Jon était fatigué. Il voulait rager après Tony, lui hurler toutes les insultes qu'il connaissait en Italien, en Russe, en Espagnol et en Français ainsi que toutes celles qu'il avait apprises à l'école et il y en avait un sacré paquet parce que peu importe la nationalité ou la capacité arcane, les gens considéraient toujours les gros mots comme une priorité urgente.

Mais son père se tenait devant lui, l'air déglingué et paumé après plusieurs jours à pourchasser un terroriste qui ne lui serait pas tombé sur le dos si l'ingénieur n'avait pas joué le mariolle, et Jon se sentait juste fatigué au point qu'il voulait s'écrouler sur un lit inondé de coussins et ne plus en réémerger avant la fin du mois, ça lui ferait des vacances.

Le milliardaire s'efforça de sourire, mais ses efforts n'aboutirent qu'à une grimace gênée qui faisait plus pitié qu'autre chose.

« Ben alors, champion, j'ai même pas droit à un câlin ? Ton pauvre vieux père a eu la trouille de sa vie, et mon fils ne veut même pas le consoler, c'est pour le coup que j'aurais bien le droit de pleurer. »

L'adolescent qui se sentait actuellement un vieillard par l'esprit (et ne l'était certainement pas physiquement, on l'accuserait plutôt d'avoir sept ou huit ans et ça le désolait de manière persistente) considéra son géniteur d'un œil bleu vide, très semblable à l'œil d'une vache sur le point d'être expédiée à l'abattoir.

« Parce que tu crois que j'ai pas pleuré non plus, pendant tout ce désastre ? »

Tony Stark n'était déjà pas grand pour un homme, mais cette pique le poussa à se ratatiner encore davantage sur lui-même, au point qu'il soutenait la comparaison avec un hobbit – Jon hésitait à le mettre à côté d'un nain malgré l'affiliation avec les métaux, Nonna lui avait raconté que les Nains tels qu'Asgard les avait rencontrés mesuraient allégrement dans les deux mètres et vous pouviez parler de noms trompeurs dans un cas pareil.

« Tesoro… je suis vraiment désolé. »

Jon refusa de ciller.

« Après ton congé afghan, t'étais désolé aussi, et encore après l'Incident à New York, mais ça ne t'empêche pas de retenter encore et encore le suicide. »

Là, Tony sursauta et le dévisagea comme s'il ne l'avait encore jamais vu auparavant. Le garçon soutint le regard, stupeur s'écrasant contre un mur de lassitude forgé au cours des ans pour atteindre une épaisseur absolument remarquable.

« Comment ça, un suicide ? Est-ce que j'ai l'air suicidaire, d'après toi ? »

« Je me rappelle le Grand Prix de Monaco et l'Expo, tu sais. J'ai cherché les signes sur Internet, quand Tilly m'a annoncé que tu allais mourir et tu étais parfaitement d'accord avec ça. »

C'était cruel de remettre cette période particulièrement noire de la vie de l'ingénieur sur le tapis, mais Jon n'éprouvait plus de compassion encore disponible à l'endroit de son géniteur. Rien que pour une fois, il voulait frapper là où ça faisait sincèrement, réellement mal et laisser une marque indélébile, tout aussi impossible à effacer que la trace infligée au gamin d'alors neuf ans par le congé afghan.

Le tir fit mouche. Tony blêmit, le genre de pâleur frôlant le grisâtre tellement elle était malsaine, et ouvrit la bouche seulement pour que Jon lui coupe la parole, refusant de le laisser se justifier – son père ne voulait plus l'entendre depuis une demi-douzaine d'années, alors pourquoi le garçon lui accorderait-il encore le privilège de parler ?

« Pour le reste, c'est davantage la définition Pratchett. C'est assez intéressant de visiter Ankh-Morpork, mais il faut faire très attention parce que tu peux mourir d'un millier de façons différentes dans ce coin, et quand tu crèves de manière particulièrement stupide c'est étiqueté un suicide. Parce que se jeter délibérément dans les ennuis, ça indique que tu veux juste mourir. »

« Jon, tu ne crois pas que tu dramatises un peu, quand même ? » bredouilla le milliardaire, le front couvert de sueur.

Jon ne dramatisait pas, mais si l'ingénieur voulait le pinacle tragique du troisième acte, il allait l'avoir.

« Si tu n'as plus aucune envie d'être mon père, dis-le tout de suite et je promets que j'irais emménager chez Rhodey et je te laisserais jouer le héros pour le reste de ta vie. »

Jon aimait bien Rhodey, et son parrain ne faisait pas mystère de son affection pour lui. Il ne pouvait pas demander à Nonna ni à Tilly ni à Pepper de le prendre en charge, elles étaient déjà trop occupées avec leurs problèmes personnels et les soucis que Tony n'arrêtait pas de leur causer et Stark Industries – au moins Rhodey était plus ou moins indépendant de toute cette histoire, et quand l'armée le réclamerait trop Jon pourrait aller squatter chez Olivia ou il serait à l'école, tout le monde y gagnerait.

Vu la tête de Tony, l'adolescent venait de la lui jouer Obadiah Stane – lui arrachant le réacteur incrusté dans la poitrine afin de l'abandonner agonisant sur le canapé sans aucune aide alentour.

« Tu – pourquoi penserais-tu que je ne veux plus être ton père ?! »

La question s'entendait à peine, prononcée dans un râle qui peinait à s'extraire des poumons tant le choc et la détresse empêchait la respiration en bonne et due forme.

Jon haussa les épaules.

« Je viens de te le dire, tu as trop envie de mourir et moi je ne veux pas assister à ça. J'ai beaucoup réfléchi à la question, et voilà ce que j'ai déduit, c'est que je n'ai plus de père depuis 2009 si ce n'est nominalement. Parce que tu préfères être Iron Man pour effacer tes péchés, et c'est une entreprise assez louable quand on se place du côté du plus grand bien, mais... »

« Iron Man était pour toi ! »

Jon cligna des yeux, son explication pilant net dans un crissement de freins strident et évitant in extremis de rouler sur l'innocent chaton couché au beau milieu de l'autoroute.

« Je te demande pardon ? »

Les yeux bruns de Tony exprimaient désolation et horreur.

« Iron Man était pour toi » il répéta d'une voix cassée. « Tu… tu méritais mieux qu'un Marchand de Mort. Tu méritais quelqu'un dont tu pouvais être fier, quelqu'un comme Capsicle – tous les gosses adorent les héros, non ? »

Jon resta la bouche ouverte un long moment.

« C'était pas un héros que je voulais, quand tu as disparu en Afghanistan » lâcha-t-il. « Je voulais que mon père revienne. »

« Je suis revenu » insista Tony.

« C'est pas l'impression que tu m'as donné » riposta le garçon, qui sentait ses yeux brûler d'humidité. « Je voulais mettre le congé afghan derrière nous, je voulais que ce soit jamais arrivé, sauf que tu as décidé de te forger une armure, et chaque fois que tu t'envolais, je me demandais si c'était la dernière, si j'aurais dû te dire au revoir et si peut-être ça aurait été mieux que tu reviennes jamais parce qu'au moins ce serait fini et plié alors que là je dois tout le temps avoir peur de ne pas te revoir et je veux juste que ça finisse... »

Les bras de l'ingénieur étaient chauds autour de lui, et n'était-ce pas ironique, pour un type dont la mère était un Géant des Glaces ? Jon hoqueta alors qu'il se cachait la figure dans le creux de l'épaule de son père.

« J'ai jamais voulu te faire peur comme ça, champion » souffla Tony. « Dio moi, j'ai jamais voulu te faire mal comme ça, perdonami... »

« Papa » gémit l'adolescent qui se sentait si petit, tout d'un coup, « papa, je suis fatigué. »

Il était fatigué, et l'étreinte de son père était si rassurante, à croire qu'elle ne se romprait jamais. Jon ne devrait plus croire dans le mythe de l'invincibilité paternelle, mais rien que cette fois…

Rien que cette fois.