Peu de choses pouvaient faire perdre son calme à Tanya. En toute circonstance, elle gardait son sang froid, analysait la situation et prenait la décision qui lui paraissait la plus rationnelle.
Mais devant l'œuf de dragon que lui tendait Galbatorix, elle resta figée.
Elle tendit une main tremblante et effleura l'œuf.
– N'aie crainte, la rassura le roi. Prends le ! Ainsi, le dragonneau te sentira et fera un choix !
Tanya posa sa seconde main et Galbatorix le lâcha.
Tanya portait l'œuf seule maintenant. Elle avait ses mains en dessous et l'observait intensément.
– Ne fais rien. C'est au dragonneau d'agir, s'il le désire. Il a senti ta présence et te jauge pour voir si tu es digne de lui.
Tanya rêvassa en s'imaginant avec un partenaire écailleux comme elle avait vu Eragon et Saphira. La perspective d'être liée jusqu'à la mort avec un dragon en perdant toute intimité mentale avait un coté un peu effrayant. Le dragonnier et son dragon était dépendants l'un de l'autre. Ils formaient un lien plus solide qu'un mariage. Ils étaient partenaires de cœur et d'âme et traçaient leur destin ensemble. C'était quelque chose de tout à fait inédit pour elle et elle ne saurait vraiment comment s'y prendre.
Indécise, elle ne savait si elle voulait de ce destin finalement malgré la perspective de pouvoir échapper au risque de mort et donc à la menace de l'Etre X de ne pas pouvoir se réincarner en cas de manque de foi.
À ce stade, ça ne dépendait plus d'elle. Elle demeura là à regarder l'œuf jusqu'à ce que Galbatorix le reprenne.
– Essayons l'autre, dit-il simplement.
Il reposa soigneusement l'œuf écarlate et saisit le vert.
Toujours partagée, Tanya le reçut dans ses mains.
Des pensées contradictoires bouillonnaient dans sa tête.
Contrairement aux récits que lui racontaient ses parents, les dragons n'étaient pas juste de grands lézards volants capables de cracher du feu. Ils étaient des créatures sensibles, remarquables d'intelligence. Ils étaient craints et détestés des nains, admirés des humains et presque vénérés par les elfes. Les dragons étaient des créatures fantastiques, dans tous les sens du terme.
– Vraiment dommage, commenta le roi en reprenant l'œuf.
Il referma soigneusement le coffre.
– L'ordre ancien des dragonniers s'est laissé aller à la faiblesse. Aveuglés par leur position, ils n'ont pas vu qu'ils se desséchaient. Ils n'étaient plus bon qu'à écouter le peuple chanter leur gloire. Ils n'étaient plus que l'instrument de la puissance des elfes. Cette situation allait se prolonger encore de longs siècles jusqu'à mon intervention. J'ai mis à bas leur force et dissipé leurs folles espérances. J'ai établi mon empire dans lequel l'humanité pourrait vivre en paix. Ces maudits surdans ont rejeté mon autorité et j'ai laissé faire. Ils soutiennent les rebelles en faisant mine de vouloir la paix. En ce temps, une nouvelle menace s'est profilée. Ce nouveau dragonnier est tellement prometteur. Il a été formé par un ancien dragonnier, caché au cœur même de mon empire. Ah j'ai manqué de vigilance ! Nous pourrions faire tellement ensemble et d'abord faire renaître l'ordre. Un nouvel ordre me permettra de protéger l'humanité. Les elfes sont terrés dans leur forêt mais ils en sortiront. Les nains sont des ennemis déclarés de l'empire depuis un siècle. L'arrivée de cet Eragon les a galvanisés. Il a même créé des liens d'amitié et a l'estime de Hrotgar. Même la destruction du joyau des nains n'a pas gêné leur amitié.
Le roi attrapa une coupe de vin et la porta à ses lèvres.
‒S'il plaît à sa majesté de m'écouter, dit Tanya, je pourrai alors lui faire part de mon opinion sur la manière de procéder. Contrairement à vos espions qui vous ont envoyé leurs rapports, j'ai côtoyé le dragonnier.
‒Parle ! Tu as toute mon attention. Il est encore faible. Je pourrais aisément le battre si je l'affrontais directement mais je préfère qu'il me rejoigne. Parle puisque tu prétend pouvoir m'offrir une solution !
Tanya s'inclina avant de répondre.
‒ Eragon est jeune, naïf et idéaliste. Il ne s'engage que parce qu'il pense que son combat est juste. Il a grandit dans un village opposé dont les habitants gardent farouchement une certaine défiance contre toute autorité. Il est parti venger son oncle et poursuit la lutte parce qu'il pense que c'est son devoir en tant que dragonnier. Au final, il ne connaît de l'empire que de ce que ses ennemis en disent. Dans l'immédiat, il compte poursuivre sa formation chez les elfes. J'ignore quels sont les projets des rebelles pendant ce temps mais ils sont galvanisés par leur victoire et furieux de la perte de leur chef. Ils risquent de commettre des imprudences. Je propose de les couper de leur allié surdan en mettant en place de nouvelles relations basées sur l'intérêt mutuel.
‒Vraiment ? Tu reviens sur ton projet de foire à Furnost ?
‒Précisément ! La foire pourrait mettre fin aux craintes d'un expansionnisme impérial tout en encourageant les Surdans nobles ou bourgeois à établir des liens de leurs coté. Ceux-là auront tout intérêt à maintenir la paix entre le Surda et l'empire. Avec du temps et des efforts, le Surda délaissera les rebelles et la rumeur enflera en se répandant. Ça devrait donner à réfléchir à Eragon.
Le roi mâchonna une cuisse de perdrix en réfléchissant aux idées de Tanya.
‒Une idée des plus intéressante mais obsolète, j'en air peur. La fille d'Ajihad a prit la suite de son père et a formé le projet d'envahir l'empire. Les rebelles vont bientôt se mettre en route vers le Surda et de là partir avec une grande armée.
‒Obsolète ? Non, pas du tout ! Mon projet est d'autant plus urgent. Quel que soit le projet de Nasuada, elle a besoin de temps. Pour déplacer tous les rebelles au Surda, il lui faudra des semaines. Et le Surda n'est sûrement pas prêt à partir en guerre malgré l'enthousiasme apporté par les nouvelles de la victoire contre les urgals et de la venue d'un nouveau dragonnier. Le royaume ne peut pas se lancer dans une guerre comme ça. D'ailleurs, entre les rebelles prêts au combats et les Surdans qui ont besoin de préparation, il y aura des tensions qui pourraient dégénérer. Orrin, le roi du Surda, se retrouvera devant une offre impérial qui apportera la prospérité et la paix et l'offre des rebelles qui pourraient entraîner un désastre et la mort pour la fleur de sa chevalerie.
Le roi observa Tanya avec attention avant de répondre.
‒Eh bien soit ! Je t'envoie pour cette mission. Je te confie l'héritage de Durza, la Main noire. Les soldats qui étaient sous tes ordres seront ton bras armé si tu en as besoin. Tu as deux missions mener à bien ton projet de foire et de porter un coup aux rebelles. Ruine leurs espoirs ! Détruis leur courage ! Mène les à leur perte !
‒Je me mets à votre service ! Je me mets en route au plus tôt. Je devrai faire un détour par Furnost pour évaluer la situation.
‒Tu peux parler à Albior directement par magie. Dès maintenant serait le mieux.
Sans attendre, il lança le sort et une image se forma montrant l'une des pièces du château de Furnost. Un scribe était penché sur un parchemin.
‒Va quérir ton maître, ordonna Galbatorix faisant sursauter l'homme.
Il s'inclina profondément et détala comme s'il avait une meute d'urgals aux trousses.
‒Pendant que j'y pense, commença Tanya. Il m'a rappeler un projet que j'avais pour former la future élite de l'empire.
‒Qu'est-ce donc ? Le comte de Furnost va avoir besoin d'un peu de temps pour arriver.
‒La mise en place d'écoles gratuite et libres dans toutes les villes d'importance et si possible dans les villages. Les enfants apprennent des métiers dès leur plus jeune age. Si on leur en donne la possibilité, des enfants et même des adultes pourraient venir quelques heures par semaine pour apprendre à lire et écrire. Les professeurs pourraient remarquer les qualités intellectuelles de certains enfants et les orienter vers une carrière plus élevée. Je recommande d'en envoyer en particulier à Carvahall. Ce n'est pas un gros village mais c'est de là que vient le dragonnier et son cousin y vit probablement. Qu'il soit ou non intéressé, cela le fera réviser la mauvaise opinion qu'il a de l'empire et pourrait contribuer à convaincre le dragonnier de changer de camp.
‒Je me suis plongé dans les archives de plusieurs royaumes. Jamais, je n'ai vu tant d'idées. Les rebelles ne brillent pas par leur inventivité. Est-ce le contact des nains qui t'a tant donné à réfléchir ?
Tanya paniqua intérieurement. Elle ne savait comment lui dire quelque chose de crédible sans avoir à tout lui dire.
‒Sire, vous m'honorez mais je crains de vous décevoir si vous vous faites une trop haute opinion de moi.
Le comte de Furnost arriva à ce moment, dispensant le roi de répondre. Il commença par s'incliner profondèment.
‒Salutation, mon roi ! Que puis-je pour votre service ?
‒Ce n'est pas seulement pour mon service mais aussi pour la prospérité et la stabilité de Furnost que nous parlons actuellement. La demoiselle Degurechaff a beaucoup d'idée et il me plaît de les mettre à exécution. Nous allons organiser une foire qui aura lieu à intervalles réguliers à Furnost.
Le comte s'inclina encore.
‒Sire, permettez-moi de vous remercier. L'avenir de Furnost sera radieux.
‒J'y compte bien ! Demoiselle Degurechaff va se rendre au Surda pour obtenir la coopération du roi Orrin. Auparavant, elle a besoin de se rendre compte de la situation pour anticiper le travail diplomatique à effectuer.
‒Je vous remercie, mon roi, et je remercie également demoiselle Degurechaff. Mais permettez-moi d'oser émettre une objection.
Galbatorix fit un large sourire.
‒Trouvez-vous à redire à ce projet ? C'est pourtant vous qui m'en avez parlé le premier et l'avez défendu avec ardeur.
‒Non, non. Le projet me convient très bien et je le soutien fermement mais c'est pour son exécution que je m'interroge.
‒Eh bien, c'est justement pour l'exécution de ce projet qui explique notre rencontre actuelle. Règlons tous les problèmes avant de commencer. Qu'en pense-tu très chère ?
‒Sire, c'est le meilleur moment pour évaluer toutes les difficultés que nous pourrons rencontrer. Je suis disposée à écouter toute objection du seigneur Albior, dit Tanya.
‒En ce cas, quelle est cette objection ?
‒Sire, j'ai crainte que, si demoiselle Degurechaff ne présente le projet à sa majesté le roi du Surda, elle ne soit prise au sérieux. Au contraire, les Surdans pourraient prétendre que vous les insultez en leur envoyant une petite fille comme ambassadrice.
‒Si ce n'est que cela, vos inquiétudes sont sans fondement. Demoiselle Degurechaff sera connue comme une simple demoiselle de compagnie ou une servante. J'ai bien l'intention d'envoyer quelqu'un d'autre. Demoiselle Degurechaff n'aura qu'à lui dire de quoi il est question. Il est préférable qu'elle reste discrète quand à son véritable rôle.
Ils parlèrent longuement.
Tanya demanda des renseignements précis que le comte n'avait pas toujours.
Ce n'était que le début. Dès le lendemain, ils devaient se revoir par magie afin de poursuivre leur travail.
Avant de mettre fin à la conversation, Tanya demanda à parler à Lavorin.
Le comte les salua une dernière fois puis les laissa parler entre eux.
Galbatorix s'était éloigné pour se servir en vin. De là où il était, il écoutait attentivement.
‒Quelles sont vos ordres ?
‒Je vais me rendre au Surda, à Aberon. Rendez-vous là bas dès maintenant ! Prenez l'identité qu'il vous plaira. N'attirez pas l'attention. Si possible, trouvez un travail sur place pour passer inaperçu. Quand vous aurez vent de mon arrivée, venez me trouver. En attendant que nous nous retrouvions, je voudrais que vous vous entraîniez à une certaine arme. Nous allons frapper les rebelles d'une façon qu'ils n'oublieront pas.
Quand ce fut terminé, Galbatorix reprit la parole.
‒Tu semble déjà savoir comment procéder.
‒Je mettrai toutes mes ressources au service de mon roi !
‒Quelle disposition d'esprit remarquable ! Dis-moi, tu compte donc envoyer un professeur pour rallier à l'empire le cousin du jeune dragonnier ?
‒En effet, dans l'état actuel des choses, il n'est pas certain qu'il sache avec certitude que son oncle a été tué par des hommes que vous avez envoyé. S'il apprend à lire, il pourrait avoir la possibilité de faire un travail moins difficile et plus rémunérateur. Ça pourrait l'amener à réfléchir. Si Eragon apprend que le dernier membre de sa famille est heureux de travailler pour l'empire, ce serait l'occasion d'une remise en question.
‒Le dernier membre de sa famille, cela reste à voir. Des hommes que j'ai envoyé ? Je croyais que le garçon était proche de toi pourtant il ne t'a pas dit la vérité.
Son sourire chaleureux contrastait avec la dureté de son regard.
Tanya ressentit une peur inattendue.
‒Il s'est montré avare de détails sur son passé, à vrai dire. Il n'était pas habitué à avoir autant d'attention. Il a consenti à me raconter son parcours mais prétendait qu'il ne voulait pas faire peur à une petite fille en lui racontant des horreurs.
‒Quelle délicate attention ! rit Galbatorix. J'ai envoyé deux serviteurs sur les traces de l'œuf. Ils ne m'ont pas donné satisfaction mais ils pu laisser une forte impression.
Il continua de rire devant Tanya interdite.
‒J'ignore de quoi il est question mais le cousin nous permettrait de faire venir Eragon et de le faire se mettre librement de son plein gré au service de l'empire, dit-elle enfin.
‒Peu t'importe ! Concentre-toi sur ta tâche ! Je me chargerai moi-même de ce petit dragonnier qui croit pouvoir se faire les griffes sur mon territoire. Ne me déçois pas ! Je sais récompenser les bons serviteurs et punir les incompétents.
Tanya salua et partit.
Elle rencontra les membres de la Main noir présent au palais et ils lui fournirent tous les renseignements qu'ils avaient sur le Surda et les agents de l'empire infiltrés.
Le lendemain, elle se mit en route à l'aube.
