FEYRA
Ykhar lui fit une visite rapide du quartier général et lui montra des endroits qui lui seraient utiles comme la cantine ou encore les douches communes. Elles croisèrent plusieurs gardiens sur leur chemin. La plupart regardèrent Feyra avec méfiance, mais aucun n'osa faire le moindre commentaire, du moins, pas devant elle.
La brownie la guida ensuite le long d'un couloir sombre dont le sol était recouvert d'épais tapis rouges aux broderies dorées. Elle s'arrêta devant l'une des nombreuses portes et, tout en souriant doucement, lui intima d'un geste de la main de pousser le battant. Feyra ouvrit la porte et entra dans la pièce. Les murs étaient d'une douce couleur beige. Une commode, ainsi que des étagères où quelqu'un avait pris soin de disposer quelques livres, ornaient le mur de droite. De l'autre côté, un grand lit double occupait l'espace et sur le mur opposé à la porte, une large fenêtre laissait filtrer les rayons du soleil couchant.
« Le mobilier est un peu sommaire, mais tu pourras aménager selon tes goûts. Par contre ... Ykhar sembla hésiter un instant et se mordilla nerveusement les lèvres. Seuls les membres de la garde peuvent loger dans l'enceinte du quartier général, les autres doivent aller au refuge. Je suppose que tu ne voudras pas être séparée de ton frère, alors il faudra que vous partagiez cette chambre quand il sera remis. J'espère que ça ira.
_ Ça sera largement suffisant pour nous deux, merci. »
Feyra se tourna vers elle et esquissa un semblant de sourire.
« Je te laisse t'installer. Tu es libre de tes mouvements, mais à ta place, j'éviterais de m'aventurer en dehors des murs d'enceinte pour le moment, du moins, pas toute seule. Si tu as la moindre question ou besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à venir nous voir, Kero et moi. Le plus souvent, tu nous trouveras à la bibliothèque. »
Ykhar partis en refermant la porte derrière elle, et la jeune femme en profita pour souffler. Elle passa une main dans ses cheveux. Il y avait encore une heure, elle pensait qu'elle finirait ses jours au fond d'une geôle et maintenant, elle se voyait offrir une chambre et une place au sein de la garde. Ce n'est pas possible. Elle releva la tête et, les jambes tremblantes, se dirigea vers la fenêtre qui donnait sur les jardins, mais elle ne profita pas plus longtemps du paysage et quitta à son tour la pièce. Elle retourna trouver refuge à l'infirmerie aux côtés de son frère et lui raconta son entrevue avec les membres de la garde étincelante sans omettre le moindre détail.
« Je savais bien qu'ils ne t'enverraient pas en prison, lui avait répondu Kenneth, les yeux à moitié fermés. Tu vois ? J'avais raison. »
Elle n'avait rien dit, se contentant d'acquiescer silencieusement ses paroles. Selon elle, elle ne méritait pas autant de clémence. Elle avait conscience de ses actes. Elle avait tué des gens. Elle n'avait rien d'une innocente ou d'une victime et avait pensé chaque mot qu'elle avait dit à la garde le premier jour. S'ils avaient voulu la jeter en prison, ou pire, elle n'aurait pas résisté. Elle aurait accepté son sort. Tout ce qu'elle voulait, tout ce qui comptait, c'était que son frère soit en sécurité. Il avait déjà trop souffert pour une vie entière.
Feyra était restée à l'infirmerie jusqu'aux premières heures de la nuit. Elle avait mangé avec Kenneth, le regardant avaler consciencieusement son bouillon de viande par petites gorgées. Il s'était endormi peu de temps après, et elle-même commençait à piquer du nez quand Eweleïn avait posé une main sur son épaule, la faisant sursauter.
« Je vais rester encore un peu … Juste pour garder un œil sur lui.
_ Il va bien, il ne va pas disparaître. Et tu tiens à peine debout, tu devrais aller dormir. Dans ta chambre, précisa l'elfe en la voyant ouvrir la bouche pour répliquer. Depuis quand n'as-tu pas eu une vraie nuit de sommeil ? Je suis bien placée pour savoir que les lits et fauteuils de l'infirmerie ne sont pas aussi confortables qu'ils en ont l'air. Vas-y, il sera toujours là demain matin. Tu pourras venir le voir quand tu en auras envie. »
Il faisait nuit noire lorsque Feyra traversa le hall. Il était tard et elle ne croisa personne sur son chemin, pas même les faeries qui étaient censés être de garde. Elle frissonna et frictionna ses mains contre ses bras tout en accélérant le pas. Les lanternes disposées le long du couloir qui menait aux chambres diffusaient une douce lumière bleutée, mais ne lui permettait pas de voir à plus de deux mètres devant elle.
Elle se stoppa brusquement au milieu du couloir. Dos à elle, une silhouette se tenait juste devant la porte de sa chambre, et se retourna pour lui faire face. Sous la lumière vacillante, elle le reconnut tout de suite. Lance lui jeta un regard noir, visiblement peu ravi d'être ici. Il fit plusieurs pas dans sa direction et elle sentit son cœur battre un peu plus vite, redoutant ce qui allait suivre. Feyra lutta pour ne pas reculer. Il s'arrêta juste devant elle, l'obligeant à lever la tête pour le regarder dans les yeux. Il resta silencieux pendant un court instant, la mâchoire serrée, tout en la regardant de haut en bas avec dédain. Ses prunelles étaient aussi froides que la glace.
« Demain matin, entraînement à sept heure. Ne sois pas en retard. On verra de quoi tu es capable, Sorcière. »
Il ne lui laissa pas le temps de répondre, et sur ces mots, disparut dans le couloir.
Le lendemain matin, Feyra remercia mentalement Yhkar – ou qui que ce soit – qui avait déposé des vêtements à sa taille dans son armoire. Elle avait pu troquer son ensemble en soie contre un haut et un pantalon noir moulant. Elle avait enfilé par-dessus un plastron en cuir qui s'attachait avec une seule boucle sur son épaule droite, ne recouvrant que le haut de son buste. La jeune femme ne savait pas à quoi s'attendre. Elle n'avait aucune idée d'en quoi consisterait son « entraînement », mais elle savait déjà que ça n'allait pas lui plaire, alors autant essayer de ne pas empirer les choses avec une tenue inappropriée.
Elle tressa ses cheveux avant de jeter un regard par la fenêtre. Au loin, le soleil était en train de se lever. Elle sortit de sa chambre, quelque peu hésitante. Elle ne savait pas où elle devait aller, cet idiot imbu de sa personne et caractériel qui lui servait de chef s'était bien gardé de le lui dire. La logique voulait que les entraînements aient lieu dehors, mais durant sa visite des lieux avec Yhkar, elle n'avait vu aucun emplacement dédié. Les jardins ne pouvaient pas accueillir toute une garde au complet et étaient, de toute façon, constamment occupés par les habitants du refuge.
Feyra se glissa prudemment à l'extérieur du quartier général et aperçut plusieurs gardiens qui se dirigeaient vers les arches. Elle les suivit et eut raison de le faire. Les plaines verdoyantes qui entouraient les murs d'enceinte de la cité étaient occupées par différents groupes de fairies. La plupart s'entraînaient au maniement des armes avec des épées, des glaives ou même des haches pendant que d'autres préféraient se battre au corps-à-corps.
Elle repéra rapidement Lance. Il était facilement reconnaissable avec ses cheveux blancs et son armure qui brillait sous les premiers rayons du soleil. Elle prit une profonde inspiration pour se donner du courage. Elle savait déjà qu'il ne l'aimait pas, et le sentiment était réciproque, mais elle marcha quand même dans sa direction. Il était son chef à présent et elle avait bien compris que c'est à lui qu'elle devrait rendre des comptes. Super. Sur son passage, les gardiens interrompaient leurs exercices pour poser les yeux sur elle, échangeant entre eux quelques messes basses.
« C'est elle ?
_ Évidemment que c'est elle, qui veux-tu que ce soit d'autre ? L'oracle ?! »
Elle les ignora, s'efforçant de ne laisser transparaître aucune émotion sur son visage. Le menton levé, elle continua de marcher droit devant elle sans leur accorder un seul regard. Elle devait rester impassible. Elle n'avait pas le droit à l'erreur, car au moindre faux pas, elle risquait de finir dans une geôle. Et elle se doutait que le chef de l'obsidienne se ferait un plaisir de l'y conduire lui-même. Celui-ci d'ailleurs, était en grande conversation avec un autre faelien qui lui ressemblait étrangement. Ils avaient presque la même carrure et arboraient tous les deux un teint matte et des cheveux blancs.
Feyra s'arrêta à quelques mètres d'eux, mais aucun des deux hommes ne lui prêta attention. À aucun moment, Lance ne daigna regarder dans sa direction. Est-ce qu'il l'ignorait délibérément ou est-ce qu'il ne l'avait pas vu arrivé ? Elle n'aurait su le dire, même si elle penchait plus pour la première option. Elle se racla la gorge et ce fut le gardien aux prunelles ambrées qui posa en premier les yeux sur elle, haussant un sourcil. Lance se tourna à son tour, lui jetant un regard par-dessus son épaule. Il retint un soupir.
« Sirius, viens par ici. »
Le susnommé, qui ne devait pas être beaucoup plus âgé qu'elle, s'approcha. Il avait les cheveux bruns mi-longs qui lui arrivaient jusqu'aux épaules, et dont la partie supérieure était relevée en chignon. Il portait un ensemble de vêtements assez similaire aux siens et tenait négligemment son épée contre son épaule. Ses grands yeux noisettes la regardaient avec amusement.
« Occupe toi d'elle et vois ce que tu peux en tirer. Je n'ai pas beaucoup d'espoir, mais si on la laisse de côté, Miiko va me tomber dessus, poursuivit le chef de l'obsidienne comme si de rien n'était avant de reposer son attention sur elle. Essaye de ne pas pénaliser les autres, ils n'ont rien demandé. Et tes petits tours de passe-passe, ici tu les oublies.
_ Ce ne sont pas des ... »
Elle ne termina pas sa phrase, vu le regard noir qu'il lui lançait, il valait mieux qu'elle se taise si elle voulait rester en un seul morceau. Feyra lui rendit son œillade assassine et serra des poings. C'était officiel, elle le détestait. Elle non plus ne voulait pas être ici. Elle n'avait pas eu son mot à dire, on ne lui avait pas laissé le choix.
« Bien. » siffla-t-elle entre ses deux.
Lance lui lança un dernier regard en guise d'avertissement avant de s'éloigner aux côtés de l'autre faelien. Elle souffla bruyamment, puis remarqua le gardien – Siruis – qui l'observait du coin de l'œil. Il pencha la tête sur le côté, faisant glisser quelques mèches de cheveux sur son front.
« Tu t'es déjà servi d'une épée ? Ou de n'importe quelle autre arme ? Tu sais te battre au moins, ou pas du tout ? À quand remonte la dernière fois que tu as dû fournir un effort physique important ? Si je te demande de me faire des pompes, tu serais capable d'en faire combien ? »
Feyra le regarda avec des yeux ronds comme des soucoupes et bégaya.
« Laisse tomber, le plus simple c'est qu'on reprenne tout depuis le début. Je vais te montrer les bases, il planta sa lame dans le sol. Je pense que je ne n'aurais pas besoin de ça tout de suite. »
