Bonjour, tout le monde ! Voici le premier chapitre de ma nouvelle histoire ! J'espère que vous l'aimerez !
Le premier chapitre est assez sombre et ne représente pas le ton final de l'histoire. Vous verrez si vous accrochez plus tard !
Et oui, il y a aussi la version anglaise ! Comparé à mes autres histoires, celle-ci va être assez longue. Je préfère donc séparer la version anglaise de la française !
Mon début de vie a été plutôt … chaotique, je ne le crains. Le mot n'arrive cependant pas à englober la totalité de l'horreur que cela était.
Voyez-vous, je ne me souviens que de très peu d'événement avant mes 6 ans, ce qui est normal, me dit-on. Cependant, j'ai quelques bribes, des sensations qui me reviennent de cette période où, alors nourrisson puis bambin, j'étais confronté à la violence de ce monde. L'un d'entre eux, le plus fréquent, est celui d'étouffer. Je ressens encore aujourd'hui la pression familière d'une main autour de mon minuscule cou. Loin d'être un geste affectif et doux comme les caresses de ma mère, l'emprise était forte et rêche, déterminé. Elle écrasait avec une facilité déconcertante ma trachée, m'empêchant de respirer et de crier. Plus d'une fois, je me suis senti partir. Le néant m'enveloppait dans ces bras réconfortants et le silence me berçait de sa douce mélodie muette. Néanmoins, je revenais toujours à l'aveuglante et bruyante vie alors que du rouge et des cris me ramenaient à la dure réalité.
Je n'ai jamais discuté de ceci avec ma mère. Je savais qu'elle se contenterait de me sourire et de me rassurer en m'affirmant qu'il ne s'agissait que d'hallucination. N'aimant pas quand elle me mentait, j'évitais donc d'aborder le sujet.
Mon premier souvenir réel était celui de notre taudis. Il s'agissait d'une cave non éclairée d'une petite maison brûlée, sans fenêtre et qui puait l'humidité. Ma mère avait réussi à aménager dans un petit coin un endroit où elle stockait nos maigres provisions après l'avoir construit avec des murs de pierres qui le séparait de la pièce de vie. Contre celui-ci se trouvait notre lit, des draps de fortunes posés à même le sol boueux. Dans le coin qui menait à la surface, à l'opposé de notre chambre, se trouvait un bac qui nous servait à transporter de l'eau et un cercle de pierre pour faire le feu afin de cuire nos aliments. Une petite marmite, à peine plus grande qu'un bol, était installé avec un soutien de fortune. Elle les avait installé ici pour que les odeurs et la fumée puissent s'échapper par la seule ouverture possible. Dans un coin, il y avait des jouets qu'elle m'avait elle-même fabriqué. Cela limitait nos humbles possessions.
Malgré la situation plus que précaire dans laquelle nous nous trouvions, ma mère n'arrêtait pas de sourire. Elle était d'une grande beauté à mes yeux d'enfants. Sa peau d'ébène reflétait les rayons de soleil lorsque nous sortions de notre trou à rat, ces cheveux crépus formaient une sorte d'auréole autour de sa tête. Ces yeux, d'une couleur amande, illuminaient mon âme à chaque fois que je les regardais. Son nez écrasé et ses lèvres charnues donnaient de la rondeur à son visage, alors que son sourire rayonnaient de sa dentition imparfaite et jaunis par le non-entretien.
Elle était débrouillarde, pleine de bonne volonté et d'une gentillesse sans nom. Elle mendiait la majorité du temps dans les marchés, demandait du travail pour prouver sa bonne volonté, le sourire toujours aux lèvres. De temps en temps, elle arrivait à gagner quelques sous et elle était suffisamment intelligente pour ne pas les dépenser bêtement. Elle comptait, bien qu'elle n'avait jamais eu l'instruction pour le faire, afin d'optimiser le plus possible la nourriture qui allait rentrer chez nous. Elle ne se faisait jamais plaisir, même si je sais qu'elle adorait regarder les petites poupées faites mains devant lesquels on passait régulièrement. Ces yeux pétillaient devant ces jouets, des petites femmes blanches avant de beaux vêtements. Elle ne faisait aucun commentaire sur celles-ci, bien que je captais son regard posé sur ces choses inutiles. Personnellement, elles me dégouttaient.
Dès mon plus jeune âge, j'ai appris à me débrouiller. Non pas que ma mère ne s'occupait pas de moi, loin de là, mais j'étais une âme indépendante. J'avais 6 ans à peine que je sortais dans les rues afin de voler les marchands et les tenanciers afin de pouvoir subvenir à nos besoins. A l'époque, je ne me rendais même pas compte que je faisais cela pour cette raison. J'étais qu'un enfant, mon esprit était juste concentré sur le fait que j'avais faim et que je devais faire plaisir à maman. C'est aujourd'hui, avec mon esprit d'adulte, que je m'en rends compte.
J'ai été souvent attrapé et battu. Les gens ne faisaient que me hurler et me cracher dessus en m'appelant «enfant de l'Enfer». J'ai failli mourir plusieurs fois, mais j'ai toujours réussi à m'en sortir. Ce n'était pas faute d'avoir essayé mais j'arrivais toujours à m'échapper, à me faufiler entre les coups et à m'enfuir. J'étais plus fin et rapide qu'eux, malgré le fait que je mourrais de faim.
Je ne savais pas à quoi je ressemblais, à l'époque. Je n'avais aucun miroir à disposition. La seule chose que je pouvais observer, c'était la couleur de ma peau, via ce que je voyais sur mon corps. J'étais noir, bien moins que ma mère cependant. Plus claire, presque comme si j'avais délavé. Bien qu'elle me disait que ma couleur de peau était sublime, d'un caramel foncé illuminant, je ne pouvais pas m'empêcher de trouver cela bizarre, étrange, humiliant. Comme si je ne rentrais dans aucune des cases. Dans ma vie, il n'y avait jamais eu que deux options: soit vous étiez noir comme le plus foncé des charbons, soit votre peau était d'un beige claire comme du calcaire. L'un provenait de la vie, l'autre du minérale. Ma préférence allait clairement au premier. Cependant, je ne faisais parti d'aucun des deux cas. J'étais une anomalie et, même si je ne le formulais pas ainsi dans mon esprit, je me rendais bien compte de cette différence.
J'ai bien essayé de demander à ma mère qui était mon père, mais elle ne m'a jamais répondu. A chaque fois que j'abordais le sujet, elle détournait rapidement la conversation en me donnant une tâche à réaliser ou en me questionnant sur des sujets diverses. Je n'ai jamais su et, encore aujourd'hui, c'est le cas mais je n'en accorde plus d'intérêt. Cela n'a jamais été important.
Toujours est-il que mes journées étaient bercés par la routine du vol, des coups et des câlins que me faisaient ma mère pour me réconforter. A l'époque, quand j'avais 6 ans, elle ne savait pas que je commettais des crimes. Elle ne l'a appris que deux ans plus tard, à l'aurore de mes 8 ans, quand elle me vit à l'action.
J'avais bien développé mes compétences en deux ans et, désormais, j'étais une ombre que personne ne repérait. J'attendais, patiemment, dans l'obscurité des bâtiments qui entouraient le marché. J'observais de loin les allés et venues des passants et surtout, j'écoutais. J'avais toujours eu une excellente ouïe. Je pouvais entendre le moindre son qui s'écoulait autour de moi, comme une onde imperceptible sur un lac immobile. Je ciblais ma victime ainsi lorsque je constatais son inattention, sa fatigue ou sa maladie. Ce jour là, je me souviens de cette vieille femme. Il s'agissait d'une mégère connue du coin qui avait tendance à frapper les enfants qui s'approchaient d'elle. Ces yeux étaient peut être laiteux mais ces autres sens aiguisés. Aucun voleur n'osait s'attaquer à elle. D'ailleurs, j'étais le seul qui arrivait à lui chaparder quelques choses. Elle avait dans son panier une magnifique pièce de viande qu'elle avait du payer très chère, le genre qu'elle ne pouvait s'offrir qu'une fois dans une vie. La voir me donnait immédiatement une faim sans nom. J'adorais la viande.
J'ai attendu un moment avant de voir l'opportunité qui s'offrait devant moi. Pendant une seconde, toutes les attentions étaient détournés. Aucun yeux n'étaient posés sur la vielle femme et sa viande. Je me suis donc élancé. Rapide comme l'éclair, je me suis faufilé comme une ombre dans la foule, ne touchant aucun de ces composants. Avec efficacité, j'ai attrapé la viande emballé dans des feuilles et je sentis mes lèvres se courber de joie. Cela fut cependant de courte durée. Car, alors que je m'enfuyais, mes yeux se posèrent sur ceux amandes de ma mère. Elle était là, à genoux dans la crasse, en train de ramasser une pièce de cuivre que quelqu'un venait de lui lancer. Son expression de pure surprise passa soudainement à une colère noire. Ces traits épuisés se crispèrent en une grimace de fureur. Sans qu'elle ait même à hausser le ton, à parler ou à murmurer, je compris l'ordre qu'elle me donna. Avec une honte et un soupçon de déception, je lâchais la merveilleuse pièce de viande sur le sol nauséabond du marché et je m'enfuis. Mon ouïe me renseigna sur la suite des événements alors que je m'éloignais du lieu de mon larcin: ma mère avait fait remarqué à la femme que sa viande était tombée. Celle-ci, en échange de cet acte de bienveillance et d'honnêteté, lui avait donné une pièce de bronze. Mon sang bouillonnait. Cela ne suffixait même pas à acheter une miette de pain.
Quand elle rentra à la cave, j'étais assis sur notre lit, les jambes croisés sous moi et le regard défiant bien que, au fond de moi, je ressentais de la honte. Pas celle d'avoir commis ce vol, non, loin de là. Mais celle de m'être fait attraper. Elle me regarda un long moment, le visage sévère que je ne lui connaissais pas et elle s'assit finalement devant moi.
«T'es pas un crim'nel.» m'affirma-t-elle, ses yeux dures fixés sur moi.
«Ell' n'a pas faim, ma'.» lui grognai-je en réponse. Nous savions tous les deux que c'était la vérité. Elle secoua négativement la tête.
«Mon bébé.» trancha-t-elle, ce qui me fit perdre consistance immédiatement. «J'm'en fous d'ça. C'tait pas à toi, point c'est tout.»
«Mais, ma' ...» tentai-je de répliquer, mais elle m'arrêta.
«S'tu veux manger d'la viande» rétorqua-t-elle. «Alors, va chasser.»
«J'sais pas comment faire ...» gémis-je et là, son sourire réapparu, aussi puissant et lumineux que d'habitude.
«T'es intelligent, mon bébé.» m'assura-t-elle en me prenant dans ces bras. «T'trouveras comment faire, j'le sais.»
Je n'arrives pas à me décider sur la réaction qu'elle aurait eu si elle avait su que ces mots la condamneraient. J'aimerais penser qu'elle aurait préféré que je continues à voler plutôt que ce que je m'apprêtais à faire, cela aurait été en accord avec son caractère. Cependant, la vérité est que je pense que cela se serait tout de même fini de manière tragique. Elle n'aurait jamais supporté d'avoir engendré ce qu'elle considérerait comme un monstre.
A sa demande, j'ai donc commencé à chasser dans la forêt qui entourait notre village. J'ai vraiment essayé mais arriver à attraper du gibier sans que personne ne vous l'apprenne approchait de l'impossible, surtout lorsque vous avez 8 ans et que la seule éducation que vous avez jamais eu avait été dispensé par votre mère, qui elle-même n'était pas instruite.
Pendant des semaines, j'ai traqué des lapins, j'ai jeté des pierres à des oiseaux, j'ai voulu piéger un cerf, j'ai tenté de pêcher des poissons, mais rien n'y faisait. Je n'arrivais pas à obtenir mon butin. Je m'épuisais, chaque jour, et revenais bredouille à la cave, la tête basse, alors que ma mère continuait à m'encourager. Néanmoins, le manque de nourriture se faisait ressentir. Je mourrais littéralement de faim. Toutes les forces que je dépensais à la chasse n'était pas récompensée et ma mère ne gagnait pas suffisamment bien sa vie pour pouvoir me nourrir correctement. J'étais en pleine croissance, il me fallait de l'énergie. Rien ne l'apportait. Je me souviens encore de la douleur dans le ventre que l'on ressentait quand cela faisait plusieurs jours que vous n'avez rien mangé, cette sensation d'auto-digestion, les crampes sporadiques et violentes de votre estomac qui vous réclame son dû.
Un soir, il faisait nuit et seule la lune éclairait les rues boueuses de mon village. Je traînais littéralement des pieds, tiré en avant par la volonté de retrouver ma mère. Certes, comme d'habitude, je ne ramenais rien, mais me dire que je pouvais me reposer dans ces bras me donnaient la force de continuer à marcher. Je ne sais pas si ce soir j'étais destiné à mourir dans son étreinte, mais l'Enfer me montra une échappatoire. Alors que j'avançais, j'ai repéré un homme ivre couché sur le sol. Il dormait comme un loir, paisible, immobile. Je m'arrêtais alors que je voyais qu'il n'était pas mieux loti que moi. Ses haillons étaient comme les miens, sales et déchirés. Il n'avait que la peau sur les os, celle-ci d'un beige basané contrastait avec le sol boueux. Il me dégouttait au plus au point. Cet homme, que je ne connaissais pas, avait utilisé le peu d'énergie qu'il lui restait pour se saouler. Avait-il lui aussi gagné de l'argent en mendiant? Volait-il les biens d'autrui pour survivre? Je ne le savais pas et pour être honnête, je m'en fichais. Plus je l'observais, plus je me disais qu'il n'était pas si différent qu'un cerf. Ils respiraient tous les deux. Ils dormaient tous les deux. Ils étaient recouverts de chair tous les deux.
La voix de ma mère me disait que ce n'était pas bien, que ce n'était pas morale, mais je ne l'avais jamais comprise. Encore aujourd'hui, cela m'est obscure. Toujours est-il que l'homme qui se trouvait devant moi n'était pas plus important que le lapin que je poursuivais, que l'oiseau que je chassais, que la biche que je pourchassais ou encore du poisson que j'enviais. Il était une proie et, au grand dam de ces confrères, beaucoup trop confiant sur ces chances de survie.
Je m'avançais vers lui et je sortit mon couteau. Je me souvenais de la sensation de mort qui s'était emparé de moi quand j'étais nourrisson. Le cou. S'attaquer au cou signifiait la mort.
Il fut ma première victime. Je n'ai rapporté à ma mère que des morceaux de viandes que j'avais maladroitement découpé de son corps. Elle avait été ravi quand elle les avait cuisiné, m'avait félicité d'avoir réussi. Quand elle m'avait demandé ce que c'était, je lui ai dis de goûter et de deviner. Quand elle me répondit du dindon, je lui confirmais. Je ne pouvais pas lui mentir à ce sujet, mes connaissances étant limitées.
Suite à cela, mes chasses se firent nocturnes sans que ma mère ne se doute un instant de ce que je faisais. Je lui avais dis que j'arrivais toujours à attraper les proies la nuit, alors qu'ils pensaient être en sécurité. Je ne lui mentais pas, pas vraiment. Je détournais la vérité. C'est devenu l'une de mes plus grandes spécialités.
La réalisation de mes crimes passait inaperçu. La majorité du temps, les personnes que je ciblais étaient seules, sans familles ni amis. Je me concentrais sur les miséreux. Concernant les restes, bien souvent, ils étaient dévorés par les charognards dans la foulée. Tout le monde pensait que les bêtes commençaient à devenir agressive et des battus furent lancés pour chasser ces prédateurs. L'ironie de la situation était qu'ils avaient battu la bête plusieurs fois sans jamais l'avoir achevé.
Il ne fallut que quelques semaines avant que ma mère ne tombe malade. Soudain, sa santé se détériora et elle se mit à vomir dans la cave. Elle avait aussi de la diarrhée et sa peau ébène palissait à vue d'œil. Elle perdait beaucoup de poids, elle qui n'était de toute façon pas bien grasse, et elle finit alité dans notre lit. Je paniquais et je ne comprenais pas ce qui se passait. Je m'occupais d'elle comme je le pouvais, lui apportant de l'eau pour qu'elle se réhydrate et surtout de la nourriture. Beaucoup, beaucoup de nourritures. Je prenais parfois même pas la peine de cuire la viande, ce qui n'arrangeait pas son cas. Je ne le savais pas, à l'époque. Je m'étais persuadé que la nourrir la sauverai.
Le soir où ma nouvelle vie débuta, je chassais un homme ivre. Il titubait alors qu'il venait de sortir d'un bordel. Je l'avais repéré plusieurs jours plus tôt et il était loin de mes critères habituels. Il s'agissait d'un homme avec une famille, connu par beaucoup de personnes dans le village. Cependant, il était jeune, fringant et imprudent. Je me disais que sa viande devait être suffisamment bonne pour nourrir ma mère. Il s'avançait dans une ruelle sombre, loin de l'agitation de la ville, mais il ne semblait pas vouloir s'écrouler. Je n'avais pas le temps, cette nuit-là. Ma mère avait beaucoup de fièvre et elle devait être changé régulièrement pour éviter que la cave ne sente les excréments. Je me décidais donc d'agir. J'avançais lentement, mon couteau dans la main gauche et passait derrière l'homme. J'étais silencieux comme une ombre mais déterminé comme une armée. Quand nous arrivâmes suffisamment loin pour que personne ne puisse l'entendre crier, je me jetais à son cou d'un bond. Il n'eut pas le temps de pousser un son que ma lame trancha avec efficacité son aorte et sa trachée. Il se vida immédiatement de son sang et s'écroula sur le sol boueux de la rue. Je me relevais alors que j'enlevais doucement mon arme de son cou. J'allais commencé à le dépecer quand j'entendis un son approbateur venir derrière moi.
«Impressionnant.» siffla une voix grave mais sourde.
Avec effroi, je me retournais vers le témoin et ma terreur ne fit que s'accroître. La figure était immense, bien plus grande que tous les humains que j'avais rencontré jusqu'alors. Elle était fine et entièrement recouverte d'une sorte de robe noire à capuche. Aucun morceau de peau n'était visible et de son visage je n'arrivais qu'à distinguer ces yeux d'un vert clair lumineux. Mon instinct me disait de m'enfuir, que j'aurais la possibilité de le distancer, mais mon esprit logique avait repris le dessus rapidement: trois mètres pour moi signifiait deux foulés pour lui. Je ne pourrais pas m'échapper. Il fallait que je me batte. Il sembla comprendre mes intentions et se mit à ricaner.
«Je ne te conseilles pas de me considérer comme ce jeune homme, mon garçon.» susurra-t-il, amusé. «Je suis de loin beaucoup plus compétent que lui.»
«T'es qui?» demandai-je, curieux. Il se contenta de pencher la tête.
«Il n'est pas ta première victime.» constata-t-il et cela me fit sursauter. «Bien que barbare, ta méthode est plutôt bien rodée. Tu as tout d'un prédateur.»
Il sembla réfléchir avant de s'avancer vers moi. Je me tenais prêt à combattre, bien que je savais qu'il me serait bien difficile de me débarrasser de lui. Dans mon esprit orgueilleux d'enfant de 8 ans, je me disais cependant que cela restait possible.
«Pourtant, tu as l'apparence d'un rat.» finit-il par dire en se penchant légèrement vers moi. «Même s'ils sont omnivores, ils n'en restent pas moins inoffensif.»
Je fronçais les sourcils en penchant la tête.
«Om-ki-vor'?» questionnai-je. Je ne connaissais absolument pas ce mot et, pour être tout à fait honnête, la majorité des paroles sortant de sa bouche n'avait aucun sens pour mon cerveau illettré. Il se contenta de sourire, comme si j'avais posé la bonne question.
«Où sont tes parents, petit homme?» me demanda-t-il. Je ne disais rien, le jaugeant du regard. Il haussa les épaules.
«Je dois parler avec eux.» expliqua-t-il, comme s'il s'agissait d'une évidence.
«Ma' peut pas parler.» rétorquai-je. Il pencha la tête.
«Et ton père?» contra-t-il. Je restais silencieux. Cela lui suffit comme réponse. «Dis-moi.» continua-t-il. «Peux tu me décrire la situation dans laquelle tu te trouve?»
Je me léchais les lèvres alors que je réfléchissais. Mon esprit de 8 ans résumait la situation à: ce monsieur m'a vu faire quelques choses de pas bien. Je ne peux pas l'éliminer car il est trop grand et il est au courant que je suis dangereux. Donc, j'ai deux options: soit j'essaye de m'enfuir au risque qu'il me rattrape, soit je lui obéis mais en lui faisant promettre de ne pas dire à maman ce que j'avais fait. Bien entendu, aujourd'hui avec mon regard d'adulte, je vois bien plus de solution à cette situation qui aurait pu mener à des conséquences multiples mais je n'étais qu'un enfant. Mes pensées semblaient se refléter dans mes yeux car ceux de l'homme en face de moi brillèrent d'une lueur de satisfaction.
«T'dis rien à Ma'.» exigeai-je d'une voix ferme. Il sourit.
«Entendu.» accepta-t-il, d'un ton solennel.
Cela me suffit. Je jetais un coup d'œil à ma victime avant de me raviser. Le découper pour ramener un morceau à ma mère ne ferait qu'aggraver la situation et j'étais déjà bien trop sous l'emprise de cet homme. Lorsque je me détournais, je vu que les lueurs dans ces iris vertes avaient augmentés. Je le dirigeai donc vers notre cave. Il me suivit sans crainte dans les ruelles, comme s'il savait que j'allais respecter ma parole. C'était le cas, bien sur.
Lorsque finalement nous arrivâmes, un fumet désagréable sorti de l'entrée du taudis. Je grimaçais et m'enfonçais dans l'antre putride. Quand j'arrivais en bas des marches, je vis ma mère, toujours couchée dans les draps, les yeux à peine ouverts. Je m'avançais vers elle en jetant un coup d'œil à l'homme qui était courbé pour pouvoir se mouvoir dans notre cave. Sur son nez reposait sa main afin de bloquer les odeurs nauséabondes. Il jeta un coup d'œil à la cave avant de reporter son attention sur ma mère. Il semblait attristé.
«Ma'» l'interpellai-je en lui caressant les cheveux. Elle se tourna vers moi et, avec son éternel sourire, me fixa avec amour. Je continuai «Y a un m'sieur qui veut te parler.»
Elle parut surprise et fronça légèrement les sourcils alors que je lui tournai lentement la tête vers l'homme. Il se rapprocha et s'agenouilla devant elle. Ma mère cligna des yeux comme si elle cherchait à le reconnaître. Un long silence s'installa entre eux alors qu'ils se regardaient intensément. Ma mère, malgré son manque de force évident, essayait tant bien que mal à jauger l'homme.
«T'veux quoi?» demanda-t-elle, sa voix faible et rauque, à la limite de l'extinction.
«Je peux lui offrir une meilleure vie.» lui répondit-il simplement. «Je peux m'en occuper lorsque que vous vous serez éteinte. Nous savons tous les deux que c'est bientôt le cas.»
Je me souviens du frisson d'horreur qui traversa mon corps à ce moment-là. Je regardais l'homme, pétrifié, alors que l'effroi me montait à la gorge.
«Dis pas ça!» hurlai-je en me relevant. «Elle va mieux! Elle doit j'ste manger, c'est tout!»
Il me jeta un œil compatissant mais resta silencieux. Je sentis la main de ma mère me tirer lentement le haillon et me concentra sur elle. Son visage était triste mais son sourire toujours présent. Elle était si maigre, si pâle et je me mordis la lèvre pour ne pas laisser échapper un sanglot. Elle ressemblait déjà à un cadavre.
«Mon bébé.» susurra-t-elle. «V'ens.»
Je m'accroupis devant elle et elle posa ses doigts froids sur ma joue. Elle avait les larmes qui coulaient sur ces joues, inondant les creux causés par la maladie. Cependant, son sourire ne faiblit pas.
«T'choisis, mon bébé.» me dit-elle. «Mais, t'sais qu'il a raison. T'as toujours été intelligent.»
«Mais Ma'!» pleurai-je. Elle me caressa la joue pour me faire taire.
«J'sais pas qui il est.» me confirma-t-elle. «Mais, il est v'nu pour m'demander si ça m'va. C'est pas un pervers qu'ferait ça, j'le sais. J'lui fais confiance. Mais, c'est toi qui choisis, mon bébé. J'vais mourir c'soir, j'le sens.»
Les pleures ne s'arrêtèrent pas à ma demande. Je voulais lui montrer qu'elle s'inquiétait pour rien, qu'elle dramatisait la situation, mais mon inconscient savait que ce n'était pas le cas. Je voulu protester mais ma voix se brisa avant de sortir de ma bouche. Je détournais le regard de ma mère afin de ne pas lui montrer mon impuissance.
«Je ne te promets pas une vie facile.» intervient soudain l'homme. «Pour les personnes comme nous, ce n'est jamais le cas.»
Je levais rapidement les yeux vers lui, l'incompréhension se lisait certainement sur mes traits. Il se contenta d'enlever sa capuche et la cagoule qui cachait son visage. Je me figeai en me rendant compte qu'il avait la même couleur de peau que ma mère. C'était la première fois que je voyais une personne autre que ma famille posséder les mêmes caractéristiques que nous. Son visage était long, fin et pointu et ces yeux, petits et étirés, ressortaient énormément sur son visage.
«Mais ta mère a raison.» approuva-t-il. «Tu es intelligent et doué. Je n'ai pas eu besoin de discuter longtemps avec toi pour le comprendre ni t'observer en détail pour m'en apercevoir. Un tel potentiel, cela ne reste pas dans les rues comme un charognard. Si tu me suis, je t'amènerai à la capitale et je t'éduquerai. Je t'apprendrais tout ce qui a à savoir, je t'offrirai des connaissances que tu ne pourras jamais acquérir en étant coincé ici. De rat, je te transformerai en ours.»
J'essayais de comprendre ce qu'il me disait. J'avais fait le lien avec ce qu'il m'avait déclaré plus tôt, mais je n'arrivais à appréhender que la surface de son discours. Soit je restais avec ma mère qui allait bientôt mourir et je décrépirais dans ces rues immondes et injustes seul, soit je suivais cet homme qui me ressemblait et pouvait vivre. En gros, soit je restais une proie, soit je devenais un prédateur.
Le sang se mit à bouillir à mes oreilles alors que je regardais ma mère. Elle n'avait pas arrêté de sourire mais ces yeux perdaient déjà de leur éclat.
«J'peux pas t'laisser seule.» lui fis-je remarquer. Elle hocha la tête positivement.
«J't'en supplie.» me pria-t-elle. «S't'veux partir, pars mait'nant. Rappelle toi d'moi avec un vrai sourire.»
Elle me caressa de nouveau la joue et je gémis alors que j'attrapais sa main.
«Ma'» suppliai-je alors qu'elle regardait l'homme.
«C'mment t'appelles tu?» lui demanda-t-elle et il lui sourit.
«Zestial.» lui répondit-il. Elle hocha la tête.
«Occupe-toi b'en d'lui.» lui ordonna-t-elle et sa voix était néanmoins ferme, malgré sa faiblesse. «Fais de mon p'tit Alastor un homme bien.» Elle retourna son attention sur moi alors qu'elle souriait. «N'm'o'blie jamais, mon bébé, n'o'blie pas mon sourire.»
Je la détaillais dans les moindres détails afin de mémoriser la moindre de ces expressions, ces dents, ces yeux, son nez, cette joie qui transfusait à travers sa peau directement à mon âme. Je déposai un dernier baiser sur son front. Zestial se redressa et regarda autour de la pièce, à la recherche de potentiel affaire. Il n'y avait rien. J'avais déjà brûler les jouets pour chauffer la cave. La seule chose qui me restait en ce monde était en train d'ironiquement s'éteindre. Il me fit alors signe de le suivre et, avec un dernier regard à ma mère, je sortis de ce taudis alors que, son visage soulagé, je voyais qu'elle allait bientôt s'envoler.
Quand nous fûmes dehors, je regardais l'homme qui remettait sa cagoule et sa capuche.
«Qu'st ce qu'j'ai accepté de dev'nir?' questionnai-je. Il se retourna vers moi.
«L'Assassin du Roi.» me dit-il et ma seule réponse fut un soupir.
Pas d'effroi, pas de soulagement non plus. Il ne s'agissait d'ailleurs pas de mon air. Je reste persuadé que je venais littéralement d'expulser le dernier souffle de ma mère.
