Chapitre du soir, bonsoir !

Bonne lecture :)


Chapitre Quatre ~ Par Amour

Julian et Tybalt se tournèrent d'un même mouvement vers la source de la voix. Juliette était là, vêtue d'une robe vermillon, se tenant devant son carrosse tiré par deux chevaux baies. Elle semblait complètement perdue, presque apeurée, face au spectacle macabre qui se déroulait devant ses yeux océans. Les hommes avaient définitivement perdu la raison, et elle en était l'involontaire spectatrice.

Lorsqu'il sentit la main de Julian se poser sur son épaule, Tybalt sut qu'il n'achèverait pas Mercutio aujourd'hui, ce qui l'emplit d'une rage sourde.

« Cour, petit chien, ta maîtresse t'appelle, wouf ! wouf ! »

Le blond reporta son regard sur le brun à terre et lui cracha au visage avec dégoût, avant de lui asséner un dernier coup dans le ventre, arrachant un râle sourd mêlé à un rire franc au neveu du Prince. Il était complètement fou. Tout cela n'était qu'un jeu macabre pour lui, rien de plus. Mercutio porta sa main à son nez, contemplant le sang qui ruisselait pour caresser sa bouche fine. Tybalt lui offrit un dernier sourire méprisant avant de murmurer :

« Je t'aurai un jour, Mercutio. »

Puis, sans un mot de plus, il fit demi-tour, remontant l'allée avec Julian. Il haïssait Mercutio plus que tout, plus que quiconque sur cette Terre. Plus encore que Roméo.

Lorsqu'ils arrivèrent au carrosse, Juliette s'engouffra à l'intérieur, le visage froid et fermé, suivie de près par son cousin, tandis que Julian prenait place à côté du cocher. Alors que le claquement des rênes résonnait, Tybalt tourna son regard vers l'extérieur, tentant d'ignorer le feu de la colère qui brûlait dans les prunelles de sa cousine. Mais il n'y parvint pas. Lorsqu'il daigna enfin poser ses yeux hazel sur elle, il croisa un océan de fureur qu'il ne lui connaissait pas.

Mais Tybalt s'en fichait. Une seule question persistait dans son esprit : pourquoi était-elle ici ?

Juliette ne sortait jamais de la demeure des Capulet. La haine et les combats dans les rues lui retournaient trop l'estomac pour qu'elle daigne quitter son cocon. L'espace d'un instant, il hésita à lui poser la question, mais se retint. Peut-être valait-il mieux ne pas savoir.

Et il eut raison, quelque part. Juliette n'était pas dans les rues de Vérone pour la simple beauté d'une promenade. Elle attendait, impatiente, sa nourrice, qui devait lui apporter la réponse de Roméo. L'aimait-il réellement ? Ou n'était-ce qu'un moment fugace, et avait-il trouvé un nouveau cœur à aimer entre temps ?

Pourtant, l'espace d'un instant, elle avait tout oublié : l'amour, la joie, l'euphorie de cet amour naissant et pourtant si passionnel. En voyant son cousin en danger, au milieu des Montaigu, son cœur s'était brisé. Elle avait eu si mal.

Il avait trahi sa promesse.

« Comment as-tu pu trahir ma confiance, Tybalt ?

- Tu oses me parler de trahison !? »

Le visage de Juliette se décomposa à l'instant même où son cousin éleva la voix sur elle. Jamais il n'avait osé lui crier dessus, ni même la réprimander. Que se passait-il donc ? Les larmes perlèrent aux coins de ses yeux, les mots se coinçant dans sa gorge. Mais rien ne vint adoucir l'amertume qui régnait désormais dans le regard habituellement si doux de Tybalt.

« Tybalt… je…

- … Je te faisais confiance aussi, Juliette. »

- Je…

- … Un Montaigu ! Tu as osé embrasser un Montaigu ! »

Il la fixait avec autorité, une pointe de déception s'insinuant dans ses prunelles. Elle l'avait déçu, et jamais elle ne pourrait y changer quelque chose. Il était trop tard. Ni amour ni tendresse ne venaient adoucir les traits si froids de Tybalt ; seulement l'amertume y résidait. L'atmosphère dans le carrosse devenait si tendue, si douloureuse, que Juliette se sentit soudainement étouffer, détournant le regard tant la honte face à son cousin lui enserrait le cœur.

« Ton père en mourrait de honte s'il apprenait que tu avais posé tes lèvres sur celles d'un Montaigu !

- Mais… mais je l'aime, Tybalt. »

C'était une confession, murmurée si doucement qu'il crut un instant avoir mal entendu. Pourtant, le regard qu'elle lui adressait, si pur et larmoyant, ne trompait pas. Elle plongeait ses yeux de cristal dans les siens si sombres, en quête d'une quelconque bénédiction. Mais comment pouvait-elle espérer cela ? Comment pouvait-elle croire qu'il lui accorderait son soutien ? Lui ? Tybalt Capulet. Il était la haine personnifiée, un monstre sans cœur. Jamais il ne l'autoriserait à l'aimer. Jamais.

Sans le savoir, Juliette venait de lui arracher le cœur avec une violence inouïe, broyant chaque parcelle de son être entre ses doigts, sans pitié. En quelques mots à peine, en un regard désespéré, elle lui avait arraché la dernière part de son humanité, celle qu'elle, pendant si longtemps, avait maintenue avec sa candeur et son innocence.

« Pourquoi lui !? Pourquoi Roméo Montaigu, bon sang !? »

Les cris résonnèrent dans le carrosse des Capulet, tandis que Julian, se sentant submergé par la tension palpable, remercia intérieurement le seigneur de lui avoir fait prendre place aux côtés du cocher.

« Je… Ô Tybalt, on ne choisit pas de qui l'on tombe amoureux… »

Il le savait que trop bien. Et pourtant. Les mots de sa cousine le frappèrent avec une telle intensité qu'il vacilla. Dans son regard, il percevait la sincérité, la détresse, une fragilité qui l'achevait. C'était trop, trop pour lui, trop pour son esprit déjà en proie à une rage inextinguible. D'un geste, il fit signe au cocher de s'arrêter.

« Qu'est-ce que tu fais ?

- Je continue le chemin à pied. »

Alors qu'il s'apprêtait à ouvrir la porte, Juliette le retint, entrelaçant ses doigts aux siens avec une force désespérée. Elle l'implorait du regard, ses yeux rougis par trop de larmes non versées. Elle paraissait si perdue, si fragile. Il aurait pu éprouver de la pitié, si l'homme en question n'était pas un Montaigu.

« Je t'en prie, Tybalt… Tu es le seul, avec notre Nourrice, à pouvoir me donner ta bénédiction. »

Ce furent les paroles de trop, celles qui briseraient à jamais son cœur déjà en miette. Le poison de la haine se répandit à nouveau en lui, son goût amer envahissant sa bouche, léchant son palais avec dégoût. Au seul regard qu'il lui lança, Juliette comprit qu'elle avait prononcé les mots fatidiques qui la conduiraient à sa propre perte. Déglutissant avec difficulté, elle attendit la réponse qui ne tarda pas.

« Comment oses-tu me demander cela, petite idiote !? N'as-tu aucune honte ? Aucun respect ?! Me donner ma bénédiction ?! Te mener à l'autel aussi peut-être ?! Et quoi d'autre encore ? Embrasser ce bouffon de Mercutio !? Oublie ce Roméo ! Tu es déjà promise à Pâris ! »

Il cracha ces mots avec la cruauté d'un poison, et Juliette, horrifiée, laissa échapper des larmes, qui dévalaient ses joues dans une peine sourde. Ce même poison heurtait son propre cœur. Cent flèches à travers le corps n'auraient pas été plus douloureuses que cet instant.

« Toi aussi tu aimes quelqu'un qui t'est interdit ! » Sa voix n'était qu'un murmure plaintif. « Je pensais que tu me comprendrais… cousin. »

Il éclata d'un rire amer, empli de sarcasme, inconnu de lui-même.

« Celle que j'aime ? Celle que j'aime, Juliette, vient de m'arracher le cœur. Elle a banni l'amour de mon être. Je ne suis fait que pour valser avec la mort et avoir la haine pour amante. »

Elle le fixa s'éloigner du carrosse, l'impuissance paralysant chacun de ses membres. L'incompréhension se lisait sur son visage d'ange. Qui était cet homme ? Et qu'avait-il fait de Tybalt ? La haine pouvait-elle à ce point corrompre l'âme d'un homme ?

« Tybalt…

- Adieu, cousine. »

Et d'un dernier geste, il claqua la porte du carrosse, la laissant derrière lui, perdue dans la douleur. Il entendit dans le lointain les pas de Julian le poursuivre, mais les ignora, sa tête était douloureuse, sa poitrine un néant de ténèbres. Plus rien n'avait de sens. Plus rien n'avait de goût. Tout n'était que haine et déshonneur. Tout n'était que peine et désespoir. Alors qu'il continuait sa route à pied, il replongea dans ses souvenirs, chaque pas résonnant comme un écho de sa douleur lancinante. Plus rien n'existait autour de lui, hormis son amour pour Juliette, une passion dévorante, un amour interdit. Une histoire maudite qui ne connaîtrait jamais de lendemain si ce n'était celui de ses propres rêves.

Non loin, la Nourrice rejoignit sa douce Juliette, faisant basculer leur destin. Grâce à quelques mots, la peine s'évapora de sa poitrine. Ce soir, elle aimerait, elle offrirait son cœur à son Roméo. Ce soir, elle deviendrait l'épouse de celui qu'elle avait tant attendu. Et en une seule phrase prononcée, le destin de tous se scella dans la paume de la mort.

oOo

Adossé à la fontaine du jardin, Tybalt se perdait dans ses souvenirs, encore et encore. Parfois, c'était le fantôme de Juliette à cinq ans qui s'asseyait à ses côtés, lui demandant, avec ses grands yeux de cristal emplis d'innocence, pourquoi il pleurait, son regard empreint d'une insolence désarmante. Parfois, c'était le mirage de celle de seize ans qui se tenait devant lui, l'interrogeant avec amertume sur son manque de soutien. Il devenait fou. Il n'y avait pas d'autre explication possible, sinon celle-ci : il était devenu fou.

Il se remémorait la façon dont il était devenu instinctivement son protecteur. Elle l'avait doucement apprivoisé, l'entrainant dans ses jeux d'enfant, l'obligeant à écouter ses histoires de Princes courageux sauvant des Princesses en détresse. Il se souvenait de toutes ces fois où il s'était battu contre Julian, furieux que ce petit merdeux ose se moquer d'elle à cause de ses taches de rousseur sur ses joues rondes.

D'un regard, elle avait chassé la haine de son cœur ; d'un sourire, elle y avait insufflé l'amour sans même s'en rendre compte. Et maintenant, elle le privait de tout cela, sans se soucier de savoir s'il survivrait à cette perte.

De sa cachette, Tybalt pouvait apercevoir la fenêtre de la chambre de Juliette, donnant sur son balcon. La lumière des bougies éclairait encore la pièce, signe qu'elle ne dormait pas. Était-elle tourmentée ? Pleurait-elle encore ? Il s'était surpris, à maintes reprises, à hésiter. À plusieurs reprises, l'idée de la rejoindre, de l'enlacer et de la supplier avait frôlé son esprit, mais il s'était toujours ravisé, conscient que rien ne changerait. Non, plus rien ne pourrait changer.

Fixant le balcon, son regard s'écarquilla avant de se froncer de rage. Roméo était là, sur le balcon, sortant de la chambre de Juliette, un sourire rêveur sur les lèvres. Il l'embrassa tendrement et quitta la demeure Capulet par le mur de lierre. Depuis tout ce temps où il se torturait l'esprit… Elle… Elle…

Il reporta son regard sur elle, à peine enveloppée d'un drap blanc, alors qu'elle fixait celui qui lui avait volé son cœur disparaître dans la nuit noire. Une nouvelle fois, la haine et la jalousie envahirent son cœur, et sans attendre, il se leva. Le poison de ses émotions lui semblait plus douloureux encore que les fois précédentes. Il avait parfois la sensation qu'il pourrait mourir de ressentir une telle haine, d'une intensité brûlante, qui consumait chaque parcelle de son être. Ses pas se précipitèrent à l'intérieur, des larmes de rage roulant le long de ses joues, se mêlant à la douleur sourde qui battait à ses tempes, un bourdonnement assourdissant à ses oreilles. Il courut dans les escaliers, les grimpant quatre à quatre, son cœur battant la chamade.

Il voulait la surprendre, la prendre sur le fait. Il voulait qu'elle ait honte. Il voulait qu'elle ressente le même désespoir que lui, qu'elle souffre comme il souffrait. Et alors qu'il ouvrait la porte avec une violence incontrôlable, Juliette sursauta. Elle ne semblait pas être rentrée depuis longtemps ; le drap gisait encore au sol tandis qu'elle portait une simple chemise de nuit, tombant aux chevilles, mise sans doute à la hâte.

La porte se referma derrière lui, condamnant Juliette à affronter son destin.

Les larmes de rage continuaient de rouler sur ses joues, se perdant dans sa barbe naissante. Un pas en avant, et il se tenait là, son regard noir rivé sur sa cousine, qui semblait à la fois confuse et honteuse. Elle savait qu'il savait. Qu'il les avait vus, ou pire, entendus. La peur s'insinuait peu à peu dans chaque fibre de son être, la tétanisant alors que celui qui fut autrefois son plus fidèle allié contournait le lit pour atteindre sa hauteur, tel un loup affamé s'apprêtant à sauter sur une brebis innocente. Elle avait peur de lui.

« Comment as-tu pu ? » sa voix tremblait, non pas de peine ni de joie, mais d'une rage contenue, prête à exploser.

« Tu nous as vus… »

Elle ne niait pas, elle ne tentait pas de s'excuser, et cela le détruisait encore plus. Avec une fureur incontrôlée, il frappa le miroir de la coiffeuse, brisant le verre en mille morceaux, dont certains se plantèrent dans son poing serré. La douleur était atroce, s'étalant dans son bras avec une lenteur sadique, mais cela ne parvenait pas à éclipser la douleur de son cœur en lambeaux. Ses yeux embrasés brillaient dans la pénombre, se reportant maintenant sur Juliette, tremblante.

« Tybalt… Je t'en prie… »

Elle le suppliait, des larmes silencieuses dévalant ses joues rondes. Lentement, elle esquissa un geste vers lui, cherchant à l'apaiser, mais cette fois, il recula, refusant tout contact. Comme si le simple effleurement pouvait le brûler. Il ressemblait à un animal enragé. Le dégoût teintait son visage, anéantissant un peu plus le cœur de sa cousine. Alors qu'elle abaissait la main, son regard fut attiré par l'anneau qui ornait son annulaire : un anneau d'or blanc, surmonté d'un magnifique saphir. Un anneau. Un saphir.

« Vous vous êtes mariés ? »

Juliette ramena instinctivement sa main contre son cœur, craignant que Tybalt ne lui arrache l'anneau et le jette par la fenêtre sans pitié.

« Oui… Je… Tybalt… Je l'aime. »

Il recula encore, son visage se contractant en une grimace effrayée, comme si, devant lui, se tenait le Diable lui-même. Ses yeux s'écarquillaient d'incompréhension et de peine. La rage, la haine… Elles s'essoufflaient désormais, laissant place à un désespoir accablant.

« Non… Non ! NON ! »

Ce qui avait commencé comme un murmure d'incompréhension se transforma en un cri déchirant, faisant échapper une larme des yeux de Juliette. Son monde s'écroulait. Deux jours plus tôt, elle était son ange blond, espiègle et aimante. Deux jours plus tôt, leur vie n'était qu'un long fleuve tranquille, simplement menacé par Pâris. Deux jours plus tôt, il l'embrassait pour la première fois.

La jeune femme se sentait impuissante. Son cousin était le deuxième homme qu'elle aimait le plus au monde après son Roméo, et le voir dans une telle détresse, causée par son propre bonheur, lui était insupportable. Elle l'observa quitter la chambre, se dirigeant vers le balcon. Il s'accouda à la balustrade, prenant son visage entre ses mains, sa respiration saccadée trahissant l'angoisse qui l'étouffait.

Il savait qu'elle était derrière lui, qu'elle n'avait qu'à tendre la main pour le toucher, mais il n'en avait cure. Tout ce qui le préoccupait était cet état second dans lequel il se trouvait. Son cœur battait si faiblement qu'il pensait qu'il pouvait s'arrêter à tout moment, tandis qu'un poids écrasant l'enserrait, empêchant ses poumons de respirer correctement. Mais le pire était ce goût acre, semblable à la bile, qui emplissait sa bouche.

Que lui arrivait-il ?

« Tybalt… »

Ce cri plaintif ne lui inspirait plus rien si ce n'était l'amertume de la trahison. Jamais il n'aurait cru qu'un jour, Juliette, son étoile, le trahirait ainsi. Elle pouvait aimer tous les hommes de Vérone, même Pâris si tel était son choix. Mais pas un Montaigu. Pas Roméo.

« Je t'en prie… »

Il délaissa la balustrade et se retourna vers elle, une colère fulgurante dans le regard. Les suppliques de Juliette ne faisaient qu'aiguiser son dégoût.

« De quoi me supplie-tu !?

- De comprendre ! »

- Que veux-tu que je comprenne, Juliette !? »

D'un geste brutal, il la saisit par le bras et la tira à lui, forçant son visage entre ses doigts, capturant son regard. Son cœur, enfin libre du poids du secret, hurlait sa douleur.

« Que la femme que j'aime depuis toujours aime un autre !? Je m'y prépare depuis le jour où tu ne parlais que d'amour, mon ange. Mais jamais, au grand jamais, je ne pouvais imaginer une telle trahison. Jamais je n'admettrai que l'homme qui s'est emparé de mes rêves, qui t'a tout pris, ta vertu, ta virginité… soit un Montaigu ! »

Ses mots, des flèches empoisonnées, transperçaient l'air chargé de tension. Les larmes de rage de Tybalt dévalaient ses joues, se mêlant à la douleur qui s'accrochait à son cœur. La poigne de Tybalt se resserrait sur elle, chaque goutte de son chagrin se mêlant à la haine qui le consumait.

« Tybalt… Je t'en prie… »

Elle l'implorait, ses larmes traçant des chemins silencieux sur ses joues. À mesure qu'il relâchait son emprise, la compréhension émergea, la vérité s'imposant à elle avec la force d'un coup de tonnerre. Les pièces du puzzle s'emboîtaient : Tybalt l'aimait. Et elle, aveugle à son amour, n'avait jamais compris. Jamais avant ce baiser volé, ici même dans sa chambre.

« Je t'aime, Juliette. Je t'aime comme un fou. »

Ses mots, comme une confession sacrée, emplissaient l'espace de tension entre eux. Un feu ardent brillait dans ses prunelles, révélant la profondeur de son désespoir.

« Tu es la seule personne à qui je ne pourrais jamais faire de mal. Tu es mon trésor le plus précieux, la seule richesse qu'il me reste ici-bas. »

Un sanglot se brisa dans sa gorge, des mots qu'elle avait tant espérés maintenant gâchés par la trahison.

« J'aurais pu tout faire pour toi. J'aurais pu décrocher la lune si tu me l'avais demandé. Je t'aurais emmenée loin d'ici, loin de cette haine. Loin de Pâris. Loin de tous ces hommes qui ne te méritent pas. »

Leurs fronts se touchèrent, et son souffle se coinça dans sa poitrine. Pourquoi, alors que son cœur se tournait vers un autre, ces mots désespérés, enfin, éclataient dans la nuit sombre ?
Du pouce, il caressa ses lèvres, laissant une trace de son propre sang. Leurs bouches se frôlaient, un contact si proche et pourtant si lointain, rendant l'instant insoutenable.

« Et tu m'as trahi, sans une once de honte. »

Tybalt ferma les yeux, tentant de réprimer la rage qui pulsait dans ses tempes. Juliette, pétrifiée, était témoin de ce spectacle macabre.

« Aurais-je dû te supplier à genoux ? »

Pour donner poids à ses mots, il s'effondra à genoux, les larmes se mêlant à sa colère. Un enfant perdu, il pleurait sa haine et son chagrin. Juliette, la main tremblante, caressa ses cheveux, réalisant l'angoisse qui le consumait. Elle comprit enfin, trop tard, l'emprisonnement doré dans lequel il avait vécu, la souffrance qui l'avait rongé jour et nuit. Elle, aveuglée par ses propres désirs, n'avait jamais vu son désespoir.

« Ô, Tybalt… Qu'ai-je fait ? »

Elle tomba à genoux, le cœur lourd, et l'enlaça, consciente du désastre qu'elle avait causé. Que pouvait-elle faire d'autre ? Ses propres erreurs l'accablaient.

« Je t'aime, Juliette. »

Des larmes brisées inondèrent les yeux de Tybalt, tandis qu'il s'écartait légèrement pour la fixer. La sincérité de ses mots dans ses prunelles hazel était dévastatrice, mais… comment aurait-elle pu ?

« Il est trop tard, Tybalt. »

Les paupières de Tybalt se fermèrent, et Juliette sentit son cœur se fissurer un peu plus. Elle savait qu'avant l'arrivée de Roméo, elle avait aimé cet homme. Un amour candide, bercé par l'admiration de l'enfance. Elle avait chéri ce protecteur doux, l'implorant même en silence de l'emmener loin de Vérone, pour ne jamais revenir. Mais à présent, Roméo occupait son cœur, et tout avait basculé.

« J'aurais tant voulu que tu ouvres les yeux, ma fleur.

- Je t'en prie, Tybalt, ne lui fais pas de mal. »

Toute tendresse s'effaça des traits du blond, tandis qu'il caressait sa joue rougie par les larmes. Un vide cruel l'enveloppait, mais elle ne pouvait s'empêcher de lui faire confiance. La peur ne saurait jamais la frapper face à lui.

« Les promesses ne sont plus de rigueur, Juliette. »

Sa voix, glaciale et douloureuse, fit naître de nouvelles larmes dans ses yeux.

« Pourquoi y-a-t-il tant de haine dans ton cœur ? »

À contrecœur, il se dégagea de son étreinte. L'aube, à l'horizon, baignait Vérone d'une lumière douce et cruelle. Tybalt savait ce qu'il devait faire ; plus rien n'avait d'importance. Il se redressa, le dos tourné au soleil, et essuya d'un revers de main les larmes qui avaient sillonné ses joues, endossant le masque de froideur qu'elle lui connaissait si peu. Elle tenta de l'arrêter, enlaçant ses doigts aux siens, mais il s'éloigna, la voix encore tremblante.

« Si je meurs, me pleureras-tu ? »

Elle se redressa d'un bond, son visage doux se déformant sous le poids de la douleur. À travers son regard, il trouva sa réponse, réchauffant quelque peu son âme en lambeaux. Au moins, il manquerait à quelqu'un.

« Pourquoi souhaites-tu tant me faire souffrir ?

- Je vais simplement te faciliter la tâche, mon ange. Je ne te demande pas de choisir ; je laisse la mort s'en charger. »

Ses propres mots le brisaient, creusant un abîme au plus profond de lui-même. La souffrance l'angoissait, consumant son âme jour après jour, jusqu'à le perdre dans un flou amer. Mais à présent, il ne savait plus si c'était l'amour ou la haine qui le torturait. Silencieux, il traversa la pièce, sans un regard en arrière pour sa tendre Juliette. S'il posait encore les yeux sur elle, il craignait de manquer de courage pour partir. Et bien qu'une voix glaciale lui murmurât qu'il ne la reverrait jamais, il saisit la poignée.

« Tybalt ! »

Sans un mot, il se retourna, face à la raison de sa colère, de sa passion, de son amour. Elle se tenait là, les larmes ruisselant sur ses joues, ses cheveux blonds en désordre, ses yeux bouffis de chagrin et son corps tremblant d'épuisement. Pourtant, il ne l'avait jamais trouvée aussi désirable qu'en cet instant. Sans attendre, elle courut vers lui, se jetant dans ses bras dans un ultime acte de désespoir. Ses bras fins s'enlacèrent autour de son cou, et d'un geste maladroit, elle emprisonna ses lèvres dans un baiser. D'abord surpris, Tybalt l'enlaça à son tour, sa main droite serrant sa taille avec force tandis que la gauche se perdait dans sa chevelure dorée. C'était un baiser lourd de souffrance, où le sel des larmes mêlait l'amertume du désespoir. Les larmes de Juliette, empreintes de peur, et celles de Tybalt, chargées de douleur, s'entremêlaient. Tout aurait pu être différent… Mais tout semblait suivre le cours de ce qu'il devait être.
Lentement, les mains de la jeune femme quittèrent son cou pour glisser dans ses cheveux, leurs langues se rencontrant d'abord timidement, puis avec une passion dévorante. Alors qu'il relâchait doucement sa taille, elle resserra son étreinte sur ses cheveux, pressant son corps contre le sien. Elle ne voulait pas qu'il parte. Elle ne pouvait imaginer qu'il puisse lui arriver quelque chose.

Mais comme pour tous les baisers, le souffle vint à manquer, et ils rompirent le contact, haletants. Alors qu'elle s'apprêtait à murmurer une énième supplication, Tybalt captura à nouveau ses lèvres dans un baiser chaste mais tendre, laissant Juliette pétrifiée. Doucement, il se détacha d'elle, décrochant ses bras de son cou avec délicatesse, avant de caresser sa joue, esquissant un dernier sourire empreint de mélancolie. Sa voix rauque résonna dans la chambre de Juliette comme un ultime adieu.

« Je t'aimerai toujours, sache-le. »

Il disparut, ne lui laissant aucune chance de répondre. Juliette sentit son cœur se meurtrir dans sa poitrine alors qu'elle glissait au sol, son front se collant à la porte de sa chambre. Un sanglot déchirant échappa à ses lèvres, suivi d'un autre… Et enfin, un cri de désespoir brisa l'étau qui enfermait son cœur.


Une review et je serais la plus heureuse des auteurs !