FEYRA
«Quand est-ce que je m'entraînerais avec autre chose qu'une lame émoussée ? râla-t-elle.
_ Quand je le jugerais nécessaire. »lui répondit simplement Valkyon.
Feyra se retint de lever les yeux au ciel. Valkyon supervisait son entraînement depuis plusieurs semaines et elle devait bien reconnaître qu'il avait raison sur un point. Elle était faite pour le maniement des armes, pas pour le combat au corps-à-corps, malgré l'avantage que pouvait représenter ses flammes. Elle avait plus progressé ces derniers temps que lorsqu'elle s'exerçait avec Sirius. Même si, pour le moment, elle devait se contenter d'une simple lame émoussée afin de s'habituer au poids sans pour autant se mettre en danger ou se blesser. Le gardien s'était montré intraitable à ce sujet. Il était hors de question qu'il mette une vraie épée - une arme mortelle, faîte pour tuer - entre les mains d'une novice.
«On reprend. Mets-toi en position.» fit Valkyon, ponctuant sa phrase par un mouvement de tête.
Feyra s'exécuta. Elle fit tournoyer sa lame, puis attaqua en premier. Son arme glissa en ligne droite dans les airs et rencontra celle de son adversaire qui para facilement son coup. Le choc résonna jusque dans les os de son épaule droite. La jeune femme tournoya sur elle-même. Ses mouvements ne possédaient aucun semblant de grâce ou d'élégance. Ils étaient bruts, hachés, précipités. Elle ne réagissait pas encore par automatisme et avait parfois un temps de retard sur le combat. Il lui fallait toujours quelques secondes pour se souvenir des différentes parades que lui avait montrées Valkyon.
Leur échange gagna en vitesse. Feyra essaya de faire abstraction de la douleur qui raidissait ses muscles, de son sang qui tambourinait contre ses tempes ou encore du soleil qui chauffait sa nuque. Une goutte de sueur glissa le long de son dos. Valkyon continua ainsi pendant plusieurs minutes, ne lui laissant aucun répit, la repoussant sans cesse dans ses retranchements. Il gagnait du terrain sur elle, effectuant plusieurs combinaisons dans un enchaînement parfait, à un rythme effréné, qu'elle s'efforçait de suivre. Et après ce qui lui parut une éternité, le gardien lui accorda une nouvelle pause. Elle accueillit la nouvelle avec soulagement avant de passer une main sur son front moite, balayant les quelques mèches de cheveux bruns qui gênaient sa vue.
«Je peux savoir ce que tu fais ?» s'exclama une voix froide, presque glaciale, dans son dos.
Feyra se figea, tout comme le sang qui coulait dans ses veines. Elle releva la tête, croisa les prunelles ambrées de Valkyon, puis jeta un coup d'œil fébrile par-dessus son épaule. Lance se tenait devant eux, le regard noir et la mâchoire serrée. Elle déglutit avec difficulté, mais heureusement pour elle, l'attention du chef de garde n'était pas portée sur elle. Ses pupilles polaires étaient braquées sur son frère, qui ne sembla pas le moins du monde intimidé.
«Je m'occupe de son entraînement, répondit Valkyon en haussant nonchalamment les épaules.
_ Oui merci, j'aurais pu le deviner tout seul. La question c'est, pourquoi ?»
Feyra se sentait de trop dans cette discussion. Elle ne voulait pas se retrouver entre les deux. À cet instant, elle aurait tout fait pour être une musarosse et disparaître au fond d'un trou.
«A ton avis ?
_ Ce n'est pas ce que je t'ai demandé. Je t'ai demandé de t'occuper de la garde en mon absence, pas de t'occuper d'elle. Lance cracha presque le dernier mot. Sirius devait s'en charger, où est-il ?»
À l'entente de ces mots, la jeune femme contracta violemment sa mâchoire. Les jours passés loin de la garde - et donc par extension loin d'elle - ne semblait pas avoir amélioré son humeur. Au contraire.
Feyra lutta de toutes ses forces pour ne pas ouvrir la bouche et dire quelque chose qu'elle pourrait regretter. Elle ne voulait pas lui faire le plaisir de lui donner une excuse pour l'envoyer en conseil de discipline, ou pire. Elle n'avait pas particulièrement envie de finir dans les geôles humides de la prison pour insubordination, alors à la place, elle se concentra sur la garde de la lame qu'elle tenait toujours entre ses mains. Elle la serra tellement fort que ses jointures devinrent blanches.
«Je sais que ce je fais Lance, ne t'inquiète pas, lâcha finalement Valkyon.
_ Tu crois ça ?»
Lance se résolut enfin à poser les yeux sur elle. Il la jaugea de haut en bas, tandis que son habituelle moue désapprobatrice déformait les traits saillants de son visage.
«On en reparlera plus tard. Maintenant, si tu permets, j'ai un entraînement à finir.»
Valkyon posa sa main sur le coude de la jeune femme et l'entraîna un peu plus loin dans les plaines. Mais même si elle s'éloignait, Feyra pouvait sentir la brûlure du regard inquisiteur de Lance sur sa nuque. Il ne les laisseraient pas s'en tirer aussi facilement. Il nelalaisserait pas s'en tirer aussi facilement.
L'air frais de la nuit fit voler des mèches de cheveux bruns, qui vinrent lui chatouiller le visage. Il était tard. La nuit était tombée depuis plusieurs heures et Feyra avait profité de l'obscurité pour se glisser furtivement dans les forges et emprunter une arme - une vraie - dont la lame en acier brillait au clair de lune. Elle s'était ensuite dirigée vers un coin éloigné des jardins, désert à cette heure tardive, pour s'entraîner à l'abri des regards. Elle avait répété encore et encore des gestes et combinaisons qu'elle tentait d'assimiler depuis des jours, grisée rien qu'à l'idée de tenir une véritable épée entre ses mains. Elle avait fini par regagner discrètement le bâtiment, se glissant telle une ombre entre les portes. La jeune femme était sur le qui-vive, tous les sens en alerte. Elle ne souhaitait pas tomber sur quelqu'un et expliquer ce qu'elle faisait. Elle marchait lentement, essayant de faire le moins de bruit possible, lorsque des éclats de voix en provenance des forges se firent entendre, la faisant se stopper net au milieu du hall.
«Je ne sais pas à quel jeu tu joues Valkyon, mais arrêtes tout de suite.»
C'était la voix de Lance, aussi froide et dure que la glace. Elle se maudit intérieurement, de toutes les personnes qu'elle ne voulait pas croiser ce soir, il figurait tout en haut de la liste.
«C'est toi qui devrais arrêter. Elle n'est pas une menace pour nous, alors admets-le et arrête de te comporter comme un salaud avec elle. Je lui donne juste un coup de main, c'est tout. Rien de plus.
_ En quoi est-ce que tu l'aides exactement ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Lui apprendre à cracher du feu ?siffla son frère, mauvais.Elle n'a pas besoin de toi pour ça, je parie qu'elle sait très bien le faire toute seule.
_ Elle n'a pas demandé à être ici. Si ça te dérange tant que ça qu'elle fasse partie de la garde, tu n'avais qu'à voter pour l'envoyer en prison.
_ Parce que tu crois que ce n'est pas ce que j'ai fait ? » répliqua Lance, acide.
Connard.
Ils parlaient d'elle. Elle n'en était pas sûre au début, mais maintenant, le doute n'était plus permis. Il n'y avait aucun autre gardien qui avait échappé de peu à la prison, et dont la présence pouvait être source de conflit entre les deux frères.
Des bruits de pas attirèrent son attention et Feyra eut juste le temps de se cacher derrière l'une des colonnes en marbre avant que les deux gardiens ne fassent irruption dans le hall. Elle pressa sa main avec force contre sa bouche pour s'empêcher de faire le moindre bruit.
«Garde tes distances Valkyon, ne t'approche plus d'elle. Et ce n'est pas un conseil, c'est unordre.»
Elle entendit ce dernier soupirer bruyamment et pouvait aisément l'imaginer passer la main dans ses longs cheveux blancs. Mais elle n'osa pas jeter un coup d'œil pour vérifier, de peur de se faire repérer. S'ils se rendaient compte qu'elle espionnait leur conversation, elle ne donnait pas cher de sa peau. Lance lui ferait regretter ses oreilles un peu trop baladeuses, même si c'était eux qui discutaient au beau milieu du hall, où n'importe qui pouvait les surprendre. Il n'aurait que faire de ses pitoyables excuses. Au mieux, il la renverrait de la garde Au pire, il lui arracherait les entrailles avec la lame qu'elle tenait toujours dans sa main droite.
«Elle n'est pas dangereuse, souffla finalement Valkyon.
_ Qu'est-ce que tu en sais ?
_ Je le sais, c'est tout. Et tu t'en rendrais compte toi aussi si tu daignais regarder la vérité en face.»
Il eut du mouvement de l'autre côté de la colonne, et elle perçut des bruits de pas qui s'éloignaient. Le silence revint, oppressant. Mais Feyra attendit encore plusieurs minutes avant de bouger. Elle voulait être sûre et certaine qu'il n'y avait plus personne, qu'elle était bel et bien seule. Elle lâcha un soupir, trahissant son soulagement, puis sortit de sa cachette, les jambes légèrement tremblantes.
Elle le détestait. Elle le détestait tant. Et elle ne savait pas si c'était le feu de ses flammes qu'elle sentait brûler dans ses veines, ou si c'était la rage qu'elle nourrissait à l'égard de Lance, qui faisait frissonner chacun de ses muscles.
Le lendemain, Feyra se dirigea avec appréhension vers le terrain d'entraînement, ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre. Elle rejoignit le coin en retrait où elle s'exerçait habituellement avec Valkyon, armée de sa lame émoussée. Elle sentit une présence dans son dos, jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule et ne put cacher sa surprise plus longtemps. Elle écarquilla les yeux.
«Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle, la voix légèrement rauque.
_ Comment ça, qu'est-ce que je fais ici ? Je supervise ton entraînement, quelle question, répondit Valkyon comme si c'était la chose la plus évidente au monde. Tu ne pensais quand même pas te débarrasser de moi aussi facilement, si ?
_ Non, mais … Je pensais que … elle se racla la gorge. Étant donné ce que Lance a dit hier …
_ Lasse le parler, il finira par s'y faire. Tu es prête ?»
Elle acquiesça et adressa un sourire timide au gardien. Il ne se rendait pas compte à quel point ses mots comptait pour elle. Malgré leur discussion tendue de la veille, malgré tout ce que lui avait dit Lance, il ne l'avait pas rejeté, au contraire. Et elle lui en était infiniment reconnaissante, même si elle ne pouvait pas lui dire sans mentionner qu'elle avait assisté - sans le vouloir - à leur échange.
Ils commencèrent à échanger des coups, se focalisant sur des mouvements et enchaînement précis pour qu'elle puisse les maîtriser complètement. Que ceux-ci deviennent des automatismes, que ça soit aussi naturel que de respirer. Feyra para, puis attaqua. Para. Attaqua. Encore et encore pendant presque une heure avant de sentir les premiers signes de fatigue.
Feyra se remit en position, mais du mouvement sur sa droite attira son attention. Autour d'eux, les gardiens se rassemblaient en petit groupe. Elle adressa un sourcil interrogateur à l'attention de son instructeur, mais celui-ci secoua la tête de gauche à droite, l'air de dire qu'elle n'était pas concernée. Puis Lance arriva à leur hauteur, la mine sombre.
«Tout le monde se regroupe. Il est temps de faire un état des lieux des capacités de chacun. »
Valkyon acquiesça en silence, la mâchoire crispée. Lance jeta alors un regard dans sa direction, la scrutant un court instant, pour finalement reporter son attention sur son frère.
«Elle aussi.
_ Lance … Elle n'est pas-
_ J'ai dit, elle aussi, le coupa-t-il froidement. Tu assures bien son entraînement depuis plusieurs semaines, non ? Il est temps de voir si ça a porté ses fruits. Si elle a appris quelque chose ou si, comme je le pense, tu perds ton temps avec elle.»
La jeune femme les regarda sans comprendre. Elle détestait lorsqu'ils faisaient comme si elle n'était pas là, parlant d'elle juste sous son nez, mais ne l'impliquant jamais dans leur discussion. Comme si elle n'avait pas son mot à dire, ce qui était sûrement le cas.
«Qu'est-ce qu'il y a ? souffla-t-elle une fois que Lance fut hors de portée de voix.
_ Rien, ne t'inquiètes pas.»
Mais le ton orageux de Valkyon ne la rassura en aucun cas. Son angoisse monta d'un cran, lui tordant le ventre. Le gardien dut s'en rendre compte car il se rapprocha et posa une main sur son épaule, la serrant doucement.
«Tout se passera bien, ce n'est rien. On fait ça régulièrement pour juger le niveau des membres de la garde, surtout des nouvelles recrues. Et voir s'ils sont aptes à partir en mission ou non.
_ Et qui s'en occupe ?»
Elle se doutait de la réponse. Une goutte de sueur coula le long de sa colonne vertébrale. Valkyon se pinça les lèvres, visiblement contrarié ou embarrassé.
Ou un mélange des deux.
«Lance, lâcha-t-il finalement. C'est Lance qui s'en occupe, et j'aime autant te prévenir tout de suite, il ne te fera pas de cadeaux. Alors reste sur tes gardes. »
[NOTE DE L'AUTEUR]
It's been a long time coming, comme dirait Taytay ! Un an pour updater cette histoire, la honte … Les prochains chapitres arriveront plus vite promis