Tony aurait volontiers cédé Stark Enterprises – non, attendez, c'était pratiquement fait depuis deux ans, ou était-ce trois ? Quand il croyait qu'il mourrait empoisonné au paladium et avait remis les rênes de la compagnie à Pepper. Donc, il aurait volontiers cédé sa fortune personnelle, il pouvait toujours en regagner une autre parce qu'il était un génie, pour s'écrouler dans un lit et dormir pendant une semaine. Voire trois.

Hélas, il devrait s'en passer vu que c'était bientôt Noël, et s'il ratait le réveillon sa mère l'écharperait avec un sourire radieux, tant pis s'il essayait de se défendre en lui rappelant qu'il avait été obligé d'empêcher un assassinat présidentiel commis par un entrepreneur rival, lequel entrepreneur avait mal pris une bête farce de rien du tout.

Bon, d'accord, Tony s'était conduit en vrai trouduc la première fois qu'il avait rencontré Aldrich Killian. Mais ce n'était pas une raison pour prendre la mouche et décider de rejoindre la guerre contre la terreur, mais du côté qui massacrait les pauvres pékins moyens au lieu de chercher à les défendre ! Et se raccrocher à ça pendant une douzaine d'années, c'était mesquin !

Tony se demandait sérieusement depuis quand sa vie était devenue une bande dessinée, parce qu'un plan pareil aurait eu les félicitations de Lex Luthor, ou peut-être Ozymandias, pas le poème de Shelley mais le mégalomane de Watchmen. Remarque, c'était probablement depuis qu'il avait fait un petit séjour dans une grotte afghane et décidé que le meilleur moyen de rentrer à la maison, c'était de construire une armure high-tech.

Juste, il était Tony Stark. Il était supposé être un peu dingue – la normalité, quel ennui, c'était la marque des esprits qui ne laisseraient jamais leur trace sur le monde – et le monde n'était pas supposé l'être.

Sauf que maintenant, les dieux Vikings, les invasions aliens et les complots terroristes pour gagner des super-pouvoirs menaçaient de devenir fréquents. Témoin Pepper, laquelle avait reçu bien malgré elle le sérum Extremis et gagné la possibilité de se changer en torche humaine.

Mine de rien, la perspective de Pepper conservant ce pouvoir rendait Tony nerveux. Oui, ce serait fantastique pour elle de disposer d'un moyen de défense, sans parler de la régénération absolument géniale, mais il y avait le risque qu'elle explose comme tant des sujets test de Killian. Aussi, Tony ne pensait pas qu'il se sentirait très à l'aise en présence de flammes pendant un long moment.

Non, cette dernière pensée n'était pas tout à fait exacte. Tony ne se sentait plus très à l'aise dès qu'il pensait à des flammes, et ce depuis un long moment. Depuis l'Incident de New York, en fait.

En y réfléchissant, ça tombait sous le sens qu'une personne à l'hérédité de Géant des Glaces n'aime pas le chaud. Gros coup de pot, l'ingénieur n'avait pas fondu lorsqu'il avait été obligé d'affronter Killian et son armée de super-soldats mal dégrossis, mais il n'avait pas non plus été capable de se changer en Schtroumpf et d'éteindre les feux via jet de neige.

Une fois son teint humain restauré après l'invasion de crevettes galactiques, Mary l'avait prévenu qu'en raison des circonstances de sa conception, Tony n'aurait probablement jamais le contrôle de sa forme bleue et qu'il valait mieux ne pas tenter d'y remédier sous peine de faire du dégât. À l'époque, l'ingénieur avait cru que c'était une excellente idée, mais là, il ne pouvait pas s'empêcher de se demander…

Non, il en avait assez fait. Il avait suffisamment causé de dégâts (et pourquoi son passé continuait-il à le harceler, il n'en finirait donc jamais de payer ses erreurs avec des intérêts effarants), il n'avait plus l'autorisation d'en commettre. Pas alors qu'il avait failli tout perdre.

La période où il avait été dans l'incertitude après la destruction de la maison à Malibu, ignorant s'il avait perdu sa mère alors que ça ne faisait que cinq mois depuis leur réunion, même pas la moitié d'une année, et s'il avait également perdu son fils, même Stane n'était pas allé jusque là et s'était contenté d'enlever Jon, s'il les avait perdu tous les deux juste parce qu'il avait été complètement idiot et avait dit ce qu'il ne fallait pas en face des caméras…

Cette période de sa vie, c'était indiscutablement pire que son congé afghan. Pire que l'empoisonnement au palladium. Pire que plonger dans un trou noir. Parce que dans les circonstances évoquées, au moins Tony avait-il eu la certitude que sa famille était loin du péril, qu'il ne les traînerait pas dans le gouffre avec lui.

Cette certitude avait volé en éclats, et il ne pouvait pas entièrement rejeter la faute sur Killian. Oui, le cinglé avait donné l'ordre d'envoyer les missiles, mais Tony lui avait donné l'adresse.

Pas besoin de délibérations pour déterminer le grand gagnant du Darwin Awards de 2012, Tony Stark avait spectaculairement quoique tardivement démontré pourquoi il méritait de se voir infliger la distinction. Comme quoi, un quotient intellectuel hors-normes ne vous préservait pas d'un comportement extraordinairement stupide.

Apparemment, sa mère pensait la même chose. Elle ne lui avait pas crié dessus lorsqu'il avait enfin, enfin trouvé le temps de l'appeler au téléphone, elle avait simplement poussé un soupir aussi gros qu'une armoire et il s'était illico senti rapetisser à un tel point qu'il aurait pu rentrer dans une boîte d'allumettes. Petit Poucet, va te rhabiller.

« Je dois dire, tesoro » commenta Maria Stark, « avec les parents que tu as, peut-être était-ce inévitable que tu te donnes ainsi en spectacle lorsque tu cherches à accomplir quelque chose. »

L'ingénieur renifla piteusement.

« Howard, je peux comprendre la comparaison, mais je ne me souviens pas de toi comme particulièrement diva » ne put-il s'empêcher de pointer.

« Dans ma forme présente, certes. Lorsque j'étais Loki, et bien… et bien, Manhattan était loin d'être discret, n'est-ce pas. »

Un argument au poids indéniable, mais qui pesait toujours moins lourd que l'océan de désapprobation dans lequel Tony se sentait à un cheveu de dégringoler sans bouée.

« Hey, mama, tu pourrais me passer Johnny ? Histoire que je le rassure que j'ai survécu... »

« Anthony. Ton fils sait déjà que tu as survécu, autrement Hela aurait fait un tel vacarme que ça se serait entendu depuis l'autre bout de la galaxie. Tu n'as pas besoin de signaler ton état de santé par téléphone, mais de parler à Jon, les yeux dans les yeux. »

Oh, bon sang. Pourquoi elle ne pouvait pas lui ordonner de se colleter à nouveau avec Killian, ou d'abattre à lui seul une douzaine de baleines intersidérales ? Ce serait tellement moins douloureux.

« Dans l'immédiat, je crois que ça sera pas possible, mama. »

« Certes, dans l'immédiat. Alors tu iras te doucher, te reposer et manger un morceau, et quand ce sera fait, tu expliqueras à ton enfant que non, tu ne nourris pas de pulsions suicidaires secrètes et tu n'es pas non plus un accro à l'adrénaline qui considère sa chair et son sang indigne de sa considération. »

Tony faillit s'étrangler, de fureur ou d'horreur, il n'était pas bien sûr, mais en tout cas, il toussota et crachota misérablement pendant plusieurs secondes.

« Je pense pas ça du tout ! » parvient-il à s'écrier, sa voix se brisant au milieu de la phrase.

« Est-ce que Giannino sait ça, tesoro ? » demanda sa mère. « Tu sais, la communication est importante, mais c'est compliqué. Il y a au moins trois étapes, ce que tu penses, ce que tu exprimes, et ce que l'autre personne comprend. Est-ce que ton petit entend que tu l'aimes, quand il te voit faire tes cascades de héros ? »

La langue de Tony était bloquée. Iron Man n'existe que parce que Jon méritait mieux qu'un Marchand de Mort pour père, voulait-il expliquer, mais les mots ne voulaient pas quitter sa gorge.

« … Je veux juste le protéger » souffla-t-il.

« Alors dis-le-lui, caro mio. Directement, sans rien déguiser. Il a besoin de l'entendre, et toi, tu as besoin de le dire » déclara Maria.

Si c'était si simple et évident, pourquoi donc l'ingénieur avait-il la nausée à la perspective de cette discussion ?