12 février 2013

« Personne en embuscade dans le couloir » signala Alma de sa voix la plus monotone – sérieusement, même JARVIS était plus animé que ça, et JARVIS était un programme d'ordinateur, c'était un brin flippant.

« Je t'ai dit que tes pouvoirs sont absolument fantastiques ? » soupira Olivia qui avait trouvé moyen de se teindre des zébrures dorées sur ses cheveux bleu indigo. « Parce que si je pouvais entendre les paparazzi arriver, ce serait genre, sensationnel. »

La fille plus jeune renifla, visiblement pas convaincue.

« Es-tu certaine que c'est une compensation suffisante en échange d'avoir à écouter constamment les pleurnicheries hormonales des adolescents de notre âge qui ne peuvent penser qu'à leur acné et au contrôle dont ils ignorent les réponses ? » interrogea-t-elle sinistrement, un de ces jours elle allait virer gothique et personne ne serait surpris vu qu'elle avait déjà la conduite bien inquiétante.

Olivia produisit une moue théâtrale.

« Ah, tu me donnes matière à réfléchir... »

« Vous pouvez continuer à discuter en marchant, les filles ? » suggéra Jon en s'extirpant de la cabine des toilettes. « Ils ont beau désodoriser l'endroit, je ne tiens pas à inhaler des relents d'urine plus longtemps que strictement nécessaire. »

« Quand même » ronchonna Alma alors que leur trio quittait la pièce réservée à un besoin physique aussi inévitable que repoussant, « ça va bientôt faire un mois que ta maison a sauté. Pourquoi les gens insistent encore pour en parler ? »

« Parce que telle est la vie d'une célébrité, mon canard » lui rappela Olivia d'un ton indulgent de grande sœur qui explique pour la énième fois que oui, il fallait se brosser les dents le matin et le soir pour éviter les caries. « Les gens rabâchent constamment ce qui t'est arrivé, que ce soit ta faute ou non, parce que c'est tellement plus intéressant que leur propre vie. »

« Au fait, toujours traumatisée d'avoir été dans le même quartier qu'un meurtre ? » glissa sournoisement Jon.

« Pas un meurtre mais un règlement de comptes » rectifia l'aînée de leur trio, « et vraiment, quand tes parents décident de passer une semaine en Corse, c'est inévitable de tomber sur des histoires de mafia. Ils devraient compter ça dans les brochures et vous payer le thérapeute si vous tombez sur le cadavre, en fait... »

Alma tira la langue pour exprimer son dégoût tandis que Jon s'autorisait un sourire en coin.

Depuis qu'il était tout petit, il savait que le danger existait. C'était inévitable, quand l'argent et l'intelligence de votre père signifiaient que vous étiez un appât irrésistible pour les kidnappeurs de tout poil, que leur motivation fusse idéologique ou purement monétaire. Tilly restait membre de la maisonnée pour une bonne raison, alors qu'une nounou ordinaire aurait été congédiée une fois sa charge assez vieille et mature pour ne plus traverser la route sans oublier de regarder des deux côtés.

En tant que gamine d'Hollywood, Olivia Vertigo avait été exposée à un autre type de danger, celui qui rôdait derrière l'éblouissement des feux de la rampe et des paillettes, celui qui venait sous la forme d'alcool coulant à flots dans les soirées et de fans qui se croyaient tout permis. Danger plus insidieux, mais danger néanmoins, car la notoriété réclamait un prix à payer malgré les illusions que beaucoup de gens nourrissaient sur les avantages d'être connu par la moitié du pays, sans imaginer qu'il pourrait exister des inconvénients.

Jon savait que le danger existait, et sa vie ne le laisserait pas oublier cela. Il y était résigné, mais ça ne voulait pas dire qu'il appréciait que des adolescents fassent preuve de curiosité aussi malsaine que déplacée et le harcèlent parce qu'il refusait d'expliquer en long, en large et en travers combien il avait été terrifié quand un cinglé avait décidé de faire exploser sa maison alors que lui et Nonna se trouvaient à l'intérieur, juste pour enrager son père.

Papa.

Sa relation avec son père… c'était toujours tendu, forcément. Anthony avait enfin décidé de se faire opérer, de retirer l'électro-aimant et les derniers fragments de shrapnel encastrés dans sa poitrine, il avait promis de se calmer en ce qui concernait Iron Man, mais Jon avait du mal à lui faire confiance. Pas après le Grand Prix de Monaco où son père avait été résigné à mourir, pas après le congé afghan où l'ingénieur avait décidé de réinventer le Marchand de Mort pour en faire jaillir un super-héros.

La foi de Jon en son père resterait probablement ténue et prête à se rompre pendant un long, long moment, peut-être pour le restant de leur vie – et ça promettait de durer, à en juger par les commentaires de Nonna sur la longévité des Asgardiens et des Vanes et des Jötnar, cinq mille ans et des brouettes. Mais l'espoir, ça se nourrissait d'une miette et ça endurait une quantité de revers complètement absurde.

Peut-être que Jon retrouverait un peu plus que des échos de son père, cachés derrière le masque d'Iron Man.

À côté de lui, Alma claqua la langue contre le palais de sa bouche, et il lui glissa un coup d'œil en coin.

« Parfois, c'est très frustrant de ne pas pouvoir décrypter l'intérieur de ta tête » déclara la fille aux yeux jaunes, visiblement contrariée de ne pas pouvoir aller plus loin que la mine perdue dans le vague du garçon aux boucles folles.

« Bienvenue parmi le commun des mortels » riposta l'hybride humain-alien. « Mais je crois que ce serait plutôt à moi de me plaindre de ne pas pouvoir accéder à tes pensées, je suis le garçon et toi la fille, tu te rappelles ? »

« Objection, votre honneur ! » intervint Olivia. « Tu es gay, si tu as besoin de devenir télépathe, tu devras te contenter de ton propre genre. »

Jon porta dramatiquement la main à son front, dans le geste typique des ingénues sur le point de défaillir sur un divan judicieusement placé pour leur éviter une chute douloureuse par terre.

« Moi, fils et petit-fils de bisexuels, je n'ai même pas droit à la possibilité d'admirer la beauté peu importe où elle se trouve ? Je crie à l'oppression ! On cherche à entraver ma liberté sans aucune pitié, tout cela à cause d'une vulgaire présomption ! »

« Crie plus fort, ça te fera de l'entraînement pour la prochaine marche des fiertés. Dis donc, tu crois que ta grand-mère voudra célébrer la Gay Pride ? » demanda Olivia. « Parce que techniquement, tu peux la considérer comme trans… vu que Loki était un homme, mais elle ne l'est certainement plus en ce moment. »

Jon supposait que l'étiquette pouvait s'appliquer à Nonna, mais il considérerait plutôt sa grand-mère comme non-binaire – Maria Stark ne semblait pas avoir détesté vivre comme Loki à cause de son genre masculin, mais parce que Loki ne parvenait pas à se faire accepter par Asgard et sa famille adoptive. Et elle était complètement à l'aise d'être appelée aussi bien Maman par Anthony que Père par Tilly, ça voulait bien dire ce que ça voulait dire.

« Il est d'accord avec tout ça, ton autre grand-parent ? » interrogea abruptement Alma qui fronçait les sourcils. « Il est de la Seconde Guerre Mondiale, quand même. La ségrégation et tout le reste. »

« En fait, Captain America a grandi dans le quartier gay de New York » dévoila Jon sans gêne. « Et franchement, après un coma de soixante-dix ans, il a d'autres chats à fouetter que d'enquiquiner les gens sur leurs préférences sexuelles. »

« Un homme qui a le sens des priorités, tu parles d'une perle rare » soupira Olivia. « Ajoute à ça la délicatesse, et c'est presque trop beau pour être vrai. »

« Il aime manger du chou et des raisins secs » laissa tomber le garçon avec toute la révulsion que méritait de telles préférences.

Olivia arqua un sourcil brun – après se les être accidentellement épilés quatre fois, elle n'y touchait plus.

« Et bien… personne n'est parfait, je suppose. »