Des milliers de flocons tombaient comme un épais rideau autour de Lilith, et le vent hurlant à ses oreilles et s'engouffrant dans ses vêtements manquait de la faire tituber à chaque pas.
L'air glacé gelait ses lèvres, gelait ses poumons, gelait ses mains. Elle tremblait de tout son corps, et arrivait à peine à sentir ses doigts, mais elle avait trop peur pour lâcher la corde nouée autour de sa taille, et s'y agrippait comme si sa vie en dépendait. À travers la poudre blanche, elle arrivait à peine à distinguer la silhouette son père quelques pas devant elle.
Elle n'osait pas ouvrir la bouche, de peur que le froid ne s'y engouffre et la gèle de l'intérieur. Ses parents avaient essayé de la rassurer, de lui dire que tout irait bien, mais elle ne se faisait pas de faux espoirs. Hisui était cruelle, et ils allaient tous y passer.
Elle entendait Eda derrière elle, qui reniflait et pleurait. Quand elle se mit à avancer pour s'accrocher à elle, serrant son bras contre son cœur, Lilith la laissa faire. Eda avait besoin que sa grande sœur soit là pour elle, et, alors même qu'elle pensait qu'ils ne s'en sortiraient pas, avoir sa sœur juste à côté d'elle, la preuve qu'Eda était là et vivante, lui réchauffait le cœur. Elle prit la main d'Eda dans les siennes et ne la lâcha pas.
Lilith ne sut pas pendant combien de temps ils marchèrent. Ses pieds lui faisaient mal, ses mains étaient à la fois brûlantes et glacées, et pourtant, malgré la douleur, elle avait l'impression que rien n'était réel. Elle avait du mal à marcher, à réfléchir, à ressentir. Est-ce que ce qui était en train de se passer était réel ? Elle ne savait pas. Elle ne savait plus. Elle avançait, un pas après l'autre.
Ses parents étaient toujours devant, avec l'autre extrémité de la corde nouée autour de leur taille.
Est-ce qu'elle devait continuer ? Est-ce qu'elle pouvait continuer ?
Elle serra sa main.
La main d'Eda était toujours dans la sienne.
Eda était là et elle devait continuer à avancer.
Pour elle
Lilith ne sut pas exactement quand ils arrivèrent dans la grotte. Un instant ils étaient dans la neige qui tombait en gros flocons, l'instant d'après ils étaient abrités. Elle fit quelques pas, puis s'effondra à terre. Même s'ils n'étaient plus dehors, la situation n'était guère meilleure. Le vent ne les atteignait plus, mais elle l'entendait siffler en passant entre les rochers. Tout son corps était engourdi, et l'écho de ses pensées lui arrivait avec un temps de retard.
Eda se laissa tomber à côté d'elle sur la roche. Elle tremblait comme une feuille et claquait des dents, et elle était pâle comme la neige. Lilith en avait mal au cœur. Avant même de se rendre compte de ce qu'elle faisait, ses doigts engourdis commencèrent à déboutonner sa veste, ses doigts glissant et trébuchant sur les boutons, mais une main l'arrêta avant qu'elle ne finisse. Elle leva les yeux, et, à travers ses larmes -quand avait-elle commencé à pleurer ?- elle vit son père lui faire « non » de la tête. Elle ouvrit la bouche pour protester avant d'avoir commencé à formuler une phrase cohértente, mais son père enleva son propre manteau pour le mettre sur les épaules de sa petite sœur. Puis, de ses mains tremblantes, il décrocha la Pokéball qu'il portait à sa ceinture, tira sur la languette métallique qui la maintenait fermée, et dans un éclat de lumière, le Flambusard de son père sortit.
« Toast, est-ce que tu pourrais réchauffer nos petits Passerouges s'il te plaît ? »
La voix de son père était enrouée, et immédiatement après avoir terminé sa phrase, il fut pris d'une quinte de toux. Même le surnom qu'il donnait généralement à ses filles, et qui en général ne manquait jamais de faire rire Lilith et soupirer Eda, ne parvint même pas à dessiner un sourire sur les lèvres des deux sœurs. Toast ébouriffa son plumage et se blottit immédiatement contre Lilith et Eda. Une fois que Lilith et Eda furent bien installées entre ses plumes, Toast tourna la tête vers Del et Gwen, et pencha la tête sur le côté, leur faisant signe de venir. Il était suffisamment grand pour réchauffer quatre personnes à la fois, et il n'allait pas laisser les deux adultes mourir de froid.
Bientôt, toute la famille était serrée sous les ailes du Flambusard.
Blottie contre le plumage chaud de Toast, Lilith se laissa bercer par la respiration régulière de Toast, et s'endormit.
Lilith fut réveillée par les gémissements de quelqu'un à côté d'elle. Elle ouvrit difficilement ses yeux encore alourdis par le sommeil. Quand elle arriva enfin à voir nettement devant elle, elle fut soudain aussi alerte que si on venait de lui verser un seau d'eau glacial sur la tête.
Eda. Eda gémissait et tournait dans son sommeil. Ses joues étaient rouges, et ses respirations brèves et haletantes, comme si elle avait du mal à respirer.
Elle posa la main sur le front de sa sœur.
Il était brûlant
Non. Non non non non non. Ils avaient fait tout ce chemin, ils avaient trouvé un abri, Eda ne pouvait être malade. Eda ne pouvait pas mourir, pas maintenant.
Un instant, une éternité, et, avant de savoir ce qu'elle faisait, Lilith était en train de secouer son père, puis son père se ruait sur Eda, puis sa mère la tirait par le bras alors que son père restait derrière, et elle n'arrivait plus à ressentir quoi que ce soit car rien ne paraissait réel, rien n'était réel, car rien de tout ça ne pouvait être réel et elle se réveillerait dans son lit et tout serait normal et tout irait bien. Si ce n'était pas le cas, elle ne savait pas comment elle pourrait rester en vie car Eda ne pouvait pas mourir Eda ne pouvait pas mourir Eda ne pouvait pas mourir Eda-ne-pouvait-pas-mourir.
La tempête de neige s'était calmée.
Ils retrouvèrent un petit groupe de personnes venant du même village qu'eux, dont Raine, qui avait le regard tout aussi vacant et désespéré que Lilith. Quand elle lui raconta ce qu'il s'était passé, et pourquoi Eda n'était pas là, iel éclata en sanglots, et les deux se serrèrent l'un•e contre l'autre.
Une fois qu'ils furent sortis des Terres Immaculées, le voyage jusqu'à Rusti-Cité se fit beaucoup plus rapidement, car il était composé de choses auxquelles ils étaient habitués – se cacher, éviter les Pokémon Barons -. Et, quand ils arrivèrent au village, ils furent accueillis froidement par les habitants, mais eurent l'autorisation de s'installer, tant qu'ils étaient capables d'aider à la vie du village. Lilith se jeta dans le travail corps et âme, en espérant que cela comblerait le trou béant dans sa poitrine, qui ne cessait de grandir à chaque seconde qui passait sans son père, sans Eda.
Puis, son père revint, couvert de blessures, et sans Eda.
Ils disaient que les âmes qui périssaient dans les Terres Enneigées faisaient naître les fantômes les plus rancuniers, des échos ne ressemblant que physiquement à la personne qu'ils avaient été, dévorés par la haine et la peur.
Elle aurait dû rester.
Un nouveau Zoroark était né, et c'était de sa faute.
Philip disait que les Pokémon sauvages étaient dangereux, et violents. Il disait que c'était eux ou les Pokémon, et que la seule manière d'être en sécurité était de tous les tuer, ou de les capturer et les user jusqu'à la corde pour qu'ils ne puissent par répondre.
À chaque fois que Lilith voyait son père, elle accordait un peu plus de crédit à ce qu'il disait. Elle ne laisserait plus jamais quelque chose comme ça se reproduire. Elle passa sa main dans les plumes grises de Socks, son Corvaillus, et promit de se battre.
Elle avait entendu que le Corps de Défense recrutait des membres.
Le Zoroark s'était installé en bordure de la ville. Le foutu Zoroark avait établi sa tanière à une centaine de mètres de la ville. Lilith allait l'étriper dès qu'elle arriverait à l'attraper.
Elle était déterminée, et elle était douée. Elle était intelligente et sans pitié. Très rapidement, elle arriva à la position de seconde du commandant Wittebane, et cheffe du Corps de Défense.
La seule tâche sur sa performance autrement impeccable, c'était ce fichu Zoroark, celui qui prétendait d'être sa sœur, mais qui ne pouvait pas être sa sœur, car elle n'aurait jamais attaqué leur père comme ça, qui n'arrêtait pas de s'introduire dans la ville la nuit et de voler des tas de choses. Des vêtements. De la nourriture. Et, autour de la période de la pleine lune, des bouteilles d'un puissant somnifère. Elle venait presque toutes les nuits, et Lilith était toujours incapable de l'attraper. Mais, peu importe le nombre de fois qu'elle devrait essayer et échouer, elle finirait par mettre la main sur lui et par l'abattre, pour enfin permettre à l'âme de sa sœur de reposer en paix. C'était son devoir en tant que grande-sœur.
