Il faisait encore jour, mais la lumière n'arrivait pas à dépasser la couche impénétrable de nuages qui couvrait le ciel des terres immaculées. Le vent avait commencé à souffler, et Eda savait que c'était le signe qu'une tempête de neige n'était pas loin.
Elle n'aurait pas dû revenir ici. Pourquoi était-elle revenue ici?
Elle savait pourquoi, même si elle préférait prétendre que c'était faux, qu'elle l'avait décidé, que c'était basé sur ses choix et sa logique plutôt que la manière dont ses entrailles se tordaient à cette période de l'année, le Zoroark criant et pleurant et suppliant pour qu'elle se rende à cet endroit.
Et Eda cédait à ses demandes à chaque fois.
Cet endroit était la misère et la mort. Sa misère. Sa mort.
Ses pattes s'enfonçaient dans la neige, laissant derrière elle des traces de pas qui reprenaient la forme de pattes quelques mètres derrière elle, là où son illusion ne les recouvrait plus. Elle aurait pu les effacer. Elle aurait dû les effacer. Le clan Perle vivait dans le coin, et ils étaient régulièrement attaqués par des Zoroark quand ils traversaient leur territoire. Ils étaient suspicieux, et avertis, et ils savaient quoi chercher chez les voyageurs pour savoir s'ils étaient humains, ou des renards malicieux se cachant derrière des illusions.
Elle aurait vraiment dû les effacer. Au lieu de ça, elle resserra un peu plus son illusion autour d'elle, corrigeant toutes les petites imperfections qui auraient pu apparaître sur son visage, ses mains, ses cheveux, tout en sachant pertinemment que tout était déjà aussi parfait qu'il aurait pu l'être. La sensation du mirage l'entourait comme un manteau épais, comme une couverture atour de ses épaules, et elle se sentit un peu plus rassurée.
Elle aurait dû faire demi-tour, mais elle savait que si elle ne le faisait pas maintenant, la sensation dans son ventre allait revenir, plus forte que jamais. Les vents devenaient de plus en plus violents, et sa panique montait, et montait, et montait, et elle se revoyait de nouveau dans cette tempête de neige, aux côtés de sa grande-sœur Lily et de ses parents, trébuchant dans la neige, tremblant de tout son corps.
Elle n'avait plus froid, maintenant. Les types Spectre avaient tendance à ne pas ressentir le froid, et sa fourrure épaisse était faite pour supporter la température de la région. Peut-être qu'elle pouvait même affronter le blizzard, ça ne serait pas étonnant. Mais, elle ne pouvait pas affronter le blizzard, ou, du moins, elle n'en avait pas la force mentalement.
Elle tremblait de tout son corps. Ça n'avait rien à voir avec le froid. Elle mit sa main sur la Pokéball d'Owlbert à sa ceinture, juste pour s'assurer qu'il était encore là, qu'elle n'était pas toute seule. Le bois rêche sous sa main la rassura un peu.
Elle aurait dû savoir où aller pour retrouver sa tombe. Sa vraie tombe, ou, en tout cas, l'endroit où elle était morte, et où son corps reposait. Il y avait une tombe à son nom dans le cimetière de Rusti-Cité, mais, comme il était de coutume pour les personnes qui s'étaient transformées en Zoroark après leur mort, il n'y avait aucun corps à l'intérieur. Car, qui voudrait donner une raison à des Zoroark de venir s'infiltrer dans la ville? Il aurait fallu bien plus que ça pour décourager Eda. Ça ne marchait jamais sur Eda. Elle revenait toujours dans ces rues, parce que les gens qu'elle avait aimés s'y trouvaient. (Et puis, deux tombes faisaient deux lieux pour se recueillir.)
À chaque fois qu'elle venait dans ces plaines gelées, avant, elle avait une sorte de sixième sens qui lui indiquait où aller. Mais, à chaque fois qu'elle était venue, avant, il n'y avait jamais eu de tempête de neige qui faisait remonter tous ses mauvais souvenirs et la désorientait à ce point. Le sixième sens des Pokémon Spectre étaient très liés à leurs émotions, et là, tout de suite, Eda ne savait pas où elle était, et il était difficile de savoir quand elle était, si elle était encore là-bas, si elle allait encore sentir ses doigts se geler alors qu'elle peinait à respirer, quelle s'étouffait, qu'elle arrêtait de respirer, qu'elle mourait-
Respire.
Elle prit une grande bouffée d'air gelé qui lui remplit les poumons. Elle n'avait même plus besoin de respirer, mais l'action, simple et répétitive, l'aida à s'ancrer dans le monde réel, à revenir à elle-même. La neige autour de ses pieds, la Pokéball sous sa main.
Elle ne pouvait pas rester ici. Elle ouvrit la Pokéball de Owlbert, et le Noarfang sortit en hululant. Elle faisait 1m87, et elle dépassait les 1m60 de Owlbert facilement.
- Owlbert, est-ce que tu pourrais me trouver un endroit où m'abriter? Je n'arrive pas à voir grand-chose avec toute cette neige.
Elle s'en voulait un peu de l'avoir sorti comme ça, surtout qu'il détestait la glace. Mais, Owlbert, beaucoup trop gentil pour son bien frotta sa tête contre l'épaule d'Eda pour la rassurer, avant de s'envoler pour faire du repérage. Elle le suivit sur ses pattes fatiguées, et finit par voir, loin devant elle, une grande structure, qui, de par son apparence -massive, faite en pierre-, était probablement une de ces ruines des mystérieux anciens habitants de Hisui que l'on voyait un peu partout dans la région. En s'approchant encore, elle reconnut la vieille structure, bien qu'elle ne l'ait jamais vue de ses propres yeux auparavant.
C'était le temple de Frimapic, dédié à des Pokémon légendaires, trois golems gardiens et leur créateur. Sans hésitation, elle passa se seuil et entra à l'intérieur. Elle ne pouvait pas rester dehors.
Au moment où son pied se posa à l'intérieur du temple, elle sentit quelque chose changer. L'air était lourd, comme si l'univers retenait son souffle, et un frisson lui remonta le long du dos. Elle avait l'impression d'avoir fait une énorme erreur en entrant à l'intérieur.
Il n'y avait personne, et pourtant les lieux étaient en parfaite condition, et il n'y avait pas un gramme de poussière sur le sol, comme si les lieux venaient d'être construits. Et ce silence…
Il n'y avait aucun bruit dans la grande salle, alors que, à quelques mètres plus loin, derrière les murs de pierre, le vent hurlait. Elle tourna la tête pour vérifier si c'était parce que la porte était fermée, prise d'un mauvais pressentiment. Elle était ouverte. Elle était ouverte, et elle voyait les flocons de neige tomber en un rideau épais, et pourtant il n'y avait aucun son.
Elle n'était pas la bienvenue ici.
Raine l'aurait probablement grondée s'iel avait appris ce qu'elle faisait quand elle n'était pas chez elle. Mais, comme tout le monde, Raine restait loin, très loin d'elle, et faisait son deuil comme si elle était morte toutes ces années auparavant, dans la tempête de neige.
Comme si elle n'était plus là.
Comme si leur relation n'avait jamais rien voulu dire.
Eh bah, qu'iel s'en veuille jusqu'au bout du monde, Eda s'en fichait. Ha, s'iel voulait qu'elle arrête de se mettre en danger, iel n'avait qu'à lui parler! Et s'iel continuait de l'ignorer, eh bien iel n'avait aucun droit de lui dire comment vivre sa vie.
Elle s'assit contre un mur pour reprendre son souffle. Elle ne resterait ici que le temps que la tempête passe, et sortirait immédiatement après.
Elle était en train de somnoler, quand un bruit de pierre sur la pierre la réveilla en sursaut. Elle regarda à droite, à gauche, paniquée, et croisa deux yeux violets l'observant de derrière une statue.
Pendant quelques secondes ils restèrent tout deux figés yeux dans les yeux, puis, accompagnée par le bruit de griffes claquant sur le sol, une petite créature s'approcha d'elle en remuant la queue. C'était un Pokémon que Eda n'avait jamais vu auparavant. Il ressemblait un peu à un Malosse, mais si les Malosse étaient beaucoup plus mignons, avaient une queue de Chinchidou, et que leur fourrure rouge était grise. Ses pupilles rondes étaient dilatées, et il était penché en avant, comme s'il voulait jouer.
Il poussa un petit cri, qui sonnait comme un «Weh!», et, après avoir tourné autour d'elle quelques fois, il parut ne trouver rien de menaçant chez Eda et retourna à ses activités. Et...
Qu'est-ce qu'il fait?
Il était en train de… poser des cailloux sur d'autres cailloux? De toute la vie d'Eda, elle n'avait jamais vu de Pokémon avec un comportement aussi bizarre. Et elle en avait vu, des Pokémon. Est-ce qu'il s'était cogné la tête quelque part, ou est-ce qu'il était juste naturellement stupide? Il n'avait pas peur de mourir de faim, ou de froid, tout seul dans cet endroit inhospitalier?
Puis, Eda y réfléchit à deux fois. Il était certainement très jeune, mais il ne paraissait pas non plus avoir éclos récemment. Au plus un an ou deux, mais certainement pas moins d'un mois. S'il n'avait pas trouvé un moyen de se nourrir, il serait déjà mort. Peut-être qu'elle était arrivée juste au moment de la journée pendant lequel il jouait.
Le petit Pokémon était toujours en train d'essayer de mettre une pierre sur une autre, mais la pierre tomba par terre et se cassa en deux, et il gémit, les larmes aux yeux. Le cœur d'Eda se serra pour le petit, et elle lui tendit sa main, et avec des mouvements lents, commença à le caresser. Immédiatement, il arrêta de pleurer, et quand Eda enleva sa main, il grimpa sur son bras et s'enroula autour de ses épaules comme une écharpe. En voilà au moins un qui n'avait pas peur d'elle.
Elle ne pensait pas à Lilith. Elle refusait de penser à Lilith. Elle ne pensait pas à toutes les fois où Lilith l'avait chassée du village et traitée comme si elle était un monstre. Et elle n'était pas du tout en train de retenir ses larmes. Elle prit une grande inspiration, et le Pokémon autour de son cou frotta son museau contre la joue d'Eda.
Elle se releva. Elle ne voulait pas forcer le petit Pokémon à venir avec elle, mais, apparemment, il avait décidé de son propre chef de rester avec elle. Elle n'avait pas envie de le le déloger non plus, et s'il essayait de descendre, ou paraissait vouloir retourner à l'intérieur du temple, elle l'aiderait à descendre, mais, pour l'instant, elle voulait profiter de sa compagnie encore un moment. Ça faisait tellement longtemps qu'elle était seule. Et, bien sûr, elle avait Owlbert, mais ce n'était pas la même chose qu'un contact humain. Et, ça… Ce n'était toujours pas la même chose qu'un contact humain, mais Owlbert était retourné dans sa Pokéball, et elle n'allait pas le sortir alors qu'il détestait le froid, et… C'était mieux que d'être seule.
Puis, le petit Pokémon sauta de son épaule, et recommença à poser des cailloux sur des cailloux en poussant de petits cris. Cette fois, il fit des pauses à plusieurs reprises, en lui lançant des regards insistants. En poussant un soupir qui était plus par habitude que par vraie frustration, Eda s'agenouilla en face du petit Pokémon, et saisit l'autre côté de la grosse pierre qu'il essayait de soulever. Ils continuèrent à fabriquer de petites piles de pierres pendant encore quelques minutes, avant qu'un bruit soudain ne résonne entre les murs. Eda se releva brusquement, en prenant le petit Pokémon qui grimpa sur son dos et se cacha dans ses cheveux -Eda refusait de les appeler sa fourrure- et en fléchissant ses pattes sur le sol, se préparant à s'enfuir, ou à se battre si elle n'avait pas le choix.
Quelque chose était là avec eux. Le silence était pesant, et l'air avait un goût de métal qu'Eda associait au sang, rouge vif, se détachant sur de la neige et à son père qui la regardait avec tellement de terreur, et une blessure gigantesque sur la moitié de son front et qui traversait son œil, et il y avait du rouge sur ses mains et pourquoi y avait-il du rouge sur ses mains, et c'était du sang et elle avait du sang sur ses mains qui n'étaient pas des mains qui n'étaient pas ses mains et pourquoi elle avait du sang sur ses mains et pourquoi est-ce que ses mains n'étaient pas des mains et pourquoi elle avait des griffes et oh non qu'est-ce qu'elle avait fait et-
Elle revint à elle juste à temps pour se jeter sur le côté alors qu'un ultralaser brûlait l'endroit où elle s'était tenue quelques secondes auparavant. Devant elle, une statue de glace qui faisait sa taille, et qui était figée par le contrecoup. Si cette attaque l'avait touchée, le petit Pokémon dans ses bras serait mort. Elle serait probablement aussi- minute, non, elle était de type Normal. C'est vrai. Elle était un Zoroark maintenant. Les petits points qui faisaient office d'yeux au Pokémon se mirent à clignoter, et il recommença à charger une attaque, un Laser Glace, cette fois. Et vu la puissance de l'attaque précédente, elle n'y survivrait pas cette fois.
Elle se mit à partir en courant, sortant en trombe par la porte du temple, et directement dans la tempête. Quand elle regarda derrière elle, elle vit que le Pokémon se tenait dans l'entrée du temple, juste derrière le seuil de la porte. Elle poussa un long soupir. Il semblait être incapable de sortir du temple, elle était en sécurité- Le Laser Glace toucha une des cornes du Pokémon qu'elle tenait entre ses bras, et la cassa en deux net. Le morceau sembla tomber au ralenti, et, pendant quelques secondes, elle ne fit rien, figée, par la terreur ou le choc, elle ne saurait dire.
Elle s'empara du morceau de corne, le fourra dans se cheveux, y mit aussi le petit Pokémon, et se mit à courir en se forçant à le faire à quatre pattes. Elle n'avait pas le temps de trébucher à cause de son habitude de marcher comme une humaine. Elle devait partir, et vite.
Elle courut. Et courut, et courut, aveuglée par la tempête, se laissant guider par des instincts qu'elle ne devrait pas avoir, se laissant guider par l'appel de la grotte où sa famille s'était abritée du blizzard. Elle s'engouffra dans la grotte en courant, et se laissa tomber sur le sol, haletante.
Elle était en sécurité. Elle était en sécurité.
Un feu de camp brûlait au fond de la grotte, sa lumière dansant sur les murs scintillant à cause de l'humidité, mais elle ne s'en rendit pas compte immédiatement.
Une odeur inconnue. Quelqu'un était ici. Humain, humain, danger! Les instincts du Zoroark en elle criait, et, avant qu'elle ne se rende compte de ce qu'elle était en train de faire, elle se mit à grogner en direction de l'intruse. Comment osait elle venir ici, dans cette grotte, sur sa tombe?!
Puis, elle se rendit compte de ce qu'elle était en train de faire, et elle planta ses griffes dans le sol, prit une grande inspiration, et la relâcha. Ce n'était pas le moment de s'énerver, et elle ne pouvait attaquer quelqu'un comme ça, sans raison. Elle leva les yeux, et regarda plus en détails la personne en face d'elle.
C'était une femme en uniforme du clan Diamant, mais une version fourrée pour affronter le froid. Elle avait des cheveux roux sombre coupés courts, et des yeux marrons. Les mêmes cheveux que Lilith. Son cœur se pinça, mais elle secoua la tête pour faire disparaître les souvenirs. Ce n'était pas le moment. La femme était terrorisée, figée comme une statue, et Eda détestait ça. Elle en avait tellement marre que les gens aient peur d'elle dès qu'ils la voyaient. Alors, lentement, elle relâcha ses muscles, et s'allongea à quatre pattes sur le sol.
La femme la regarda, restant figée pendant de longues minutes, puis, d'une voix tremblante, elle appela son Arcanin. Au fond de la grotte, derrière un rocher, une ombre qu'Eda n'avait pas vue avant bougea, courant à toute vitesse pour se mettre devant son experte, et se mit à grogner. Eda hésita. Est-ce qu'elle allait devoir se battre? Elle ne voulait pas se battre. Elle voulait juste se recueillir sur sa tombe, et s'abriter de la tempête de neige dehors, et protéger le bébé Pokémon dans ses cheveux, merde à la fin! Elle se prépara mentalement. Si elle voulait empêcher la situation d'empirer, elle allait devoir lui parler.
- Qu'est-ce que tu fais ici?
Elle l'avait dit sur un ton plus agressif qu'elle ne l'avait prévu.
La femme sursauta brusquement, et parut encore plus terrifiée qu'elle ne l'était avant. Eda n'était même pas sûre que ça aurait pu être possible, mais, apparemment, elle se trompait. Tout le monde savait que les Zoroark étaient capable de créer des illusions sensorielles, pas seulement visuelles. Tout le monde savait que les Zoroark étaient capable de parler en utilisant ce moyen. Qu'est-ce qui avait pu- Oh, elle avait parlé à voix haute, n'est-ce pas? Avec sa gorge au lieu de ses illusions, en produisant un son rêche, grondante, et grave qui ne ressemblait en rien à une voix humaine, et qui, pourtant, pourtant, était parfaitement intelligible. Les Zoroark n'étaient pas censés être capable de parler. Pas comme ça, du moins. Pas avec des cordes vocales qui n'auraient pas dues en être capable. Elle voyait les mains de la femme trembler d'où elle était, et se tapit un peu plus au sol.
- Qu'est-ce que toi, tu fais ici? Lui répondit la femme.
- Je suis venue m'abriter de la tempête. Recule de quelques pas, tu veux? Tu es en train de marcher sur ma tombe.
Son ton était un peu moins sec cette fois, mais la femme recula immédiatement et se confondit en excuses. Eda s'approcha de l'endroit où son corps avait été enterré, qui paraissait identique au sol aux alentours, et s'allongea dessus. La femme bougeait d'un pied sur l'autre, très clairement anxieuse. Cela agaçait un peu Eda. Est-ce qu'elle n'avait pas déjà suffisamment prouvé qu'elle ne lui ferait pas de mal? Elle interpella la femme.
- Bah, alors? Tu as un feu de camp pas loin. Vas-y, je vais pas te manger!
Elle rit à sa propre blague, et la femme lui lança un regard noir, ce qui ne fit rien à part faire rire Eda encore plus fort. Quand tout le monde vous traitait de monstre, on apprenait à vivre avec au bout d'un certain temps. Et, en rire était souvent un bon moyen de tourner la situation à son avantage.
Lentement, sans la quitter des yeux, la femme recula, et se plaça de manière à ce que le feu soit entre elle et Eda. Et, enfin, enfin, ses épaules se relâchèrent un peu. L'Arcanin s'allongea aux côtés de son Experte, indiquant clairement à Eda qu'elle devrait y réfléchir à deux fois avant de l'attaquer. Eda n'avait pas prévu de l'attaquer de toute façon.
Un silence pesant s'abattit sur les occupants de la grotte. Ça mettait Eda mal-à-l'aise, donc elle commença à parler.
- Donc, t'as un nom?
- Théa.
Son ton était sec et peu amène. Puis, contre toute attente, elle continua à parler après quelques secondes de silence, d'une voix hésitante:
- Et… Et toi? Est-ce que tu en as un? Un nom, je veux dire.
- Eda. Est-ce que je peux m'installer à côté du feu? Je sens pas le froid, mais j'ai envie de profiter un peu de la chaleur.
Il y eut un long moment de silence tendu, puis Théa hocha la tête sèchement, et Eda se releva et s'entoura de nouveau d'illusions, car, si elle allait devoir interagir avec cette inconnue, elle allait le faire comme elle voulait le faire. Avec son visage, son vrai visage. Son visage humain.
Elle s'approcha et s'installa auprès du feu, et le petit Pokémon qu'elle avait pris avec elle s'extirpa de sa masse de cheveux, et Owlbert sortit de sa Pokéball pour se coller tout près des flammes pour réchauffer ses ailes gelées. Et, pendant quelques heures, plus rien n'existait à part cette petite bulle de chaleur, et ce silence seulement brisé par les craquements du bois dans le feu, et les étincelles que cela provoquait. Ça avait manqué à Eda. Ça. Autour d'un feu, en présence d'un être humain qui n'essayait pas immédiatement de la chasser au moment où il posait ses yeux sur elle.
Bercée par les crépitements et la lumière chaude du feu, à l'abri de la tempête qui rageait et hurlait et sifflait de colère à l'extérieur, elle sentit ses paupières s'alourdir. À l'abri de tous les mauvais souvenirs de cette marche interminable dans la neige qui la poursuivaient toujours, même maintenant, des années plus tard, et en en créant de nouveaux, agréables et chaleureux, dans cet endroit qui n'aurait dû être qu'un lieu rempli de pleurs et de tragédies. Prendre toutes ces horribles fondations, et reconstruire par dessus quelque chose de meilleur. Un refuge.
Elle s'endormit loin de la cruauté du monde.
Quand elle se réveilla, le feu avait été éteint, les braises encore rougeoyantes, et elle était seule. Rhéa n'était pas restée pour la voir se réveiller, et, étrangement, elle se sentait déçue, et triste, et abandonnée, alors qu'elle ne l'avait connue que quelques heures tout au plus. Sans un mot, elle prit la Pokéball de Owlbert, et prit le petit Pokémon dans ses bras avant de se retourner vers l'entrée.
Elle remarqua immédiatement quelque chose qui n'était pas là hier, et ses yeux se remplirent de larmes malgré elle. Elle se dit que c'était à cause de la fumée venant des restes du feu, et elle arriva presque à se convaincre.
Quelqu'un avait déposé un bouquet de fleurs sur sa tombe. Cette fois, elle ne les prit pas avec elle. Elle connaissait à peine Rhéa.
Les larmes dévalèrent ses joues, et, pour la première fois depuis longtemps, alors qu'elle tournait le dos à l'entrée de la grotte, quittant ces lieux tant que le temps le permettait, elle se sentit acceptée.
