Salut tout le monde ! Je suis ravi de vous présenter enfin le treizième chapitre de cette fanfiction ! À l'origine, j'étais parti pour rédiger un chapitre plus court que les précédents, histoire de pouvoir vous le publier plus vite. Hélas, je me suis quelque peu laissé emporter et il s'agit ni plus ni moins du chapitre le plus long que j'aie jamais publié. Malgré cela, j'espère de tout coeur qu'il vous plaira.
Bonne lecture à tous !
Chapitre 13
La nuit venait de tomber sur le manoir Redfox et sur les immenses jardins qui l'entouraient. L'astre nocturne délivrait à présent une douce lumière se reflétant sur les imposantes sculptures de dragon placées sur la bâtisse aux différents points cardinaux et qui semblaient presque monter la garde et veiller sur les personnes qui y résidaient.
Assise sur le gigantesque lit de la suite qui lui avait été attribuée, Levy était occupée à relire assidûment les nouvelles feuilles de cours qu'on lui avait déposées durant la journée. Au retour de son périple avec Laxus, elle avait été surprise de constater que ses leçons lui avaient de nouveau été transmises après avoir été recopiées avec soin par un étudiant anonyme, probablement soudoyé par la famille Redfox.
Pour la jeune femme, cet amas de feuilles de papier et cette forme d'apprentissage incongrue étaient, en ce moment, les seules manifestations de normalité de son existence. Jamais elle n'aurait imaginer devoir effectuer son début de scolarité à Magnolia de cette manière-là.
Poussant un soupir, Levy replaça quelques mèches de cheveux récalcitrantes derrière ses oreilles et se reconcentra tant bien que mal sur son cours de littérature comparée.
Même si elle traversait en ce moment une mauvaise passe, elle s'efforçait de rester optimiste. Bien que tendu, le climat de tension actuel entre les clans mafieux n'allait pas durer éternellement. Il fallait simplement qu'elle tienne bon le temps que ce conflit se termine, d'une manière ou d'une autre.
Perdue davantage dans ses pensées que dans celles des auteurs qu'elle devait étudier, Levy n'entendit pas une silhouette encapuchonnée sauter du balcon de l'étage inférieur pour s'agripper au rebord du balcon de la suite qu'elle occupait. Après ce saut périlleux, la silhouette enjamba la rambarde de pierre ouvragée, se réceptionna avec aisance et se déplaça sans faire le moindre bruit vers l'imposante baie vitrée, partiellement obstruée par de lourds rideaux carmins.
Trois petits coups se firent entendre contre la paroi de verre. Cette fois-ci, les bruits firent sursauter Levy, à tel point qu'elle en lâcha l'un de ses précieux carnets rempli de notes manuscrites et de schémas mnémotechniques.
Pensant d'abord avoir mal entendu, la jeune femme tendit l'oreille et les trois coups se répétèrent. Levy n'était guère rassurée.
Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Le vent ? Un oiseau nocturne ? Ou bien… autre chose ?
À pas de loup, l'étudiante se rapprocha de la baie vitrée conduisant au balcon et étira le cou pour tenter d'apercevoir quelque chose. En vain. La seule façon d'être renseignée sur l'origine de ce bruit était d'ouvrir la baie vitrée et de passer la tête à l'extérieur.
Rassemblant tout son courage, Levy actionna la poignée dorée et poussa le battant. À cet instant, la fameuse silhouette encapuchonnée se glissa à l'intérieur, déclenchant aussitôt la panique de l'étudiante. Heureusement, cette panique s'estompa bien vite lorsque la capuche fut abaissée et l'identité de l'intrus révélée.
« Gajeel ?! s'exclama Levy, stupéfaite. Mais… qu'est-ce que tu fais là ?
- Moi aussi je suis content de te voir, souffla le mafieux, tout sourire et visiblement fier d'avoir réussi à surprendre sa protégée.
Le poing de Levy s'abattit sur l'épaule du fils du parrain qui grimaça à peine.
- Espèce d'idiot ! Tu m'as fait une de ces peurs ! J'ai cru qu'un intrus avait réussi à s'infiltrer dans le manoir !
- Un intrus n'aurait jamais réussi à être aussi agile que moi, se vanta le mafieux. J'ai pris des cours d'escalade pendant plusieurs années quand j'étais gamin.
- Tu as escaladé jusqu'ici ? demanda Levy, à la fois ébahie et effarée. Tu es complètement fou !
Tout en ôtant l'élastique qui avait maintenu ses longs cheveux noirs en une queue de cheval durant son ascension, Gajeel émit un petit rire.
- Fou ? Peut-être. En manque d'une certaine personne ? Ça c'est certain.
Sans plus de cérémonie, le fils de Métallicana se rapprocha de celle qui avait occupé ses pensées durant toute l'après-midi et posa ses larges mains sur ses hanches, recréant le contact qui lui avait tant manqué. De son côté, comme à l'accoutumée, Levy sentit un frisson la parcourir au contact de Gajeel. Le sentir près d'elle était toujours aussi agréable et elle doutait de pouvoir se passer un jour de cette sensation.
- Il fallait que je te voie, expliqua t-il. Je voulais m'assurer que tu allais bien. Mais malheureusement, mon père m'a interdit de t'approcher avant la fin de son ultimatum.
- Je suis au courant, confirma Levy. Il y a même deux de ses hommes postés à l'entrée du couloir qui mène jusqu'ici. Et j'ai dû prendre mon repas dans cette chambre pour ne croiser personne d'autre.
Les traits de Gajeel se tendirent et Levy sentit aisément sa poigne se raffermir autour de ses hanches.
- Cet enfoiré m'oblige à me faufiler en douce dans ma propre maison et à agir comme un vulgaire cambrioleur… Moi, son propre fils, son sang, sa descendance…
Gajeel étouffa un juron. Une fois de plus, son père s'attelait à contrôler sa vie et à surveiller ses moindres mouvements, comme il l'avait fait par le passé pour le former à endosser son rôle de parfait fils héritier. Jusqu'à ici, Gajeel l'avait laissé faire, conscient que cette stricte tutelle était un mal nécessaire pour qu'il puisse un jour reprendre le flambeau.
Mais ces derniers temps, les choses étaient allées beaucoup trop loin et les menaces proférées par le parrain à l'encontre de Levy étaient la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase.
Il devait à tout prix trouver un moyen de contrer l'influence exercée par son père, pour le bien de Levy comme pour le sien. Hélas, pour l'instant, aucune stratégie lui permettant d'atteindre cet objectif ne s'imposait à lui.
Mettant de côté ce triste constat, le couple décida de s'asseoir sur l'immense lit à baldaquin trônant dans la chambre. Gajeel détailla furtivement Levy du regard. Il était toujours aussi fasciné par la beauté naturelle de la jeune femme. Contrairement à Mei Fujinami, Levy n'avait besoin d'aucune tenue sophistiquée, ni d'aucun artifice pour attirer son attention.
« Comment ça s'est passé aujourd'hui ? demanda Gajeel. Tu as pu avancer avec Laxus ?
- Nous avons trouvé une piste sérieuse, confirma Levy en acquiesçant. Apparemment, ce fameux Rogue aurait été recueilli, enfant, par l'un des orphelinats de la ville, il y a une vingtaine d'années de cela. D'après ce que nous a raconté l'ancienne gérante, le profil correspondrait à l'homme que vous recherchez. Sa mère aurait perdu la vie dans une fusillade dont la responsabilité a été attribuée à la mafia. Je pense que c'est ce qui le motive à s'en prendre à des clans mafieux, comme le vôtre ou celui de Sting.
Gajeel assimila ces nouvelles informations et se rallia à l'analyse de Levy.
- Je vois… Et vous êtes parvenus à trouver sa véritable identité ?
- Pas encore. Nous avons le nom de l'un de ses camarades de l'orphelinat avec qui il était très proche. D'après les recherches que j'ai effectuées dans vos archives en début de soirée, il travaille dans un bar du vieux quartier de la ville. L'établissement était fermé aujourd'hui mais sera ouvert demain. Laxus et moi irons rencontrer cet homme. Avec un peu de chance, il pourra nous donner les informations que nous voulons.
- Avec un peu de chance… répéta Gajeel d'une voix grave.
Animés par une frustration et une colère grandissantes, les poings du mafieux posés sur ses genoux se serrèrent et une sensation de malaise s'empara de lui. Il ne voulait pas remettre le destin de Levy entre les mains de la chance ou du hasard. Il voulait la protéger lui, la mettre à l'abri des dangers inhérents à son milieu, comme il le lui avait promis lors de leur visite dans le cottage de sa mère.
- Levy… Si jamais les choses venaient à mal tourner… J'ai trouvé un endroit où tu pourrais te réfugier le temps que…
- Shhhh…
Levy posa son index sur les lèvres du mafieux pour forcer son silence et le dévisagea ensuite avec le plus grand sérieux.
- Gajeel Redfox, as-tu si peu confiance en moi pour mener à bien cette mission ? Penses-tu aussi sincèrement que je ne pourrais pas y arriver ?
Le regard à la fois interrogateur et déterminé de Levy prit complètement de court l'imposant mafieux qui se mit à bafouiller.
- Qu… quoi ? Non pas du tout, c'est juste que…
- Je suis touchée par le fait que tu veuilles me protéger à tout prix, Gajeel. Vraiment. Jusqu'à présent, à l'exception de mes parents et de mes frères, personne n'avait veillé sur moi comme tu le fais. Et comme je te l'ai dit plus tôt, je te suis reconnaissante d'avoir mis autant de moyens en oeuvre pour me tirer des griffes de Sting.
La jeune femme prit une inspiration avant de continuer.
- Pour tout te dire, lorsque j'étais dans la scierie des Eucliffe, j'étais complètement terrorisée et désespérée. Je n'ai pas honte de l'avouer. Je pensais que je n'allais pas m'en sortir et que j'allais rester dans cette prison pendant des lustres. Mais je me suis souvenue de ce que tu m'avais dit à l'infirmerie de l'université. Tu t'en souviens ?
L'esprit de Gajeel mit seulement quelques secondes à se remémorer les paroles qu'il avait prononcé ce fameux jour :
« Ne baisse jamais la tête. Et ne montre jamais que tu es blessée. Reste la fille forte qui m'a foutu une raclée pas plus tard que hier, compris ? ».
Ce jour-là, il avait voulu à tout prix préserver la force qu'il avait décelé en Levy lors de leurs premières rencontres. Cette force qui l'avait tant intrigué et incité à vouloir la connaitre davantage.
- Oui, je m'en souviens très bien, répondit Gajeel.
- Tes paroles m'ont aidé à tenir le coup. Et dans cet endroit lugubre et poussiéreux, entouré de tous ces ennemis, je me suis fait une promesse à moi-même. Celle de demeurer forte quoi qu'il arrive et de ne jamais baisser les bras. C'est ce que je compte faire aujourd'hui et les jours qui suivront. J'arriverai à répondre aux exigences de ton père et je parviendrai à sortir de cette situation. J'en fais le serment.
Gajeel ressentit jusqu'au fond de ses tripes la détermination dont faisait preuve Levy à cet instant. Une nouvelle fois, la force de caractère de la jeune femme l'attirait irrésistiblement, comme la lumière d'une lampe incandescente sur un papillon de nuit. Il ne pouvait y résister, cela lui était totalement impossible.
Sans un mot, le mafieux posa son imposante main sur la nuque de Levy et l'attira vers lui pour un baiser. Les lèvres du couple s'unirent à nouveau, d'abord dans la douceur, puis dans un empressement certain. Rapidement, la langue de Gajeel s'immisça dans la bouche de Levy pour venir caresser la sienne. En réaction, le visage de Levy s'empourpra immédiatement et une intense chaleur parcourut chacun des membres de la jeune femme. Comme pour se maintenir à flot, Levy posa ses mains sur le corps de Gajeel qui prit cela comme une invitation.
Encerclant sa taille avec son bras et la poussant légèrement, Gajeel invita Levy à s'allonger sur le matelas, son dos s'enfonçant lentement sur les feuilles de cours éparpillées un peu partout. Prenant appui sur le bord du lit, le mafieux profita de cet instant pour se positionner au dessus de la jeune femme à califourchon, la surplombant de toute sa hauteur et occultant presque l'ensemble de son champ de vision.
Levy déglutit difficilement. Avec sa silhouette massive parfaitement suggérée par l'obscurité de la pièce, Gajeel ne lui avait jamais paru aussi imposant qu'à cet instant. Ses yeux rubis luisaient presque dans l'obscurité et semblaient entièrement focalisés sur ses propres yeux noisettes et sur son corps alangui.
Se penchant en avant, Gajeel reprit avidement possession de la bouche de Levy qui participa à son tour activement au baiser. L'étudiante sentit la poitrine de Gajeel se poser sur elle avec une lenteur calculée, puis ses jambes s'emmêler aux siennes.
Jamais ils n'avaient été aussi proches, jamais ils ne s'étaient senti sautant en osmose l'un avec l'autre. Les secondes s'écoulèrent et le contact se fit de plus en plus prégnant, de plus en plus urgent.
En décalant sa jambe pour faciliter l'accès au mafieux, Levy tira involontairement sur le tissu de la couette qui, à son tour, fit chuter le stylo-encre et l'encrier dont elle se servait pour écrire dans ses calepins. Visiblement mal fermé, le flacon de l'encrier répandit son liquide sur le sol molletonné de la chambre.
Levy s'en rendit compte et écarquilla les yeux à cette vue.
« Gajeel… souffla t-elle à moitié haletante. Mon encrier… s'est reversé sur la moquette…
- On s'en fout… souffla à son tour Gajeel. Levy… le monde peut bien s'écrouler, je m'en tape complètement. Je n'ai qu'une seule préoccupation, une seule. C'est toi.
Joignant le geste à la parole, le mafieux prit délicatement entre ses doigts le bas du débardeur de Levy et remonta le tissu jusqu'en haut pour le lui enlever. Enfiévrée par la sensualité du moment, Levy se laissa faire. Désormais, la jeune femme n'était plus qu'en pantalon de jogging et soutien-gorge et elle mourrait d'envie de se cacher le visage pour masquer sa gêne.
Depuis le début de son adolescence, Levy était souvent complexée par ses formes peu généreuses, en particulier au niveau de sa poitrine. Elle se considérait souvent bien loin des standards de beauté vantés par les magazines de mode crocusiens et certainement en vigueur dans le milieu de Gajeel. Le mafieux devait être habitué à côtoyer des femmes bien plus pulpeuses et sachant mieux se servir de leurs atouts.
Cependant, les doutes de Levy s'envolèrent complètement lorsque ses yeux se plongèrent à nouveau dans ceux de Gajeel, au détour d'un nouveau baiser fiévreux.
En effet, le regard de ce dernier semblait encore plus intense, encore plus aiguisé qu'auparavant.
Ce que Gajeel avait sous les yeux lui plaisait, cela ne faisait aucun doute. Il n'y avait qu'à entendre l'accélération du souffle du mafieux qui résonnait dans les oreilles de Levy pour en avoir la preuve.
Galvanisée par ce regain de confiance en soi que Gajeel lui offrait, Levy se sentit soudain plus audacieuse et plaqua sa main à l'arrière de la tête de ce dernier pour l'inviter à approfondir le baiser. Un grognement approbateur s'échappa des lèvres du mafieux qui continua à happer délicieusement les lèvres de l'étudiante pendant de longues minutes.
Pourtant, malgré les délicieuses sensations que lui infligeait Gajeel, l'enfièvrement de Levy prit fin presque d'un seul coup lorsqu'elle sentit la main du mafieux prendre entre ses doigts l'élastique de son bas de jogging et de son sous-vêtement pour les abaisser. Comme si cet unique geste avait déclenché en elle tout un océan de doutes et d'insécurité.
En un instant, une brusque panique s'insinua dans les membres de la jeune femme, occultant tout le plaisir ressenti jusque là.
- Gajeel… Gajeel… arrête s'il te plait, souffla Levy en posant sa main sur la poitrine du mafieux pour l'éloigner quelque peu.
Surpris, Gajeel décolla son buste du corps de Levy pour l'observer.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda le fils de Métallicana, toujours essoufflé.
- Je suis désolée… vraiment désolée, mais… je ne peux pas…
Terriblement gênée, Levy se sépara de son partenaire, se redressa et s'assit en tailleur sur la matelas dont la housse était désormais froissée de toutes parts. Gajeel l'imita et allongea ses jambes qui dépassèrent au bout du lit. Il semblait à la fois frustré, perdu et terriblement inquiet.
En fait, Gajeel ne comprenait pas. Levy lui avait semblé réceptive quelques instants plus tôt. Que s'était-il passé ?
- J'ai fait quelque chose qui t'a déplu ? demanda t-il.
- Non ! Non pas du tout, le rassura Levy. C'est juste que… que…
La jeune femme baissa la tête, honteuse. Les mots n'arrivaient pas à franchir ses lèvres, comme bloqués par une barrière infranchissable. Comment allait-elle arriver à lui avouer un truc pareil ?
Délicatement, la main de Gajeel se posa sur la sienne, entremêlant leurs doigts et incitant Levy à relever le visage vers son vis-à-vis.
- Je t'écoute… insista Gajeel d'une voix rassurante. Tu peux tout me dire tu sais.
Face à la prévenance dont le fils de Métallicana faisait preuve à son égard, Levy décida de se jeter à l'eau.
- C'est juste que… je n'ai jamais… enfin jamais…
Peinant d'abord à comprendre ce que lui disait la jeune femme, les yeux du mafieux s'écarquillèrent progressivement à mesure que les paroles de Levy se frayaient un chemin dans son cerveau.
Malgré ses soupçons, il n'était pas certain d'interpréter correctement l'aveu de la jeune femme. Il lui fallait être absolument sûr.
- Levy, ce que tu es en train de me dire, c'est que tu es… ?
Levy acquiesça plusieurs fois, au comble de la honte.
- J'ai déjà eu des copains, mais ce n'est jamais allé… aussi loin, avoua t-elle. Du coup… quand tu as commencé à… me toucher… je ne me sentais pas prête, je ne savais pas quoi faire et… j'ai paniqué… Je suis vraiment désolée…
Baissant à nouveau la tête pour fixer le matelas, l'étudiante en lettres ne savait plus où se mettre. Elle avait l'impression d'avoir complètement gâché l'un des rares moments qui s'offrait à elle et Gajeel.
- Levy… regarde moi s'il te plait, demanda ce dernier.
La dénommée releva à nouveau les yeux qui croisèrent ceux de Gajeel. Elle ne lut dans son regard aucun reproche, ni aucune désapprobation.
- Tu n'as pas à être désolée. Ce serait plutôt à moi de m'excuser pour ne pas t'avoir demandé si tu souhaitais aller plus loin. Je ne savais pas que tu n'avais pas d'expérience pour ce genre de choses. Je n'ai pas su déceler les signes de ton malaise et j'en suis navré.
- Je dois te paraitre tellement ridicule…
- Bien sûr que non, répondit Gajeel en secouant la tête. Évite de raconter des conneries, t'es pas douée pour ça.
La remarque arracha un léger sourire à Levy tandis que la main de Gajeel se posa doucement sur sa joue, autant pour la caresser que pour l'inviter à l'écouter.
- On ira à ton rythme, petit à petit. Et on réessaiera lorsque tu te sentiras prête. Ça peut être dans une semaine, un mois, un an, dix ans, peu importe. J'attendrai le temps qu'il te faudra. Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement.
Reconnaissante pour sa compréhension, Levy se rapprocha de Gajeel et passa ses bras autour de son cou avant d'enfouir son nez au creux de sa nuque. Le mafieux l'enlaça à son tour, appréciant cet élan de tendresse spontané.
- Tu restes dormir ici ? demanda Levy près de son oreille.
Le ton employé par l'étudiante suggérait qu'il s'agissait bien plus d'une invitation que d'une réelle question, ce que comprit aisément Gajeel.
- Évidemment, répondit ce dernier. Malgré mon talent indéniable, je ne vais pas me taper la descente de la façade en pleine nuit.
- Idiot, gloussa Levy.
Quelques instants plus tard, le couple mit fin à son étreinte et s'employa à ramasser les feuilles de cours éparpillées sur le lit, avant de se préparer chacun de son côté pour se mettre au lit.
Avec une pointe de gêne, Levy retira son bas de jogging pour pouvoir dormir en sous-vêtements et ôta le foulard fleuri qui lui retenait les cheveux.
Une fois prête, la jeune femme se rapprocha du lit et son attention fut captée par ce qui se déroulait de l'autre côté.
D'un geste souple, elle vit Gajeel retirer son t-shirt puis défaire sa ceinture et déboutonner son pantalon, avant de le faire glisser à ses chevilles et de l'enjamber agilement. Le fils de Métallicana était désormais vêtu d'un simple boxer gris, offrant à la vue de Levy tout le reste de son corps. Et cette vue hypnotisa totalement la jeune femme.
Depuis leur première rencontre, Levy avait compris que Gajeel s'adonnait régulièrement à la musculation et aux arts martiaux. Mais voir de ses propres yeux le résultat de son dur labeur était bien différent.
Comme elle s'y attendait, ses pectoraux étaient saillants mais sans être trop volumineux. Ses abdominaux, en revanche, étaient dessinés à la perfection. Levy aperçut même une fine ligne de poils partir de son nombril pour descendre en dessous de sa ceinture.
La vue de ce corps se rapprochant de la perfection fit rougir l'étudiante. Le physique de Gajeel n'avait décidément rien à voir avec celui des garçons avec lesquels Levy était sortie par le passé.
Mais le plus surprenant apparut lorsque Gajeel lui tourna le dos pour ramasser ses vêtements éparpillés au sol. Lorsqu'il se baissa, ses cheveux glissèrent en avant, de son dos vers ses épaules, et Levy put apercevoir un imposant dessin à l'encre noire recouvrant la quasi-totalité de son dos.
« Tu as un tatouage ? demanda Levy, surprise.
Le mafieux posa soigneusement ses affaires sur l'un des fauteuils de la pièce avant de répondre.
- Oui, je l'ai fait faire il y a quelques années. Il a fallu presque une journée entière au tatoueur pour le reproduire sur moi. Tu veux le voir ?
Levy acquiesça et Gajeel fit le tour du lit pour la rejoindre. À présent éclairé par la lumière de la lampe de chevet, le tatouage devenait parfaitement visible et révéla à Levy tous ses détails.
Il s'agissait d'un immense dragon noir aux ailes entièrement déployées qui rappela immédiatement à la jeune femme celui installé au dessus de l'entrée du Dragon d'acier. Tout le corps de la créature dessinée semblait recouvert d'écailles en acier inoxydable. Ses ailes étaient d'un noir très profond, créant un contraste saisissant par rapport au reste du corps et conférant à la bête légendaire une aura à la fois de menace et de noblesse. Sa gueule était ouverte et dévoilant d'imposants crocs acérés . Ses yeux aux pupilles reptiliennes étaient vairons, l'un rouge et l'autre vert.
Mais au delà de la créature, ce furent les innombrables détails du tatouage qui lui conféraient tout son symbolisme et qui laissèrent Levy bouche bée. À plusieurs endroits du dessin, des épées et des flèches en acier étaient plantées dans la chair du dragon et laissaient s'écouler des gerbes de sang aussi noir que de l'encre. Le liquide issu des blessures semblait retomber sur un sol mystérieux, fait entièrement de fumée et d'ombre.
L'ensemble du tatouage évoqua à Levy la vision d'une créature mythique, dotée d'une force et d'une puissance incroyables, qui tenait toujours debout et continuait de se battre, malgré les blessures qu'on lui infligeait. Il s'agissait certainement du sens que Gajeel avait voulu donner à son tatouage.
Ne pouvant résister à la tentation, Levy parcourut du bout des doigts la courbe des ailes du dragon dessiné sur le dos de Gajeel. Sans se dégager, ce dernier tourna la tête dans sa direction.
- Plutôt pas mal, hein ?
- Il est magnifique… murmura Levy, encore ébahie par le dessin. Et il te va vraiment bien.
Gajeel se retourna. Levy faisait désormais partie des rares personnes à avoir aperçu le paysage d'encre dans son dos et il en était ravi. Il la remercia du compliment en déposant un chaste baiser sur ses lèvres.
Levy accueillit agréablement le baiser mais bien vite, son regard se porta à nouveau sur le corps du fils du parrain qui lui faisait face. Maintenant qu'elle était à quelques centimètres de lui, Levy apercevait des détails qu'elle n'avait pas vu quelques instants plus tôt.
Des stigmates et des cicatrices de tailles et d'épaisseur différentes, répartis ça et là sur les épaules, la poitrine et l'abdomen du mafieux aux piercings.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Levy en pointant les marques du doigt.
Gajeel baissa le menton pour voir ce à quoi sa protégée faisait allusion.
- Ah, ça… Souviens-toi, je t'avais dit dans cette même chambre que je te montrerai un jour mes blessures de guerre. On dirait bien que le moment est venu.
Doucement, Gajeel prit la main de Levy dans la sienne et agrippa son index qu'il posa ensuite sur une cicatrice de plusieurs centimètres située au niveau de son pectoral droit.
« Une rixe avec des trafiquants d'armes concurrents qui sont venus perturber la conclusion d'une affaire. J'avais prévu de venir en personne et les salauds l'ont appris. J'ai réussi à en mettre sept à terre avant que nous soyons exfiltrés. Malheureusement, ils ont eu le temps de me laisser ce petit souvenir. »
Gajeel maintint entre ses doigts l'index de Levy et le guida à nouveau jusqu'à une petite estafilade d'à peine quelques centimètres striant l'un de ses abdominaux.
« Un entraînement au sabre qui a mal tourné. Mon père avait engagé un ancien champion d'escrime de la principauté de Véronica pour me former pendant son absence. Le prof était un vieux de la vieille. Il a ordonné que l'on s'entraine avec de vrais sabres à la place des sabres en bambou ou en bois. J'ai paré ses attaques du mieux que j'ai pu mais il m'a blessé à cet endroit-là. Lorsque mon père l'a appris, il a envoyé deux de ses hommes lui refaire le portrait avant de le chasser à jamais de la ville. »
Levy écouta l'anecdote et ne fut guère étonnée de la réaction de Métallicana Redfox. Elle commençait à cerner de mieux en mieux le personnage.
Enfin, Gajeel posa la main de Levy au niveau de son épaule droite, en dessous d'une marque bien plus imposante et qui paraissait ancienne. La peau de Gajeel était presque rugueuse à cet endroit.
« Une blessure par balle reçue lors de ma toute première négociation d'affaires. Mon père et mon grand-père m'avaient envoyé seul avec plusieurs de nos hommes pour négocier une trêve avec le chef d'un ancien clan de Magnolia, un véritable chien fou qui tenait absolument à conserver le peu de pouvoir qui lui restait. On avait à peine commencé les discussions qu'un groupe de ses gars a fait irruption dans la salle et à ouvert le feu. J'ai eu de la chance de ne pas recevoir cette balle ailleurs que dans l'épaule et de m'en sortir ».
Distraite, Levy caressa du bout des doigts l'ancienne plaie, comme pour dissiper une douleur qui n'était plus là depuis longtemps.
- J'imagine que cet acte n'a pas été sans conséquences pour eux… souffla t-elle.
Gajeel opina du chef.
- Je suis resté alité un jour ou deux à l'infirmerie du manoir. Lorsque j'en suis sorti, j'ai appris que l'intégralité de ce minuscule clan avait été anéanti. Tous tués ou exilés par mon grand-père.
Levy maintint pendant encore quelques secondes le contact avec la peau chaude de Gajeel avant de retirer sa main. Les souvenirs narrés par Gajeel et illustrés par ses anciennes blessures avaient plongé l'étudiante dans une myriade de sentiments contradictoires.
D'un côté, elle mourrait d'envie d'en savoir plus et de connaitre les détails de toutes les histoires qu'avait vécu Gajeel. D'un autre côté, ces anecdotes l'inquiétaient et elle ne pouvait se résoudre à croire que de tels actes aient pu être perpétrés dans une ville d'apparence aussi calme que Magnolia.
- Tu vis dans un monde avec tellement de violence… souffla Levy. Tu n'as jamais pensé… à y renoncer et à fuir ? Vivre une vie plus simple et moins dangereuse ?
Immédiatement, Gajeel secoua la tête. La réponse était sans appel.
- C'est ma vie, Levy. Tout ceci est ma vie. Je suis lié à un destin inscrit en moi depuis ma naissance. Je dois reprendre la place de mon père. Ce n'est pas une chose à laquelle je peux renoncer, que je le veuille ou non.
- Je comprends.. J'espère simplement que lorsque tu seras le nouveau chef, tu ne t'abandonneras pas totalement à cette violence. Je ne voudrais surtout pas que… tu te perdes en chemin…
À cet instant, le souvenir du meurtre de l'homme de Sting, exécuté par ses soins, s'imposa insidieusement devant les yeux de Gajeel. Son coeur s'accéléra brusquement, emballé par le son des coups de feu qu'il avait tiré et qu'il parvenait encore à entendre.
Ce soir-là, Gajeel s'était abandonné complètement à la vengeance et à la cruauté. Il avait laissé ce qu'il y avait de plus noir en lui prendre le dessus pour châtier cet homme comme il estimait qu'il le méritait.
En vérité, le mal le consumait déjà depuis fort longtemps. Mais il ne pouvait en aucun cas l'avouer à Levy. Car cela reviendrait à la perdre, purement et simplement, et cela, il ne pourrait le supporter. Il savait déjà que cela le rendrait complètement fou. Et il était terrifié par ce qu'il pourrait advenir alors.
Le fils de Métallicana tenta de cacher du mieux qu'il put le trouble qui l'habitait et prit un air confiant.
- Ça n'arrivera pas, affirma t-il avec toute l'assurance qui lui était possible. Parce qu'à présent, je t'ai à mes côtés.
Levy sourit, émue par les mots de l'homme qu'elle aimait. Car oui, à cet instant, les choses étaient claires dans l'esprit de l'étudiante.
Elle aimait désespérément Gajeel Redfox. Cet homme si mysérieux, si complexe, pouvant être à la fois fort et doux, violent et calme, impitoyable et sensible.
Après avoir partagé ces quelques confidences et constaté l'heure tardive, le couple décida qu'il était temps de se mettre au lit. Chacun se glissa de son côté entre les draps soyeux du grand lit à baldaquin.
D'un geste, Gajeel invita Levy à se rapprocher de lui, ce que la jeune femme accepta avec empressement. Elle posa doucement sa tête sur le torse du mafieux, enlaça son ventre avec son bras et emmêla ses jambes avec celles de Gajeel. Soupirant d'aise, le mafieux profita pleinement de cette étreinte nocturne qu'il avait tant désiré depuis qu'il avait rencontré la jeune femme.
Finalement, le couple se souhaita une agréable nuit et Gajeel se pencha en avant pour déposer délicatement un dernier baiser sur les lèvres de Levy.
Chacun ferma alors les yeux et rapidement, les bras de Morphée vinrent enlacer les deux amants pour les emmener ailleurs, dans un endroit où le mal comme le bien ne sont qu'illusion.
Depuis qu'elle avait emménagé à Magnolia il y a plusieurs mois de cela, Lucy Heartfilia avait effectué à d'innombrables reprises le trajet conduisant à son petit appartement situé sur la rive du fleuve traversant Magnolia.
Elle avait pris l'habitude de faire un petit exercice de funambule en marchant au bord même du quai, un pas après l'autre, tendant les bras à l'horizontale. L'incongruité de cet exercice avait de nombreuses fois interpellé les gondoliers noctambules de la ville qui lui demandaient alors si tout allait bien et lui souhaitaient un bon retour chez elle.
Cependant, jusqu'à ce jour, la jeune journaliste n'avait jamais parcouru le chemin menant à sa modeste demeure dans un tel état d'excitation et d'anxiété mélangées. Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'elle était sortie de son entretien avec le commissaire Gildarts Clive et le moins qu'on puisse dire fut qu'il raviva avec ardeur sa curiosité journalistique…
Flash-back - Quelques heures plus tôt
Assise sur une modeste chaise de bureau qui avait dû voir défiler des dizaines de postérieurs de délinquants, Lucy ne pouvait s'empêcher d'être nerveuse à l'idée de revoir le commissaire Clive.
Depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvienne, l'homme de loi avait toujours été un ami de ses parents. Il n'était pas rare qu'elle aperçoive le policier à l'un des dîners que ses parents organisaient régulièrement. Elle se souvenait en particulier de son bon coup de fourchette et des débats lyriques dans lesquels son père et l'homme de loi se lançaient. Les deux hommes avaient en effet chacun des valeurs très différentes de celles de l'autre et Lucy s'était toujours demandée comment ils avaient pu nouer une si solide amitié malgré cela.
Ces souvenirs plongèrent la jeune femme dans une profonde nostalgie agrémentée d'un soupçon de tristesse. Sa mère lui manquait, tout comme son père, malgré le comportement tyrannique que ce dernier avait eu avec elle.
Depuis leur disparition, la dernière représentante des Heartfilia avait dû se débrouiller comme elle le pouvait. Les échecs et les coups durs s'étaient enchainés à une vitesse folle mais elle avait réussi à tenir bon et à garder le cap. Aujourd'hui, sa vie était loin d'être parfaite mais elle lui convenait malgré tout. Après tout, lorsqu'on a connu un déluge, on ne s'effarouche plus pour une petite averse.
Lucy n'eut pas le loisir de demeurer plus longtemps dans ses pensées.
La porte du bureau s'ouvrit en grand d'un seul coup et un homme aux cheveux roux mi-longs, vêtu d'une chemise mal repassée et d'un jeans noirs y entra.
« Bon sang, quelle plaie ce procureur ! râla t-il en secouant la tête et en se dirigeant vers son bureau. Toujours à nous rabattre les oreilles avec son taux d'affaires non élucidées et son budget à ne pas dépasser ! Il devrait peut-être penser à sortir le nez de son bureau au lieu de nous les briser à travers un combiné, celui-là !
Après avoir rangé par automatisme quelques papiers disposés sur son bureau et en avoir classé certains dans une chemise cartonnée, le policier finit par lever la tête et aperçut celle qui squattait son espace de travail depuis une bonne demi-heure déjà. Il la reconnut immédiatement.
« Lucy Heartfilia ! s'exclama t-il en ouvrant les bras. Mon Dieu, Lucy, comment-vas-tu ? Ça fait un sacré bail !
- Je suis ravie de vous revoir, commissaire, répondit Lucy, avec un sourire. Je vais très bien et je vous remercie de me recevoir.
- Ce n'est rien, ce n'est rien ! Je suis navré de t'avoir fait attendre. Un de mes idiots de subordonnés m'a prévenu de ton arrivée mais je n'ai pas vu le temps passer et ça m'est sorti de la tête. Tu veux boire quelque chose ? Un café, un thé, une bière ?
- Ça ira, je vous remercie. Dites-moi, je croyais que les policiers ne buvaient pas pendant leur service…
- Uniquement ceux des séries télé ou ceux qui n'ont pas encore vingt ans de maison à leur actif, répondit Gildarts en ouvrant le mini-frigo placé dans un coin pour s'emparer de la boisson contestée.
Après s'être assis, le policier positionna le goulot de la bouteille près du rebord de son bureau et d'un coup sec avec le plat de la main, la décapsula. Il prit ensuite une gorgée du liquide alcoolisé en poussant un soupir d'aise.
- Dis-moi tout jeune fille, s'exclama l'ami de Jude Heartfilia. Quel bon vent t'emmène dans ce lieu ô combien symbolique de la décrépitude de notre service public ?
Amusée, Lucy se retint de lever les yeux au ciel. Elle ne connaissait personne d'aussi mélodramatique dans son travail que le commissaire Clive, même si ses propos contenaient toujours une part de vérité.
- Les attaques subies par les différents clans mafieux de la ville, annonça t-elle. Vous comme moi savons que ce n'est pas un clan mafieux qui est à l'oeuvre. Je veux savoir qui est derrière tout ça et ensuite le faire savoir à toute la ville.
À l'entente de ces mots, Gildarts reprit immédiatement une gorgée de sa bière qui passa nettement moins bien que la précédente.
- Nous sommes tous dans ce cas, tu sais. Mais tu t'attaques à un sujet très dangereux Lucy, j'espère que tu en as conscience. Qui que soient ces gens, ils sont bien plus puissants que toi ou moi.
- Je suis au courant, croyez-moi. Mais malgré les risques, je me suis fait la promesse de faire la lumière sur tout ça. J'ai déjà récolté un certain nombre d'informations, mais je suis loin d'avoir toutes les pièces du puzzle. Je suis sûre que vous avez vous aussi des éléments en votre possession. Peut-être que nous pourrions nous entraider l'un l'autre pour mettre la main sur ces gens. Qu'en pensez-vous ?
Un air bien plus sérieux se dessina sur la figure du commissaire à l'entente de cette suggestion. Il se tapota le menton du bout des doigts pendant un moment avant de pousser un soupir.
- Lucy… Je ne crois pas que cela soit possible. Je suis navré mais plusieurs choses m'empêchent de répondre favorablement à ta demande.
- Ah oui ? Je serai curieuse de les entendre.
- Premièrement, les informations recueillies par la police sont protégées par le secret de l'enquête et sont ainsi confidentielles. Nous ne pouvons pas les montrer à des personnes extérieures sans risquer de gros ennuis. Encore moins à des journalistes. Tu le sais parfaitement.
Lucy poussa un soufflement consterné.
- Pitié commissaire, ne me faites pas croire qu'aucun de vos dossiers n'a jamais atterri entre les mains de la presse à scandale pour arrondir les fins de mois de vos collègues.
Le commissaire marmonna dans sa barbe. Il devait reconnaitre qu'il avait eu plus d'une fois la désagréable surprise, alors qu'il venait acheter ses précieuses cigarettes au bureau de tabac, de voir les principaux suspects de plusieurs de ses affaires en couverture de la presse régionale.
- Deuxièmement… reprit-il sur un ton inflexible, la divulgation de ces informations pourrait compromettre la suite de l'enquête et réduire nos chances de retrouver les coupables.
- Je vous rassure, je ne compte publier mon article que lorsque toutes les investigations seront bouclées et que les responsables auront été arrêtés. Pas avant.
Une nouvelle fois, l'homme de loi grommela. Voilà pourquoi il n'avait jamais voulu se caser, ni avoir d'enfant. Les mômes avaient toujours réponse à tout et c'était terriblement agaçant.
- Troisièmement, et c'est peut être la raison principale… j'ai une promesse à tenir. Ton père m'a demandé de veiller sur toi juste avant de passer l'arme à gauche. Et je pense que t'encourager à te lancer à la poursuite d'individus dangereux est loin d'être en accord avec ses dernières volontés.
Cette fois, l'argument du commissaire Clive fit mouche. Lucy détourna le regard vers le ficus en état de mort végétale installé dans un coin du bureau et se mit à triturer nerveusement ses doigts.
Le fait que son père ait pu faire une telle demande à son ami sur son lit de mort étonnait grandement la jeune femme.
- Mon père n'en a jamais rien eu à faire de moi, vous le savez parfaitement, reprit-elle. Ce n'était pas le genre d'homme qui chérit ses enfants, ni même qui se soucie d'eux.
- Permets-moi de te dire que tu te trompes, Lucy. Certes, ton père n'était pas le plus affectueux des pères, ni le plus démonstratif. Il pouvait se montrer froid et extrêmement exigeant. Je sais tout cela, je le connaissais bien. Mais je peux t'assurer qu'il tenait réellement à toi et qu'il se souciait profondément de ton futur.
Lucy manqua de lâcher un rire amer. Son futur… Justement, son père y avait peut-être pensé un peu trop. Elle se souvenait à la perfection du jour où elle lui avait parlé des métiers qui l'intéressaient pour plus tard. Journaliste, interprète, romancière… Jude Heartfilia avait balayé tous ces projets d'un revers de main, affirmant que son enfant valait bien mieux que ces métiers de «charlatans» et qu'il lui fallait seulement reprendre l'entreprise familiale.
Quoi qu'il en soit, mon père n'est plus là commissaire, reprit fermement Lucy. Et il est à présent temps que je fasse mes propres choix et que je mène ma vie comme je l'entend. J'estime être suffisamment forte et indépendante aujourd'hui, je n'ai pas besoin que l'on me protège ou qu'on s'inquiète pour moi. C'est pour cela que je vous demande de reconsidérer ma demande. Je vous en prie.
Le regard du commissaire Clive s'aiguisa. Pendant un bref instant, il crut voir la même force de caractère que Jude dans les yeux de sa fille unique.
- Tu ne changeras pas d'avis, n'est-ce pas ?
- Non, je vous le confirme.
Après avoir fixé pendant encore un moment la tête de mule qui lui faisait face, Gildarts déverrouilla le deuxième tiroir de son bureau à l'aide d'une clé de son trousseau, l'ouvrit et en extirpa un épais dossier qu'il jeta de l'autre côté du meuble, juste devant Lucy.
- Tu peux jeter un coup d'oeil à ça. En revanche, je t'interdis de faire sortir ce dossier d'ici. Rien qu'en te le montrant, je pourrai perdre mon boulot et aller rejoindre manu militari tous les merdeux que j'ai coffré ces dix dernières années.
Gratifiant l'ami de son père d'un sourire, Lucy s'empara du dossier et se mit à le feuilleter avec avidité. Elle parcourut les premières pages et comprit qu'elle avait bien fait de venir voir le commissaire Clive, car la police de Magnolia n'avait pas chômé dans cette affaire.
Le contenu d'une dizaine de feuilles attira particulièrement l'attention de Lucy.
- Vous avez arrêté des membres de ce mystérieux groupe ? s'exclama Lucy, surprise.
- En effet. Trois hommes exactement. Deux près du garage incendié d'Igneel Dragneel et un autre qui prenait la fuite à travers des ruelles adjacentes au Crocus Garden de la famille Eucliffe, peu de temps après l'explosion du bâtiment.
- Comment se fait-il que la presse n'ait pas été mise au courant ? Aucun journal de la ville n'a jamais évoqué ces arrestations.
- Ne commence pas à défendre les rédacteurs de ces feuilles de chou que tu fréquentes si assidûment Lucy, je t'en prie ! plaida Gildarts.
- Je suis sérieuse ! Pourquoi avoir gardé le secret sur une avancée si importante de l'enquête ? Cela aurait permis de rassurer l'opinion publique.
- L'opinion publique est bien le dernier de mes soucis, tu peux me croire ! Réfléchis un instant, Lucy. Ces trois gugusses appartiennent à un groupuscule qui s'en est pris aux plus grands clans mafieux de tout Magnolia. Que crois-tu qu'il adviendrait d'eux si on se mettait à clamer sur tous les toits qu'ils se sont faits coffrer ? Les pauvres bougres se retrouveraient dans le congélo de la morgue en un claquement de doigts.
- Vous avez certainement raison. Où sont-ils aujourd'hui ?
- Dans un quartier de haute sécurité de la maison centrale de Crocus. Faire les allers-retours entre Magnolia et Crocus pour les interroger était éreintant mais c'était la seule façon de leur garantir un semblant de sécurité.
- Je comprends. Et avez-vous pu apprendre des choses au cours de ces interrogatoires ?
Le commissaire reprit une gorgée de sa bière désormais tiède et grimaça aussi bien en raison de la température du breuvage que de ce qui allait suivre.
- Absolument rien, admit-il à contrecoeur. Aucun d'entre eux n'a parlé. Muets comme des tombes. Aucune forme d'explication sur ce qui les a poussé à commettre ces attaques contre les différents clans de la ville. Mais personnellement, j'ai ma petite théorie.
- Je vous écoute.
- Même s'ils ne nous ont rien dit de concret, nous sommes parvenus à identifier les trois hommes en question et nous avons fait de minutieuses enquêtes de personnalité pour en apprendre davantage sur eux. D'où ils viennent, où ils ont vécu, qui ils ont côtoyé, leur parcours en somme. Et à chaque fois, les éléments concordent parfaitement.
- C'est à dire ?
- Ces trois types ont un énorme point commun. Ils ont tous été victimes des agissements de la mafia dans le passé. Le premier type tenait un commerce avec sa femme qui a été vandalisé par un clan mafieux car ils refusaient de payer la taxe inhérente au territoire. Le commerce a dû fermer, la bonne femme est entrée en dépression et a été retrouvée pendue à une corde par son mari huit mois plus tard. Le deuxième avait un fils adolescent qui s'est laissé embrigader par un petit lieutenant de la famille Eucliffe un peu trop porté sur la poudre blanche. Le môme a été retrouvé au pied d'un immeuble complètement défoncé et a enchainé les cures de désintox sans jamais arrivé à se sevrer. Enfin, le troisième a vu son entreprise être rachetée par les Redfox il y a une dizaine d'années et s'est fait virer par le sous-fifre du patriarche qui avait pris les rênes. Il n'a jamais réussi à retrouver d'emploi stable et on connait la suite traditionnelle : la femme s'est tirée avec les gosses et l'entrepreneur déchu est tombé dans l'alcool pour compenser tout ça.
- C'est terrible… souffla Lucy.
- Malheureusement, il s'agit de la réalité que subit cette ville depuis maintenant plusieurs décennies. La mafia a réussi à s'implanter dans les moindres recoins de Magnolia et cette prise de pouvoir ne s'est pas faite sans perdants. En tout cas, je suis sacrément impressionné par celui ou ceux qui ont recruté ces trois zigotos.
- Que voulez-vous dire, commissaire ? Je croyais que vous désapprouviez les attaques qui ont eu lieu…
- En effet, et c'est toujours le cas. Néanmoins, la stratégie que ces gens ont adopté est tout simplement brillante. Quoi de mieux pour se constituer rapidement une importante et discrète force de frappe que de recruter des monsieurs et madames tout le monde, abusés par la mafia ?
Sentant sa gorge redevenir sèche, le commissaire Clive siffla avidement la fin de sa bière et en jeta la bouteille dans sa corbeille à papier.
- Cependant, il y a encore quelque qui me titille dans toute cette histoire, reprit-il. Pour quelles raisons ceux qui sont derrière tout ça s'attaquent à tous les clans mafieux sans distinction ? À l'exception des mastodontes comme les Redfox ou les Eucliffe, la plupart des autres clans de la ville sont bien moins influents et peuvent même s'apparenter par leur taille à des sortes de petits gangs à la dangerosité extrêmement réduite. Cette volonté de tous les annihiler sans restriction m'étonne fortement.
- J'ai quelque chose qui vous éclairera peut-être, répondit Lucy en fouillant dans son sac à main. Vous auriez un dictaphone à cassette ?
Après un bref instant d'incrédulité, Gildarts acquiesça et fouilla dans la commode placée derrière son bureau, de laquelle il extirpa une montagne de feuilles de papier qui n'avait visiblement rien à faire là. Au bout de plusieurs minutes de recherche, il parvint à mettre la main sur l'appareil. Lucy lui tendit une cassette audio à y insérer.
Il s'agissait de l'enregistrement audio qu'elle avait réalisé sur le port de Magnolia entre cette mystérieuse femme et un certain Rogue. Le commissaire Clive écouta avec la plus grande attention la cassette, haussant parfois les sourcils, jusqu'à ce que l'enregistrement coupe à grands renforts de grésillements.
- Eh bien ma foi, voilà un élément tout à fait intéressant, reconnut l'homme de loi.
- Je trouve aussi, acquiesça Lucy. Je pense que cette femme est la cheffe de ce mystérieux groupe et que ce garçon doit être une sorte de bras droit. Elle semble vouloir mettre la main sur une jeune fille qui se trouvait dans une fâcheuse posture et qui en a été sortie par les Redfox. Peut-être un chantage ou un enlèvement.
- On ne nous a signalé ni l'un ni l'autre ces derniers jours mais je rejoins ton analyse. Il est stupéfiant de penser qu'une seule personne puisse être derrière cette organisation. Et le motif personnel qu'elle invoque, ce souhait de sauver cette jeune fille, ne me parait pas être la seule raison qui la motive dans ces agissements. Il doit y avoir autre chose, quelque chose de plus ancien et de plus profond. On ne lance pas pareille vendetta juste pour sauver une personne chère. Je vais lancer sur le champ des investigations pour découvrir l'identité de cette femme à partir de cette cassette et de la description que tu m'en as faite.
- C'est noté. Vous me tenez au courant ?
Le commissaire acquiesça et l'apprentie journaliste lui rendit le dossier qu'il lui avait confié. Après avoir remercié une nouvelle fois l'ami de ses parents pour son aide, Lucy prit congé et quitta le commissariat, les yeux éblouis par les lumières bleutées émanant des gyrophares installés sur les véhicules d'intervention.
Fin du flash-back
Arrivée devant la porte d'entée de son immeuble, Lucy s'arrêta un instant et prit une dernière bouffée de l'air extérieur. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas été entourée d'une telle aura de mystère.
Cette ville avait décidément bien des secrets à cacher, n'attendant qu'à être découverts par ses soins.
Le Thunder's God était un bar situé sur le boulevard Caprico, à la sortie du vieux quartier de Magnolia. Engoncé entre un gigantesque pressing et les locaux d'une petite agence immobilière, il faisait partie du genre d'établissements que seuls les locaux avaient l'habitude de fréquenter. En effet, les nombreux touristes empruntant toute l'année les ruelles de la ville s'orientaient davantage vers les bars bordant le fleuve, jugés plus branchés et plus modernes. Ce manque de clientèle nuisait immanquablement au chiffre d'affaires de ces petits commerces typiques, les empêchant par la même occasion de se rénover et de se rapprocher de leurs concurrents.
Pourtant, malgré sa localisation peu avantageuse et les attraits des autres débits de boissons alentours, il s'agissait précisément de la destination de Levy McGarden et de Laxus Dreyar en cette fin de matinée. Le duo improbable avait repris du service et se dirigeait à présent vers le fameux bar où devait travailler leur informateur.
Regardant défiler le paysage à travers la vitre de la voiture, Levy revivait en pensées la soirée qu'elle avait passée en compagnie de Gajeel. Même s'ils n'étaient pas allés jusqu'au bout de leurs ébats, elle ne pouvait s'empêcher de languir la prochaine nuit qu'elle passerait en sa compagnie.
Levy se souvenait de tout ce qu'elle avait ressenti juste avant de s'endormir avec une précision stupéfiante. La chaleur de sa peau, la fermeté de son corps, son souffle régulier et surtout le regard protecteur qu'il portait sur elle alors qu'elle s'abandonnait totalement entre ses bras. Animés par ces souvenirs encore frais, des frissons parcoururent les avant-bras de la jeune femme.
Pourtant, lorsque Levy avait rouvert les yeux au petit matin, une petite déception s'était emparée d'elle. Gajeel avait une nouvelle fois disparu. Le mafieux semblait être un véritable lève-tôt, doté de la capacité de se faufiler dans le plus grand silence hors des endroits où il passait la nuit. Gajeel craignait sans doute que son père ou l'un de ses subordonnés ne les surprenne ensemble et que cette transgression ne retombe sur Levy, écornant un peu plus sa réputation aux yeux du patriarche. Elle ne pouvait guère lui en vouloir de se faire du souci et d'avoir décidé d'agir en conséquence.
« On arrive, annonça Laxus tout en positionnant leur voiture parallèlement à une autre pour faire un créneau.
Une fois garés et sortis de leur véhicule, Levy et Laxus marchèrent un petit moment avant de finalement atteindre l'entrée de l'établissement qu'ils recherchaient.
Bien qu'elle ait vu des photos de l'établissement lors de ces recherches la veille au soir, Levy ne put s'empêcher d'être étonnée par le lieu présent sous ses yeux.
La devanture du Thunder's God n'avait rien de bien original comparé aux bars que Levy connaissait et que son père fréquentait parfois dans leur petit village de Clover. Elle consistait en tout et pour tout en de grandes baies vitrées surmontées d'une enseigne lumineuse indiquant le nom du bar en lettres jaunes fluo. Au dessus de cette enseigne, on pouvait apercevoir les fenêtres des appartements situés au dessus du commerce, dont les persiennes décrépies étaient toutes fermées.
Après avoir échangé un regard, le mafieux et l'étudiante décidèrent d'entrer sans plus tarder. Et tous deux ne purent s'empêcher d'écarquiller les yeux lorsqu'ils se retrouvèrent à l'intérieur.
Si la devanture du bar pouvait sembler passe-partout, son intérieur se révélait particulièrement original.
L'ensemble des murs du bar avaient été peints à l'aide de différentes nuances de noir tandis que son sol était recouvert d'un parquet stratifié couleur chocolat. L'entrée de l'établissement donnait directement sur un immense bar au comptoir entièrement recouvert de marbre gris carbone et entouré de hauts tabourets en acier. Au dessus, étaient suspendues de multiples ampoules au verre fumé et aux filaments orangés délivrant dans la pièce une agréable lumière tamisée. Derrière le comptoir, des dizaines de bouteilles d'alcool étaient alignées sur d'élégantes étagères en bois poli éclairées par de petites diodes.
De nombreuses tables et chaises en bois d'ébène avaient été disposées dans la salle et étaient occupées par des clients, majoritairement masculins, venus seuls ou en petits groupes. Tout autour, des serveurs et serveuses aux tenues décontractées déambulaient, occupés à prendre les commandes ou à servir les consommations. Dans un coin du bar, une table de billard, un jukebox, une cible de fléchettes et toute une rangée de flippers colorés avaient été installés et étaient sollicités par quantité de clients.
Conscients que leur différence de styles et de gabarits attirerait fortement l'attention sur eux, Levy et Laxus se hâtèrent de s'asseoir au comptoir.
Peu de temps après, une jeune femme aux cheveux auburn rasés sur un côté du crâne vint à leur rencontre.
« Bienvenue au Thunder's God ! s'exclama t-elle sur un air enjoué. Vous désirez ?
- Martini Dry, commanda Laxus. Sans glaçons.
- Une Purple Crocus s'il vous plait, ajouta Levy.
Il s'agissait d'une célèbre bière brune haut de gamme et originaire de la capitale de Fiore dont elle portait le nom. C'était ce que son père commandait toujours quand il se rendait au bistrot de leur village.
La jeune femme leur adressa un sourire avant de s'atteler sous les yeux de ses clients à préparer les boissons désirées. Levy en profita pour parcourir la salle du regard.
« Je ne vois personne ressemblant à notre homme, annonça t-elle discrètement.
- Moi non plus. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'est pas là.
Levy reporta son regard sur la barmaid qui disposait déjà devant eux deux sous-verres en bois sur lesquels elle posa les boissons parfaitement préparées. Elle en profita pour l'interpeller.
- Excusez-moi, est-ce que vous savez où l'on peut trouver Orga Nanagear ? Il travaille bien ici, n'est-ce pas ?
- Yep, je confirme. C'est un vétéran chez nous.
Levy se retint de crier pour manifester sa joie. Enfin, après tous ces efforts, ils tenaient leur piste.
- Qu'est-ce que vous lui voulez ? reprit la barmaid. Laissez-moi deviner. Vous êtes une ex qui veut renouer, c'est ça ?
Tout en posant sa question, la barmaid avait plissé les yeux et prit une expression de défi. Il ne faisait aucun que l'idée qu'une rivale pointe le bout de son nez à l'improviste ne lui plaisait pas.
- Non non, pas du tout, la rassura Levy. Nous voudrions seulement lui poser une ou deux questions. Nous sommes à la recherche… disons d'un ami commun.
Un sourire en coin apparut sur le visage de la barmaid. Visiblement satisfaite de la réponse qu'elle avait reçue et sans plus de cérémonie, elle mit sa main droite en porte-voix et prit une grande inspiration.
- NANA ! beugla t-elle en direction de l'arrière-salle. NANAAAAA !
Les traits de Levy et Laxus se crispèrent, aussi bien en raison du niveau de décibels déployé qu'au surnom ridicule dont sa collègue venait d'affubler Orga.
Plusieurs clients levèrent le nez de leur verre ou de leur coupelle de cacahuètes pour dévisager la barmaid. D'autres, comme les joueurs de fléchettes ou de billard, restèrent concentrés sur leurs occupations. Probablement des habitués que plus rien ne surprenait dans ce lieu.
- Bon sang, arrête de l'ouvrir comme ça Stella, tu me casses les oreilles et celles des clients ! râla une voix masculine, semblant provenir de l'arrière-salle. Et arrête aussi de m'appeler avec ce surnom débile ! Qu'est-ce que tu veux ?
- Ramène tes fesses, y a une p'tite mignonne et un grand baraqué pour toi !
Une dizaine de secondes plus tard, la porte battante de l'arrière-salle s'ouvrit en grand et laissa apparaitre un homme que Levy identifia instantanément comme l'homme qu'il recherchait.
Doté d'une immense carrure et de muscles dignes d'un culturiste, Orga Nanagear avait un visage au teint plutôt hâlé entouré de longs cheveux verts pâles retenus par un épais bandeau noir. Il était vêtu d'un pantalon ample à rayures et d'un débardeur gris laissant apparaitre des tatouages entourant la quasi-totalité de ses deux bras. Pile le genre de type à ne pas trop asticoter lorsqu'on a un coup dans le nez.
Le barman se dirigea immédiatement vers sa collègue qui désigna ses deux clients d'un coup de menton. Le pas traînant, visiblement fatigué, Orga se rapprocha d'eux.
- Ouais, c'est pour quoi ? demanda t-il sur un ton las.
D'ordinaire, l'employé du Thunder's God mettait un point d'honneur à servir ses clients avec entrain et professionnalisme. Même si ce boulot était purement alimentaire lors de ces débuts, il avait rapidement pris goût au service et à la préparation de diverses boissons froides et chaudes, à sa grande surprise d'ailleurs. Il avait même remporté plusieurs concours locaux de mixologie. Malheureusement aujourd'hui, le barman avait enchaîné les tuiles et avait les jambes en compote, ce qui se ressentait considérablement sur son humeur.
Pourtant, cette apparente fatigue se dissipa lorsque le regard d'Orga se posa finalement sur Laxus. Une brève expression de surprise déforma les traits de son visage, vite remplacée par une mine très peu avenante.
Ce client là n'était pas n'importe qui.
Laxus se racla la gorge et joignit ses mains sur le comptoir.
« Je vois à votre regard que vous savez parfaitement qui je suis. C'est parfait, ça nous évitera les présentations.
Un ricanement s'échappa de la bouche d'Orga à l'entente des paroles de son client, désormais indésirable.
- Ouais, je sais qui vous êtes. Vous, en revanche, vous ne semblez pas savoir où vous vous trouvez, ni dans quel merdier vous avez mis les pieds.
Laxus ricana à son tour. Évidemment qu'il s'était renseigné avant de venir. Il n'était pas du genre à foncer tête baissée, comme cet abruti de Natsu.
- Détrompez-vous. Nous savons parfaitement que votre bar se situe sur le territoire de la famille Eucliffe. Les lignes de faille de Magnolia ne sont plus un secret pour personne. Mais voyez-vous, compte tenu du contexte actuel, je n'en ai plus rien à carrer de respecter ou non les anciennes frontières. Ce n'est pas avec ça que vous arriverez à nous mettre à la porte.
Le regard d'Orga se durcit encore plus, se muant en une hostilité palpable. Levy sentit qu'il était temps pour elle d'intervenir avant que les deux hommes se jettent à la gorge.
- Nous ne sommes pas venus vous menacer ou vous faire du tort, monsieur Nanagear, affirma t-elle, posément. Nous aimerions seulement que vous nous aidiez à retrouver Rogue, le garçon avec lequel vous étiez amis du temps de l'orphelinat.
Les paroles de Levy eurent le mérite de désarçonner l'austère barman pendant quelques secondes. Hélas, l'air bourru qu'il semblait se donner en permanence reprit très rapidement le dessus.
- Désolé mais vous faites erreur, mademoiselle. Je ne connais personne de ce nom.
- Vous mentez Orga, contra immédiatement Levy. J'arrive à le voir dans votre regard. Vous savez comment trouver Rogue, ou quel que soit le nom qu'il porte aujourd'hui. Je parie que vous êtes toujours en contact avec lui, même après toutes ses années. N'est-ce pas ?
Le barman posa brutalement sur le comptoir la bouteille qu'il tenait quelques secondes plus tôt dans les mains. Le bruit du verre contre le marbre résonna dans tout le bar.
- Je vous répète que je n'ai aucune info sur le type dont vous me parlez, répéta sèchement le colosse. Arrêtez de me les briser avec ça.
- Je comprends votre silence. J'ai pu discuter avec la dame responsable de l'orphelinat lors de votre séjour là-bas. Vous fréquentiez beaucoup Rogue à cette époque. Je comprends que vous ne souhaitiez pas l'exposer aujourd'hui. Mais Rogue appartient désormais à une organisation très dangereuse qui mène des attaques partout en ville et qui risque de faire du tort à de nombreux innocents si on ne l'arrête pas. Vous devez nous aider à le trouver. S'il vous plait.
- Vous n'avez aucune idée du lien qui nous a uni pendant toutes ces années de galère… L'orphelinat nous traitait bien sur le papier mais ça ne nous a pas empêchés, lui et moi, de vivre un calvaire pendant notre séjour là-bas. Tous les autres gosses nous traitaient comme de véritables parias.
Le barman tendit ses deux bras devant Levy, exposant les tatouages qui les recouvraient.
- Vous savez ce que c'est ? demanda t-il à la jeune femme.
Levy prit un instant pour examiner les dessins et pour solliciter les souvenirs de ses nombreuses lectures.
- Ce sont des tatouages de protection des îles tropicales situés au Sud d'Arakitacia, si je ne me trompe pas. J'en ai vu des reproductions dans la section artistique d'un ouvrage sur la culture présente dans cet archipel.
- Vous avez une bonne culture, mademoiselle. Je les ai fait faire lorsque j'ai eu dix-huit ans et que je suis retourné sur l'île de Caracol. Ma famille était originaire de là-bas.
Orga croisa à nouveau ses bras massifs dans une posture défensive avant de poursuivre :
- Lorsque j'étais encore un nouveau-né, un typhon d'une ampleur sans précédent a déferlé sur cette île et a causé des dégâts très importants. Des tas de gens se sont retrouvés à la rue, sans toit et sans nourriture. Mes parents m'avaient confié à ma nourrice avant l'arrivée du typhon alors qu'ils retournaient récupérer des affaires dans notre maison. Ce mauvais choix leur a été fatal. Ils ont été tués tous les deux lorsque le typhon a frappé les côtes et détruit les habitations qui y étaient construites. Je n'avais pas d'autre famille sur l'île et ma nourrice n'avait pas les moyens de me recueillir. J'ai donc été confié aux bons soins de l'administration. Ces enfoirés des services sociaux ont considéré qu'il serait bien trop coûteux de prendre en charge les enfants orphelins sur l'île, ils les ont donc ramenés sur le continent, dans le royaume de Fiore. C'est comme ça que j'ai échoué à Magnolia et qu'après avoir été balloté de foyer en foyer, j'ai fini à l'orphelinat Duncan.
Levy continua d'écouter avec attention le récit de cet homme. Sa voix était particulière, à la fois forte et profonde, conférant davantage de gravité à son histoire qui en était déjà fortement empreinte.
- Dans cet orphelinat, tous les gosses un peu différents étaient sans cesse martyrisés par les autres, le plus souvent de façon insidieuse. Tous les jours, on subissait des moqueries, des coups, des insultes de la part des autres enfants. Moi, c'était à cause de mes origines insulaires et de ma couleur de peau un peu trop mate. Rogue, c'était à cause du métier de sa mère. Ils n'arrêtaient pas de l'appeler le «fils de putain». Ces monstres en avaient même fait une comptine qu'ils lui braillaient dans les oreilles pour l'empêcher de pioncer. On lui piquait tout le temps ses affaires pour les foutre dans la rue, «là où sa mère bossait» selon eux. Les adultes responsables de l'orphelinat faisaient de leur mieux pour mettre fin à ce harcèlement, mais ces petits cons étaient très inventifs pour passer entre les mailles du filet. À cause de ce harcèlement, Rogue et moi, on est tout de suite devenus amis et on s'est soutenus mutuellement pendant tout le temps qu'on a passé là-bas. Nous étions seuls contre tous les autres. Depuis ce temps-là, Rogue est comme un frère pour moi.
Lorsque Orga eut terminé son récit, Levy comprit immédiatement que la partie était perdue et que sa tentative de convaincre le barman avait complètement échoué.
- Compte tenu de ce passé, vous comprendrez que je n'ai absolument rien à vous dire. Maintenant, foutez le camp de mon bar avant que je vous vire moi-même à coups de pieds au derrière. Immédiatement.
Désespérée et morose, Levy descendit du tabouret sur lequel elle était assise et prit son sac en bandoulière. Et tandis qu'elle était prête à obéir à l'ordre du barman et à quitter promptement les lieux, un cliquetis se fit entendre. Cherchant son origine, elle vit avec stupeur que Laxus avait placé sa main droite dans la poche de son manteau, de laquelle émergeait la crosse d'un pistolet dont il venait visiblement d'ôter le cran de sûreté.
Orga baissa les yeux et saisit également la menace implicite qui pesait désormais sur lui.
- Le temps des politesses est terminé, annonça le bras droit de Gajeel. Donne-nous les infos qu'on veut sur ton pote ou ça se passera très mal pour toi.
Un nouveau cliquetis se fit entendre. Laxus comprit instantanément de quoi il retournait. Orga venait visiblement de mettre également la main sur une arme planquée derrière son comptoir. Il ne la vit pas mais en eut la confirmation lorsqu'un air de défi s'afficha sur le visage du barman.
- Tu croyais vraiment qu'on ne miserait que sur la protection des Eucliffe pour défendre cet endroit ? s'exclama Orga. Tu penses que tu peux dégainer et tirer plus vite que moi, dragon de la Foudre ? Tu serais surpris du nombre de mecs qui ont commis la même erreur que toi.
La répartie d'Orga ne priva pas Laxus de la sienne. Bien au contraire. Il était rare pour lui de voir un adversaire avec autant d'assurance.
- Ah ouais ? Tu me fais une p'tite démonstration pour voir ?
- Avec plaisir.
Hélas, les deux mastodontes n'eurent guère le loisir de s'invectiver davantage car au même moment, un bruit aigu de crissement de pneus se fit entendre à l'extérieur.
Levy tourna la tête en direction de la terrasse du bar.
Une énorme berline noire aux vitres fumées venait de s'arrêter pile en face de l'établissement. Brusquement, les conversations à l'intérieur cessèrent, réduisant drastiquement l'ambiance installée jusqu'alors. Les vitres avant et arrière du véhicule s'abaissèrent simultanément, laissant apparaitre à l'intérieur du véhicule des individus entièrement revêtus de noir.
D'un coup, la voix grave de Laxus s'éleva et résonna dans toute la pièce.
- À TERRE !
Éberluée, Levy mit plusieurs secondes à réagir avant que le bras du subordonné de Gajeel ne s'abatte finalement sur ses épaules, la forçant à se coucher à même le sol. Ses coudes et ses genoux heurtèrent le parquet. La seconde suivante, de multiples détonations se firent entendre et des dizaines d'impacts de balles criblèrent les baies vitrées conduisant à la terrasse, avant que ces dernières ne s'écroulent et se transforment en un amas d'éclats de verre.
Désormais sans barrières pour les retenir, les balles tirées depuis l'extérieur s'abattirent sur le bar et les tabourets qui l'entouraient et pulvérisèrent sans ménagement la majorité des bouteilles d'alcool rangées sur les étagères. Leur contenu se renversa sur le plan de travail et sur le sol derrière le comptoir.
Des cris aigus se firent entendre, émis par plusieurs clients totalement paniqués. Les plus téméraires eurent le réflexe de renverser leurs tables pour s'en servir d'abri de fortune, même si la plupart des tirs semblaient étrangement se concentrer sur l'entrée de l'établissement et sur le bar.
De son côté, Levy était complètement terrorisée. Allongée par terre et malgré la silhouette de Laxus la recouvrant comme un bouclier protecteur, elle pouvait sentir les balles siffler au dessus d'elle et entendre leurs impacts contre le bois du comptoir.
Au bout d'un moment, les tirs cessèrent, offrant un maigre répit aux individus présents à l'intérieur du bar. Comprenant que les chargeurs de leurs assaillants étaient vides et animés par la même idée, Laxus et Orga se relevèrent, dégainèrent leurs armes et ouvrirent le feu sans hésitation en direction de la voiture.
Tournant légèrement la tête, Laxus aperçut enfin l'arme que tenait le barman. Un énorme pistolet dont il reconnut aussitôt le modèle. Plutôt de la bonne qualité, il devait l'admettre. De plus en plus intéressant ce type.
Les tirs des deux hommes frappèrent la carrosserie du véhicule à plusieurs endroits et à leur tour, les individus encagoulés s'abritèrent pour les éviter. Fauché par plusieurs balles, le rétroviseur extérieur droit de la voiture explosa, suivi de près par le feu clignotant situé du même côté.
Lorsque Laxus et Orga dirigèrent leurs tirs en direction des pneus du véhicule, les assaillants choisirent vraisemblablement l'issue la plus prudente pour eux. Le moteur de la voiture redémarra en un quart de tour, ses pneus crissèrent à nouveau et elle s'élança à toute allure en direction du bout de la rue, avant de disparaitre à une intersection.
Après son départ, un silence de mort régna à l'intérieur du bar désormais dévasté. Choquées par ce qui venait de se produire, toutes les personnes présentes restèrent allongées au sol pendant plusieurs minutes avant d'oser faire le moindre mouvement.
Les jambes flageolantes et l'estomac totalement retourné, Levy prit appui sur l'un des tabourets amochés afin de se relever. Une fois debout, elle sentit des gouttes de sueur froide couler sur toute la longueur de son dos. Elle examina ses mains. Des micro-tremblements animaient ses doigts, exprimant sans qu'elle le veuille toute la peur qu'elle avait accumulé.
Une main imposante se posa sur son épaule.
« Tu vas bien ? demanda Laxus en se baissant pour se mettre à sa hauteur. Tu es blessée quelque part ?
Malgré ses efforts, Levy ne put articuler aucun mot, encore sonnée par ce qu'elle venait de vivre. Elle se contenta de secouer la tête pour répondre négativement aux deux questions.
- Ça va aller, assura le mafieux en frictionnant son épaule. Ils sont partis et je ne pense pas qu'ils reviendront de sitôt. C'est fini. Tu n'as plus rien à craindre.
Une nouvelle fois, Levy ne répondit pas. Plus rien à craindre ? C'est ce qu'elle avait cru lorsque les hommes de Gajeel l'avaient délivrée de Sting Eucliffe et ramenée au manoir. À ce moment-là, elle s'était sentie en sécurité, protégée. Mais comme elle le craignait, le danger était revenu à elle aussi vite qu'il était parti.
De l'autre côté du comptoir, Orga porta la main à son front, estomaqué par les dégâts infligés à son commerce en l'espace de quelques secondes.
- Bordel de merde… souffla t-il. Putain de bordel de merde…
À côté de lui, la frêle Stella était plus blanche qu'un linge. Constatant l'angoisse de sa collègue, Orga lui frictionna affectueusement le dos avant de se pencher à son oreille :
- Stella, il faut faire sortir les clients sur la terrasse et appeler les flics. Tu peux t'en charger s'il te plait ?
Toujours retournée, la jeune femme acquiesça malgré tout et contourna le bar pour se rapprocher des clients et les diriger vers la sortie.
Après avoir rangé son arme dans son holster, Laxus s'accroupit, ramassa quelques douilles éparpillées sur le sol et les examina attentivement.
- Balles perforantes. Fusils de l'Est d'Arakitacia. Les mêmes modèles que ceux utilisés lors des attaques contre les différents clans de la ville… Des armes très coûteuses et diablement efficaces d'habitude… On peut dire qu'on a eu de la chance…
Le bras droit de Gajeel se releva et apostropha le barman sur un ton cynique :
- Eh bien ma foi, on dirait que ton ami Rogue a décidé de s'assurer de ton silence de façon plus radicale et définitive.
Le regard mauvais qu'Orga avait adressé à Laxus juste avant l'attaque réapparut en un éclair.
- Qu'est-ce que tu racontes toi ? Qu'est-ce que tu insinues au juste ?
Le mafieux secoua la tête, agacé.
- T'as les fils qui se touchent ou tu le fais exprès ? demanda Laxus. Ton grand ami fait partie du groupe ayant commis ces attaques et utilisant le même type d'armes que celles auxquelles on vient d'avoir affaire. Et comme par hasard, un établissement où bosse la seule personne capable de remonter jusqu'à lui se fait attaquer avec ces mêmes flingues… Ce n'est certainement pas une coïncidence.
Les yeux d'Orga s'écarquillèrent face au raisonnement du membre du clan Redfox. La scène qu'ils venaient de vivre repassa devant ses yeux.
Le verre brisé, le sifflement des balles, le rugissement tonitruant du moteur…
Non, c'était impossible. Rogue ne pouvait pas être derrière cette attaque. Tout cela devait être une erreur. Une terrible erreur…
- Je ne peux pas croire à ce que tu dis… Rogue… Il ne m'aurait jamais fait ça…
- Qui alors ? s'exclama Laxus. Eucliffe ? Ton bar est sur son territoire, tu l'as dit toi-même. Il serait censé le protéger, pas le mettre en pièces. Donc à moins que tu te sois mis à dos d'autres types dangereux ces derniers jours, il n' y a qu'un seul responsable possible.
Orga se gratta la tête. Malgré sa cruauté notoire, la famille Eucliffe n'avait en effet jamais cessé de protéger les commerces se trouvant sur son territoire, il fallait le reconnaitre. Et il n'avait jamais rencontré aucun problème avec un autre clan de la ville. Malgré cela, il ne pouvait se résoudre à envisager la solution restante.
- Rogue est mon plus vieil ami, persista Orga. On a passé toute notre enfance ensemble. Jamais il ne s'en prendrait à moi comme ça !
- Ton ami éprouve une haine viscérale à l'égard de la mafia. Il estime que ce sont les gens comme nous qui l'ont privé de sa mère et qui l'ont conduit à vivre le calvaire que tu nous as décrit. Une amitié telle que la vôtre, aussi solide soit-elle, ne fait pas le poids à côté d'un ressentiment pareil. Tu le sais aussi bien que moi.
Orga se plongea un instant dans ses pensées. Il se souvenait si bien des moments passés avec Rogue qui avaient contribué à forger leur camaraderie. Les devoirs faits à la va-vite, assis sur les porches des rues adjacentes à l'orphelinat. Les sucreries piquées dans le gros bocal de la réserve et partagées entre eux. Les parties de ricochets endiablées menées sur les rives accessibles du fleuve serpentant à travers la ville…
Mais hélas, il se souvenait également avec une précision d'orfèvre de ce que Rogue lui avait dit un jour, alors qu'ils étaient encore adolescents et évoquaient à nouveau leurs passés respectifs :
« Mec, la mafia, c'est comme une tumeur qui rend cette ville malade. Elle grandit de plus en plus, jour après jour, en éliminant tout ce qui est sain pour le remplacer par de la pourriture et de la nécrose. Ces enfoirés m'ont pris ma mère, ils ont détruit ma vie. Et ils feront probablement la même chose à bien d'autres dans les années à venir. Mais un jour, les choses changeront. Un jour, je les ferai payer. Tous sans exception. Et tous ceux qui se mettront en travers de mon chemin subiront le même sort. Tous sans exception. »
Orga sortit de sa léthargie. Ce type avait peut-être raison. Après tout, la colère de Rogue à l'encontre de ces criminels sévissant dans Magnolia était sans pareille. Peut-être que cette colère l'avait finalement poussé à le voir comme un obstacle à sa vengeance tant désirée. Mais malgré cela, malgré cette possibilité…
- Je ne peux pas le balancer, souffla le barman. Même après ce qui s'est passé, même si c'est lui qui est derrière tout ça, je ne peux pas…
Alors que Laxus s'apprêtait à revenir à son idée première, à savoir coller un flingue sur la tempe de ce type pour le convaincre se mettre à table, Levy se rapprocha du bar et du colosse qui y était appuyé. La jeune femme avait suffisamment repris ses esprits pour revenir à sa mission.
- Orga, réfléchissez, souffla Levy. Si Rogue est capable de s'en prendre à vous en étant aveuglé par sa vengeance, imaginez ce qu'il pourrait faire à des innocents pour atteindre son objectif. Regardez autour de vous. Vous voyez des criminels, des gens dangereux ? Tous ces gens sont vos clients, vos habitués. Vous les voyez ici presque tous les jours. Ils ont des familles et des amis eux aussi. Pourtant Rogue n'a pas hésité à risquer leur vie pour essayer de vous atteindre. Il n'a plus du tout les idées claires, il faut que vous nous aidiez à l'arrêter.
Un ricanement sardonique secoua les épaules du barman.
- « L'arrêter »… Le buter, vous voulez dire.
- Nous voulons simplement qu'il nous conduise aux vrais responsables. Rogue est la clé qui nous permettra de mettre fin à tout ça. Je vous promets de faire mon maximum pour veiller sur lui et faire en sorte qu'il sorte vivant de cette histoire. Vous avez ma parole.
Laxus manqua de s'étouffer lorsqu'il entendit cela. «Qu'il sorte vivant de cette histoire» ? Était-elle si naïve que ça ? Après le tort que l'organisation de ce type avait causé à son business, Métallicana Redfox n'hésitera probablement pas une seule seconde à buter ce Rogue dès qu'il aura obtenu les renseignements qu'il détient.
La protégée de Gajeel venait de faire une promesse qu'elle ne pouvait clairement pas honorer et il était convaincu qu'elle-même le savait. Pourtant, ce serment déjà caduque fit son effet sur l'ami d'enfance de celui qu'ils recherchaient.
Après avoir poussé un long soupir et courbé les épaules, Orga Nanagear capitula :
- Très bien, vous avez gagné mademoiselle… Rogue porte actuellement le nom de Raïos Cheney. Il crèche dans un appartement, au dernier étage d'un immeuble situé au numéro 6 de la Porte d'Aquarius, près du théâtre de Magnolia. Vous devriez le retrouver là-bas.
Laxus n'en revenait pas. Cette fille haute comme trois pommes venait de faire cracher le morceau à ce type.
- Je vais chercher la voiture, annonça t-il avant de sortir à la hâte.
La porte d'entrée claqua, laissant Levy et Orga seuls à l'intérieur du débit de boissons. Tendant le bras, le barman attrapa l'une des rares bouteilles qui avaient survécu au carnage. Un rhum de sept années d'âge.
- Vous en voulez ? demanda Orga à Levy.
Cette dernière considéra la bouteille remplie de liquide ambré entre les mains du bonhomme.
- D'habitude, je ne bois pas d'alcool. Mais après ce qui s'est passé ici, je ne dis pas non.
Intégrant la réponse de sa dernière cliente de la journée, Orga sortit deux verres de l'un des placards installés sous le comptoir, les posa sur celui-ci et les remplit sans la moindre retenue. Il tendit son verre à Levy qui s'en empara. Le colosse but son verre cul sec et s'en resservit un autre aussitôt.
- Dites-moi mademoiselle, est-ce que vous croyez en Dieu ?
Levy haussa les sourcils à la question. La croyance populaire selon laquelle tous les sujets sans pouvaient être abordés dans un bar était visiblement fondée.
- Je dirais que je n'ai pas vraiment d'avis sur le sujet, répondit Levy. Pourquoi me posez-vous cette question ?
- La Foi de Zentopia, la religion majoritaire dans le royaume de Fiore, affirme que ceux qui commettent des pêchés se retrouveront après leur mort dans un lieu maudit recouvert de lacs de feu, appelé communément l'Enfer. Dans ma culture, nous avons l'équivalent. On raconte que le dieu du feu Zaldrig remontera du centre de la terre et emportera avec lui les âmes de ceux qui ont fait couler le sang et les larmes pour les enfermer dans un lieu souterrain à la profondeur insondable, où ses reptiles cracheurs de flammes les dévoreront et détruiront tout souvenir que l'on pourrait garder d'eux… Être emmené dans ce lieu après la mort est la pire crainte des gens de mon peuple…
Renonçant finalement à se servir un nouveau verre, Orga porta directement le goulot de la bouteille à ses lèvres et s'enfila une longue rasade de liquide ambré. Il s'essuya la bouche du revers de la manche avant de poursuivre.
- Pour être honnête, je me dis qu'avec ce que je viens de faire au seul ami que j'aie jamais eu dans cette vie pour sauver la vie de parfaits inconnus, je mérite plus que n'importe qui d'être emporté par le dieu flamboyant…
Levy esquissa une mine contrite. Le mal-être du géant au coeur sensible était plus que palpable.
- Je ne sais pas si vos croyances sont fondées, Orga. Mais si j'ai appris quelque chose ces derniers jours, c'est que beaucoup de gens dans cette ville mériteraient d'être emportés de la sorte… Vous pouvez me croire…
De l'autre côté de la ville, à l'intérieur du Dragon d'acier, Erza Scarlett poussa un immense soupir de soulagement.
En effet, les travaux visant à réparer les dégâts causés au célèbre night-club étaient enfin terminés. Les derniers ouvriers étaient venus hier après-midi pour installer les nouveaux projecteurs du bar et de la scène. La gérante aux cheveux écarlates avait ensuite fait un minutieux tour de l'établissement et avait constaté d'elle-même que tout fonctionnait à nouveau à merveille.
Il fallait bien dire que les Redfox n'avaient pas regardé à la dépense pour remettre sur pied leur vieux gagne-pain. On pouvait reprocher beaucoup de choses à cette famille de la pègre mais le manque d'efficacité pour les affaires n'en faisait clairement pas partie.
Assise au bar, les jambes croisées, Erza était occupée à boucler la comptabilité qu'elle avait bien trop longtemps repoussée, lorsqu'elle entendit la porte de l'entrée principale s'ouvrir. Délaissant du regard ses alignements alambiqués de chiffres, elle constata avec surprise l'identité du nouvel arrivant.
« Jellal… souffla la jeune femme, médusée.
Effectivement, c'était bien le jeune homme aux cheveux bleus et à la marque oculaire rouge qui se tenait devant elle, les mains nonchalamment enfoncées dans les poches du sweat à capuche qu'il portait.
- Salut Erza, répondit le fugitif. Tu m'as manqué.
La tenancière du Dragon d'acier n'en revenait pas. Malgré le danger que représentait le clan Redfox pour sa vie, son ami d'enfance n'avait pas hésité à entrer dans l'un de leurs plus grands fiefs comme si de rien n'était.
Sans hésiter, Erza traversa la piste de danse séparant le bar et l'entrée, ses talons claquants sur le sol scintillant et refait à neuf. Une fois arrivée à la hauteur du jeune homme, elle leva la main et le gifla sèchement, à tel point que le bruit de la claque résonna comme un écho dans le night-club désert.
Confus, Jellal porta la main à sa joue endolorie. Il ne s'attendait pas vraiment à un accueil chaleureux mais il était loin de se douter que Erza réagirait comme ça. Même si la fougue faisait partie intégrante du caractère de son amie, il l'avait rarement vu aussi énervée qu'à cet instant. Et pourtant, la fureur qui dansait dans son regard n'enlevait rien à sa beauté. Bien au contraire.
« Je peux savoir où tu étais passé ?! s'exclama t-elle. Tu as disparu depuis des jours et des jours ! Je n'ai pas arrêté de t'appeler sur ce foutu portable prépayé ! Et tu n'as pas décroché une seule fois ! Je t'imaginais déjà criblé de balles, en train de pourrir dans un caniveau ! J'ai même failli aller voir les flics pour qu'ils se lancent à ta recherche ! J'ai cru devenir complètement folle, Jellal !
L'ancien mafieux ne put s'empêcher de savourer la douce chaleur qui envahissait sa poitrine. Savoir qu'Erra s'était faite du souci et qu'elle tenait toujours à lui malgré les erreurs qu'il avait commises était une source de bonheur inestimable pour lui.
- Je suis vraiment désolé, s'excusa platement le jeune homme. Je ne suis pas mort mais à dire vrai, j'ai bien failli l'être.
Erza se mordit la lèvre inférieure. Face au ton désolé de son petit ami, elle regretta de l'avoir accueilli de la sorte quelques instants plus tôt. Jetant un coup d'oeil derrière son épaule ainsi qu'aux alentours, elle l'empoigna sans ménagement par le bras.
- Tu me raconteras tout ça une autre fois, affirma t-elle en le guidant vers la sortie. Tu dois partir d'ici tout de suite. Si un membre du clan débarque et te découvre là, je ne donne vraiment pas cher de ta peau. Ni de la mienne.
- Ne t'inquiète pas, répondit Jellal en se dégageant. Très bientôt, les Redfox ne seront plus un problème.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
Se remémorant le temps qu'il avait passé avec cette mystérieuse femme et ses subordonnés, Jellal afficha un air confiant et déterminé.
- J'ai rencontré des gens qui vont nous aider à mettre fin à la tyrannie de ce clan une bonne fois pour toutes.
Erza se pinça l'arrête du nez, désemparée.
- Jellal… Ce n'est plus possible. C'est toujours la même rengaine avec toi. Tu persistes à croire qu'il existe un moyen de vaincre les Redfox, que tu pourras te dégoter des alliés providentiels qui t'aideront à mener ce combat perdu d'avance. Et à chaque fois, tu tombes encore plus bas que la fois précédente. Ces gens dont tu me parles échoueront également, c'est inévitable.
Fébrile, Jellal prit les mains d'Erza dans les siennes et les serra doucement. Il avait besoin de ce contact, de se sentir lié à elle.
- C'est ce que je croyais moi aussi au début. Mais j'ai eu l'occasion de constater leur puissance et leur détermination. Il faut que tu me croies Erza. Les Redfox ne pourront rien faire face à ces gens. Ils sont la meilleure chance que cette ville n'ait jamais eu.
La gérante du Dragon d'acier ne put s'empêcher de soupirer. Malgré la sincérité qui émanait à cet instant de son petit ami, elle demeurait profondément perplexe. Elle avait trop souvent vu de potentiels concurrents se casser les dents en commettant l'erreur de s'en prendre aux Redfox. Ces pauvres bougres avaient été des coups d'épée dans l'eau, ni plus, ni moins.
- C'est l'autre raison de ma visite, poursuivit le jeune homme. Nous avons besoin de ton aide, Erza. Vous organisez une soirée de réouverture du Dragon d'acier, n'est-ce pas ?
- Oui, dans quelques jours. Pourquoi ?
- Il faudrait que tu réserves une table pour une personne spéciale qui viendra au night-club ce jour-là. Tu peux noter la réservation avec mes initiales.
Les sourcils d'Erza se rehaussèrent. Elle ne s'attendait pas à une telle requête de la part de Jellal et encore moins des gens qui semblaient dorénavant l'employer.
- Je ne comprends pas… En quoi une simple réservation servirait la cause de tes nouveaux amis ?
Le jeune homme s'attendait à cette question. Lui-même avait été intrigué par cette demande. Mais la leader du groupe qui l'avait recruté avait insisté sur le fait que cette réservation était capitale.
- Pour reprendre mot à mot les termes de celle à l'origine de cette demande, il s'agit ni plus ni moins « de réunir deux personnes qui ne se sont pas vues depuis bien trop longtemps »…
Bien que dubitative, Erza inscrivit la réservation sur son registre, espérant qu'elle n'avait pas également signé l'arrêt de mort de personnes innocentes…
Assise à l'avant d'un SUV gris aux vitres teintées, Levy regardait défiler les vitrines illuminées des commerces de la ville à une allure stupéfiante. À ses côtés, Laxus conduisait le véhicule, faisant tout son possible pour leur faire atteindre leur destination le plus vite possible malgré la circulation importante.
Quelques minutes plus tôt, le bras droit de Gajeel avait contacté Gajeel et ses hommes afin de leur demander d'envoyer une équipe à l'adresse qu'ils avaient obtenue d'Orga Nanagear. L'ultimatum posé par Métallicana allait arriver à expiration dans quelques heures et il n'y avait plus une seconde à perdre.
Même si Levy était consciente de l'enjeu du moment, elle ne parvenait pas à mettre de côté la fusillade à laquelle elle avait assisté ainsi que sa conversation avec Orga.
« Je n'arrive pas à croire que Rogue ait pu faire ça à son propre ami, à une personne qu'il a côtoyé pendant des années… souffla t-elle.
Laxus haussa les épaules et ne répondit pas. Il semblait particulièrement tendu depuis leur visite au Thunder's God. Levy ne ne formalisa pas de son silence, consciente du caractère plutôt fermé de son partenaire.
- J'aurais dû avoir une arme moi aussi, reprit la jeune femme. J'ai été complètement inutile pendant cette attaque. Un vrai boulet.
Cette fois-ci, Laxus ne garda pas le silence. Il se racla la gorge avant de répondre posément :
- Tu n'es pas entraînée au maniement des armes à feu. Tu n'aurais probablement pas visé juste et tu aurais été encore plus exposée aux tirs.
Face à cette réponse à la fois froide et juste, Levy se retint de répliquer que son père lui avait montré à plusieurs reprises comment se servir d'un fusil et que Gajeel lui avait également donné une rapide leçon de tir au pistolet dans le garage du manoir Redfox. Mais son instinct lui souffla que raconter ces deux anecdotes au géant à la cicatrice ne l'auraient guère convaincu.
- Peut-être mais j'aurais au moins pu faire quelque chose. Je me suis sentie tellement impuissante face à ces types… J'ai horreur de ça.
Les mains de Laxus se crispèrent sur le volant et un certain inconfort s'empara de lui. Il savait qu'il ne devait pas poursuivre cette discussion mais étrangement les mots franchirent malgré tout ses lèvres.
- Porter une arme ne t'aurait servi à rien dans ce cas précis. Les tirs ne t'auraient jamais atteint.
Levy resta incrédule face à la réponse du conducteur.
- Comment le sais-tu ?
Le bras droit de Gajeel détourna légèrement la tête, comme pour empêcher Levy de voir à travers lui. Ce fut peine perdue. La jeune femme était bien trop perspicace et la solution s'imposa à elle en quelques secondes. Il fallait croire qu'à force de côtoyer des mafieux, elle décelait de plus en plus vite leurs entourloupes.
- Laxus… Ne me dis surtout pas que ces hommes… étaient les vôtres…
Le mafieux sut qu'il était inutile de nier ce que la jeune femme avait déjà deviné et prit un air ennuyé. Il n'était pas particulièrement fier de ce qu'il avait fait.
- Je savais qu'on obtiendrait rien d'un type comme ça. C'était le seul moyen pour qu'il accepte de coopérer et qu'il nous dise ce qu'il savait. La seule stratégie possible.
- Je n'arrive pas à le croire ! s'exclama brutalement Levy, complètement outrée. Tu avais orchestré cette fusillade ?! Depuis ce matin ?!
Le mafieux acquiesça avant d'initier un virage serré dans une rue à sens unique.
- Le plus dur a été de trouver des armes similaires à celles utilisées par nos adversaires. Ces fusils et leurs munitions sont assez difficiles à se procurer, même pour nous.
- Mais c'est horrible ! Maintenant, Orga va croire dur comme fer que son ami l'a trahi ! Il ne lui fera plus jamais confiance et gardera pour toujours l'image d'un frère qui a voulu lui faire la peau ! Et vous avez risqué la vie tous ces clients, des personnes innocentes ! Vous avez fait précisément ce que nous reprochions à Rogue !
Le reproche de Levy énerva passablement le mafieux. Elle n'avait pas besoin de lui rappeler les conséquences de ce qu'il avait été obligé de faire.
- Levy, il faut te réveiller, répliqua sèchement Laxus. Ce type n'aurait jamais balancé son pote, même après avoir entendu ton beau discours ! Si je n'avais pas eu recours à ce stratagème, nous n'aurions probablement jamais obtenu ces informations ! Et je te rappelle que si je l'ai fait, c'est pour te sauver les miches, même si tu n'es rien pour moi ! Tu devrais me remercier au lieu de jouer les gamines effarouchées et donneuses de leçons !
Estomaquée par les propos qu'elle venait d'entendre, Levy ne chercha pas à argumenter davantage et se contenta de tourner la tête de son côté de l'habitacle pour couper tout contact visuel avec son binôme. Cette attitude lui donnait assurément l'allure d'une adolescente en train de bouder mais c'était plus fort qu'elle.
- Pour survivre, il nous arrive de faire des choses dont nous n'avons pas envie et qui nous paraissent impensables… Déteste-moi si tu veux, mais rappelle-toi que c'est pour te protéger que je l'ai fait.
En dépit de ce qui s'apparentait le plus à des excuses pour Laxus Dreyar, Levy ne parvenait pas à calmer la colère qui brûlait si fort en elle.
Jamais elle ne pourrait cautionner ce que le bras droit de Gajeel avait fait, même pour sauver sa propre vie. Et si c'était vraiment le genre de jeu auquel s'adonnaient en permanence les mafieux, elle n'était plus très sûre de vouloir y jouer…
Bien loin de toute cette agitation, confortablement installé dans l'un des nombreux salons que comptait son manoir, Métallicana Redfox buvait à petites gorgées un verre de vin rouge à la robe pourpre et à l'arôme très légèrement acidulé.
Le goût du parrain pour cette boisson était connu de tous et remontait à son adolescence. Son père avait l'habitude de lui faire déguster différents crus afin de lui permettre de les identifier lors de repas d'affaires, et ainsi impressionner ses interlocuteurs par ses connaissances oenologiques. Avec le temps, le nouveau chef du clan Redfox avait pris goût à ces dégustations et ne pouvait désormais plus se passer de ce plaisir coupable.
Le chef mafieux comparait d'ailleurs souvent la gestion d'un clan comme le sien à l'exploitation d'un vignoble. Dans les deux cas, l'entreprise était longue et fastidieuse, prenait un temps considérable mais on finissait par en tirer de délicieux fruits et un nectar de pouvoir des plus savoureux.
Constatant que son verre était vide, Métallicana s'empara de la bouteille posée à proximité et le remplit à nouveau.
En observant le liquide alcoolisé s'accumuler dans le récipient, son esprit dériva et il songea que, contrairement à lui, son fils préférait largement les alcools plus forts, tels que le whisky, le cognac ou encore la vodka.
Le parrain poussa un soupir. Une divergence de plus à ajouter à celles qu'il cumulait désormais avec Gajeel. Il avait pourtant fait tout son possible pour que sa progéniture lui ressemble et suive ses traces.
En effet, lorsque Gajeel eut atteint l'âge de trois ans, son père sollicita immédiatement les meilleurs professeurs particuliers de Fiore pour lui enseigner les matières scolaires de base. Puis, il lui enseigna en personne tout ce qui pourrait lui servir pour endosser le rôle qui serait un jour le sien : arts martiaux, maniement des armes, stratégie, éloquence… Aucune distraction n'était jamais venue entraver cet apprentissage intensif. Métallicana avait reproduit à la perfection l'éducation que son propre père lui avait donné des années auparavant et qui lui servait si bien aujourd'hui.
Pourtant, malgré tous ses efforts et le temps qu'il y avait consacré, rien n'y faisait. Même si son fils était craint de ses ennemis et respecté de ses hommes, même s'il était capable la plupart du temps de se montrer impitoyable, il demeurait radicalement différent de lui.
Il lui arrivait en effet parfois de prendre des décisions davantage basées sur l'émotion que sur la raison, ce qui était totalement inconcevable pour le chef de clan.
Le dernier exemple en date était sa prise de position en faveur de cette serveuse et étudiante en lettres sortie de nulle part.
Quelques instants plus tôt, le chef mafieux avait feuilleté le dossier de renseignements recueillis sur cette fille. La banalité de sa vie résumée sur quelques pages avait renforcé sa contrariété. Dépenser autant de moyens pour quelqu'un d'aussi insignifiant lui paraissait tout bonnement aberrant.
Métallicana grimaça et prit une nouvelle gorgée de son breuvage afin de diluer autant que possible les sentiments négatifs qui l'habitaient. Il y a quelques mois de cela, jamais Gajeel n'aurait pris autant de risques, ni alloué autant de moyens au sauvetage d'une seule personne.
Bien entendu, le parrain n'était pas dupe et soupçonnait aisément les véritables raisons de cette aide désintéressée.
Son fils avait le béguin pour cette fille. Et cela ne lui plaisait pas du tout, car Gajeel ne retirerait absolument rien de cette relation. Cette fille n'avait ni argent, ni titre, ni prestige. Le seul mérite qu'on pouvait lui reconnaitre était celui d'avoir attiré l'attention de son fils et Métallicana se demandait encore comment elle avait accompli cet exploit.
L'esprit guidé par l'alcool, le chef de clan en vint à repenser aux circonstances de son propre mariage. Son épouse Isadora était la fille aînée d'Alistair Duncan, l'un des partenaires d'affaires de son défunt père. Métallicana et Isadora se connaissaient depuis leur enfance et passaient souvent des journées entières ensemble et avec d'autres de leurs amis, au gré des réunions d'affaires menées par leurs pères. Il avait toujours apprécié la jeune fille et la considérait comme une amie digne de confiance.
Lorsque Métallicana et Isadora atteignirent l'adolescence, les relations entre les familles Redfox et Duncan s'étaient nettement dégradées. Le père de Métallicana commençait en effet à se méfier de son partenaire d'affaires qui gagnait de plus en plus d'argent et d'influence et redoutait que son subalterne ne se retourne un jour contre lui en ralliant un clan rival, ou même en créant le sien.
Dans ces circonstances, le chef mafieux de l'époque eut recours à une ruse vieille comme le monde pour remettre dans le rang son allié récalcitrant. Il proposa que leurs enfants respectifs s'unissent par le mariage, scellant définitivement le destin de deux familles. La fille de Duncan était belle et intelligente, son fils était puissant et promis à un grand destin. L'équation fonctionnait parfaitement. La proposition fut acceptée et le mariage fut célébré en grandes pompes quelques mois plus tard.
Métallicana se souvenait parfaitement du jour où son père lui avait annoncé son projet de mariage avec Isadora. Sachant pertinemment que le mariage se ferait quoi qu'il en dise, le jeune mafieux n'avait absolument rien répliqué face à cette idée. Et même si ce mariage n'était pas né dans l'esprit des deux principaux intéressés, le père et la mère de Gajeel avaient tous deux accepté la situation et appris à passer du statut d'amis proches à celui de mari et femme.
Pourtant, une ombre planait toujours dans l'esprit de Métallicana lorsqu'il repensait aux années où Isadora et lui trainaient encore avec leur groupe d'amis, bien avant la planification de leur mariage. Sans qu'il le veuille, cette ombre se transforma petit à petit en souvenirs et ces souvenirs revinrent une nouvelle fois l'assaillir alors qu'il avait fait tant d'efforts pour les refouler.
Flash-back - Une trentaine d'années plus tôt
Assis au volant de sa toute nouvelle voiture, Métallicana la vit arriver dans le rétroviseur extérieur, le pas léger et la démarche assurée. Elle ouvrit la portière et avec une grâce féline s'installa sur le siège passager.
Volontairement, il ne tourna pas la tête et tenta d'afficher l'air le plus blasé qu'il connaissait. Il fallait qu'il donne le change, qu'il ne montre pas l'impatience qu'il avait ressenti toute la matinée en attendant cet instant.
« Salut ! s'exclama t-elle avec entrain.
- Salut, répliqua t-il posément. T'es en retard.
- Désolée, je suis allée m'entraîner au dojo dont je vous ai parlé à Isadora et toi la dernière fois.
Avec un sourire espiègle, elle fit mine de lui boxer l'épaule.
- Fais gaffe, dans peu de temps, je serai capable de te mettre une raclée et de te faire mordre la poussière !
Métallicana haussa un sourcil avant de lever fièrement la tête. La confiance en soi, ça marchait toujours avec les filles.
- Je pratique les arts martiaux depuis que j'ai six ans. Tu crois vraiment être capable de me battre ?
- « Tu crois vraiment être capable de me battre ? » singea t-elle avec une voix exagérément grave. Excusez-moi, môssieur le professionnel du combat au corps à corps ! Si tu crois que les quelques cours particuliers que tu as pris alors que tu étais encore en couche-culotte vont m'impressionner, tu te mets le doigt dans l'oeil ! Bon, on y va ?
Métallicana mobilisa toutes ses forces pour retenir le sourire qui menaçait de naitre sur ses lèvres. Cette fille était toujours comme ça, toujours tout feu tout flamme et c'est ce qu'il appréciait particulièrement chez elle.
Pour toute réponse, il se contenta de démarrer le moteur et de quitter la place de stationnement qu'ils occupaient. Ils devaient rejoindre toute la bande dans le nouvel établissement que son père venait de faire bâtir dans le centre-ville. Il l'avait appelé le «Dragon d'acier». Et pour cette occasion…
- J'y crois pas ! s'exclama t-elle, bruyamment. Tu t'es fait faire un tatouage !
Elle venait juste de remarquer le dessin fraîchement réalisé qui ornait désormais fièrement le bras de Métallicana. Un cercle d'écailles grises qui entourait tout son biceps droit.
- Ça t'a fait mal ? demanda t-elle. Tu n'as pas eu peur ?
Le fils du parrain secoua la tête.
- Bien sûr que non. Tu sais très bien que je n'ai peur de rien.
À l'entente de cette phrase, une profonde inquiétude se dessina sur le visage de la jeune femme aux côtés de Métallicana. Sans réfléchir, elle posa sa main sur celle du jeune homme qui tenait le volant.
- Tu sais… on se connait depuis un moment maintenant toi et moi, souffla t-elle. Je sais que ta future position te préoccupe et que c'est un fardeau lourd à porter. Tu essayes d'être irréprochable en toutes circonstances et je le comprends. Mais tu n'as pas besoin de jouer au gros dur avec moi. Je connais toute la force que tu as en toi et elle est indéniable. Mais tu ne te résumes pas qu'à ça, Méta'.
Le fils du parrain écouta attentivement les paroles de son amie et fut pris d'un léger frisson lorsqu'elle l'appela par son surnom. Elle était la seule à l'appeler comme ça.
Quittant la route du regard, il tourna la tête vers elle. Pour une fois, elle semblait sérieuse et sincèrement concernée par les paroles qu'elle venait de prononcer. L'échange de regards dura un moment, avant qu'une certaine gêne ne s'installe entre eux et que les deux jeunes gens décident d'y mettre fin en détournant la tête.
- Ce que je veux dire, c'est que tu peux aussi me faire part de tes inquiétudes, de tes craintes ou tes peurs. Tu pourras toujours compter sur moi, tu sais.
Malgré l'épaisse barrière qu'il avait érigé au fil des années dans son esprit et qui était censée le protéger de toute forme d'émotivité non désirée, le jeune Métallicana ne put s'empêcher d'être touché par ce qu'il venait d'entendre. Bien plus qu'il ne l'aurait souhaité. Et bien plus que cela lui était possible.
- Je te remercie, répondit-il avec solennité. Tu peux aussi compter sur moi en cas de besoin, tu sais.
Un large sourire apparut sur le visage de la jeune femme, annihilant toute l'anxiété qui s'y était nichée. Elle retira sa main du volant, se cala à nouveau sur le siège avec nonchalance et abaissa la vitre du côté passager pour laisser l'air frais pénétrer dans l'habitacle.
- C'est parfait alors. Allez, en avant monsieur le pilote ! En route pour de nouvelles aventures au pays des mafieux ! Wouhou !
Cette fois, en voyant sa passagère si joyeuse, avec ses longs cheveux noirs aux mèches bleutées et ses yeux noisettes rieurs, Métallicana ne put s'empêcher de sourire à son tour.
Et il pria intérieurement pour que l'univers dans lequel il évoluait, et dans lequel son amie allait bientôt évoluer à son tour, ne lui soit pas fatal, comme il l'avait été pour bien d'autres dans le passé…
Fin du flash-back
Tout au long de la redécouverte de ce vieux souvenir, Métallicana avait senti l'émotion qu'il avait ressenti ce jour-là l'étreindre à nouveau. Mais progressivement, toute la suite de l'histoire repassa dans son esprit et l'issue finale, dont il n'avait que trop bien retenu la leçon, raviva en lui la colère la plus noire qui soit.
Cette garce ne méritait pas qu'il repense à elle de la sorte. Elle ne le méritait pas du tout.
La colère que ressentait le père de Gajeel augmenta et enfla à telle point qu'il ne put la réprimer plus longtemps. De rage, il lança son verre à pied dans l'âtre de la cheminée jouxtant le canapé. Le verre se brisa et les flammes en avalèrent les débris sans se faire prier.
Il s'empara ensuite du dossier sur lequel trônait la photo de cette Levy McGarden. C'était à cause d'elle que ce désagréable souvenir s'était manifesté à nouveau. Étrangement, il avait remarqué que cette fille avait de nombreux traits communs avec celle présente dans son souvenir.
Ce bleu si clair dans les cheveux, ses yeux à la teinte noisette si particulière…
La coïncidence était stupéfiante et l'espace d'une seconde, il se mit à douter que cela en soit une. Pouvaient-elles être reliées d'une façon ou d'une autre ?
Non… C'était impossible. Elle avait disparu sans avoir pu avoir la moindre descendance. Il en était certain. Les circonstances de sa disparition ne laissaient aucune place au doute et il s'était suffisamment renseigné à l'époque.
Après avoir observé une dernière fois la photographie agrafée au dossier, il décida de rompre une bonne fois pour toutes le lien insidieusement créé avec cet obscur passé et jeta également le dossier dans le brasier.
Rapidement, la chemise cartonnée et les documents qu'elle contenait se consumèrent au creux des cendres et il ne fallut pas longtemps pour que les flammes dévorent également l'image de Levy McGarden.
Et à cet instant, Métallicana Redfox était bien loin de se douter de l'ironie du geste qu'il venait d'accomplir…
Après en avoir déverrouillé la porte, Rogue s'engouffra avec empressement dans son appartement.
Soulagé de retrouver son lieu de vie, il posa ses clés dans le petit panier posé sur le guéridon de l'entrée et accrocha sa veste noire sur le porte-manteau.
Il se rendit ensuite dans son vaste salon aux murs bleu pastel et s'affala sur son canapé en cuir délicieusement rembourré.
Durant de longues minutes, il fixa son plafond d'un blanc immaculé et se concentra uniquement sur sa respiration. Le jeune homme avait toujours été un grand solitaire et il appréciait plus que tout ces petits instants où il pouvait pleinement se retrouver avec lui-même.
La journée avait été particulièrement harassante. Durant toute la matinée, il avait dû s'occuper de toutes les formalités exigées par sa patronne et indispensables pour l'étape suivante de son plan d'attaque. Il avait donc enchainé les coups de fil sur son téléphone prépayé intraçable, délivrant des ordres et des consignes avec la plus grande efficacité.
Il s'était ensuite rendu en début d'après-midi dans les locaux d'une célèbre compagnie d'assurance installée dans le centre-ville de Magnolia. Il s'agissait de la couverture mise en place par sa cheffe pour lui assurer un complet anonymat et dissimuler au mieux son rang dans son organisation.
Depuis maintenant plusieurs années, aux yeux de tous les magnoliens, il était Raïos Cheney, courtier en assurance sans histoire et citoyen parfaitement lambda. Et même si plusieurs des employés de cette compagnie étaient secrètement des membres assidus de l'organisation, il se devait d'alimenter autant que possible cette couverture en faisant oeuvre de présence dans leurs bureaux de temps en temps.
Finalement, après plusieurs heures de travail imaginaire, il avait quitté les locaux de la compagnie, pris les transports en commun et rejoint son chez-lui.
À présent, à travers les larges fenêtres de son séjour, Rogue pouvait voir le soleil rougeâtre entamer sa descente quotidienne derrière les montagnes bordant la ville de Magnolia.
Bercé par les battements de son propre coeur, il repensa à tout le chemin qu'il avait parcouru.
Jamais il n'aurait crû être un jour aussi près d'atteindre son objectif : faire payer ses enfoirés de la mafia pour tout le mal qu'ils avaient causé à lui et à sa mère.
Sa mère… Il en gardait si peu de souvenirs à présent. La finesse de son visage, la blancheur de son sourire, la clarté de sa voix… Tous ces détails lui paraissaient à présent tellement flous, comme un mirage furtif dansant dans le lointain, complètement hors d'atteinte.
En revanche, il se souvenait avec bien plus de clarté des détails sordides qui avaient jalonné presque toute son enfance, notamment les nuits interminables qu'il avait passé, couché dans son lit d'enfant, à attendre sa maman en luttant désespérément contre le sommeil. Lorsqu'il parvenait à rester éveillé suffisamment longtemps et qu'il entendait la serrure de la porte d'entrée se déverrouiller, il courait dans le couloir pour rejoindre avec empressement celle qui lui avait tant manqué.
Sa mère avait l'habitude de le réprimander gentiment de ne pas être encore couché, un sourire fatigué continuellement plaqué sur le visage. En réponse, le petit Rogue enfouissait sa tête dans le tissu des robes courtes dont sa maman était toujours vêtue et plissait le nez lorsqu'il sentait l'entêtant parfum dont elle semblait être littéralement imprégnée. Sa mère le portait ensuite jusqu'à son lit et avec un immense bonheur, il sentait ses lèvres enrobées de maquillage bon marché se poser délicatement sur son front avant qu'il ne sombre dans un sommeil bien mérité.
Il se souvenait également du funeste matin où il avait quitté son lit et constaté avec surprise que sa maman n'était toujours pas rentrée. Cela n'était jamais arrivé auparavant.
Du haut de ses six ans, vêtu de son pyjama de super-héros, Rogue s'était préparé un petit déjeuner sommaire à base de lait froid et de céréales multicolores auxquelles il avait réussi à accéder en grimpant agilement sur une chaise de la cuisine. Hélas, ce petit-déjeuner fut le seul repas de cette journée car le petit Rogue la passa à attendre que sa maman rentre à la maison. Jusqu'à ce que la concierge de leur immeuble ne finisse par entrer dans l'appartement à l'aide du double des clés qu'elle possédait et lui présente un homme et une femme des services sociaux de Magnolia.
À partir de là, tout s'était enchainé très vite : l'annonce de la mort de sa mère, la tristesse et la souffrance abyssale qu'il avait ressenti, son placement à l'orphelinat Duncan, le harcèlement quotidien qu'il avait subi, sa rencontre avec son ami Orga et enfin, sa fuite de l'institution à l'adolescence.
Et durant toutes ces longues années, une seule émotion avait toujours dominé son esprit, ne faiblissant jamais comme une flamme inextinguible : la colère. Une rage incontrôlable entièrement dirigée contre les pourritures responsables de la mort de son unique parent.
Et aujourd'hui, grâce à sa rencontre avec cette femme exceptionnelle à qui il avait juré obéissance, cette rage allait bientôt pouvoir être assouvie, mettant du même coup un terme au cauchemar sans fin que connaissait cette ville.
Rogue savait très bien que la colère qui l'animait était pleinement partagée par son employeuse. Il avait suffisamment vu les traits de son visage, d'ordinaire si impassible, se crisper lorsqu'elle apprenait les dernières exactions dont les membres de la pègre s'étaient rendus coupables.
Malgré tout, même après toutes ces années, il ne connaissait pas la véritable identité de celle qu'il avait promis de servir mais il avait eu le privilège de connaitre les grandes lignes de son histoire et de ses liens d'antan avec la mafia.
Et au milieu de tous les tenants et les aboutissants de cette histoire, un élément avait particulièrement attiré l'attention du jeune homme.
Levy McGarden.
Un prénom et un nom qu'il avait entendu de très nombreuses fois sortir des lèvres de son employeuse lorsqu'il n'était que tous les deux. Constamment évoquée, l'existence de cette fille relevait désormais presque pour lui d'une légende et avec le temps, Rogue avait fini par éprouver involontairement une fascination pour elle.
Était-elle réellement si extraordinaire que son employeuse le laissait entendre ?
Une chose était sûre : cette jeune femme ignorait tout du lien particulier qu'elle avait avec son employeuse, de la puissance de ses origines et du rôle central qu'elle allait jouer dans les évènements à venir.
S'extirpant de ses pensées, celui qui se considérait comme l'allié des habitants de Magnolia se dirigea vers l'une des imposantes fenêtres donnant sur l'extérieur. Il observa pendant plusieurs minutes les rues en contrebas fourmillant d'activité et de gens de tous horizons. Cette ville méritait tant d'être sauvée, il en était profondément convaincu.
Rogue fut malgré tout tiré de sa rêverie lorsque son regard se porta vers le pied de son immeuble. Quelque chose ne tournait pas rond. Désormais pleinement alerte, il vérifia ce qu'il avait aperçu à plusieurs reprises avant de laisser libre cours à son inquiétude. Aucun doute possible.
Deux véhicules qu'il ne connaissait pas étaient stationnés juste devant le bâtiment.
En effet, au moment de son emménagement dans la résidence, Rogue avait pris l'initiative de mémoriser l'ensemble des véhicules conduits par ses voisins afin de pouvoir vérifier en un coup d'oeil si des individus louches rôdaient à proximité du lieu de vie. La plupart du temps, sa petite inspection ne donnait rien et le faisait passer, au mieux pour un voisin prudent, au pire pour un garçon bien trop paranoïaque.
Pourtant, à cet instant, il se félicitait d'avoir mis en place cette inhabituelle gymnastique mentale. Ses doutes furent encore plus confirmés lorsqu'il réussit à apercevoir deux hommes vêtus de noir à l'avant de chaque véhicule non identifié.
Ces hommes venaient pour lui, il n'y avait aucun doute. Cependant, le jeune homme était plus que surpris. Comment avaient-ils fait pour le retrouver malgré sa couverture presque parfaite ?
Il ne put s'empêcher de faire le parallèle avec la fois où l'un des hommes des Redfox l'avait surpris dans l'une des planques de l'organisation. Ce jour-là, il était venu à bout de son adversaire mais il doutait d'avoir une telle chance aujourd'hui.
Il ne lui restait probablement qu'une ou deux minutes avant que ses ennemis ne pénètrent dans son appartement. Il courut alors jusqu'à son bureau dans lequel il déverrouilla l'armoire métallique où il rangeait ses armes. Il eut juste le temps de s'équiper de son poignard de prédilection et d'un léger pistolet-mitrailleur avant d'entendre au loin la porte d'entrée se fracasser dans un bruit sourd.
Le bureau n'était pas la pièce la mieux située de l'appartement mais pas la moins bien lotie non plus. Rogue se posta à un angle lui permettant de profiter de l'entrebâillement de la porte et s'accroupit. Il entendait sans difficulté de puissants bruits de pas sur le sol de l'entrée et du salon.
Les enfoirés ne prenaient même pas la peine d'être discrets, sachant pertinemment qu'ils avaient l'avantage du nombre. Lorsque le premier de ses adversaires passa la seconde porte du salon pour émerger dans le couloir, Rogue n'hésita pas une seconde et pressa la détente. Une gerbe de balles fusa du canon de son arme pour venir frapper le mur, à deux centimètres du visage de l'intrus qui recula à grandes enjambées.
« Contact ! entendit-il hurler.
À son tour, il se mit à l'abri tandis que les tirs de ses adversaires s'abattaient avec ardeur sur la porte menant à sa pièce de travail.
Une voix grave et puissante s'éleva et parvint à couvrir le bruit des armes automatiques.
« Arrêtez de tirer ! Il nous le faut vivant ! »
C'était donc cela. Ces types étaient au courant du rôle qu'il jouait dans l'organisation et ils voulaient avoir accès à ses connaissances. Rogue jura. Hors de question que ces enfoirés le capturent et l'utilisent contre son employeuse.
Confiant dans ses capacités, il avait envisagé dans un premier temps de tenter de s'occuper de ces gars à lui tout seul. Toutefois, compte tenu du risque que sa capture pourrait faire courir à sa cause, la fuite était devenue la seule option valable.
Lâchant la dernière salve de balles qu'il lui restait pour faire bonne mesure, Rogue ferma ensuite brutalement la porte, colla son dos contre la lourde armoire métallique et, avec une puissante impulsion, la fit basculer contre la porte d'entrée, créant une barricade improvisée.
Il grimpa ensuite avec agilité sur son bureau et se mit sur la pointe des pieds pour atteindre la trappe carrée située au plafond. Il entendit à cet instant de puissants coups portés à la porte du bureau désormais lourdement obstruée. La jeune homme parvint à débloquer la fameuse trappe et l'ouvrit avant de faire coulisser l'échelle métallique qui y était attachée. Il s'agrippa aux barreaux en acier et grimpa avec aisance pour atteindre le grenier.
Le bâtiment dans lequel résidait Rogue comptait plusieurs escaliers et échelles de secours pouvant conduire aussi bien au toit qu'au plancher des vaches. C'était précisément sur l'une de ces échelles que comptait le jeune homme. De son grenier, il pouvait l'emprunter pour accéder au toit et rejoindre l'autre côté du bâtiment, où un escalier le conduirait dans une ruelle adjacente où la fuite serait plus aisée.
Il suivit son plan à la lettre et après une minute d'ascension, il parvint enfin sur le toit du bâtiment. Cependant, une surprise de taille attendait l'ennemi intime de la mafia.
En effet, quelqu'un l'attendait déjà sur le toit. Seul. Quelqu'un qu'il reconnut immédiatement pour avoir régulièrement aperçu son visage durant des années et avoir maudit son nom pendant encore plus longtemps.
« Laxus Dreyar… siffla Rogue entre ses dents.
Le mafieux, toujours vêtu de son large manteau noir aux pans faits de fourrure, esquissa un sourire plein d'ironie.
- C'est incroyable ce que je suis populaire en ce moment. On ne me laisse même pas l'occasion de me présenter.
Le regard mauvais, Rogue dégaina du fourreau dissimulé dans sa veste le couteau antique qu'il avait acheté à cet étrange herboriste quelques semaines plus tôt. Durant des années, il s'était entrainé dans son coin au maniement d'une lame telle que celle-ci.
De son côté, Laxus observait avec attention l'arme dont était à présent muni son adversaire. Le fameux poignard imbibé de yakutrinka. Il s'agissait du type qu'ils recherchaient, il n'y avait plus aucun doute.
- Tu dois certainement l'avoir compris, nous ne sommes pas ici pour te tuer, lança Laxus. Mais après le mal que tu as causé à l'un de mes hommes, après que tu l'aies mené aussi près des portes de la mort, laisse-moi te dire que rien ne me ferait plus plaisir que de t'expédier droit dans la tombe.
Rogue, habituellement si impassible et maître de lui-même, ne put s'empêcher de répliquer.
- Si quelqu'un doit mourir et filer droit en enfer, c'est toi et les tiens, Dreyar. Ta mort prochaine va marquer le début d'une longue série, tu peux me croire.
Loin de se laisser impressionner par des menaces qu'il avait déjà entendu cent fois, le mafieux extirpa sa main droite de la poche de son manteau et exhiba fièrement l'arme qu'il avait pensé à emporter en début de journée. Le couteau à cran d'arrêt de Bixrow.
- Si tu tiens tant que ça à me faire la peau, amène-toi. Je t'attends.
D'ordinaire, Rogue ne se serait jamais laissé entrainé de la sorte et aurait d'abord analysé la situation froidement avant de se lancer à l'assaut de son adversaire. Mais à cet instant, la rage tant retenue qui l'habitait semblait avoir pris le dessus, pour la première fois de sa vie.
Avec une rapidité incroyable, le pommeau de sa lame bien ancré dans ses mains jointes, Rogue s'élança sur son adversaire. Arrivé à sa hauteur, il ploya le genou et déplia son bras droit pour porter une attaque circulaire au niveau de l'abdomen que Laxus esquiva de justesse.
Comme Bixrow avant lui, le bras droit de Gajeel était stupéfié par la vélocité que ce type parvenait à insuffler à ses attaques. Malgré tout, bénéficiant d'une plus solide expérience en combat que son subordonné, il riposta immédiatement en lançant un coup d'estoc sur son adversaire qui n'avait pas encore eu le temps de se retourner. Conscient de sa vulnérabilité, Rogue roula sur le côté et esquiva d'un cheveu l'attaque qui lui était portée.
Les coups et les parades s'enchainèrent alors avec ardeur, les lames des deux adversaires s'entrechoquant à plusieurs reprises sans parvenir à faire mouche.
Jusqu'à ce que Laxus profite d'une courte ouverture dans la défense de son adversaire pour entailler le bras gauche de Rogue, répandant un filet de sang sur le béton. Le combattant aux cheveux noirs ne grimaça même pas. Au contraire, l'élan de douleur qu'il avait ressenti attisa davantage sa fureur.
Faisant mine d'être affaibli par le coup qui venait de lui être porté, Rogue s'affaissa légèrement, émit un grognement, avant de bondir soudainement sur Laxus avec toute la vitesse dont il était capable. La distance séparant les deux hommes se réduisit en à peine une seconde.
Cette fois, le bras droit de Gajeel ne put rien faire à part protéger l'avant de son corps avec son arme. Le choc de la lame de Rogue contre la sienne projeta cette dernière plusieurs mètres sur le côté, désarmant totalement le mafieux.
Conscient d'avoir pris le dessus, Rogue tournoya sur lui-même et balaya les jambes de son adversaire qui tomba lourdement en arrière. Un craquement se fit entendre lorsque l'un des coudes de Laxus heurta le sol bétonné du toit. Le mafieux ressentit une intense douleur.
Rogue profita de l'affaiblissement de son ennemi pour se jeter sur lui, lui asséner un puissant coup de poing sur le nez et placer le tranchant de sa lame juste au niveau de sa carotide. Quelque peu sonné par le coup qui venait de lui être porté, Laxus constata l'amère évidence : le type n'avait qu'à faire un geste pour lui ouvrir la gorge et le faire se vider de son sang.
Ayant le même constat à l'esprit, Rogue ne put s'empêcher de se réjouir. Le célèbre Laxus Dreyar, l'un des hommes le plus redoutés de la ville était à présent à terre, sans arme et complètement à sa merci. Il l'avait vaincu au combat et pouvait désormais mettre fin à sa misérable existence.
« C'est terminé, Dreyar, asséna t-il durement. Vos crimes sanglants, vos petites magouilles, vos tours de passe-passe pour duper tout le monde et vous en sortir les mains propres. Tout est terminé.»
Laxus ne fit pas l'effort de répondre à ce qui lui semblait être la sentence d'un bourreau lors d'une condamnation à mort. Voyant luire la lame de son adversaire, les pensées de l'homme de pègre se rassemblèrent pour former devant ses yeux un visage qu'il lui tardait tant de revoir.
Un visage arrondi entouré de longs cheveux blancs aux reflets argentés. Des yeux en amande d'un bleu de la même couleur que les fonds marins les plus profonds. Et surtout un sourire d'une finesse et d'une délicatesse sans commune mesure dans le monde entier. Cette vision presque angélique était la dernière image que Laxus voulait emporter avec lui avant de partir pour toujours.
« Mira… pensa t-il. Je suis désolé… je n'ai pas tenu ma promesse. Pardonne-moi... »
Considérant que l'heure de son adversaire était venue, Rogue amorça le geste qui allait enfin lui ôter la vie.
Mais juste avant qu'il ne puisse l'accomplir, un bruit sec se fit entendre dans son dos, suivi d'un intense grésillement électrique. Dans la seconde qui suivit, son corps fut secoué par d'incontrôlables spasmes qui le paralysèrent totalement. Incapable de conserver le moindre contrôle sur ses muscles, le jeune homme aux cheveux noirs s'écroula sur le côté et lâcha son poignard.
Laxus étira le cou. Deux électrodes étaient à présent figées dans le dos de son adversaire et le courant électrique qui les parcourait était vraisemblablement responsable de son état.
Le mafieux releva davantage la tête.
Les cheveux balayés par le vent sévissant à cette hauteur, Levy se tenait devant lui, saisissant fermement dans sa main l'un des nombreux tasers qu'il avait emporté et placé dans le coffre de leur véhicule, au cas où. La jeune femme semblait tout à la fois soulagée, contrariée et terrifiée.
« Je t'avais dit de rester dans la bagnole, grommela Laxus en se relevant avec difficulté.
- Je vais prendre ça pour un merci, marmonna l'étudiante.
De son côté, Rogue ne ressentait plus la moindre sensation et peinait à garder les yeux ouverts. Avant qu'il ne bascule définitivement dans l'inconscience, il eut le temps d'apercevoir celle de qui il tenait désormais sa première défaite.
Une petite taille, de longs cheveux bleus clair retenus par un foulard, de profonds et pétillants yeux noisette… Il n'y avait pas de doute. Elle était là, enfin devant lui, celle qu'il avait tant langui de rencontrer… Hélas, sonné par la décharge que l'objet de son attention venait de lui infliger, l'adversaire de la mafia perdit connaissance avant d'avoir pu la détailler davantage.
Tout en frictionnant son coude blessé, Laxus clopina vers son ennemi à terre et s'empara de son poignard empoisonné dont il replia la lame.
C'était fini et ils avaient réussi. Ils avaient pleinement accompli leur mission. Pourtant, étrangement, l'heure ne semblait pas aux réjouissances.
« Avoue-le… Après ce que j'ai fait à ce type, Orga, tu as hésité à m'aider, pas vrai ? demanda Laxus.
Levy jeta au sol le taser dont elle venait de faire usage. Puis elle fixa un moment celui qui l'avait tant déçu. Malgré la victoire qu'elle venait de remporter, à cause de lui, l'étudiante ne pouvait s'empêcher de ressentir un arrière goût d'échec.
- Pour survivre, il nous arrive de faire des choses dont nous n'avons pas envie et qui nous paraissent impensables… déclara t-elle pour seule réponse.
Et sans rien ajouter de plus, la jeune femme tourna les talons et repartit en direction de l'escalier de secours qu'elle avait grimpé à la hâte quelques minutes plus tôt.
Et voilà ! C'est sur cette note douce-amère que s'achève cet énorme pavé ! Je suis si content d'avoir réussi à le finir et à vous le poster.
Pour info, lors de la rédaction de ce nouveau chapitre, deux gros débats ont eu lieu dans ma tête :
- D'une part, j'ai hésité à insérer un « vrai » lemon dans cette partie de mon récit. En effet, je sais que c'est souvent ce qui est recherché comme le Graal par certain(e)s lecteurs(-trices) de fanfictions. Mais étrangement, je me suis dit que Levy et Gajeel n'avaient pas encore suffisamment « avancé » dans leur relation pour arriver à ce que je considère personnellement comme l'apothéose d'une fiction de romance (bien qu'inclure ce genre de scène dans une histoire d'amour n'est pas forcément indispensable pour qu'elle soit réussie, entendons-nous bien). J'ai donc décidé de remettre cela à plus tard. Toutefois, selon l'idée que je me fais de la suite de cette histoire, cela ne devrait pas être trop long. En revanche, j'hésite toujours sur le format de ce futur lemon, je ne sais pas si je le rédige plutôt soft ou si je rentre dans les détails. J'imagine que je verrai bien, le moment venu.
- D'autre part, après mûre réflexion, j'ai voulu nuancer davantage dans ce chapitre la vision que Levy pouvait avoir de la mafia à ce niveau du récit. J'ai réalisé qu'à travers son histoire d'amour avec Gajeel, j'avais peut-être rendu Levy trop insensible aux défauts et aux méfaits de ce qui constitue tout de même un milieu criminel et hors-la-loi. J'ai trouvé que ce nouveau point de vue du personnage lui apporterait plus de relief et j'espère que vous serez également de cet avis.
Vous connaissez la chanson : n'hésitez pas à me faire un retour positif ou négatif en review. J'apprécie toujours énormément vos messages quel que soit leur contenu. Ils m'aident à me sentir motivé et me donnent envie de m'atteler à la rédaction du prochain chapitre avec encore plus d'ardeur ! Sur ce, je vous souhaite plein de bonnes choses et vous donne rendez-vous pour la prochaine publication ! D'ici là, portez-vous bien ! La bise !
