Tenue de chasse

« Ce n'était pas un accident de chasse. Le duc était derrière un chêne, le vicomte ne pouvait pas lui tirer dessus ! Il n'y avait que Jussac à proximité. Et aux dernières nouvelles, vos gardes rouges n'attaquent pas les grands du royaume sans qu'on le leur ait ordonné. »

Richelieu tenta de se dégager, mais Tréville resserra sa prise sur ses poignets, qu'il tenait plaqués contre l'écorce du châtaigner. Il soutint le regard furieux du ministre.

« Je suis responsable de la sécurité du roi, Éminence. C'est mon devoir de lui rapporter les agissements qui le menacent, d'où qu'ils émanent. »

Il balaya du regard la clairière déserte :

« Je vous laisse une chance de me donner une bonne explication. »

Les aboiements de la meute s'éloignaient : le maître veneur ramenait au pavillon ses mâtins déchaînés, qui ne comprenaient pas que la mort d'un petit duc interrompît leur course au cerf. Une fois revenu au pavillon de Versailles, le roi s'étonnerait de ne plus trouver à ses côtés ni le capitaine de ses mousquetaires ni son premier ministre, et il les enverrait chercher.

Pourtant, Richelieu hésita longtemps, les yeux fixés sur le ciel bas et lourd, avant de se résigner à parler.

« Le duc exerçait sur la reine un chantage qui ne pouvait perdurer. Il avait été averti.

– Quoi, je suis censé croire que vous œuvrez pour le bien de la reine, maintenant ?

– Vous pouvez croire que j'agis pour le bien de la France, et il n'est pas tolérable que la souveraine de notre pays soit menacée par un quelconque individu.

– Sauf si c'est vous le quelconque. »

Richelieu se contenta de hausser un sourcil en réponse. Ses yeux gris se remirent à scruter le ciel, dont ils reflétaient la couleur.

« Et vous prétendez que la reine a sollicité votre aide, plutôt que celle des mousquetaires, qui lui ont prouvé leur fidélité et en qui elle a confiance ?

– Je ne pense pas que la reine ait parlé à quiconque de ses présentes difficultés ; certainement pas à moi, probablement pas à vos hommes non plus. Ce n'était sûrement pas indiqué, compte tenu du genre d'admiration que lui porte votre Aramis », ajouta-t-il d'un ton moqueur.

Tréville se sentait à bout de patience. Il détestait ces insinuations de cour, ces jeux de réputation pour lesquels on peut faire tuer un honnête soldat.

« Expliquez-vous clairement », gronda-t-il en secouant le cardinal, ce qui fit tomber des feuilles mortes sur son habit brun, parachevant le costume laïc dont il s'était revêtu pour la circonstance, car la pourpre cardinalice ne permet pas d'approcher discrètement le gibier. Seule la croix en vieil argent suspendue à son cou signalait son office : Tréville évitait de la regarder en le rudoyant.

« La reine s'est montrée beaucoup trop aimable envers l'ambassadeur d'Angleterre, le duc de Buckingham. D'aucuns en ont conçu des suspicions, qu'elle a confirmées en cédant à leur chantage. Les documents d'État qu'elle a déposés entre les mains du duc pour acheter son silence... n'ont rien à y faire, et encore moins entre les mains des Espagnols auxquels il s'apprêtait à les remettre. »

Le cardinal agita ses doigts emprisonnés.

« La sécurité de la France est-elle une assez bonne explication pour vous, capitaine ? »

Tréville fit un pas en arrière, sans pour autant lâcher sa proie.

« Et ce pauvre vicomte, qui va se retrouver dans les fers par votre faute ? Vous allez le faire payer pour les crimes d'un autre ? »

Richelieu eut un sourire rusé.

« Le vicomte de Noailles est un jeune homme patriote et intelligent, aux charmes indéniables, dont la reine demandera la grâce. Il a trop de mérites pour qu'elle ne l'obtienne pas et comme il lui devra la vie, il lui sera entièrement dévoué. Or il a tous les atouts d'un homme d'honneur et la qualité rare de ne pas désirer les femmes, ce qui en fait un compagnon parfait pour la reine. Peut-être que si elle compte dans son entourage un conseiller d'une telle fiabilité, elle commettra moins d'imprudences à l'avenir... »

Tréville secoua la tête, libérant enfin Richelieu, qui réajusta son pourpoint avant de se masser les poignets.

« Et ainsi vous gagnez un espion dans le cercle de la reine, je suppose. L'un des seuls salons où vous n'étiez pas bien introduit… Un de ces jours, Éminence, vos stratagèmes dangereux finiront comme ces tragédies qui vous aimez tant ! »

Mais ça, le cardinal le savait déjà, et il n'en redoublait pas moins d'efforts pour s'immiscer dans toutes les affaires de la cour, songeait le capitaine en se détournant, mi-exaspéré, mi-admiratif.


Ce chapitre a été écrit pour le prompt 14 du Whumptober 2024 sur Tumblr.