C'était censé être un chapitre court.
Ha, ha, ha.
Bonne lecture !
Peter attendait que les foudres paternelles s'abattent sur lui. Il se préparait mentalement aux reproches, aux critiques, peut-être même aux cris — mais certainement pas à ce que son père dise d'une voix douce :
— Viens t'asseoir à côté de moi.
Il en fut si abasourdi qu'il ne réagit pas. Voyant sa confusion, Tony ajouta calmement :
— S'il te plaît, Peter.
Déstabilisé, l'adolescent s'exécuta. Le trajet jusqu'à son lit parut durer une éternité, il avait l'impression que la distance entre Tony et lui ne s'amenuiserait jamais, comme si les murs de sa chambre s'allongeaient au fil des secondes.
Ah oui, l'ecstasy. Enfin, les pilules de Harry. Distorsion de la réalité, c'est l'un des effets secondaires.
Merde.
Lorsqu'il fut enfin arrivé à destination, il s'assit à côté de son père et ramena ses genoux contre sa poitrine, adoptant instinctivement une posture défensive.
Son père l'observa un long moment sans rien dire puis, très doucement, approcha la main de son visage et repoussa une boucle qui retombait devant ses yeux. Peter détourna le regard, ne sachant que faire de la boule de honte et de colère qui gonflait dans sa gorge. Il voulait presque que son père lui crie dessus, lui dise qu'il était déçu, voire le mette à la porte ; ainsi, les choses seraient enfin claires et nettes, et il cesserait définitivement d'avoir la sensation permanente d'être un échec ambulant au sein de la parfaite famille Stark.
Mais à son grand désarroi, ce ne fut pas la stratégie de son père.
— Tu peux me regarder ?
Tony exécuta une pression légère sur son menton, le forçant à redresser le visage. Lorsque son regard croisa le sien, il poursuivit, sans se départir de son calme :
— Voilà ce qu'on va faire : je vais te poser des questions, tu vas me répondre en me disant la vérité. Simple, efficace. Pas d'histoires ni de mensonges, c'est tout ce que je te demande. Okay ?
— Okay, marmonna Peter.
— Promis ?
Le coeur de Peter se serra.
— Promis.
— Très bien.
Tony prit une grande inspiration, comme s'il s'apprêtait à sauter d'un plongeoir de dix mètres de haut.
— Première question. Est-ce que tu es actuellement dans ton état normal ?
Premier coup au coeur. Peter se recroquevilla un peu plus sur lui-même.
— Je… euh, eh bien…
— Okay, je vais formuler ça autrement. Est-ce que tu as pris quelque chose qui n'était ni de la nourriture, ni de l'eau ?
Rougissant jusqu'à la pointe des oreilles, Peter hocha la tête. Le visage de Tony resta impassible, mais Peter l'entendit déglutir.
— Okay. Je me disais bien que tes yeux n'étaient pas aussi écarquillés, ce matin. Est-ce que tu peux me dire ce que c'était ?
— Des, euh, des cachets. Je ne sais pas exactement ce qu'il y avait dedans, c'était des sortes d'antidouleurs améliorés.
Peter guettait la colère, la déception, le dégoût, mais il n'y eut rien de tout cela dans le regard de son père — rien, hormis une pointe d'inquiétude rapidement balayée par un pragmatisme de circonstance.
— D'accord, merci pour ta réponse. Je vais devoir appeler Bruce, tu le sais, n'est-ce pas ?
Deuxième coup au coeur. Peter protesta :
— Q-quoi ? Non, c'est pas la peine, je vais bien, je n'ai pas besoin d'un médecin !
— Ce n'est pas à toi d'en décider. Mais je peux te laisser le choix : soit je l'appelle maintenant et nous reprendrons notre conversation lorsque tu seras de nouveau en pleine possession de tes facultés mentales, soit nous finissons de parler et ensuite, je l'appelle.
— Je ne veux pas… je… Tony, s'il te plaît…
— Peter, je t'en prie. Tu ne peux pas te voir. Moi, si.
Peter sentit des larmes de honte et d'humiliation brûler ses paupières.
— Après, murmura-t-il. Appelle Bruce après.
Tony hocha la tête.
— Merci. Deuxième question : est-ce que c'était la première fois que tu voyais Harry Osborn en cachette ?
Peter hésita. Il avait promis à son père de ne pas mentir, mais devait-il pour autant lui dévoiler toute la vérité ?
— C'était la première fois que je retournais chez lui, admit-il au bout d'un long moment.
Quelque chose changea sur le visage de son père. Peter réalisa — trop tard — qu'il en avait trop dit.
— T-tu… tu étais chez lui ?
Pour la première fois, le masque de Tony se fissura, dévoilant brièvement une tornade d'émotions que l'adolescent n'eut pas le temps d'identifier — tout juste put-il discerner une pointe de colère et d'anxiété.
— Okay, Peter. Ce que je vais te demander maintenant est très important, et j'ai besoin que tu sois totalement honnête avec moi. Les cachets dont tu m'as parlés, c'est Harry qui te les a donnés, n'est-ce pas ?
— Oui, enfin non, enfin je veux dire, ce n'était pas grand-chose ! J-juste, euh, des sortes de médicaments contre la douleur. Non homologués. Fabriqués artisanalement. Bon, okay, c'est louche dit comme ça, mais ça va, c'était pas non plus de la méthamphétamine !
Son père secoua la tête :
— Ce n'est pas ça, le problème. Peter, est-ce qu'il a profité du fait que tu ne sois pas dans ton état normal pour… se rapprocher de toi ?
Troisième coup au coeur.
— Non ! Non, répondit vivement Peter en rougissant de plus belle. Je sais à quoi tu penses, mais non, il n'a rien tenté. Il m'a juste… embrassé… oh mon Dieu, est-ce que je suis vraiment obligé de parler de ça avec toi ?
— Dans la mesure où tu m'as menti, désobéis et que tu as pris de la drogue, je pense que oui.
Peter se mordit l'intérieur des joues.
Okay, son père n'était pas aussi zen qu'il voulait le faire croire.
— Harry ne m'a rien fait, répéta-t-il. Rien du tout.
— D'accord, dit son père, et il laissa échapper un soupir de soulagement. D'accord. Très bien.
Il ferma brièvement les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, le Tony imperturbable de tout à l'heure était de retour :
— Dernière question. Réfléchis bien avant de me répondre.
L'adolescent hocha la tête, grattant nerveusement la petite plaie qu'il s'était infligée à la base du poignet.
— Si je t'interdisais de revoir Harry, est-ce que tu m'obéirais ?
Ultime coup au coeur.
Son ongle dérapa et une goutte de sang perla sur sa peau. Il s'empressa de rabattre la manche de son pull pour que son père ne remarque rien, mais toute l'attention de celui-ci était fixée sur son visage.
— Je… eh bien, je, euh… commença Peter, mais sous le poids du regard de son père, les mensonges s'évanouirent sur ses lèvres.
Il détourna les yeux :
— Je ne sais pas.
— C'est bien ce que je pensais, soupira Tony. Nous sommes donc dans une impasse.
Déception. Tu n'es qu'une déception, disait son regard — du moins, Peter en était persuadé. Qu'aurait-il pu penser d'autre ? Il savait bien qu'il aurait mille fois préféré le voir avec une fille comme MJ, ou comme Gwen. Certainement pas avec Harry Osborn.
Une interrogation, en particulier, broyait son coeur.
— Tu le détestes parce que c'est un garçon ?
Les traits de son père exprimèrent une telle surprise qu'un bref instant, il n'y eut plus aucune place pour le reproche.
— Que… quoi ? Tu penses que c'est pour ça que je désapprouve votre relation ? Peter, tu… tu peux être avec qui tu veux. Je sais qu'on en a jamais vraiment parlé, mais que ce soit un garçon ou une fille, ce n'est pas ça qui est important. Ce que je souhaite, c'est que tu sois avec une personne digne de confiance, généreuse, honnête et qui, surtout, ne te fera jamais, jamais, jamais de mal.
— Harry ne me fera jamais de mal, dit aussitôt Peter. Tu ne le connais pas, tu es comme MJ, tu le juges sur son nom, sans chercher à voir la personne qu'il est au-delà ! Il est incroyable, il connaît des dizaines et des dizaines de formules chimiques, il peut fabriquer des tonnes de trucs, il veut faire le bien, comme un super-héros ! Sauf que lui, il ne veut pas porter de masque, il veut tout assumer sous son vrai visage, et son vrai nom. Et puis il…
Tony leva la main pour l'interrompre.
— Merci, Peter, j'ai compris.
Peter se tut, gêné de s'être laissé emporter. Son père reprit :
— Je ne suis toujours pas convaincu que Harry soit une bonne personne pour toi, mais je dois admettre que tu as raison sur un point : je ne le connais pas. Tout ce que je sais de lui, c'est qu'il te pousse à avoir un comportement au mieux imprudent, au pire complètement inconscient. Contrairement à ce que vous avez l'air de penser, tous les deux, vous êtes encore des enfants. Boire, fumer, prendre des drogues synthétisées en laboratoire, ça ne fait pas de vous des adultes, ni même des ados cools. La seule chose que ça démontre, c'est que vous êtes beaucoup moins matures que vous ne le croyez.
Peter fixa son regard sur ses mains, honteux.
— Je suis désolé, marmonna-t-il.
— Être désolé ne suffit pas, Peter. Les choses ne peuvent plus continuer comme ça.
Le coeur de Peter rata un battement.
Etait-ce enfin le moment où il allait le mettre dehors ? Lui dire qu'il était indigne de porter le même nom de famille que lui, sa femme et sa fille ?
Mais une nouvelle fois, son père eut une réaction imprévue :
— Alors voilà le plan. Bon, il est encore à peaufiner, je réfléchirai aux détails quand toi et moi aurons eu le temps de reprendre nos esprits, mais je te donne les grandes lignes : prouve-moi que vous êtes tous les deux dignes de confiance, et je ne chercherai pas à t'empêcher de le fréquenter.
Ces mots furent si inattendus que Peter redressa la menton, plongeant un regard ébahi dans celui, éminemment sérieux, de son père.
— Q-Quoi ?
— Tu m'as bien entendu. Montre-moi que vous êtes suffisamment matures pour avoir la relation de votre choix, ce qui est bien entendu incompatible avec l'alcool, la drogue, les mensonges ou que sais-je encore, et je ne m'opposerai plus à ce que tu le vois. Il pourrait même… venir ici. Après avoir passé les scans de Friday, bien sûr. Et laissé ses affaires dans l'entrée.
— Harry n'est pas un pestiféré, riposta Peter.
— Non, juste un gamin qui se promène avec de l'herbe et des pilules magiques dans ses poches. Tu m'excuseras si je reste sur mes gardes en sa présence.
— Il ne va pas donner de l'herbe à Morgan, si c'est ça qui t'inquiète.
Son père leva de nouveau la main, plus fermement que la fois précédente.
— Je ne crois pas que tu sois en mesure de négocier, Peter. Je te laisse une chance, tu es censé la saisir, pas chipoter sur les détails. Oh, et bien sûr, en attendant que je te redonne ma pleine et entière confiance, pas de Spider-Man. Pas tant que je n'aurai pas retouché quelques-uns des protocoles de Karen, en tout cas.
— Mais… je…
L'expression de Tony se fit plus sévère. Peter sentit qu'il avait atteint les limites de la capacité de compréhension de son père, et il se retint de griffer à nouveau sa plaie pour évacuer sa frustration.
— Okay, marmonna-t-il en détournant les yeux.
— Merci.
Les épaules de son père se relâchèrent imperceptiblement et il ajouta, d'un ton presque soulagé :
— Je suppose que notre conversation est terminée pour le moment. Je vais contacter Bruce.
— Okay, répéta Peter.
Son père pressa légèrement son avant-bras, dans un geste d'affection auquel Peter ne sut répondre. Il était désorienté, furieux, embarrassé et, surtout, hautement perturbé. La conversation n'avait pas été celle qu'il redoutait, mais pas non plus celle qu'il espérait.
Et alors que Tony téléphonait à Bruce, la même question tournait en boucle dans son esprit : serait-ce désormais toujours ainsi ? Cette incompréhension mutuelle guiderait-elle le reste de leur existence ?
⁂
Si Peter avait espéré de la compassion de la part de Bruce, il en fut pour ses frais.
Le scientifique ne lui fit pas directement de reproches, mais il ne fit pas preuve de cette sollicitude qu'il lui témoignait d'ordinaire lorsqu'il se retrouvait contraint de l'examiner. Ses traits restèrent sévères, presque distants, et il lui confirma que son père avait bien fait de l'appeler.
— On ne sait pas comment ces substances interagissent avec ton organisme, expliqua-t-il doctement en observant ses pupilles à l'aide d'une petite loupe. Leur vitesse d'absorption est décuplée, ce qui peut te rendre à la fois plus sensible à leurs propriétés hallucinogènes et plus enclin aux effets secondaires. Comment te sens-tu ?
— Ça va, répondit Peter, gêné.
Bruce observa l'intérieur de sa bouche, puis écouta les battements de son coeur.
— Légère tachycardie, marmonna-t-il pour lui-même.
Il réalisa d'autres examens et conclut finalement que Peter était un peu déshydraté, qu'il risquait de souffrir de migraines au cours des prochaines heures, mais que son état était globalement satisfaisant.
— Tu devrais éviter ce genre de choses, à l'avenir, ajouta Bruce en tâtant délicatement son cou, là où se trouvaient ses ganglions lymphatiques. Elles ne peuvent qu'avoir un effet néfaste sur ta santé.
— Ouais, je sais, mais y a vraiment pas de quoi s'inquiéter. Je veux dire, moi aussi, j'ai été traumatisé par Requiem for a dream. Je ne compte pas devenir un junkie.
— C'est normal que nous nous inquiétions pour toi, riposta Bruce d'une voix plus douce. On sait très bien que cette histoire d'Eclipse a été une épreuve, aussi bien pour ceux qui sont restés que pour ceux qui ont disparu. Surtout pour ceux qui ont disparu, quand on y pense. Mais se réfugier dans les psychotropes, surtout quand ils n'ont pas été testés sur un autre échantillon qu'un adolescent de seize ans, ce n'est pas une bonne solution, Peter .
Il ajouta, d'un air soucieux qui fit culpabiliser l'adolescent :
— Tu sais que s'il y a quoi que ce soit, plutôt que de prendre des cachets, tu peux nous parler, pas vrai ? On sera toujours là pour toi. Pour t'aider.
Derrière ses lunettes rectangulaires, ses yeux exprimaient une telle préoccupation qu'un bref instant, Peter fut tenté de lui répondre. Les mots lui brûlaient les lèvres ; rien ne va, ma vie n'est plus la même, mon père ne m'aime plus comme avant, il m'a remplacé par une petite fille qui me déteste, j'ai tout raté, la seule chose de bien qui me soit arrivée, c'est Harry, mais Tony ne l'accepte pas, et il n'y a que lorsque j'ai mal que je me sens apaisé…
Mais il n'avait pas le droit de les prononcer. Il ne voulait pas déranger Bruce, qu'il avait déjà contraint de se déplacer jusqu'à l'appartement des Stark au beau milieu de l'après-midi à cause de sa consommation irréfléchie de cachets ; il aurait été égoïste d'en rajouter.
Alors il hocha la tête et dit, avec un sourire qui lui fit mal aux lèvres :
— C'est gentil, mais tout va bien, Bruce.
— Tu es sûr ? insista le scientifique.
— Absolument certain !
Bruce ne semblait toujours pas convaincu ; face à l'obstination de Peter, il consentit toutefois à hocher la tête :
— D'accord. Dans ce cas-là, je vais te libérer. Et rassurer ton père : quoi que tu aies pris, ça aura rapidement quitté ton organisme, et tu ne devrais pas souffrir de symptômes de sevrage.
— Super, merci Bruce !
— Et n'oublie pas : si tu as besoin de quoi que ce soit…
Mais Peter ne l'écoutait déjà plus, trop pressé de quitter l'atmosphère étouffante du cabinet médical dans lequel l'avait entraîné Bruce — une petite pièce blanche surchauffée, située derrière le laboratoire de Tony, meublée hâtivement par celui-ci pour ce genre de situation.
⁂
Dehors, le temps était toujours pluvieux, le vent cinglait les visages des passants. Peter rajusta son écharpe, regrettant presque la chaleur de son appartement.
Après les évènements du week-end, retourner au lycée était une expérience étrange.
Peter avait hâte de retrouver Harry, mais il redoutait leurs prochaines interactions. Comment lui avouer que son père ne l'appréciait pas et voulait le voir devenir quelqu'un d'autre ? Lorsqu'il pensait à son ami, Peter se représentait l'image d'un adolescent libre, rebelle, fantasque, très loin de l'image sage et lisse dont rêvait son père.
Existait-il un monde, dans l'infinité d'univers possibles et imaginables, dans lequel Harry Osborn trouvait grâce aux yeux de Tony Stark ?
Et au milieu du flot de questionnements et d'émotions provoqués par Harry, il y avait Gwen — encore inconsciente du rapprochement qui s'était opéré entre les deux garçons.
Toutefois, lorsqu'ils se retrouvèrent devant leurs casiers, elle ne manqua pas de remarquer que quelque chose le troublait — surtout après qu'il ait passé cinq bonnes minutes à essayer de forcer la mauvaise serrure.
— Euh… ton casier est à côté, Pete.
— Ah, euh, oh, oui, merci !
— Tu as l'air ailleurs, ajouta-t-elle en le scrutant d'un air soupçonneux. Tu ne me fais pas la tête, hein ?
— Non, bien sûr que non, répondit aussitôt Peter. Pas du tout, désolé. Ça a juste été un week-end, euh, mouvementé.
— Tu veux parler de votre rendez-vous au café avec Harry ?
Peter sentit son visage s'empourprer.
— Euh, eh bien, euh… c'est que, euh…
La jeune fille plissa les paupières.
— J'ai l'impression que vous me cachez quelque chose, tous les deux. J'ai croisé Harry ce matin, lui aussi était bizarre.
— Ah… ah ? Bizarre comment ?
— Bizarre comme toi. Comme si vous étiez sur une autre planète.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, mentit Peter.
Un léger sourire s'esquissa sur le visage de Gwen. En dépit de son intonation suspicieuse, elle semblait de plus en plus amusée :
— Vénus, par exemple. Tu sais, la planète de la paix, de l'harmonie… de l'amooouur, acheva-t-elle d'une voix exagérément traînante.
— Je ne vois toujours pas de quoi tu parles.
— Avec des cascades de grenadine et des petits angelots qui tirent des flèches en forme de coeur dans les fesses de ceux qui y posent les pieds…
— Au fait, tu as révisé pour le contrôle d'espagnol ?
Le sourire de Gwen s'élargit.
— C'était le changement de conversation le moins subtil de toute l'histoire des changements de conversation, mais si tu veux tout savoir : Voy a utilizar mi talento !
Ils retrouvèrent Harry devant la salle de classe. L'adolescent leur adressa son habituel sourire flegmatique, accompagné d'un clin d'oeil taquin. Lorsqu'ils entrèrent dans la salle, sa main effleura ostensiblement celle de Peter ; Gwen leur jeta un coup d'oeil mi-amusé, mi-exaspéré par-dessus son épaule.
Au fil des cours, des pauses et des récréations, Harry ne fit aucune allusion à ce qu'il s'était passé entre eux, mais ses regards appuyés suffirent à faire rougir Peter. Et il remarqua que ses genoux se retrouvaient un peu trop sur le passage des siens, lorsqu'ils étaient assis côte à côte.
— Tu devrais revenir à la maison, dit-il à la fin de la journée, après avoir profité que leurs camarades soient sortis du lycée pour l'entraîner dans un couloir vide et faire un rempart entre son corps et la sortie — ce que Peter ne trouva pas désagréable, au contraire ; la proximité de Harry était toujours… électrisante.
L'adolescent continua, malicieux :
— Mon père n'est presque jamais là, je ne sais pas ce qu'il fout, en ce moment, mais on aurait la maison pour nous tous seuls.
— Je ne crois pas que ce serait… commença Peter, rapidement interrompu par le souffle de son ami contre ses lèvres.
— Même si je te le demande très gentiment ? souffla Harry, sa bouche contre la sienne.
Une brusque secousse interrompit brutalement leur échange. Harry s'éloigna aussitôt de Peter mais resta devant lui, un bras en travers de son corps, comme pour le protéger.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Une nouvelle secousse leur fit perdre l'équilibre et ils se rattrapèrent de justesse l'un à l'autre. Peter sentit ses sens s'éveiller, son pouls s'accélérer, son corps se couvrir d'une chair de poule indicatrice d'un danger proche. Il avala sa salive et parvint à souffler :
— Allons voir ce qu'il se passe.
Harry acquiesça et lui emboîta le pas hors du lycée. Une foule disparate s'était rassemblée sur le trottoir, faisant face à ce qui, quelques minutes plus tôt, était encore une charmante épicerie où la plupart des étudiants profitaient de leurs pauses pour se ravitailler en snacks, boissons énergisantes, confiseries et, pour les plus audacieux d'entre eux, cigarettes.
Du bâtiment, il ne restait presque plus rien. Les vitres avaient volé en éclats, les murs s'étaient effondrés, les rayonnages gisaient au sol, une épaisse fumée s'échappait des décombres. Le caissier — qui, par miracle, avait été évacué avant l'explosion — fixait le désastre d'un air abasourdi, les vêtements maculés de poussière et de cendres.
Le regard de Peter fut alors attiré par une silhouette longiligne qui flottait à une dizaine de mètres au-dessus du sol, glapissant de rire sur son skate-board violet. Son visage était dissimulé derrière cet étrange masque vert qui le faisait ressembler à un extra-terrestre, et il jonglait avec ce qu'il identifia comme étant des grenades en forme de citrouilles miniatures. D'autres personnes ne tardèrent pas à le voir et pointèrent le doigt dans sa direction en poussant des exclamations de surprise.
— Putain, c'est quoi ce malade ? laissa échapper Harry. Peter, qu'est-ce que tu fous ? Reviens !
Peter essayait de se glisser entre les passants pour rejoindre l'homme, serrant les poings de frustration, regrettant amèrement de ne pas avoir son costume sur lui. Si l'homme jetait la moindre grenade dans la foule, ce serait la catastrophe assurée ; il ne pouvait pas le laisser faire !
— Alors, qui sera le prochain ? gloussa l'homme — le monstre — en pointant du doigt des personnes au hasard. Peut-être que si je faisais exploser l'un d'entre vous, Spider-Man se déciderait enfin à sortir de sa cachette ?
Il jeta une grenade qui explosa en l'air. Les fenêtres des bâtiments voisins explosèrent sous la force de son souffle et des cris d'effroi déchirèrent l'air.
— Arrêtez ! cria Peter, essayant de couvrir les hurlements paniqués de la foule qui essayait désormais de fuir, formant une vague humaine déchaînée, aussi incontrôlable que dangereuse. Arrêtez !
Derrière lui, il entendait Harry hurler son prénom, mais il ne pouvait pas le voir, ni même le rejoindre. Il y avait trop de monde, et l'homme fit exploser une nouvelle grenade dans les airs, accentuant la panique ambiante.
— Toujours pas de Spider-Man ? Non ? pouffa-t-il, visiblement follement amusé par la situation.
— Arrêtez ! C'est moi, c'est moi que vous cherchez ! essaya de crier Peter, mais personne ne l'écouta.
Quelqu'un lui enfonça le coude dans l'estomac, avec une telle violence qu'il se retrouva plié en deux, le souffle coupé. Puis on toucha son épaule et il fit vivement volte-face, le poing levé, prêt à se défendre.
Face à lui, Harry leva les mains, visiblement choqué.
— Hey, doucement ! C'est juste moi !
— H-Harry ?
Peter baissa le poing, confus.
— Désolé, j'ai cru que tu étais…
— Je sais pas à quoi tu joues mais putain, Pete, il faut qu'on se barre d'ici, ce mec est complètement taré ! l'interrompit fébrilement Harry. Viens !
Etrangement, sa voix parut attirer l'attention de l'homme en vert. Du coin de l'oeil, Peter le vit se tourner vers eux — et s'immobiliser. De manière incompréhensible, le temps parut s'arrêter : l'homme ne bougeait plus, ne menaçait plus la foule, ne paraissait même plus respirer. Comme s'il s'était transformé en statue.
Cela dura quelques secondes — aussi interminables qu'inexplicables —, puis il sembla reprendre ses esprits. Peter l'entendit murmurer : « C'est pour toi que je fais ça », avant que son skate-board violet ne s'élève dans les airs et que, comme le soir d'Halloween, il ne disparaisse dans l'immensité du ciel gris.
La suite fut plus décousue, mais pas un seul instant, la main de Harry ne quitta la sienne. Des voitures de police arrivaient de toutes les direction, un cordon de sécurité avait été déployé autour de la zone de l'explosion.
De l'autre côté du cordon, ils furent soulagés de retrouver Gwen qui se rongeait frénétiquement les ongles, le teint extrêmement pâle. Lorsqu'elle les vit, elle poussa un cri si aigu que Peter crut sentir ses tympans se recroqueviller sur eux-mêmes.
— Peter, Harry, vous êtes là ! J'ai eu tellement peur ! Vous n'étiez pas encore sortis du lycée, je vous attendais devant le portail, quand ce fou est sorti de nulle part et a fait explosé l'épicerie ! Ensuite, il y a eu d'autres détonations, j'ai été prise dans un mouvement de foule, je ne voyais plus rien, et j'ai cru que vous étiez… que vous étiez…
Elle laissa échapper un hoquet d'horreur.
— Oh, mon Dieu, mais qui c'était ? parvint-elle à ajouter dans un filet de voix.
— Un fou, répondit Harry. Un putain de taré.
Il secoua la tête, puis se tourna vers Peter :
— Comme toi ! Qu'est-ce qui t'a pris de courir vers lui ? T'as envie de mourir ou quoi ?
Il était furieux et, pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Peter réalisa que sa colère était dirigée contre lui.
Il sentit son coeur se serrer, un flot d'émotions contradictoires brûler sa poitrine.
— Je ne pouvais pas rester les bras croisés, il allait finir par tuer quelqu'un !
— Oui, par exemple : toi !
— Il fallait bien que quelqu'un intervienne !
— Et c'était quoi, ton plan ? Lui sauter dessus ? Lui voler son skate ? Te faire exploser par l'une de ses grenades ?
— Arrêtez ! les coupa Gwen, les larmes aux yeux. Ce n'est pas le moment de vous disputer ! L'important, c'est que personne ne soit blessé, non ?
Peter et Harry échangèrent un nouveau regard, et Peter fut surpris de voir toute colère disparaître du visage de son ami aussi rapidement qu'elle était apparue. Un profond soupir s'arracha de sa gorge et il reprit la main de Peter, sans se soucier de la présence de potentiels témoins autour d'eux.
— Tu as raison. Désolé, Pete, c'est juste que quand je t'ai vu te précipiter vers ce gars… j'ai paniqué, okay ? Je tiens beaucoup, beaucoup à toi et j'ai eu peur que… s'il t'était arrivé quoi que ce soit…
— Je comprends, murmura Peter, soulagé que la tempête soit passée.
Il parvint à forcer un sourire à apparaître sur son visage.
— Je comprends et, euh, je suis désolé de ne pas avoir, euh, réfléchi et euh, de t'avoir fait peur.
— Tu sais bien que tu n'as pas à t'excuser pour ça, répliqua Harry d'une voix plus douce, posant la paume de sa main contre sa joue. Je n'aurais pas dû m'énerver. Gwen a raison, l'important, c'est qu'on s'en soit sortis. (Un léger sourire illumina son visage.) Et pour être sincère, tu étais plutôt sexy quand tu t'es élancé dans la foule comme un putain de super-héros.
— Oh, euh… m-merci ?
— Où est-ce que je peux acheter des pop-corns ? les interrompit Gwen. Je crois que j'en aurais bien besoin.
Ils se tournèrent en même temps vers elle. La jeune fille les regardait d'un air amusé, les poings contre les hanches.
— Ahem, oui, je, euh, je crois qu'on doit te dire un truc, balbutia Peter.
Son amie roula des yeux :
— Aaaah, tu crois ?
Mais son sourire démentait son air faussement réprobateur — et, l'espace d'un éclat de rire, les trois adolescents oublièrent l'homme en vert, les grenades et les dangers qui planaient sur New-York, pour retrouver des miettes de cette insouciance qui leur filait entre les doigts.
Cette parenthèse ne dura malheureusement pas longtemps.
