Le roi Orrin regarda la petite fille devant lui et tressaillit devant son regard.
‒ Et maintenant ?
Tanya s'inclina légèrement.
‒ Cela ne dépend que de vous !
‒ Je ne comprends pas, murmura-t-il.
Loin d'être traité comme un prisonnier, Orrin et ses soldats avaient été soignés. Des vivres leur avaient été fourni. Orrin avait même pu prendre un bain et obtenir des vêtements plus dignes de son rang que les loques qui lui restaient après la bataille.
S'il avait ses pages et son matériel de recherche, il pourrait presque se croire dans sa tente au milieu des siens.
La situation le laissait confus.
Au moins, il pouvait compter sur le duc Audivès pour assurer le commandement en son absence même s'il savait qu'il ne s'engagerait pas dans un combat quand son roi était prisonnier. Mais il ne supporterait sans doute pas de savoir justement son roi prisonnier. Il était trop loyal pour envisager de le libérer par ruse mais il était tout à fait capable de lancer un défi.
Orrin savait que Nasuada ne laisserait pas de défi être envoyé mais Audivès ne prendrait sûrement pas la peine de l'en informer.
C'était l'une des raisons pour lesquelles il avait été soulagé de pouvoir lui envoyer un message : rassurer les siens et éviter toute initiative malheureuse.
‒ Nous avons deux options, déclara Tanya. Nous pouvons exiger un butin conséquent ainsi qu'une rectification des frontières. Cela signifierait la ruine et l'humiliation du Surda.
Après avoir parlé, elle garda un silence soudain.
‒ Et quelle est l'autre option ?
‒ L'empire pourrait considérer que le Surda n'a attaqué que contraint par les rebelles. En ce cas, l'empire serait disposé à aider le Surda à se débarrasser de ces fauteurs de troubles sans qu'aucun dédommagement ne soit demandé.
Orrin la dévisagea comme s'il ne comprenait pas le moindre mot de ce qui venait de lui être dit.
‒ Qu'est-ce à dire ?
‒ Une simple rectification diplomatique. Si vous acceptez, le Surda et l'empire seront alliés ce qui implique naturellement que le Surda considérera les rebelles comme un groupe d'agitateurs et ne leur prêtera aucune soutien.
Orrin eut un haut-le-cœur.
‒ Vous n'y pensez pas ! Le Surda et les Vardens sont…
Il se retint de poursuivre, se souvenant que leur alliance était secrète bien que de notoriété publique.
‒ Les rebelles ne cessent de pousser le Surda à la guerre depuis des décennies ! Ils ont dévoré vos réserves de nourritures, utilisé vos armes et dépensé votre or. Ils ont provoqué une crise économique en inondant le marché surdan de dentelle bon marché ce qui a fait perdre leurs clientes aux dentellières surdanes. Ils ont causé un grand tort au Surda. Comment les considérer autrement que comme des ennemis du Surda ?
Tanya servit un verre de vin et le lui tendit.
‒ Vos allégeances passées n'ont pas d'importance. Ce qui nous intéresse c'est l'avenir. Le Surda et l'empire pourraient être des partenaires. Nous commerçons déjà ensemble. Nous ne vous demandons pas une aide militaire. Il suffit que le Surda cesse d'approvisionner les rebelles et la guerre s'achèvera. Roi Orrin, vous pouvez ramener la paix. Cette guerre n'a pas lieu d'être. De toute façon, même en admettant que l'armée impériale soit mise en déroute, cela ne suffira pas à égratigner la puissance que peut déployer le roi. Vous avez un dragonnier qui vous soutient mais il rencontrera des adversaires à sa taille. Vous avez le choix entre poursuivre cette guerre au risque de tout perdre et sauver votre pays en vous retirant.
Orrin reposa le verre après y avoir à peine trempé les lèvres.
‒ Je n'ai qu'une parole ! affirma-t-il.
‒ Le devoir du roi n'est-il pas d'abord de protéger son peuple ? Je crains que vos alliés ne vous considèrent pas comme leur allié. Je ne pense pas que vous ayez été consulté avant que les urgals n'intègrent votre alliance.
‒ Les urgals n'ont-ils pas été envoyés par l'empire contre les Vardens ?
‒ J'ai pu constater qu'ils ne se battaient pas pour l'empire. Cette alliance avec des ennemis de l'humanité ne fera que renforcer la détermination des soldats impériaux qui voudront défendre leurs familles et dissuadera les mécontents de trahir l'empire. Je ne sais pas comment vous comptez expliquer à votre peuple que vous êtes allié avec des monstres tuant par plaisir mais j'espère que vous verrez qui est l'ennemi du Surda : les rebelles ou l'empire.
Après s'être inclinée, Tanya prit congé.
Détruire une alliance qui perdurait depuis un siècle était une tâche ardue mais non impossible.
Elle contempla d'un regard pensif le camp de prisonniers surdans puis jeta un coup d'œil vers le ciel en se demandant quand Murtagh reviendrait d'Uru Baen.
Était-elle censée faire face à Eragon et Saphira s'ils décidaient de libérer Orrin ?
Du coin de l'œil, elle aperçut une file de rebelles enchaînés et prêts à partir pour un procès des plus prévisibles.
La plus grande partie des prisonniers rebelles était encore là. Le début de leur transfèrement avait laissé aux indécis le sentiment qu'ils ne pouvaient tergiverser et le rappel qu'ils pouvaient être libérés des chaînes mais uniquement des chaînes.
Ceux qui avaient prêtés serment furent répartis dans l'armée après avoir changé de tenue. En raison des pertes, il y avait eu beaucoup de réorganisation pour que chaque régiment soit complet. Leur intégration ne poserait sans doute aucun souci. Les autres soldats penseront simplement qu'ils venaient d'un autre régiment. Et si le changement de camp les mettait mal à l'aise, leur attitude serait mise sur le compte de la récente bataille.
Il était possible que certains ne se rendent pas vraiment compte de ce qu'impliquait un serment en ancien langage. S'ils espéraient déserter pour rejoindre les rebelles, ils allaient être surpris.
Les Surdans quand à eux étaient regroupés sous des tentes à l'arrière du camp sous surveillance.
Ils avaient eu un repas un peu frugal mais suffisant pour ne pas avoir à se plaindre.
Elle alla dans la grande tente qui abritait normalement l'état major pour délibérer de la situation.
‒ Enfin ! s'exclama l'un des jumeaux magiciens qui se trouvait là en compagnie de son frère.
‒ Sa majesté sera sûrement intéressée d'apprendre votre nouvelle amitié avec le roitelet Orrin, persifla l'autre. Nous lui avons envoyé un rapport pour lui faire part de ta conduite inqualifiable !
‒ A votre guise, répondit simplement Tanya en consultant une carte en même temps qu'elle étudiat un rapport sur la situation de l'empire ailleurs.
Bien sûr, personne n'avait jugé opportun de lui faire part des destructions de la ville de Teirm à cause d'un seul navire dont s'était emparé le cousin du dragonnier. Il avait accompli un véritable périple pour protéger les habitants de son village et les conduire jusqu'ici.
Capturer un simple paysan était si simple pourtant !
Mais la troupe envoyée n'avait même pas essayé de l'acheter.
Tanya se mordit les lèvres de frustration.
Le rapport racontant comment Carvahall s'était défendu était terriblement confus.
D'après lui, les soldats étaient à peine arrivés qu'ils avaient été attaqués et qu'ils avaient du se replier à cause de la surprise et qu'après de rudes combats et de sournoises embuscades, les habitants avaient fini par détaler.
Une note indiquant qu'ils étaient assurés de mourir dans la Crète servait de conclusion.
En d'autres termes, aucune poursuite n'avait été lancée.
‒ Et quelle idée de conduire les rebelles vers des tribunaux et de laisser les Surdans en paix, maugréa bruyamment l'un des escogriffes chauves. Il fallait tous les décapiter et exposer leurs cadavres pour servir d'avertissement aux autres.
‒ Non, dit l'autre. Il faut qu'ils soient bien reconnaissables. Nous pouvions donner ordre de leur percer le ventre juste assez pour que leurs tripes soient exposées mais sans les tuer et les laisser repartir. Voilà qui aurait fait naître la terreur chez les rebelles !
‒ Voilà une idée fascinante ! commenta une voix grave qui sortait du miroir.
Tanya et les jumeaux se retournèrent pour découvrir Galbatorix.
‒ Je crains que Murtagh ne revienne de suite, annonça-t-il d'une voix triste. Il a besoin de quelques leçons ! En attendant son retour, je compte sur vous pour trouver des volontaires pour une mission dont ils ne reviendront pas.
‒ A votre service, sire ! s'écrièrent les jumeaux.
‒ Je ne manquerai pas à mon devoir, répondit Tanya.
Galbatorix fit un sourire.
‒ C'est bien ainsi que je l'entends ! Quand Murtagh reviendra, il affrontera de nouveau le petit dragonnier des rebelles. Pour qu'aucune aide ne lui soit fournit et pour rater aucune occasion de frapper les rebelles, une troupe sera envoyé au combat en même temps. Il suffit d'un simple sort pour que les soldats ne ressentent aucune douleur. Ils seront peu nombreux pour que les rebelles croient remporter une victoire facile. Mais leur indifférence aux blessures les rendra féroces. Même blessés mortellement, ils continueront à se battre. De nombreux rebelles périront et les autres seront frappés de terreur.
‒ Voilà une idée grandiose ! s'exclama l'un des chauves.
‒ Nous pourrons faire payer aux rebelles leur insolence, ajouta l'autre.
‒ Demoiselle Degurechaff, tu es bien silencieuse !
Les jumeaux tournèrent un regard courroucé vers Tanya qui était restée bouche bée.
Reprenant ses esprits, elle s'inclina.
‒ J'implore votre pardon, monseigneur. Je ne pensais pas que la magie permettait une telle chose !
Il était, bien sûr, possible de bloquer les nerfs mais cela provoquait une paralysie.
Bloquer les nerfs quand ils transmettaient les informations au cerveau mais pas quand ils transmettaient les ordres du cerveau était stupéfiant.
‒ Tu as encore beaucoup à apprendre si tu veux bien me servir ! Il suffirait d'une ou deux centaines de soldats. Vous aurez à les observer pour me faire un rapport complet sur leur capacité au combat. Mais les soldats seront réticents à l'idée de recevoir un sort. Aussi, je ne veux que des volontaires. Assurez-les que leurs familles seront à l'abri du besoin pour les décennies à venir. De plus, ils pourrait se blesser mortellement sans s'en rendre compte donc il faudra lancer le sort au dernier moment.
Pendant que les jumeaux affirmaient bruyamment leur loyauté et leur volonté de servir le roi, celui-ci hocha la tête d'un air entendu.
‒ J'ai cru comprendre qu'une partie des prisonniers avait juré en ancien langage de me servir. Je me demande s'il ne serait pas bon qu'ils fassent partie de ceux qui recevront le sort.
‒ Ils ont osé s'opposer à votre majesté, il est juste qu'ils vous donnent leur vie en compensation !
‒ Demoiselle Degurechaff, je souhaite entendre ton avis !
‒ Je ne suis pas certaine des conséquences. Les soldats concernés risquent de mourir tous…
‒ N'est-ce pas le devoir d'un soldat de mourir pour son roi ! l'interrompit l'un des escogriffes.
‒ Les soldats s'engagent pour protéger les leurs et leur roi. Ils savent qu'ils risquent leur vie mais s'ils pensent n'avoir aucune chance de revenir vivant alors peu d'hommes voudront porter les armes à moins de les engager de force et il n'y aura que des soldats au moral faibles prêts à déserter à la première occasion.
‒ Il suffit de leur faire jurer en ancien langage de servir jusqu'à la mort !
Tanya secoua la tête.
‒ En ce cas, des révoltes auront lieu et les jeunes en age de combattre se cacheront plus que d'être pris. Maintenant, ne m'interrompez plus avec vos questions oiseuses et laissez-moi répondre à mon roi ! Si les rebelles s'aperçoivent que ceux qui se sont retrouvés prisonniers combattent jusqu'à une mort certaine alors plus aucun d'entre eux n'acceptera de changer de camp. En les faisant combattre comme soldats ordinaires, ils gardent une chance raisonnable de rester en vie jusqu'à la fin de la guerre. Ils seront donc plus enclins à se soumettre.
‒ C'est grotesque ! Laisser une chance de survie à des ennemis du roi relève de la haute trahison ! C'est un …
Il se tut brusquement après avoir commencé sa diatribe. L'expression colérique de son visage laissa la place à la confusion puis à l'effroi.
‒ Allons, allons ! dit Garlaborix d'un ton détaché. N'as-tu pas appris à te taire en présence du roi ?
Les deux chauves se mirent à genou, le nez dans la poussière.
Galbatorix détourna le regard.
‒ Tu parles avec justesse mais je suis certain que l'on peut trouver des soldats prêts à donner leur vie si j'offre une belle récompense.
‒ Il y aura toujours des soldats prêts à donner leur vie même sans récompense si c'est le meilleur moyen de protéger leurs familles et s'ils ont assez de dévouement pour leur roi, ils n'hésiteront pas. Mais, je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup à moins de recevoir une récompense exorbitante.
Il y avait une grande différence entre les Japonais kamikazes qui s'étaient sacrifié pour lutter contre les Américains et les soldats impériaux qui faisaient face aux rebelles, aux nains et aux surdans.
Entre leur sens de l'honneur qui refusait toute reddition et leur dévotion envers l'empereur, les Japonais étaient bien plus disposés à se sacrifier que ne le seraient les sujets de Galbatorix.
‒ De plus, le moral de l'armée risque d'en être affecté. Au début, les soldats seront enthousiastes devant la terreur des rebelles mais ensuite ils risquent de penser que c'est de mauvais augure pour la guerre.
‒ Quelle importance ? Certains auront peur de la défaite ? La belle affaire ! Ils verront bien qu'il ne s'agit que de volontaires. Et la guerre sera trop brève pour que leur peur les paralyse. S'ils sont récalcitrants à se battre, il y a d'autres solutions.
‒ Nous pouvons leur faire prêter serment en ancien langage pour nous assurer de leur zèle mais il faudra du temps.
‒ Les officiers sont autorisés à faire un exemple si nécessaire, déclara Galbatorix avec un sourire. Ce ne serait pas la première fois. Quand j'établissais mon pouvoir sur l'empire, je mettais les soldats manquant de volonté par groupe de dix et neuf d'entre eux devaient tuer leur camarade. Après cela, ils ne faisait pas défaut à leur devoir. Même face aux dragonniers de jadis, ils ne reculaient pas ! J'attends de mon armée la même loyauté que leurs anciens. Je me range à ton idée. Les rebelles qui ont juré fidélité peuvent faire partie des volontaires mais ne vous limitez pas à eux ! Allez, maintenant !
Son image disparut dans le miroir.
Les jumeaux se relevèrent aussitôt.
‒ Je vais mieux ! Je puis enfin parler !
Ils jetèrent à Tanya un regard dédaigneux.
‒ Nous nous occuperons de trouver des volontaires. Tu peux rester à surveiller Orrin.
Dépitée de n'avoir pu parlé ni du roi Orrin ni du sort du village de Carvahall, Tanya ne répondit rien.
Elle alla prendre un bon repas pour reconstituer son énergie avant d'aller prendre du repos.
Elle fut réveillée une heure avant l'aube par une sentinelle suivant les ordres qu'elle avait donné.
S'il devait y avoir une attaque surprise, c'était le meilleur moment.
Du point de vue des rebelles, Orrin était un otage de première importance. L'absence de demande de rançon devait les rendre nerveux mais ils ne pouvaient se permettre de laisser le roi du Surda entre les mains de l'empire.
De la tente où elle était, elle voyait nettement la tente où Orrin était gardé.
Les sentinelles étaient bien là mais elles donnaient beaucoup d'attention au feu qui les réchauffait et les distrayait. De temps en temps, un soldat parcourait les alentours à la fois pour veiller et pour se dégourdir les jambes.
‒ Quand la nuit est tombée, je ne crains aucun mal car mon Seigneur est avec moi ! Les ténèbres auront beau m'envelopper, je ne crains rien car la lumière du Seigneur me guide ! Avant l'aurore, je veille pour prier le Seigneur, pour dire ses hauts-faits et placer en lui ma confiance ! Quand le jour se lève, je proclame les merveilles du Seigneur et conduire le peuple à venir à lui ! Près du Seigneur, vous trouverez le repos et la récompense de votre fidélité ! Amen !
Tanya sentit une grande puissance l'envahir et sourit.
Elle était prête à faire face à tout intrusion.
