En ville, Tanya, habillée en servante, allait librement sans attirer l'attention. Elle repéra les soldats surdans qui veillaient distraitement et n'eut pas de mal à échapper à leur vigilance. À leurs yeux, elle n'était qu'une petite servante. Il n'y avait de pas de raison de garder un œil sur elle. Une fois hors de vue, elle passa une cape et recouvrit sa tête d'un capuchon.

Elle laissa le marché de coté et s'avança sans hésiter dans le dédales de petites rues. Elle finit devant une porte close qu'elle frappa.

Une fenêtre s'ouvrit.

‒Nous ne prenons pas de client si tôt. Les filles dorment encore.

La femme qui parlait se rendit compte qu'il n'y avait personne devant la fenêtre. Elle crut à une mauvaise plaisanterie et allait refermer le volet quand Tanya parla.

‒J'ai à faire ici !

En se penchant, la femme aperçut Tanya.

‒Hé bien ! Tu serais pas un peu jeunette, toi ? Certains clients ont des goût spéciaux mais une petiote comme toi, ça serait dommage.

‒Je suis ici au service de mon maître, répondit Tanya.

‒Oh entre, petite !

Tanya s'engouffra par la porte entrebâillée.

‒Alors, ton maître veut qu'on lui envoie une fille, c'est ça ? Ou plus qu'une peut-être ? Il la veut comment ? Blonde ? Brune ? Rousse ? Petite ? Grande ? Grosse ? Maigrelette ?

‒Je sais précisément qui il désire.

Tanya sortit une bourse et la déposa.

‒Je veux parler à Mandy.

Tanya fut conduite jusqu'à une porte. L'employée frappa quelques coups secs avant de déguerpir.

Elle grimaça en entrant à cause de l'odeur.

Dans un lit, une femme aux cheveux d'un roux flamboyant émergeait de son sommeil.

‒Qu'est qui ce passe ? D'où tu sors toi ?

‒Je viens de la part de Durza.

Pour le coup, la femme s'éveilla. Elle se redressa brusquement, se dévoilant presque entièrement.

‒Quoi ? Tout le monde en ville raconte qu'il a été tué par un nouveau dragonnier !

‒Le nom de Durza fait réagir, mais il est bien mort, c'est vrai. Sa succession a été assurée et tous ses papiers examinés. Il gardait beaucoup de secrets. Les rebelles se vantent mais l'empire n'a perdu qu'un serviteur. Nous sommes toujours là. Je sais quels sont ceux qui travaillaient sous ses ordres au Surda. Je ne sais si tu lui obéissait de ton plein gré ou sous contrainte alors je vais être très simple. Je te propose un contrat. Si tu travaille sous mes ordres, tu ne courras aucun risque et sera bien rémunérée. Si tu refuse, j'effacerai ce souvenir de ta mémoire et tu ne me verras plus.

La femme mit une dizaine de secondes à réagir.

‒Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

‒Des informations !

Au château, Orrin, pensif , convoqua le conseil et y convia Nasuada.

‒Deux problèmes en particulier doivent être résolus, déclara Orrin. Tout d'abord, nous devons déterminer quoi faire de tous les Vardens qui sont arrivés et de ceux à venir. Z

‒Avec tout le respect que je vous dois, seigneur Orrin, répondit Nasuada. Ces soldats sont sous ma responsabilité. Je comprends bien que nous sommes contraints d'attendre que vous soyez prêts pour envahir l'empire mais pour autant, aucun de mes Vardens ne peux être distrait de la préparation à la fin de notre lutte.

Orrin soupira profondément. Il sentait que la discussion allait être houleuse.

‒Même en étant optimiste, nous ne prévoyons pas de commencer cette invasion avant des mois. Vos Vardens ne passeront pas chaque heure de la journée à s'entraîner je présume. Certains pourraient être employés à des chantiers. Au moins, ils resteraient en forme. De plus, je vous rappelle que l'intégralité des Vardens sont à la charge du Surda. Je ne saurai demander à mes gens de payer des impôts dont ils verront profiter des hommes désœuvrés une bonne partie de la journée.

Nasuada fit une moue dévoilant son manque d'enthousiasme.

‒Je veux bien admettre vos raisons mais un travail éreintant rendrait mes Vardens trop fatigués pour s'entraîner.

‒Il faudra pourtant se faire une raison. À moins que vous n'ayez des options à proposer, nous pouvons offrir de quoi les faire gagner suffisamment pour vivre.

L'intendant sortit une liasse de parchemin dont Orrin se saisit.

‒Nous avons des mines en manque de main d'œuvre et il y a suffisamment de fermes dans les environs. J'envisage également de faire aménager des routes, en particulier entre Aberon et Petroya en passant par Lithgow.

Nasuada fronça les sourcils.

‒Vers Petroya ? Est-ce en rapport avec la venue des diplomates impériaux il y a trois jours ?

Orrin prit un peu de temps avant de répondre.

‒C'est le second point que je veux aborder en ce conseil. Nous avons eu une longue discussion avec l'ambassade impériale.

Après laissé son intendant résumer, l'objet de cette visite, Orrin reprit la parole.

‒Ils ont bien l'intention d'organiser ces foires, avec ou sans notre concours. En fait, ils ne demandent rien vraiment. Ils souhaitent simplement que nous laissions nos marchands y participer. Ils aménagent en ce moment des routes dans l'empire et le port de Furnost pour les accueillir. Mais, je crois bien qu'avec ou sans notre accord, les marchands iront tout de même, attirés par le profit. Selon les apparences, cette ambassade était faite dans un but de courtoisie, ce qui n'est pas dans les habitudes de l'empire Je souhaite, néanmoins, avoir votre avis sur le sujet.

‒Galbatorix n'est pas idiot, affirma Nasuada. S'il a envoyé une ambassade faire un travail qui n'a pas besoin d'être fait par cette ambassade, alors c'est que cette ambassade a un autre but.

‒C'est bien possible mais je ne vois pas lequel. Le capitaine de la garde a suivi l'ambassade après son départ mais n'a rien rapporté qui mérite d'être signalé. Quel est votre avis, seigneur Dolpart ?

Le connétable secoua la tête.

‒Je ne saurai vous donner une réponse, votre majesté. J'ai étudié son rapport et interrogé les gardes qui patrouillaient dans la ville. Les impériaux se sont installés et ne font rien qui sorte de l'ordinaire. Ils n'ont que peu bougé. Seuls leurs serviteurs sont sortis en quête de nourriture et d'alcool. Ils agissent de la même façon que les nobles venus d'une province lointaine passer quelques jours à la capitale.

‒Leur arrivée juste après la déroute de l'empire face aux Vardens alors même que nous préparons l'invasion ne peut être une coïncidence, jugea Nasuada.

‒C'est difficile à croire, répondit Orrin. Leur projet semble préparé de longue date. C'est de toute façon facile à vérifier. Leurs cantonniers doivent travailler sur les routes entre Furnost, Uru Baen et Dras Leona. Nous avons bien des espions qui pourront nous confirmer la date des travaux. Mais l'attitude de l'empire est troublante. Galbatorix a toujours manifesté une indifférence dédaigneuse à notre égard. Même les elfes ont fait preuve de plus de courtoisie.

‒Les elfes nous ont toujours assuré de leur soutien, les défendit Nasuada.

‒Je ne peux en dire autant, répliqua Orrin. Nous avons reçu une lettre reconnaissant notre royaume et saluant l'accession au trône de mon grand-père et leur ambassadrice auprès des Vardens s'est fait connaître. Mais la politique isolationniste des elfes n'est pas le sujet actuel.

Il y eut des idées avancées mais aucune ne dépassait le stade de l'hypothèse hasardeuse. De l'avis général malgré les doutes de Nasuada, il ne pouvait s'agir d'espions. Il était impensable que des espions agissent si ouvertement et Galbatorix avait sûrement déjà des agents dans tout le Surda. Le conseil supposa que Galbatorix voulait amadouer le Surda pour le dissuader d'entrer en guerre.

Quand aux foires, il ne paraissait pas y avoir de pièges mais les marchands surdans intéressés seraient avertis d'aller avec prudence.

Drobant était un jeune varden plein d'ardeurs. Il était fier de son combat et ne s'en cachait pas.

Dans une taverne, il racontait ses exploits et annonçait que le temps de Galbatorix était compté. Il faisait forte impression au milieu de la population paisible du Surda et en profitait pour courtiser les femmes.

Repartant assez tard, il avait trop bu pour bien voir ce qui se passait autour de lui et également pour s'en soucier. Il chantait d'une voix forte et disgracieuse avant de s'arrêter brusquement sans raison apparente.

Il ne vit pas les deux hommes s'approcher de lui.

Son corps fut retrouvé, déjà froid, quelques heures plus tard.

Les gardes du prévôt supposèrent qu'il avait été tué par un voleur ou peut-être par un mari jaloux.

Une semaine après son arrivée, la comtesse de Furnost, en compagnie de Tanya seulement toujours habillée en demoiselle de compagnie, retourna au château pour présenter ses hommages au roi.

‒Je ne pensais pas vous voir nous quitter si promptement, dit Orrin.

‒A moins de déplaire à votre majesté, je ne saurais quitter votre royaume en laissant ma tâche inachevée. Je comte me rendre à Petroya, puisque c'est de là que partiront probablement les marchands de votre pays. Nous voulons nous assurer de la coopération du comte de Petroya et l'encourager à travailler avec l'empire.

Soudainement méfiant devant une potentielle menace pour son vassal, Orrin fit mine d'acquiescer.

‒En ce cas, j'espère que vous ferez bonne route et que votre entreprise rencontrera le succès.

La comtesse s'inclina.

‒Soyez certain que j'y travaille de tout mon cœur, votre majesté.

Une heure après, un courrier rapide partait vers Petroya pour avertir le comte Randolphe de la prochaine arrivée de l'ambassade impériale. Il lui était recommandé de s'entourer d'une garde discrète dans le cas où l'empire tenterait de l'intimider et d'envoyer des éclaireurs s'assurer qu'aucun mouvement de troupes de l'empire n'était en vue.

À mesure qu'ils arrivaient, les Vardens étaient envoyés travailler. Nasuada dut convenir qu'il ne fallait pas laisser les soldats désœuvrés. Elle obtint cependant que les Vardens auraient le temps de s'entraîner chaque jour.

Les cantonniers surdans étaient assez agacés de voir les Vardens quitter le chantier de bonne heure chaque jour. Ils se moquaient pas mal de la guerre contre l'empire. Tout ce qu'ils voyaient c'était que les Vardens laissaient leur travail alors que le soleil était encore haut et étaient rétribués de la même façon.

Dans une taverne, les ouvriers surdans voulurent prendre du bon temps après leur dur labeur mais la salle était remplie de Vardens déjà bien avinés.

Péniblement, ils se frayèrent un chemin à l'intérieur pour se rafraîchir le gosier. L'alcool délia les langues et beaucoup fut dit.

La taverne finit dévastée par une bagarre générale. Nul ne put dire qui avait commencé.

Des Surdans se plaignirent de vols dans les fermes. Jugeant les autorités inactives, ils décidèrent de prendre les choses en main et de s'occuper eux-même des voleurs de poules qui s'avérèrent plus forts et mieux armés que ce à quoi ils s'attendaient. Pendant qu'ils buvaient dans une taverne, un homme rapporta qu'il y avait de plus en plus de vols et cette brusque augmentation coïncidait avec l'arrivée des Vardens. Les esprits s'échauffèrent jusqu'à ce que le même homme propose de porter l'affaire devant les autorités.

Nasuada mise devant l'affaire promit que chaque vol serait puni et que les paysans surdans seraient remboursés.

On murmurait dans les fermes. Les paysans se plaignaient que les bêtes volées ne soient pas remboursées au prix auquel elles auraient été vendues. De bonnes poules pondeuses étaient estimées au prix de leur viande. De plus, il était notoirement connue que les Vardens étaient financés par le Surda. Donc, le remboursement venait des taxes payées par les Surdans.

Nasuada imposa une discipline de fer mais de nouveaux vols étaient commis. Elle soupçonna que des paysans mentent pour profiter de la situation.

De fait, Lucas, un homme originaire de l'empire, qui travaillait comme journalier dans une ferme avait encouragé le fermier qui l'embauchait à prétendre que sa volaille était régulièrement volée. Pour ne pas trop attirer l'attention avec de trop nombreuses déclarations, une dizaines de fermiers se relayaient pour se plaindre à tour de rôle.

Devant la régularité des plaintes, Nasuada soupçonna une fraude mais quand elle s'en plaignit à Orrin, il se montra peu disposée à l'écouter.

‒Si vous donnez une compensation financière à tous ceux qui se plaignent de vols, il est logique que des petits malins en profitent. Vous disposez d'assez de magiciens pour vous assurer de leur parole, il me semble.

‒Le Du Vrangr Gata travaille à trouver les espions de Galbatorix. Je ne peux les distraire de leur mission.

‒Peu m'importe ! S'il y a des vols, c'est votre responsabilité d'empêcher vos Vardens de commettre des larcins. Si mes gens se plaignent à tort, soit qu'il y ait eu d'autres voleurs ou des renards, soit qu'ils mentent, alors vous être libres de refuser leurs demandes. Rien ne serait arrivé s'il n'y jamais eu de vol.

‒Je peux punir mes hommes autant que je voudrais mais la faim les tenaille et les pousse à des extrémités. Si nous pouvions avoir plus de fonds… ?

‒Nous avons été généreux et vous réclamez plus. Je ne peux pas vous accorder plus de fonds. Vos Vardens sont déjà bien payés pour le travail qu'ils font. Les récoltes sont mauvaises depuis deux ans. Je ne peux vous donner plus sans que ce soit préjudiciable pour le Surda ?

‒Ne pouvez-vous vraiment rien ? Et ces routes que vous faites construire ? Tout l'argent pourrait être utilisé à l'effort de guerre au lieu d'aider l'empire à prospérer.

‒Nasuada, vous allez trop loin ! Ces routes seront utiles pour mon peuple ! Elles aideront à la circulation des gens comme des marchandises. Je me charge de mon peuple. Quand à vous, si vous vous préoccupez d'augmenter votre budget, vous pouvez chercher des fonds par vous-même.

Nasuada respira profondément.

‒Pardonnez-moi Orrin. Mes mots ont dépassé ma pensée. Il est déjà assez difficile de diriger les Vardens en temps normal mais lancer une invasion dépasse tout ce que j'ai connu jusqu'alors. Nous devons superviser l'entraînement des recrues, envoyer des espions au sein de l'empire, envoyer nos agents répandre des récits héroïques sur Eragon. Nos magiciens sont incapables de traquer les espions impériaux. Je voudrais partir maintenant en guerre mais je suis bien consciente de ne pas pouvoir y aller seule. J'ai peur que l'empire ne brise notre élan avant même qu'il ne soit lancé.

‒Allons, allons ! Reprenez-vous ! Vous avez déjà bénéficié d'une bonne expérience. Vous avez suivi votre père ces dix dernières années. Vous savez diriger et vous êtes attentives aux besoins des Vardens. Il est, bien sûr, frustrant de devoir attendre mais à force de vous en préoccuper, vous vous laissez emporter par vos inquiétudes. Voulez-vous un bon conseil à défaut d'argent ?

Nasuada hocha la tête.

‒Vous vous souvenez de mon laboratoire ?

Et pendant qu'Orrin lui parlait de sa passion, Nasuada reprit son calme. Elle avait du mal à l'admettre mais ce qu'il lui disait avait du sens.

Pendant ce temps, la moitié de l'ambassade impériale était partie vers Petroya.

Tanya était confiante. Son organisation avait reçu des ordres stricts. Ils collectaient des renseignements méthodiquement. Pour l'instant, elle ne récupérait des informations qu'en épiant ce qui se disait. Les hommes pouvaient être bavards avec un peu d'alcool ou en présence de femmes.

L'apparente inactivité des agents impériaux rendait les rebelles paranoïaques ou négligents selon les personnes.

Les rebelles ne faisaient pas grand-chose. Ils attendaient que les Surdans soient prêts. Selon toute probabilité, Nasuada voulait aussi avoir des nouvelles des elfes et des nains avant de commencer sa campagne.

Leur seule action avait été de lancer la guerre psychologique. Mais l'empire pouvait aussi jouer à ce petit jeu.

En-dehors de la guerre, son projet avançait bien. Un espace était déjà aménagé à Furnost pour recevoir les marchands. Les routes formeraient bientôt des voies de circulation convenable. Il fallait s'assurer que l'endroit était bien sécurisé. Au bout de quelques années, les foires deviendraient une véritable institution. En plus de l'opportunité économique, elles à des informations d'arriver jusqu'à l'empire. La participation de Surdans aura aussi l'avantage de les convaincre de conserver une relation neutre entre les deux pays.

Si tout allait bien, il n'y aurait pas de guerre.

Le Surda aura tout intérêt à rester en paix.

En revanche, la possibilité que les nains restent loyaux aux rebelles était réelle.

Quand aux elfes, leur implication future était imprévisible. La nouvelle du nouveau dragonnier pourrait les motiver.

C'est pourquoi, il fallait rapidement s'occuper des rebelles pendant qu'ils étaient isolés.

Après quoi, Tanya pourrait obtenir une promotion et vivre paisiblement.