'incompréhension dans ses prunelles azurées mêlait inquiétude et curiosité. Elle n'était en rien un mirage. Tybalt secoua la tête, dissipant les chimères qui l'entouraient, avant de murmurer d'une voix rauque, brisée par ses pensées tumultueuses :

« Laisse, des paroles dans le vent. Qu'est-ce que tu veux ? »

Elle s'avança doucement vers lui, s'asseyant dans l'herbe à ses côtés. Le silence, habituellement apaisant, devint soudain un poids sur ses épaules, une angoisse sourde qui s'immisçait entre eux comme un froid hivernal. Leurs regards se croisèrent, et Tybalt se sentit vulnérable, exposé.

« Je voulais simplement te demander, pourquoi vous vous êtes battus ce matin ? »

Sa voix était un murmure de soie, mais dans son timbre, il décelait une distance, une froideur qui lui était insupportable. Elle n'était plus la Juliette qu'il avait toujours connue, celle qui éclairait son monde d'un sourire. La main de Tybalt se referma douloureusement sur le mouchoir ensanglanté qu'il tenait, ses yeux se durcissant, tandis qu'il la contemplait.

« Ces idiots de Montaigu m'ont… Ils ont piétiné nos terres ! Ces rats infâmes… »

Les mots s'échappèrent de sa bouche avec une rancœur sourde, chaque syllabe emplie d'une colère qui bouillonnait en lui, prête à exploser.

« … Je ne comprends votre haine… Ta haine… envers cette famille. »

Elle ne détournait pas le regard, son visage empreint d'une gravité inattendue. Ses paroles, à la fois douces et tranchantes, le transpercèrent, ravivant le brasier de son ire. L'amour qui habitait son cœur, telle une lueur fragile, luttait désespérément contre les ombres qui assaillaient son âme. Dans cet instant, la passion et la haine dansaient une danse macabre, et Tybalt, pris au piège de ces sentiments contraires, se sentait inexorablement tiraillé entre deux mondes.

« Juliette, tu ne comprends pas… » murmura-t-il, sa voix résonnant tel un doux mélange entre désespoir et frustration, alors qu'il se perdait dans l'intensité de son regard, cherchant une lueur d'espoir, une brèche où pourrait s'immiscer la lumière de leur amour.

« Ce sont des nuisibles, Juliette, des nuisibles qu'il faut exterminer ! »

Cette fois, elle détournait ses yeux embrasés de rage pour se concentrer sur la fleur fanée qu'elle tenait entre ses doigts : le coquelicot qu'il lui avait offert la veille. Si fragile… Si éphémère… Dans un murmure chargé de mélancolie, elle asséna :

« Tandis que vous rêvez de tuer, moi… je rêve d'aimer. »

Sa voix douce et rêveuse apaisa son cœur tumultueux, dissipant la tempête qui s'y était levée. Les épaules de Tybalt s'affaissèrent sous le poids de ses émotions, et son regard se perdit dans l'infini, comme s'il cherchait une échappatoire. Juliette, attentive à son malaise, abandonna sa fleur pour s'agenouiller à ses côtés. Elle prit le mouchoir imbibé de sang de sa main, l'examina un instant avec une délicatesse presque maternelle, avant de le laisser tomber sur le sol, puis de tirer un autre mouchoir de son corset. Le sien.

Avec une tendresse infinie, elle s'approcha, effleurant doucement le nez de Tybalt, rougi par le coup et assurément douloureux. Ses gestes étaient empreints de douceur, et elle tenta d'essuyer les derniers vestiges de sang séché avec une délicatesse qui faisait fondre l'ardeur de sa colère. Quelques instants s'écoulèrent dans ce silence apaisant, avant que Tybalt ne rompe lui-même le charme qui s'était installé entre eux.

« Juliette… Pourquoi es-tu si pressée d'aimer ? »

Elle ne le regardait pas, concentrée sur son œuvre d'auscultation, cherchant à découvrir l'ampleur des dégâts. Bien qu'elle n'ait aucune connaissance en médecine, Tybalt laissa faire, trop heureux de bénéficier d'un tel soin.

« J'aimerais trouver l'homme qui me dira ces mots que j'attends. Qui me fera découvrir les délices de l'amour. Qui fera briller mon cœur de mille feux, peu importe le prix de mon bonheur. Je veux cet amour… Je veux le vivre dans ses bras. »

Tybalt contracta la mâchoire, non pas à cause de la douleur de son nez, pour laquelle elle s'excusa immédiatement, mais en raison de celle plus sourde qui rongeait son cœur. Il se surprit à penser que si Mercutio lui avait arraché le cœur à mains nues plus tôt dans la matinée, la douleur eût été moins lancinante. Pourtant, il tenta de canaliser cette colère dans les mots qui suivirent :

« Ma fleur, tout n'est pas comme dans un livre. »

Juliette, s'étant levée pour mouiller son mouchoir dans la petite vasque pour les oiseaux, revenait doucement, son visage concentré, nettoyant les résidus de sang qui souillaient encore le visage de son cousin. Dans cet acte de soin, elle semblait incarner la douceur et la compassion.

« Promets-moi quelque chose, Juliette. »

Les mots étaient lourds de promesses inavouées, tissant un fil fragile entre leur destin et leurs désirs. Tybalt, pris dans le tourbillon de ses propres émotions, savait que cet instant, aussi éphémère soit-il, était chargé d'une signification qu'il ne pouvait ignorer.

Elle s'arrêta dans son travail minutieux et planta son regard pur dans celui de son cousin. L'inquiétude y régnait, car elle savait que jamais, au grand jamais, Tybalt ne lui avait demandé de lui faire une promesse.

« Promets-moi que tu ne laisseras jamais un homme définir ta valeur, Juliette. Qu'aucun amour ne te fera perdre de vue qui tu es vraiment. »

Juliette, surprise, dévisagea son cousin, son cœur se serrant face à la gravité de sa demande. « Pourquoi cette demande si soudaine, Tybalt ? »

« Parce que je vois tant de femmes se perdre dans l'amour, abandonnant leur essence pour plaire à ceux qui ne le méritent pas. Je ne veux pas que tu deviennes une ombre de toi-même. »

Un frisson d'émotion traversa Juliette. Elle abandonna son mouchoir et caressa la joue de Tybalt, sa main douce apportant une chaleur qu'il n'avait jamais ressentie auparavant.

« Si je te promets cela, alors tu devras me promettre quelque chose aussi, Tybalt. Malgré toute la haine que tu peux ressentir, ne prends jamais de risque inconsidéré. Promets-moi de toujours faire attention à ta vie. L'idée de te perdre m'est insupportable. »

Il esquissa un doux sourire, le cœur serré par la profondeur de ses mots.

« Je te le promets, ma fleur.

- Alors je tiendrai ma promesse aussi. »

La jeune femme rapprocha son visage du sien, si proche qu'il put sentir son souffle léger sur ses lèvres. Leurs yeux se croisèrent, et le temps sembla suspendre son vol. Il ne restait qu'un pas à franchir pour effleurer ses lèvres…

… La porte du jardin claqua dans un bruit sourd, et une femme aux cheveux si roux qu'ils semblaient presque rouges apparut, un bouquet de roses pâles dans les bras. Ne percevant rien de la tension palpable entre les deux jeunes gens, elle se contenta de signer quelques mots à Juliette, qui devint soudain livide.

Sans un mot de plus envers son cousin, Juliette prit les fleurs des bras de la Muette et quitta les jardins, suivie de près par la rouquine.

Perdu, Tybalt resta un instant seul dans les jardins, avant de reposer son regard sur les mouchoirs tâchés de sang. Les glissant tous deux dans sa ceinture, il se mit à courir en direction des escaliers, avant de prendre la direction de la salle de réception où se tenaient d'ordinaire les sources de commérages. À peine eut-il mis un pied dans la pièce qu'il aperçut le Comte et la Comtesse en conversation avec un homme habillé d'or et d'argent, dont l'apparence angélique et le teint hâlé marquaient un charme du sud.

Ce fut en apercevant le visage rusé de Julian, adossé contre un mur, que Tybalt sut qu'il pourrait enfin obtenir des explications. S'approchant d'un pas rapide, il remarqua le sourire moqueur qui s'esquissait déjà sur les lèvres de son ami, ses yeux d'un vert perçant trahissant une mélancolie et une frustration latentes.

« Voici le fameux Pâris, mon ami. » Julian se faisait enjouer, mais sa voix résonnait avec une note d'ironie.

« Monsieur Capulet, loin de moi l'idée de vous offenser, mais permettez-moi de vous rappeler que je suis l'un des meilleurs partis du royaume pour votre fille.

- Je le sais, mon cher Pâris. »

Tybalt ne put s'empêcher de noter l'arrogance de cet homme, un sourire cordial masquant son autorité. Le jeune homme, d'un geste presque théâtral, passa un bras autour des épaules du Comte.

« J'adore Juliette, elle est si douce, si pure. Je la rendrai heureuse ! Elle adorera la Sicile, j'en suis certain.

- Vous l'adorez tant que vous n'avez même pas daigné vous présenter à son anniversaire. »

Tybalt, les sourcils froncés, retourna son attention sur Julian, qui observait Pâris avec le même regard amer que le sien.

« Cela fait déjà cinq minutes qu'il présente des avances à Juliette. Il souhaite que le Comte lui accorde sa main dans les plus brefs délais. D'après ce que j'ai compris, il espère repartir avec elle en Sicile d'ici la fin de la semaine. »

Le cœur de Tybalt rata un battement en reportant son regard sur le jeune Prince, riant de bon cœur avec Madame Capulet, tandis que le Comte les observait avec une dureté glaçante.

« Il ne connaît pas mon oncle…

- J'ai pensé la même chose que toi. Je ne crois pas qu'il lui cédera Juliette aussi facilement.

- Elle vient d'avoir seize ans… Il doit en avoir une trentaine.

- … Bien sûr que si, il va accepter ! Elle est en âge de se marier, et Pâris promet une montagne d'or. »

L'intervention d'Antonia fut la goutte de trop dans l'esprit déjà enflammé de Tybalt. Sentant la colère déferler en lui comme une marée, il quitta son observatoire et s'avança jusqu'au Prince. Mais avant qu'il ne puisse exprimer son indignation, le Comte l'intercepta, sa voix pleine de reproches.

« Tybalt, il suffit ! Tu as été assez remarqué ce matin, il me semble. Pourquoi es-tu toujours ici, à rôder et à épier tout ce qui se passe ? Tu t'ennuies, Tybalt, et tu m'ennuies ! Va donc chercher ta cousine et sa mère. Demain soir, il y aura bal ! Pour fêter l'arrivée de notre invité, Pâris ! »

Le blond se détourna, lançant un regard courroucé en direction de ce Pâris. Avec une rage sourde, il prit la porte avant de se diriger vers les escaliers, grimpant les marches, chaque pas résonnant comme un coup de tonnerre dans son esprit. Il se sentait si vide, si seul. Juliette était sa seule source de lumière, l'ange qui veillait sur lui, la fine limite entre sa vie actuelle et la folie. C'était uniquement lorsque son regard croisait le sien qu'il sentait la haine se dissiper, s'évanouir dans l'air. Il n'avait rien d'autre à défendre que ce nom et cette femme à aimer. Ce petit être aux cheveux blonds était son ancre, sa bouée de sauvetage dans les eaux tumultueuses du désespoir. Mais alors qu'il pensait à cet idiot de Pâris, qui désirait l'emmener loin de lui, il se sentit brisé. Anéanti. Si elle partait, il savait qu'il en mourrait.

Arrivant devant la porte, il entendit les éclats de voix de sa tante. Il n'osa frapper, se contentant de reculer d'un pas et de coller son dos au mur, espérant ne pas être aperçu. Curieux, il tendit l'oreille pour saisir ce qui se passait à l'intérieur.

« Juliette ! » s'écria sa tante, la voix empreinte d'autorité.

« Mère, je n'épouserai pas cet homme ! » rétorqua Juliette, sa détermination vibrante dans l'air.

« Tu épouseras qui ton père te dira ! » insista la Comtesse, son ton impérieux résonnant.

« Mais pourquoi me mettre dans le lit de ce sot bouffit d'orgueil !? » s'écria Juliette, la voix brisée par une colère soudaine. Pour la première fois, Tybalt entendit sa cousine crier, un sanglot emprisonnant l'air, et il ressentit un profond désir d'entrer pour la protéger de tous ces idiots qui voulaient lui faire tant de mal. Elle était en détresse, son monde d'insouciance se brisant, et il ne pouvait rien y changer.

« Ma Juliette, les femmes font toujours ce que les hommes disent. C'est ainsi. » La voix de la Comtesse était ferme, mais une nuance de tristesse s'y glissait.

« Et que dois-je faire ? Obéir !? » répondit Juliette, la révolte palpable dans sa voix.

« Oui ! » fit sa tante, sans hésiter.

« Et toi, tu l'as fait !? » rétorqua Juliette, le ton désespéré.

« … Oui. » La voix de sa tante se brisa légèrement, laissant transparaître une émotion inattendue qui surprit le blond. Même la Comtesse, aussi fière et insensible qu'elle puisse paraître, avait ses faiblesses.

« Ton père ne m'aime plus, m'a-t-il seulement aimé un jour ? Il m'a mariée pour me voir nue. J'étais belle comme tout, oui, aussi radieuse que toi. Et mon père m'a vendue, troquant ma vie contre un blason prestigieux, comme un simple objet. J'ai pleuré des torrents de larmes, puis j'ai pris des amants, cherchant dans leurs bras la chaleur que mon mari ne m'apportait plus. J'ai menti, j'ai triché. Puis tu es née, Juliette, douce lueur de mon existence. Mon amour. Tu dois te marier, tu dois l'épouser. Juliette… C'est le sort des femmes, que de vivre dans une vallée de larmes. Le jour est venu où un homme te verra nue. »

Il sentit ses poings se serrer, comme si la colère enflait en lui, tandis qu'un nouveau sanglot de la jeune fille parvenait à ses oreilles, aigu et déchirant. Comment pouvait-elle lui parler ainsi ? Comment pouvait-elle sacrifier sa seule et unique enfant sur l'autel des convenances ? Les mots, à la fois cruels et douloureux, le rongeaient de l'intérieur, le plongeant dans une mélancolie amère. La simple pensée d'imaginer sa tendre Juliette, dans les bras d'un autre, nue et vulnérable, l'emplissait d'une haine brûlante, telle une flamme vorace dévorant son âme.

« Juliette, ton enfance est morte ; le jour est venu où tu dois t'envoler du nid. Ces yeux de saphir, ces prunelles qui scrutent et jugent, ces regards perçants qui peuvent transpercer l'âme, j'ai connu ce même éclat, mon amour, ce même dégoût. Les hommes, hélas, ne sont que des barbares, désireux de nous voir à genoux. Je t'en supplie, mon amour, dis-moi que tu acquiesces. C'est le sort des femmes, une destinée à laquelle il faut se soumettre. Tu l'épouseras, comme j'ai été contrainte d'épouser ton père. »

La porte s'ouvrit dans un fracas inattendu, et Madame Capulet quitta la chambre de sa fille, l'esprit occupé, sans même apercevoir son neveu, dissimulé dans l'ombre. Tybalt, quant à lui, demeura immobile, bercé par de nouveaux éclats de voix, cette fois provenant de la Nourrice :

« Juliette, tu confonds tout ! L'amour n'est pas synonyme de mariage, et le mariage ne garantit pas l'amour !

- Mais moi, je veux les deux !

- Tu es une enfant gâtée, Juliette ! Ce Pâris est l'homme qu'il te faut, et tu l'épouseras ! »

La porte de service claqua dans un fracas révélateur, et Tybalt comprit, à l'écho des sanglots de la jeune femme, qu'elle était enfin seule. Avec douceur, il toqua à la porte de la chambre, entrant sans même attendre une invitation, avant de refermer le lourd panneau de bois derrière lui. La pièce était plus spacieuse que la sienne, ornée d'un balcon majestueux et d'une coiffeuse à proximité. Au centre, un immense lit à baldaquin, sculpté dans un bois rougeâtre, tranchait avec la blancheur éclatante des rideaux et des draps.

Doucement, le blond s'avança dans la pièce et découvrit la jeune femme, assise sur son lit, repliée sur elle-même, sanglotant à s'en étouffer. À la vue de ce spectacle déchirant, Tybalt sentit un étau serrer sa poitrine, la douleur irradiante engourdissant chacun de ses membres, de ses muscles, de ses veines.

« Juliette…

- … Pourquoi n'ai-je pas le droit d'aimer mon futur époux, Tybalt ! ? »

Le silence qui s'ensuivit fut la seule réponse au désespoir de sa cousine, un silence si lourd de sens qu'il brisa un peu plus le cœur des deux adolescents. Que pouvait-il faire ? Que pouvait-il changer ? Leurs destins étaient scellés. Elle épouserait Pâris, et lui, dans l'ombre de Vérone, mourrait de désespoir.

« J'aimerais trouver un homme qui m'aime pour ce que je suis, pour ce que je lui apporte. Je voudrais un homme comme toi, Tybalt. »

Ces mots résonnèrent comme une révélation, peut-être l'élément déclencheur qu'il attendait depuis qu'il avait franchi le seuil de cette chambre. Sans réfléchir, il s'approcha d'elle et s'assit sur le lit, attirant l'enfant fragile contre lui. D'un geste protecteur, il plaqua une main sur sa tête tandis que l'autre parcourait son dos secoué de sanglots. Avec force, il l'enserra contre lui, puis, dans un mouvement fluide, les fit passer d'assis à allongés. Les pleurs redoublèrent, mais il l'accueillit, fermant douloureusement les yeux tandis qu'elle pleurait sur son torse, ses cheveux glissants entre ses doigts.

Durant de longues minutes, il chercha ses mots, des paroles réconfortantes pour apaiser une douleur qu'il partageait. Mais rien ne vint, seulement des phrases banales qu'ils se maudissaient d'oser prononcer :

« La vie est difficile, Juliette. Elle n'est pas parfaite, loin de là. Souvent, nous ne pouvons pas faire ce que nous désirons, ni aimer… qui nous plaît. »

Les sanglots s'intensifièrent, et bientôt, la voix brisée de Juliette résonna tel un cri de désespoir :

« Ô Tybalt ! Je voudrais tant partir d'ici, loin de cette haine. Partons, tous deux, loin de Vérone, loin d'ici ! »

Sans pouvoir se contrôler, Tybalt se crispa, sentant ses doigts resserrer leur étreinte sur le corps frêle de Juliette. D'une voix tremblante, il murmura :

« Je t'en prie, cesse de parler. »

Il se redressa, faisant un geste qu'il espérait tendre, mais qui trahissait une douleur intérieure. Sa gorge était sèche, et il sentait son sang se glacer dans ses veines. Il perdait le contrôle, une certitude lancinante. Son corps tout entier la réclamait, son sang pulsait avec une telle intensité qu'il en était consumé par un désir ardent. Dans un ultime effort pour se contenir, il embrassa son front, avant de se détourner d'elle, de manière plus froide qu'il ne l'aurait voulu, prenant le chemin de la porte. Mais la jeune femme le retint, sa main délicate s'enlaçant autour de son poignet.

D'abord surpris, Tybalt se retourna vers elle. Son regard était rougi par les larmes, et ses lèvres tremblaient. Elle s'approcha, ses yeux brillant de désespoir, et il perdit pied. Avec tendresse, il prit son visage entre ses mains calleuses, et sans attendre, il déposa ses lèvres sur les siennes, en un baiser délicat. À peine leurs lèvres se touchèrent-elles qu'il sentît toute sa haine et tout son désespoir s'évaporer, ne laissant place qu'à un amour ravageur, destructeur, dévorant tout sur son passage.

Lorsque les mains de la jeune femme se posèrent sur son torse, il se sépara d'elle, comme si ce simple contact venait de le brûler avec violence. Évitant de croiser son regard, se refusant à prononcer le moindre mot. Une panique sourde emplissant sa poitrine alors qu'il l'abandonnait, le cœur lourd de regrets.

Qu'avait-il fait ?


Alors, qu'en avez-vous pensez ? Que va-t-il se passer pour notre Tybalt ?

Une review, c'est provoquer le sourire sur les lèvres de l'auteur :)