FEYRA

Feyra se trouvait au chevet de son frère. Il avait reçu un filtre calmant et dormait à présent d'un sommeil de plomb. Il avait repris des couleurs, même si sa fièvre persistait encore. Eweleïn finissait de bander ses blessures. Elle les avaient nettoyées, avait appliqué différents baumes cicatrisants dessus, et avait aussi recousu certaines plaies. Elle l'avait examiné sous tous les angles. Kenneth était entre de bonnes mains.

L'elfe noua les deux derniers pansements ensemble avant de tourner la tête vers elle. Leurs regards se croisèrent et elle lui adressa un léger sourire qui se voulait rassurant, puis ses iris glissèrent sur les bracelets à ses poignets. Eweleïn fronça les sourcils et pinça ses lèvres qui ne formèrent bientôt plus qu'une ligne droite à peine visible. Elle se redressa et se dirigea vers son bureau tout en s'essuyant les mains sur son tablier de travail. Elle ouvrit un tiroir, puis revint sur ses pas et lui tendit un petit pot en verre.

« Quand on te retirera les bracelets, tu pourras mettre ça sur tes brûlures. Ça te soulagera et ça accélérera la cicatrisation. Avec un peu de chance, tu ne garderas pas de cicatrices, enfin pas de nouvelles. » précisa-t-elle.

Feyra prit le pot, le serrant fort entre ses doigts, et la remercia. Elle ne savait pas si elle en aurait l'utilité, ni quand, ignorant ce que la garde étincelante déciderait à son sujet, mais peu importe. Le geste la toucha néanmoins. Elles furent soudain interrompues par une faerie à la peau matte et aux cheveux bleu clair qui fit irruption dans la pièce, les bras chargés de fioles.

« Eweleïn, j'ai les potions que tu as demandées. »

Elle posa le tout bruyamment sur une table, faisant grincer des dents Eweleïn, puis se retourna. Elle se figea alors en remarquant les deux nouveaux venus, et sembla hésiter entre prendre ses jambes à son cou ou poser un milliard de questions. Mais l'infirmière fit ce choix pour elle et la congédia. Elle la raccompagna jusqu'à la sortie et revint quelques instants plus tard.

« À ton tour maintenant, je vais t'examiner.

_ Ce n'est pas nécessaire, je vais bien. C'est de Kenneth dont il faut s'occuper.

_ Et je m'en suis occupée. Viens, suis-moi. Tu es coincée ici de toute façon et je ne te laisserais pas partir sans un examen médical approfondi. »

Elle lui indiqua un lit vide d'un signe de la main et Feyra, résignée, capitula. Elle prit place et l'elfe tira un drap pour leur offrir un peu d'intimité. Elle entreprit ensuite d'examiner minutieusement chaque parcelle de son corps. La jeune femme avait de vieux hématomes sur les côtes et les cuisses qui viraient lentement au jaune, mais rien de grave. Eweleïn ne prit pas la peine de mentionner de nouveau les cicatrices qu'elle avait autour des poignets et des chevilles. Elle prit des notes sur son carnet, puis le posa sur la table de chevet et vint s'asseoir à côté de Feyra, l'air sérieux.

« Il faut que je te pose une question. Je comprendrai si tu n'as pas envie de me répondre, mais il faut que je te la pose quand même. Si tu veux garder ça pour toi, tu en as le droit, mais ... Si tu as besoin d'en parler, je suis là. »

Feyra haussa un sourcil interrogateur.

« Est-ce que durant toutes ces années de ... elle secoua la tête, ne trouvant visiblement pas les bons mots. Est-ce que quelqu'un a déjà posé la main sur toi ? À abusé de toi ? »

Elle se sentit rougir de gêne et détourna le regard.

« Personne ne m'a jamais touché. Pas comme ça, si c'est ce que tu es en train de me demander. »

Il y avait eu des coups, bien sûr, mais rien de plus.

« Bien, tant mieux, Eweleïn lui serra doucement la main avant de se lever. Je vais te donner quelque chose pour tes bleus. Je vais aussi te trouver des vêtements propres pour que tu puisses te changer et tu peux bien évidemment rester ici cette nuit. »


La nuit était en train de tomber lorsque Nevra entra dans l'infirmerie. Il entraîna Feyra dans un coin à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes. Il semblait nerveux et faisait les cent pas. Il avait l'air étrangement sérieux, et la jeune femme ne savait dire si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

« La garde étincelante n'a pas encore tranché sur ton statut, on doit en rediscuter demain. Mais de toute façon, on ne pourra pas prendre de décision sans Lance et Ezarel. Ils devraient être de retour d'ici la fin de semaine. La bonne nouvelle, reprit-il, c'est que tu as peu de chances de te faire exécuter sur la place publique.

_ Et la mauvaise ? »

Il se gratta l'arrière de la nuque.

« La prison n'est pas encore écartée, mais quelle que soit la décision prise, il y aura forcément une contrepartie. La garde ne donne rien sans rien.

_ Je n'ai pas d'argent.

_ Ce n'est pas ça. Si jamais la garde étincelante décide de te laisser libre de tes mouvements, il faudra que tu mettes la main à la pâte, que tu donnes un coup de main. C'est encore en pourparlers de toute façon, alors ne te prend pas la tête. »

Il posa les mains sur ses épaules et s'efforça de lui sourire, avant de baisser les yeux sur ses mains.

« Concernant les bracelets ... Il faut que tu les gardes, au moins jusqu'à –

_ C'est bon Nevra, elle se dégagea de sa prise. J'ai compris. »

La jeune femme retint un soupir et croisa les bras contre sa poitrine, froissant les manches de son nouveau haut. Eweleïn lui avait trouvé des vêtements de rechange comme promis, et elle avait troqué ses vêtements de voyage sales contre un ensemble en soie bleu nuit, incrusté de fil doré, qui laissait son ventre et ses épaules saillantes apparents.

« Ce n'est qu'une question de jours, promis. Tu as mangé ? demanda le vampire. Je peux te montrer la cantine si tu veux. Je crois que Jamon ne serait pas contre un petit casse-croûte.

_ Ce n'est pas la peine. Eweleïn a apporté ce qu'il faut. Je vais rester ici et attendre que Kenneth se réveille. »

Elle marqua une pause et secoua la tête.

« Elle a aussi dit que je pouvais dormir ici cette nuit. J'espère qu'elle étendra la proposition aux prochains jours. Apparemment, je vais en avoir besoin … »


Deux semaines passèrent avant qu'elle ne soit appelée par la garde étincelante. Elle était restée à l'infirmerie aux côtés de son frère durant tout ce temps, ne souhaitant pas déambuler dans les couloirs avec un ogre dans son sillage. Mais plus que tout, elle ne voulait pas entendre les ragots dont elle était la cible.

Les gardiens ne parlaient plus que des deux infernis et certains étaient même venus à l'infirmerie, prétextant de faux maux pour essayer de les apercevoir. Eweleïn avait, heureusement, rapidement mis fin à ces subterfuges. Elle avait menacé quiconque oserait remettre un pied dans l'infirmerie sans raison valable de lui faire avaler des champignons fumants. Feyra ignorait ce que c'était et quelles en était les propriétés, mais cela semblait être assez horrible pour les dissuader de revenir.

« La garde étincelante veut te voir. » annonça l'elfe.

Feyra acquiesça et reporta son attention sur Kenneth. Elle lui sourit doucement, puis passa une main dans ses boucles brunes en bataille. Il avait repris des couleurs et se sentait mieux. Il n'avait presque plus de douleur aux jambes, il était en bonne voie vers la guérison. Eweleïn était assez optimiste quant à son état, il pourrait quitter le lit avant la fin du mois.

« On se voit après. » lui dit-elle timidement, sans savoir si c'était vrai ou non.

L'ogre – Jamon – l'attendait près de la porte de l'infirmerie. Elle aurait préféré que Nevra soit son escorte. Il aurait sans doute trouvé les bons mots pour la rassurer – ou tout du moins essayer – et sa présence lui aurait apporté un certain réconfort. Elle ne l'avait pas beaucoup vu ces derniers jours. Il était passé en coup de vent pour prendre des nouvelles de son frère, mais il n'était pas resté longtemps.

Ils entrèrent dans la salle du cristal et s'arrêtèrent à quelques mètres de l'estrade. Feyra avait l'impression d'être un prisonnier qu'on menait vers la potence, ou vers sa nouvelle cage, avec ses chaînes aux poignets et le gardien armé dans son dos. Elle releva la tête, tous ceux présents lors de l'entrevue de l'autre jour était là, plus deux autres hommes. Le premier, celui qui avait des oreilles pointues, haussa un sourcil interrogateur à son attention tandis que le second la regarda à peine. Il avait la peau matte, les cheveux blancs coupés courts et ses prunelles étaient obstinément tournées vers les fenêtres, comme si ce qui allait suivre ne l'intéressait pas et qu'il préférait mille fois être ailleurs.

Miiko se racla la gorge et fit un pas en avant.

« Nous avons fini par trouver un accord et statuer sur ton cas Feyra. Tous les torts ne te reviennent pas dans cette histoire et tu as certainement des circonstances atténuantes. Tu peux remercier ton avocat pour ça, elle en jetant un regard appuyé en direction de Nevra. La garde offre des secondes chances, c'est vrai, mais ce n'est pas gratuit. Tu disais que tu étais prête à faire tout ce qui était nécessaire pour rembourser ta dette, alors nous t'avons prise au mot. Tu vas intégrer la garde et nous aider dans notre travail. »

Elle se tourna vers l'hybride à la corne de licorne.

« Kero, à toi l'honneur. »

Ce dernier bafouilla quelques mots, puis remit correctement ses lunettes sur son nez avant de descendre les marches. Il l'invita à se diriger vers un foyer qui se trouvait un peu en retrait, sur leur gauche, au sein duquel reposaient des braises encore chaudes. Feyra le suivit, perplexe. Elle ne comprenait pas. Elle s'était attendue à finir en prison ou au mieux, à devoir aller travailler dans les cuisines, pas à intégrer la garde et se voir affecter une place de choix dans leur organisation.

« Il faudrait que je lui enlève ses bracelets. Je ne sais pas si cela peut avoir un effet ou non, mais je ne voudrais pas que le test soit faussé, fit le dénommé Kero.

_ Ah oui, c'est vrai. Retire-les-lui, dit la kitsune avec un mouvement futile de la main, comme si ce n'était rien. Prouve-nous que nous avons raison de te faire confiance. »

Il s'exécuta et la jeune femme retint difficilement un soupir de soulagement en massant ses poignets endoloris. L'hybride mit les bracelets de côté sur le rebord en pierre blanche de l'âtre et lui tendit ensuite une dague avec un rubis rouge sang sur le pommeau. Elle le regarda, surprise.

« C'est pour quoi faire ?

_ Pour déterminer quelle garde tu vas intégrer. Ton sang va réagir avec le feu, enfin c'est ce qui se passe normalement. J'avoue que je n'ai jamais fait ça avec un inferni avant aujourd'hui. Il se pourrait que ça ne se passe pas ... Peu importe. Il faut juste quelques gouttes de sang. »

Il fit un geste en direction de la lame qu'elle tenait dans ses mains. Feyra jeta un regard vers l'estrade, cherchant les prunelles chaleureuses et amicales de Nevra. Elle le vit hocher la tête, l'invitant à poursuivre. Elle prit alors une profonde inspiration et entailla superficiellement sa paume. Elle plaça ensuite son poing serré juste au-dessus du foyer et des flammes apparurent à la seconde où son sang entra en contact avec les braises. Mais elles n'avaient rien de normal, elles étaient aussi noires et sombres que la nuit. Feyra lança un regard alarmé à l'homme à ses côtés. Elle n'avait rien fait, elle n'y était pour rien.

« Je n'ai rien fait, ce n'est pas moi.

_ Je sais, c'est normal, la rassura-t-il avant de se tourner vers les autres. Garde obsidienne.

_ Quoi ? C'est une blague ? » vociféra une voix grave et rauque.

L'homme aux cheveux blancs posa un regard froid et hostile sur elle. Elle le dévisagea. Il était grand, plus que tout les autres faeries regroupés sur l'estrade qu'il dépassait d'au moins une tête. Il portait une armure grise aux reflets argentés qui lui seyait atrocement bien, faisant ressortir les muscles de son torse et de ses bras. Des mèches de cheveux retombaient sur son front, mais pas assez pour dissimuler les deux cicatrices qui barraient son nez et le haut de sa joue droite. Mais ce qui retint le plus son attention, ce furent ses yeux, d'un bleu glacial, presque mordant, qui la transperçait de part en part. Feyra déglutit, et se rendit compte seulement maintenant qu'elle avait arrêté de respirer.

« C'est toi qui la ramènes ici, mais c'est moi qui vais devoir me la coltiner ? »

Il s'était tourné vers le vampire, rompant tout contact visuel avec elle.

« De quoi tu te plains Lance ? Elle n'est pas désagréable à regarder. » répondit celui-ci.

La jeune femme fronça les sourcils. Il parlait d'elle là ? Sérieusement ?

« Ce n'est pas une condition pour faire partie de l'obsidienne Nevra. »

Le faelien qui portait des vêtements blancs et verts prit soudain la parole :

« Personnellement, je trouve que ça lui correspond bien. Le feu attire le feu comme on dit. Je ne la vois pas ailleurs que dans ta garde Lance, le chef de l'obsidienne lui adressa un regard mauvais. Vous imaginez une inferni dans la garde absynthe ? Elle risquerait de tout brûler sur son passage et de réduire le laboratoire en cendre.

_ Mais si elle réduit ma garde en cendre, ce n'est pas grave ? »

Kero soupira bruyamment à ses côtés avant de sortir un mouchoir propre de sa poche. Il lui tendit afin qu'elle puisse essuyer le sang qui coulait toujours dans le creux de sa paume, puis fit un signe à la brownie aux grandes oreilles. Celle-ci s'empressa de descendre les marches et de les rejoindre.

« Tu peux y aller. Ykhar va te montrer ta chambre.

_ Mais je ... »

Elle n'était pas sûre qu'elle avait le droit de partir, pas tant qu'il y avait des protestations.

« Ne t'inquiète pas, vas-y, la coupa-t-il. Il s'y fera, le test a parlé. Lance n'a pas son mot à dire, même si ça ne lui plaît pas.


[NOTE DE L'AUTEUR]

Je tenais à modifier le processus de répartition parce que bon, autant le fait de "remplir un formulaire" peut passer dans le jeu, mais dans ce cas-ci, ça aurait fait perdre toute crédibilité à la garde. Il se peut d'ailleurs qu'il y ait d'autres modifications à venir par rapport au jeu, ou des détails que je ne prendrais pas à compte. Je le mentionnerai si ça a vraiment de l'importance.