Un messager vint avertir Tanya qu'un convoi partirait en direction du Surda et pouvait la conduire chez les siens.
Elle ne pouvait pas trouver d'excuse pour rester plus longtemps.
Le temps qu'elle quitte le territoire nain et puisse contacter les siens, Eragon risquait d'être déjà en route pour le royaume elfique.
Tel qu'elle le connaissait, elle était certaine que le dragonnier viendrait lui souhaiter un bon voyage.
Malheureusement, entre sa colère pour la mort brutale de son oncle et sa naïveté, il ne serait pas facile de le mettre au service du roi.
Mais Tanya avait besoin d'en savoir plus avant de prendre une décision.
Elle allait avoir besoin de savoir ce qui était arrivé exactement à ce Garrow.
Tanya regarda Saphira s'envolait vers le sol.
Au moins, si elle ne pouvait pas retourner le dragonnier, elle voulait s'assurer de sa neutralité pour la guerre qui approchait.
Une foule s'amassa où le dragon se posa mais se dispersa quand l'absence de son dragonnier fut remarquée.
Il était déjà très populaire rien qu'en faisant son apparition mais la bénédiction et surtout la marque des dragonniers qu'Eragon avait accordé à un enfant avait motivé la moitié des rebelles à demander la même faveur. C'était une histoire troublante. Les rumeurs les plus folles courraient à propos du nourrisson béni.
Tanya observa la plaine en cherchant à repérer Eragon. Depuis quelques jours, l'espoir des peuples libres de mettre fin au règne du roi avait pris l'habitude d'offrir le spectacle désopilant d'une fuite incessante face à d'innocentes femmes portant des enfants.
– Louise ! l'appela d'une petite voix essoufflée Marion, l'une de ses petites camarades. Viens vite ! Madame Zélie veut que tout le monde prépare ses affaires.
– Comment ça tout le monde ? Je croyais que j'étais la seule à partir, s'étonna Tanya.
– Je ne sais pas. Un messager d'Ajihad est venu et depuis elle est toute agitée. Elle m'a demandé de partir te chercher. Vite !
Vaguement intriguée par ce qui se passait, Tanya la suivit.
Dans la maison, tout était sens dessus dessous. Tout le monde s'agitait dans tous les sens, rassemblant des affaires en tas désordonnés.
– Ah te v'là ! Vite rassemble tes hardes !
– Mais qu'est-ce qui se passe ?
– Pas le temps, il faut partir ! Vite !
Déconcertée, Tanya n'insista pas. Autour d'elle, les enfants étaient affolés. Elle les entendit dire qu'« ils arrivaient ».
– Ah mais dépêche-toi, s'énerva un garçon plus âgé.
Elle le toisa en croisant ses bras.
Mais, elle n'eut le temps de rien dire. Une présence familière se présenta à son esprit et y entra quand elle ouvrit le passage.
Son cerveau fut comme percé de l'intérieur et elle s'effondra en glapissant.
« Eh bien, eh bien ! Te voilà enfin, petite sotte ! Qu'est-ce qui t'as fait croire que tu pouvais prendre des initiatives ? Des années à te former et tu te lance derrière des idées folles. »
Durza fouilla sa mémoire tandis qu'elle luttait pour le faire partir mais la douleur l'empêchait de se concentrer et tous les enfants qui s'agitaient autour d'elle n'aidaient pas.
L'esprit de Durza était particulier. Il semblait avoir plusieurs esprits en même temps. C'était peut-être du à sa condition d'Ombre.
– Allez quérir un guérisseur, cria quelqu'un près d'elle.
«A quoi t'amuse-tu au juste ? J'ai déjà des hommes dans la place. En t'introduisant chez les rebelles, tu risque de perturber leur travail et de détruire leur couverture »
« Je l'ignorais. J'ai vu une occasion et je l'ai saisie. C'est aussi pour ça que j'ai été formée. Le dragonnier a confiance en moi. »
Tanya sentit le dédain de Durza. Elle parvint à rassembler ses esprits et diminua la douleur.
« Quelle importance ? Il ne voit qu'une petite fille. Il ne va pas révéler d'informations importantes à une enfant. À moins que tu ne m'annonce avoir réussi à le séduire pour le mettre au service du roi, votre lien n'a aucun intérêt pour l'empire. »
« Inutile d'en arriver là. Mais je sais des choses. Il tient beaucoup à son cousin et s'inquiète pour lui. Je pense qu'il serait utile d'envoyer à Carvahall un agent de l'empire qui viendrait pour apprendre à lire et écrire à qui le désire. Il permettrait de garder un œil sur lui. »
« Pourquoi ne m'as tu pas contacté auparavant ? Tu n'as pas pensé à rendre compte peut-être ? »
« Je craignais d'alerter les nains. J'ignorais s'il y avait des protections. ».
« J'ai bien l'impression que tu manque de discipline. Ce relâchement n'est pas admissible. Puisque tu es là, tu vas te rendre utile. Je suis en route avec des urgals pour débusquer les rebelles. Je sais que notre avant garde a déjà été repérée. Une fois que je me serai chargé du dragonnier, mes autres agents entreront en action. Les rebelles seront contraints de fuir. Ton rôle sera de les bloquer. Libre à toi de faire s'effondrer les tunnels ou de les attaquer directement.»
C'était un ordre pour lequel aucune objection ou simple remarque ne serait tolérée.
« Je les bloquerai. À quel moment, pensez-vous que je devrai passer à l'action ? »
« Ne m'ennuie pas avec tes questions inutiles ! Tu n'auras qu'à te tenir prête ! »
L'esprit de Tanya fut brusquement libéré. Elle resta un instant à haleter avant de se relever péniblement sous le regard inquiet de nombreux enfants.
– Je vais bien, dit-elle. J'ai juste eu … un vertige.
– Un vertige, releva l'un des plus grand. Tu avais tellement mal que tu as failli pleurer.
– Pas du tout, j'ai juste eu un peu mal.
– En même temps, c'est une fille, commenta un autre. Pas étonnant qu'elle pleure pour un rien.
Zélie entra en trombe et s'arrêta net en voyant une dizaine d'enfants oisifs.
– Qu'est-ce que vous attendez comme ça ? Vous voulez vous faire manger par les urgals ou quoi ?
La plupart des enfants se tournèrent vers elle en blêmissant.
– Des urgals ! Mais comment c'est possible ?
– On va être mangés !
Certains des plus petits s'effondrèrent sur le sol en pleurant.
– Allons, allons ! Du calme, s'écria Zélie.
Devant le torrent de larmes qu'elle voyait, elle commença à perdre patience.
– Bon, vous Jacques, Isabelle et Robert ! Vous êtes les plus grands alors je compte sur vous. Prenez les plus petits et conduisez les.
Elle tapota maladroitement la tête des plus proches.
– Allez, c'est fini maintenant. Les soldats vont nous protéger et il y a un dragon pour nous sauver.
Tanya sentit une poigne agripper sa robe. Elle se retourna pour faire face à une Lisa en larmes.
– Dis, Louise, tu l'a vue, toi, le dragonnier. Tu crois qu'il pourra nous protéger?
Plusieurs regards convergèrent dans sa direction.
– Oui, s'exclama Zélie. Louise le connaît. Elle pourra nous dire sa force.
Pestant intérieurement, Tanya fit un sourire qui se voulait rassurant.
– Le dragonnier m'a sauvée de méchants hommes qui voulait capturer, raconta-t-elle.
Plusieurs enfants s'agrippèrent à elle.
– Comment ça s'est passé ?
Gênée, Tanya sonda l'esprit des enfants et se retrouva confrontée à une panique telle qu'aucune suggestion mentale ne semblait pouvoir en venir à bout. Ils étaient simplement terrifiés par les urgals.
Ils partirent par des tunnels d'évacuation accompagnés des civils, nains comme humains, et d'une poignée de gardes, principalement humains. Les nains refusaient de laisser leur ennemi pénétrer dans leur belle cité.
Nasuada rassurait les plus effrayés par le calme et l'espoir qu'elle affichait.
Le tunnel qu'ils parcouraient devenait étroit au point de ne laisser le passage qu'à un seul adulte à la fois. Il n'était plus droit mais passait par des virages répétés.
Ils débouchèrent dans une vallée cachée.
– Vous serez en sécurité ici quelle que soit l'issue des combats, déclara le capitaine en charge de leurs sécurité. Il y a des vivres et de l'eau en abondance. Au besoin, une armée peut être retenue et d'autres tunnels de l'autre coté conduisent à d'autres cités naines.
Tanya n'aperçut plus Nasuada nul part. L'adolescente avait du s'éclipser.
Les enfants se blottirent dans de larges couvertures tandis que Zélie travaillait à les rassurer.
Tanya se couvrit d'une couverture également. Au milieu de la foule, elle n'attirait pas l'attention.
Elle supposa que les éventuelles protections avaient été brisées par Durza ou que les nains seraient trop occupés à repousser l'invasion pour se préoccuper de ce qui se passerait si elle établissait un contact avec son unité. Dans tous les cas, Durza avait prouvé qu'il était possible de contacter quelqu'un d'éloigné par magie. Jusqu'ici elle avait toujours utilisé un miroir pour contacter quelqu'un à grande distance mais les circonstances rendaient cette technique difficile à appliquer. Elle pouvait se passer de miroir, quitte à utiliser plus d'énergie mais au milieu de la foule ce n'était tout simplement pas envisageable. Mais Durza avait agi autrement. Elle n'avait jamais essayé mais c'était le moyen le plus discret.
Au milieu de la foule agitée, c'était le meilleur moment de se lancer.
Elle se plaça confortablement sous la couverture et fit mine de s'endormir pendant que son esprit s'étendait.
Sans perdre de temps, elle plana vers l'ouest en sentant d'innombrables esprits autour d'elle. C'était grisant. Elle sentit son attention attirée de tous cotés. Elle commença à perdre sa concentration.
Mais plus elle avançait, plus elle fatiguait. Elle sentait confusément la peur des uns et la soif de sang des autres. Mais elle n'avait aucun moyen de percevoir le monde. Elle ne faisait que sentir les êtres vivants autour d'elle et tenter de deviner sa localisation. Elle devait se lier à ce qui l'entourait pour comprendre où elle était sans se faire remarquer. C'était un exercice qui demandait toute son attention. Elle avait l'impression de se retrouver au milieu d'un tourbillon trop fort pour elle. Ses défenses s'écroulèrent d'elles-même. Elle avait besoin de force mais ses diamants étaient hors de portée. Elle sentit son esprit s'alourdir à grande vitesse.
Après avoir à peine dépassé la vallée de Farthen dur, elle préféra reculer et revint précipitamment.
Son esprit réintégra son corps mais elle se sentit tellement faible qu'elle resta léthargique pendant une bonne dizaine de minutes. Elle eut du mal à se tourner vers le coté pour vomir une bile épaisse.
– ça ne va pas, petite ?
Un homme s'était approché d'elle.
L'esprit de Tanya était complètement embrumé. Elle se contenta d'acquiescer avant de fermer les yeux.
Elle entendit du remue ménage autour d'elle et une main se posa contre sa nuque, soutenant sa tête, pendant que de l'eau passait à travers ses lèvres.
– Quelle ironie, songea-t-elle, d'être aidée par les ennemis de l'empire alors que je viens de m'épuiser à contacter les forces impériales.
Elle ne put penser davantage. Elle sombra dans les ténèbres.
Elle fut réveillée par un coup mental plein de rage et de désespoir mélangés. Elle ouvrit brusquement les yeux en haletant.
– Louise !
Une poignée d'enfants la veillait avec angoisse.
– Tu nous as fait une belle peur, petiote, lui dit une vieille femme. Tous nos guérisseurs sont avec les combattants. On savait pas quoi faire.
Tanya se sentit nauséeuse. Elle était en nage et avait froid malgré l'épaisse couverture dont elle était couverte.
– Que s'est-il passé ? demanda-t-elle.
La vieille femme resta bouche bée.
– Eh ben, on voudrait bien savoir. D'un coup, t'étais toute fatiguée.
Tanya sentit le diamant caché avec elle et sentit l'énergie bouillonnante. Elle voulut en prélever et sentit comme un poids tomber de ses épaules.
Elle se dit qu'elle allait revenir aux bonnes vieilles techniques. Elle avait déjà utilisé un miroir pour faire des rapports à l'Ombre mais c'était plus difficile quand elle était entourée de rebelles.
– Et la bataille ?
– Ne t'inquiète pas tu es en sécurité ! Nos soldats se battent vaillamment pour protéger tout le monde !
Elle ne comprenait pas bien mais il était évident que Durza n'avait pas encore attaqué Eragon. Les gens autour d'elle serait moins serein sinon. Dans son état, elle ne savait pas comment elle pourrait se battre le moment venu.
Elle ferma les yeux et s'endormit sans s'en rendre compte.
Elle se réveilla à peu près en bonne forme sur une paillasse sous une couverture.
– Eh bien, eh bien ! Tu vas mieux, on dirait.
Tanya tourna la tête vers une jeune femme qui se trouvait à son chevet.
– Je suis Clara, une guérisseuse, l'informa-t-elle. Tu as provoqué une belle panique !
– Vous m'avez guérie ?
Clara secoua la tête.
– A vrai dire, nous avons préféré réserver notre magie pour nos soldats.
– La bataille…
– C'est terminé. Il n'y a plus rien à craindre. Puisque tu vas mieux, je pars m'occuper des blessés.
Un peu surprise d'être laissée comme cela par la guérisseuse, Tanya fut tentée de fouiller son esprit pour arracher des informations.
Finalement, elle laissa retomber sa tête et contempla le plafond.
Dans la pièce, tout une rangée de paillasses étaient disposées pour recevoir les blessés.
Tanya était la seule à ne pas être blessée.
C'était peut-être la raison pour laquelle elle était la seule dont les guérisseurs ne semblaient pas réellement s'inquiéter.
Au moins, elle entendait ce qui se disait.
Certains rebelles racontaient ce qui leur était arrivé d'une voix morne.
Dans le lit voisin, un nain répétait inlassablement le nom de Guntera.
Un homme poussa un grand cri et Tanya sentit une présence tenter de se frayer un chemin dans sa tête. Tous les guérisseurs se crispèrent et certains se précipitèrent vers un lit. L'attaque cessa.
– On devrait le mettre à part, chuchota l'un des guérisseurs.
Tanya ferma les yeux et lança une attaque mentale contre le soldat blessé le plus proche.
Elle entra sans difficulté dans son esprit mais se retrouva dans un magma informe qui révélait toute la douleur d'une bataille. Elle visionna certains souvenirs. Elle vit les urgals surgir de l'ombre et se jeter sur les lignes que formaient les nains et les rebelles sans hésitation. Elle vit un groupe d'urgals charger tête baissée et cornes en avant.
Dans le lit voisin, le blessé s'agitait et commençait à pousser des cris inintelligibles.
Avant qu'un guérisseurs ne puisse l'endormir, Tanya réussit à trouver un souvenir de la fin des combats. Brusquement, les urgals s'étaient figés avant de se retourner les uns contre les autres et de se massacrer.
Tanya laissa le pauvre soldat en paix et médita ces souvenirs.
– Ils arrivent… des cornes partout, murmura ce dernier en gémissant de peur et de douleur mêlées.
– Petite ? Tu vas mieux ?
Tanya leva la tête et considéra la guérisseuse avec attention en hochant la tête. Elle était restée un petit moment dans ses pensées.
– Tu as du mal à parler ?
Elle secoua la tête.
– Non, non. J'ai juste la gorge sèche.
La guérisseuse prit un verre qui avait probablement déjà servi et le remplit avant de le lui tendre.
Tanya la remercia d'un sourire et but.
– Je vais mieux, merci.
– Sais-tu ce qu'il t'es arrivé ? As-tu déjà vécu ce genre de choses ?
– Non, je pense que c'est simplement la peur qui m'a laissée sans force, répondit Tanya.
La guérisseuse leva un sourcil surprit.
– La peur ? releva-t-elle. Il est peu commun que quelqu'un s'effondre de la sorte juste de peur, surtout aussi loin du danger.
– Hé bien, j'ai grandit à l'abri dans un château. Je n'ai pas l'habitude du danger alors j'ai peut-être réagit un peu vivement.
La guérisseuse fit une moue avant de reprendre la parole.
– As-tu senti quelque chose ? L'une de mes consœurs pense que c'est une attaque magique d'un sorcier urgal qui t'as affecté.
– Un sorcier urgal ? Mais il n'y a aucune raison pour qu'il m'attaque. J'étais trop loin en plus.
– La distance n'est pas vraiment un problème. Peut-être qu'avant de mourir, l'un d'eux a lancé une attaque. Les soldats vardens étaient en plein combat donc étaient trop concentrés pour être affectés. Tu es peut-être un peu sensible aux attaques mentales. As-tu senti un poids sur ta tête ?
– Je ne… commença Tanya en réfléchissant aux éventuels avantages de soutenir cette hypothèse.
– Laisse Rose, les interrompit une voix glaciale. Je vais m'occuper de la fillette.
La guérisseuse détourna son attention de Tanya pour se retrouver face à l'un des jumeaux. Elle exposa ses théories mais fut envoyée se rendre utile ailleurs.
Le grand escogriffe prit sa place et regarda Tanya avant de se présenter doucement à son esprit.
« Hé bien, jeu Degurechaff, il semble que nous allons travailler ensemble ! »
